« La force d’où le Soleil tire sa puissance a été lâchée contre ceux qui ont déclenché la guerre en Asie. (…) Si [les dirigeants japonais] n’acceptent pas maintenant nos conditions, ils doivent s’attendre à un déluge de destructions comme il n’en a jamais été vu de semblable sur cette Terre. Après cette attaque aérienne suivront des forces marines et terrestres en nombre et en puissance telles qu’ils n’en ont jamais vues et avec les aptitudes au combat dont ils sont déjà bien conscients. » (Harry Truman, le 6 août 1945 à Washington).
Il y a 75 ans, le 6 août 1945 à 8 heures 16 (heure locale), la première bombe nucléaire, larguée par un bombardier américain, a éclaté au centre de la ville japonaise de Hiroshima (350 000 habitants), à environ 600 mètres d’altitude. 75 000 personnes furent tuées sur le coup, au total, près de 170 000 auraient péri. La bombe, appelée "Little Boy", a dissipé l’énergie de l’équivalent de 15 000 tonnes de TNT, soit environ 63 milliards de joules. Une seconde bombe nucléaire, appelée "Fat Man", a été larguée à Nagasaki (200 000 habitants) le 9 août 1945 vers 11 heures et elle a explosé à 500 mètres d’altitude, provoquant la mort de 80 000 personnes et la formation d’une colonne de fumée de 18 kilomètres de hauteur. La bombe de Nagasaki avait une puissance de 20 000 tonnes de TNT et a ciblé des infrastructures militaro-industrielles.
L’explosion des deux bombes nucléaires, les deux seules employées de l’histoire du monde hors essais nucléaires, fut le résultat du rejet de l’ultimatum du 26 juillet 1945 prévu par la Conférence de Potsdam qui a réuni, du 17 juillet au 2 août 1945, les trois chefs d’État vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale, Staline (URSS), Harry Truman (USA) et Winston Churchill, remplacé ensuite par Clement Attlee (UK). Staline profita de la désorganisation du Japon pour envahir la Mandchourie le 9 août 1945.
Incontestablement, l’explosion des deux bombes nucléaires par l’armée américaine sur les nombreux habitants de deux grandes villes japonaises fut l’une des deux innovations les plus cruelles de la Seconde Guerre mondiale, au point de bouleverser complètement tant la pensée militaire et internationale que la philosophie sur le mal chez les humains. L’autre sinistre innovation, ce fut la Shoah où 6 millions de Juifs furent déportés et massacrés d’une manière quasi-industrielle. À ma connaissance, aucun complotiste n’a encore nié l’explosion de ces deux bombes nucléaires.
Le débat ne me paraît pas clos sur la nécessité de faire exploser ces deux bombes, et en particulier la seconde, à Nagasaki. Les États-Unis, en s’en prenant aux populations civiles, savaient qu’ils commettaient un crime contre des centaines de milliers de personnes innocentes. Ces bombardements ont été réalisés dans un contexte très difficile où le Japon refusait de capituler (il ne le fit que le 2 septembre 1945), et l’armée américaine a pilonné de nombreuses villes japonaises, faisant selon certains un million de victimes. Ce contexte peut-il relativiser l’horreur des explosions nucléaires ? Sûrement pas, car elles ont montré une efficacité économique et technique particulièrement redoutable.
Qu’y avait-il dans la tête du Président Harry Truman lorsqu’il a ordonné le largage de ces deux bombes ? Une chose qui semble à peu près établie est que la motivation première ne semblait pas grand-chose à voir avec la capitulation japonaise, mais plutôt avec une démonstration de force pour marquer les esprits, et ils ont été marqués, sur la puissance redoutable de l’arme nucléaire et l’avantage militaire décisif des États-Unis qui l’avaient développée.
Pendant plus d’une quarantaine d’années, le monde a donc vécu dans cette guerre froide synonyme d’équilibre de la terreur, avec le risque du déclenchement d’une guerre thermonucléaire massive. Au fur et à mesure des développements technologiques, cinq grandes nations ont acquis la bombe nucléaire : les États-Unis, l’URSS (maintenant la Russie), la France, le Royaume-Uni et la Chine. À eux doivent être ajoutés Israël, l’Inde, le Pakistan et la Corée du Nord, qui se sont invités à la table nucléaire, tandis que l’Afrique du Sud y a renoncé et que l’Iran officiellement aussi.
Comme tous mes contemporains, je suis né dans ce monde terrible de la dissuasion nucléaire où le moindre faux-pas diplomatique pourrait faire plonger la planète dans un effroyable chaudron nucléaire. Deux dates furent particulièrement tendues, que je ne détaillerais pas : la crise des missiles soviétiques à Cuba en 1962 (John Kennedy et Nikita Khrouchtchev), et la crise des missiles américains en Allemagne fédérale en 1983 (Ronald Reagan et Youri Andropov). Le Président américain avait alors obtenu le soutien précieux de la France avec cette formule devenue célèbre de François Mitterrand le 12 octobre 1983 à Bruxelles, lors d’un dîner officiel avec le roi des Belges : « Je suis, moi aussi, contre les euromissiles. Seulement, je constate des choses tout à fait simples. Dans le débat actuel, le pacifisme, et tout ce qu’il recouvre, il est à l’Ouest et les euromissiles, ils sont à l’Est. Et je pense qu’il s’agit là d’un rapport inégal. ».
Enfant, comme tous les autres enfants, j’ai donc vécu sous cette psychose de la dissuasion nucléaire et du risque d’une destruction totale de la planète Terre. Avec tout le stock de bombes, avec leurs ogives nucléaires, il y aurait de faire exploser plusieurs fois la Terre. En 2018, il y aurait eu apparemment dans le monde un stock total de 14 000 têtes nucléaires (diversifiées), selon la Federation of American Scientists. Depuis la fin de la guerre froide, les stocks se réduisent (ne serait-ce parce que cela coûte très cher de maintenir opérationnelles toutes les têtes), plusieurs traités internationaux ont organisé le démantèlement de nombreuses armes nucléaires. Au plus fort de la guerre froide, dans les années 1980, il devait y avoir autour de 70 000 têtes nucléaires.
Cette psychose qui semble aujourd’hui s’éloigner peu à peu, malgré l’Iran, malgré la Corée du Nord, malgré l’Inde et le Pakistan (l’angoisse serait plutôt pour des attentats nucléaires, même si depuis la chute de l’URSS, aucune ogive nucléaire n’a encore servi à des fins terroristes), m’a paru, au fil de ma maturité et de mes connaissances, de plus en plus absurde.
En fait, je pense qu’il y a un côté hyperprétentieux de l’être humain (son côté prométhéen) de croire qu’il peut dévaster lui-même une planète comme la Terre. Planète d’une masse d’environ 6 x10(puissance 24) kg (c’est ainsi que je noterai les puissances de 10 pour être sûr d’être compris avec toutes les typographies), d’un rayon d’environ 6 400 km. C’est un objet gigantesque, on a beau être 7,8 milliards d’êtres, on a beau être intelligents, technologues, scientifiques, industriels, finalement, à l’échelle planétaire, on ne vaut pas grand-chose, et la crise du covid-19 nous le rappelle d’ailleurs amèrement, un petit bout d’ARN de rien du tout (mais particulièrement mortel) est capable de faire arrêter de tourner le monde humain pendant de nombreux mois.
Alors, j’ai essayé de faire un petit calcul (qui vaut ce qui vaut) pour savoir si nous, humains évolués (évolués dans le sens prométhéen du terme), nous sommes vraiment capables de faire exploser la Terre par nos propres bêtises. Il faut donc faire deux calculs. Celui des forces dont nous disposons, et celui des forces dont nous devons avoir besoin. J’écris force mais il faut bien sûr penser énergie.
Le premier calcul est le plus simple. Bien sûr, l’arme nucléaire paraît la meilleure méthode. Alors, pour tenter de majorer les forces dont nous disposons, prenons le stock maximal dont nous avons disposé dans l’histoire du monde, à savoir 70 000 têtes nucléaires (en vérité, il n’y a plus que le cinquième). L’idée est de majorer. Comme ces têtes étaient diverses et variées, voyons grand et considérons que chaque tête correspond à la puissance de la bombe nucléaire la plus puissante que l’homme a pu développer, c’est-à-dire la Tsar Bomba (dite "Gros Ivan"), développée par l’URSS et qui a explosé le 30 octobre 1961 à 11 heures 32 (heure locale) en Nouvelle-Zemble, dissipant l’équivalent de 57 millions de tonnes de TNT, provoquant un champignon de fumée de 64 km de hauteur et de 40 km de diamètre, visible à plus de 1 000 km !
Une telle bombe a dissipé l’énergie d’environ 2,4 x10(puissance 14) joules. Si l’on admet qu’on aurait pu en disposer de 70 000 (ce qui est très loin d’avoir été le cas, en moyenne, une bombe H fait plutôt "seulement" l’équivalent d’une mégatonne de TNT, presque deux ordres de grandeur de moins), cela aurait apporté un potentiel d’énergie de 1,7 x10(puissance 19) joules.
Le second calcul est plus compliqué, à savoir quelle serait l’énergie minimale (ici, il faut la minorer) pour pouvoir faire exploser la planète Terre ? Il faut en fait prendre en compte l’énergie gravitationnelle (énergie potentielle de gravitation) et éventuellement, l’énergie des morceaux de Terre qui s’en éloigneraient avec une certaine vitesse, suffisante pour dépasser l’attraction gravitationnelle de la Terre. La vitesse de libération est à peu près égale à 10 000 km/s (un peu plus en fait, mais je minore l’énergie). Il faut faire une intégrale puisque la masse varie (diminue) à mesure que la planète explose (que le rayon diminue).
Bon, pour ce calcul, j’ai fait un calcul qui s’approchait bien mais ici, je ne vais pas me mouiller et je vais reprendre plus simplement l’estimation d’un spécialiste : dans un article sur Futura-Science publié le 5 mars 2020, l’astrophysicien Roland Lehoucq, qui travaille au CEA de Saclay, a proposé : « Pour détruire une planète, il faut dépenser une énergie suffisante pour compenser l’énergie gravitationnelle qui lie sa matière. Pour une planète semblable à la Terre, l’énergie nécessaire est tout à fait considérable. Elle correspond à celle que rayonne la totalité du Soleil durant six jours. Et cette valeur gigantesque n’est qu’un minimum car, dans cette hypothèse, les débris de la planète se répandront dans l’Espace à une vitesse proche d’une dizaine de kilomètres par seconde. ».
Dans son site créé le 14 mars 2001 chez Free, Jacques Ardissone, professeur agrégé de sciences physiques, s’est amusé à faire le calcul de la durée de vie du Soleil, dont l’activité est la fusion d’hydrogène en hélium. Dans ses calculs, il a donc utilisé la puissance du Soleil qu’on peut évaluer à 4 x10(puissance 26) watts, soit le Soleil rayonne une énergie de 4 x10(puissance 26) joules à chaque seconde (par seconde). En reprenant les deux informations, cela donne, pour six jours de rayonnement solaire, l’énergie minimale nécessaire à faire exploser la Terre, soit 2,1 x10(puissance 32) joules. En fait, la valeur plutôt admise serait de 2,4 x10(puissance 32) joules (7 jours de rayonnement solaire), ce qui reste le même ordre de grandeur.
On peut donc comparer les deux résultats approximatifs : l’énergie largement majorée dont nous aurions disposé il y a une quarantaine d’années soit 1,7 x10(puissance 19) joules, mais il faudrait en fait réduire d’un ou de deux ordres de grandeur (au moins, car j’ai beaucoup majoré) et l’énergie minorée pour faire exploser la Terre, soit 2,1 x10(puissance 32) joules.
Il y a entre les deux valeurs un rapport de 10 millions de milliards, il faudrait à mon sens dire plutôt 100 ou 1 000 millions de milliards en ordre de grandeur. Donc, même dans le "meilleur" cas d’énergie, l’être humain n’aurait pas été en mesure de faire exploser sa planète Terre. Toutes les idées selon lesquelles nous pourrions le faire sont donc nécessairement fausses : nous sommes beaucoup trop peu outillés pour cela, et c’est tant mieux.
Si l’on veut aussi faire quelques comparaisons, on peut aussi dire que le tremblement de terre dans l’océan Indien du 26 décembre 2004 a dégagé une énergie de 2 x10(puissance 18) joules. Ou encore que pour faire exploser la Terre, il faudrait la même énergie que 3,3 millions de milliards de milliards de bombes de Hiroshima !
Une fois constaté cela, attention, je n’ai pas écrit plus : je n’ai pas écrit que l’être humain ne serait pas capable de détruire sa propre espèce, sa propre humanité. Il est à peu près clair que si les 70 000 têtes nucléaires dont nous disposions dans les années 1980 ou seulement les 14 000 têtes nucléaires dont nous disposons aujourd’hui explosaient chacune à un endroit différent et peuplé, il ne resterait plus beaucoup d’êtres humains, voire d’êtres vivants à la surface de la Terre. Mais la Terre résisterait, et d’autres formes de vie s’y développeraient, peut-être même des humains qui auraient survécu aux multichocs nucléaires.
Le calcul pourrait avoir l’air un peu sinistre mais finalement, il reste optimiste : quoi qu’on en dise, quelle que soit l’évolution de notre technologie, de nos progrès scientifiques, la Terre, la Nature, sera toujours plus forte que l’homme. Cela rend humble, mais cela réduit aussi les conséquences de notre éventuelle irresponsabilité.
NB. Angoissons-nous quand même un peu : si on veut vraiment s’inquiéter, on peut par exemple réfléchir sur les réserves en uranium 238 sur Terre qui contiendraient une énergie potentielle d’environ 3 x10 (puissance 31) joules, ce qui se rapproche ainsi de l’ordre de grandeur nécessaire à la destruction de la Terre…
A
Les commentaires récents