1ère partie
«L'écriture a ceci de mystérieux, c'est qu'elle parle»Paul Claudel - Ecrivain français (1868-1955)
L'HOMMAGE
Mardi 5 mai 2010 à Ouled Bouâchra. C'est une chaude matinée. Une foule bigarrée grimpe péniblement la côte vers une stèle à la mémoire de leur prestigieux chef, le colonel Si M'hamed Bougara, qui répétait assez souvent à ses compagnons d'armes : «La Révolution a ses propres conditions que nous avons pleinement acceptées. Parmi ces conditions, celle du martyr, sans lequel, il n'y aura jamais d'indépendance. Et les tombes des chouhada qui parsèmeront le sol algérien seront et resteront à jamais les témoins vivants de ce mal».
Un compagnon d'armes du chahid entama la récitation de la «Fatiha». La foule répondit par un retentissant «Amine». Il entama ensuite, d'une voix tremblante, une pathétique oraison funèbre à la mémoire de celui qui était tombé au champ d'honneur ici même à Ouled Bouâchra le 5 mai 1959. «Nous sommes réunis aujourd'hui comme chaque année, par la grâce de Dieu, pour commémorer le 50e anniversaire de l'assassinat d'un valeureux combattant: notre frère, notre ami, notre colonel Si M'hamed Bougara, tombé au champ d'honneur ici même, voilà un demi-siècle, sous les balles assassines d'un colonialisme barbare».
«Le colonel Si M'hamed vit le jour à...». La suite de l'oraison se perdit à travers les collines, caressant les villes et villages, les oueds, les talwegs, les anciennes zones interdites des monts de Bouzeghza, l'Ouarsenis, El-Meddad, Amrouna, Djebel Louh, le Zaccar, l'Atlas blidéen et bien d'autres régions que le colonel Si M'hamed avait sillonnées inlassablement, éperdument.
Chacun s'est remémoré les judicieux conseils de Si M'hamed, sa passion et son exaltation pour une Algérie libre et démocrate, son encourageant sourire, son plaisir de toujours essayer d'unir le citadin avec le rural sous une même bannière: la chaleur humaine.
A la fin de la cérémonie, ils se sont éparpillés à leur tour, à travers l'Algérie pour perpétuer le souvenir de ce grand homme: le colonel Si M'hamed Bougara.
L'HOMME
De son vrai nom Ahmed Benlarbi Bouguera, le colonel Si M'hamed vit le jour un jeudi 2 décembre 1926 à Affreville (Khemis-Miliana, wilaya de Aïn Defla).
C'est dans une petite villa située au fond de la rue du Maroc, une rue perpendiculaire à l'avenue principale qui porte actuellement son nom, qu'est né Ahmed, qui sera connu sous le nom de guerre de Si M'hamed, colonel de la wilaya IV. Le deuxième prénom Benlarbi vient du fait que dans les grandes smalas où les frères, même mariés, vivent généralement sous le toit du patriarche et donc pour distinguer les nombreux cousins les uns des autres, on ajoute à leur prénom celui de leur père, d'où le prénom de Ahmed Ben Larbi (fils de Larbi).
Ahmed est le troisième d'une fratrie de 7 enfants issus d'une modeste famille très conservatrice, originaire de Titest, petite commune de la région de Ath Yala, dans le nord sétifien, proche de la Petite Kabylie.
Larbi, son père, était technicien réparateur dans la téléphonie à Affreville (Khemis-Miliana) où est né le jeune Ahmed. Il faut dire que le nom réel de la famille à Titest est Benmessaoud, nom hérité vraisemblablement d'un ancêtre de Larbi qui était connu sous le prénom de Messaoud. Par contre, le nom patronymique des Bougara aurait été attribué par l'administration coloniale en référence à Bougaâ (ex-Lafayette) dont dépendait à cette époque Titest. Ahmed fit ses études primaires à l'école française Lafayette, aujourd'hui école Kelkouli Hamdane, et fréquenta parallèlement l'école coranique où il apprit le Coran.
Ecoutons à ce sujet Ressam Abdelkader dit Kadara: «J'ai fait les mêmes classes que notre ami Ahmed. Nous avons connu des instituteurs aussi bien indigènes qu'européens. Si ma mémoire ne me fait pas défaut, je vous dirais que nous avons eu en 1re année M. Batata, en 2e année M. Malibère, en 4e année Mlle Vessiaire et en 5e année (fin d'études primaires, tous des Algériens) M. Benblidia. Si nos maîtres européens étaient peu regardants sur notre scolarité, M. Benblidia faisait tout pour nous faire participer aux cours. En classe, M. Benblidia ne parlait jamais en arabe, mais une fois, il nous dit presque à voix basse et, chose extraordinaire, en arabe. Le fait de parler en arabe nous a fait l'effet d'un coup de tonnerre: «Mes fils bien-aimés, vous devez relever le défi de ceux qui nous ont précédés, vous devez être assidus, vous devez enfin réussir dans vos études. L'Algérie de demain aura besoin de vous». On ne savait pas pourquoi il nous fit ce discours, mais en récréation, Ahmed nous a réunis et nous a expliqué, comme le ferait un adulte, le vrai sens des paroles de notre maître. «Le djihad est la seule issue pour arriver à l'Algérie de demain dont nous parlait le cheikh [1]», nous disait-il.
Alors que ses camarades de son âge jouaient aux billes et à colin-maillard, Ahmed était toujours taciturne, en train de broyer du noir dans un coin de la cour de récréation. C'était le début de la prise de conscience de son bouillonnant nationalisme. Un volcan en éruption.
En classe, poursuivait Kadara, Ahmed avait un comportement bizarre car ce dernier commençait à se retirer dans une sombre solitude, il occupait toujours la dernière table, non pas qu'il était le cancre de notre section, il était d'ailleurs le plus intelligent de notre classe[2], mais parce qu'il commençait à prendre conscience de la situation des indigènes que nous étions. C'était le réveil d'une étonnante précocité du nationalisme. Quand nous allions jouer, Ahmed profitait de l'occasion pour nous poser une foule de questions sur la différence qu'il y avait entre nous et nos jeunes camarades français, sur «le nif»[3] qui a été mis bas par les Français. Les leçons d'histoire étaient pour lui une torture. Il ne pouvait pas supporter un seul instant la prononciation des noms de Bugeaud, Napoléon ou autres usurpateurs. Alors, pour ne pas assister au cours et donner une excuse au maître de le mettre dehors, il commençait à faire du chahut.
Abdelkader Malki[4] se souvient: «Ahmed crachait violemment à la face de ses camarades français toute la différence qui les séparait.
Alors que nous étions beaucoup plus attirés par les jeux, Ahmed faisait tout pour nous tenir des discours dont nous comprenions mal le contenu. Même adolescent, Ahmed raisonnait comme le fait un adulte. Pour extérioriser toute sa haine pour les colonisateurs, Ahmed éprouvait un plaisir intense à faire le fayot avec ostentation devant ses maîtres européens quand il s'agit de la propre identité des indigènes. Par sous-entendus interposés, il les laisse deviner le fond de sa pensée sur la différence qui existe entre les deux communautés ou le fait que les Gaulois n'étaient pas nos ancêtres».
A 16 ans il adhéra au mouvement des Scouts musulmans algériens (SMA). Il sera responsable du groupe El-Widad qui deviendra une véritable école du nationalisme avec comme dirigeants Mohamed Bouras, Omar Lagha, Sadek El-Foul et Bouza Mohamed. Il adhéra en même temps au SCA, le club sportif de l'ex-Affreville, où il fut titulaire du poste d'arrière de l'équipe réserve.
Kadara se rappelle. «Ahmed se mettait dans tous ses états quand notre équipe perdait le match contre l'équipe européenne. La défaite faisait sur Ahmed l'effet d'un déshonneur. Pour lui, les rencontres de football avec les Français étaient beaucoup plus des rencontres-résistance que sportives».
Toutes ces adhésions lui permirent de couvrir ses activités politiques. En 1944, accompagné de ses camarades Kouadri, Kelkouli et Belakhal Mohamed Ben Lamdani, le jeune Ahmed, alors âgé de 18 ans, se rendit en Tunisie pour suivre durant une année des études à la prestigieuse université Zitouna, fief du nationalisme et s'est frotté alors aux traditionalistes fascinés par l'Orient et l'arabisme. Le laps de temps passé en Tunisie, la soif aidant de savoir, grâce aussi au scoutisme et à son militantisme, il put acquérir une large et double culture arabo-française ainsi qu'une bonne base politique.
Il fut arrêté une première fois le 8 mai 1945, jour qui vit le génocide de tout un peuple à Sétif, Guelma et Kherata.
Sa sœur témoigne de l'engagement avancé pour la libération de son peuple: «Il partait tous les dimanches, tôt le matin pour ne rentrer que tard, fourbu, les vêtements sales, notre mère avait insisté une fois pour en savoir plus. Ahmed s'est contenté de lui répondre, Je m'entraîne pour la révolution».
Abdelkader Malki se souvient d'une anecdote qui en disait long sur la prise de conscience nationaliste de Si M'hamed, alors âgé de 21 ans: «C'était en 1948 ou 49, nous étions membres de la section OS[5] d'El-Khemis. Sur le chemin de retour de Sidi El-Ghoul où nous avions l'habitude de nous entraîner militairement sous la direction de Si M'hamed, je marchais côte à côte avec lui lorsque Si Belahcène, qui ouvrait la marche de retour, commençait à siffloter l'hymne national de l'époque[6]. Si M'hamed se tourna vers moi avec un sourire radieux qui illumina son visage: Tu sais ce que représente ce sifflotement de notre hymne ?
- ! ! ?....
- C'est, Incha'Allah[7], le un millionième de notre indépendance'».
Il devait avoir 16 ou 17 ans, lorsqu'il a été surpris par sa maman en train d'écrire sur des bouts de papier d'énigmatiques listes de personnes.
Mais pourquoi tous ces bouts de papier ? Tous ces noms ?
- Je rédige des bons pour redonner la terre des colons aux paysans algériens après l'indépendance.
Dans les années quarante, rêver de l'indépendance de l'Algérie était complètement insensé. Mais pas pour Ahmed, l'idéaliste.
En 1946, il reprit ses activités patriotiques dès sa libération. Il adhéra au Parti du Peuple algérien (PPA) et devient membre de l'Organisation Spéciale (OS) à partir de 1948. On le retrouve plus tard au Mouvement pour le Triomphe des Libertés démocratiques (MTLD).
Il fut arrêté une deuxième fois en 1950 pour être incarcéré à la suite de la découverte et le démantèlement de l'Organisation Spéciale en compagnie de ses amis de toujours, Malki Abdelkader, Fernini Ahmed qui furent condamnés à, respectivement, 3 et 2 ans de prison.
Son père, qui croyait bien faire, constitua un avocat, un certain maître Papillon. En apprenant cela, Ahmed récusa catégoriquement l'assistance de l'homme de loi.
- «Mon seul moyen de défense est ma confiance en ma foi et la justesse de mon combat», disait Ahmed à son père venu lui rendre visite.
Libéré 3 ans après, il fut interdit de séjour, cela ne l'empêchera pas de poursuivre avec la même détermination, sinon plus, ses activités jusqu'au déclenchement de la lutte libératrice de Novembre 54.
Au cours de son interdiction de séjour, des témoignages affirment que le jeune Ahmed travailla comme intendant dans un centre de formation à Blida puis à Alger. Avant son arrestation en 1950, on le retrouve au centre de formation professionnelle de Kouba[8] où il apprit le métier de soudeur à l'arc et travailla à la Société des chemins de fer de Khemis-Miliana (Aïn Defla). En 1953, coup de tonnerre chez les Bougara. La mère, les sœurs, les frères sont tous dans une communion de joie et de liesse. Entouré d'une garde de militants, Ahmed pénétra chez lui, au grand bonheur de sa mère. Il était dans un piteux état. Après avoir pris une douche et changé de vêtements, il les quitte après avoir passé un dernier moment avec eux. Il les quitte alors, en leur disant de ne plus le chercher et que, désormais, il appartient à l'Algérie. Depuis, il n'a jamais été revu par sa famille. Il était parti vers son destin sans connaître ni femme ni enfants.
Mais il épousa l'Algérie et sa Révolution. En 1954, deux mois après le déclenchement de la lutte armée, il fit une rencontre déterminante. Il croise le chemin de Amar Ouamrane, chef de zone IV, qui va de Bouira à Orléansville (Chlef) et d'Alger jusqu'aux portes du Sud.
Ahmed prit le nom de guerre de Si M'hamed et s'installa dans le maquis de Amrouna (Théniet El-Had) où il retrouva ses amis affrevillois, parmi eux Belkebir Abdelkader dit Koza qui deviendra un héros de la zone III, avant de tomber au champ d'honneur. Si M'hamed a été chargé de l'explication des objectifs du FLN/ALN dans les futures zones de la wilaya IV (Zaccar, Orléansville, Théniet El-Had). Celui qui va sacrifier sa vie pour l'émergence de la nation algérienne allait s'investir corps et âme dans l'action comme commissaire politique.
LE COLONEL
En 1953, Si M'hamed sortit de prison complètement métamorphosé politiquement. Lui et ses camarades de détention venaient de sortir non pas d'une triste prison, un vulgaire lieu d'incarcération, mais d'une grande et véritable université du nationalisme, de patriotisme et de culture où ils avaient acquis le savoir, car le plus important à cette époque c'était le développement d'une prise de conscience politique.
Dans toutes les prisons et les camps de concentration[9], les prisonniers étaient pratiquement des internes, plutôt en formation politique, venus de diverses classes sociales, rassemblés aux frais de la trésorerie coloniale. La détention était un bienheureux service qui a été rendu au futur soulèvement révolutionnaire et a vu la formation d'hommes qui allaient encadrer la lutte entamée en 1954.
C'est pendant sa détention que s'est développé en lui la passion de la lecture, les œuvres de Victor Hugo, Lamartine, Verlaine, grâce à ses codétenus qui étaient très instruits et qui avaient donc de solides connaissances en culture générale, en littérature, en mathématiques, en sciences, mais surtout en sciences politiques et l'art de la guérilla qu'ils enseignaient à leurs codétenus.
Les détenus étaient donc soumis, bon gré, mal gré, à une intense activité intellectuelle dans tous les domaines. Des débats sont organisés après chaque lecture, après chaque cours, des conférences sont aussi organisées portant sur tous les sujets.
Si M'hamed était d'une assiduité exemplaire pendant les cours. Il était animé d'une fougue et toujours empressé d'acquérir le savoir dans tous les domaines. A suivre
*Fils de chahid, retraité
Notes :
[1] Le maître d'école
[2] Il était, à cet âge là, un passionné des œuvres de Victor Hugo. Il récitait les vers des récitations avec mimes
[3] C'est la dignité dans le langage familier propre aux algériens.
[4] C'était son camarade d'école (Il dépassait Si M'hamed de cinq ans) et son compagnon d'arme et de cellule.
[5] Organisation Spéciale (formation qui préparait la lutte armée créée en Février 1947 par Messali Hadj)
[7] Par la Grâce de Dieu
[8] Il aura comme camarade de classe un certain Ait Hamouda Amirouche, qui allait devenir le célèbre colonel Amirouche, chef de la Wilaya III
[9] Le plus important dans la région était le camp de concentration Morand à Boghari (Médéa)
2ème partie
Il commença à sillonner inlassablement les maquis d'Amrouna (Théniet El-Had)[10], du Zaccar, Oued Fodda et bien d'autres régions. Dès 54, il entama l'organisation des maquis: campagnes de sensibilisation et formation des unités d'élite. Il multiplie les rassemblements populaires et désigna partout des responsables locaux à la tête des cellules. Il eut le mérite d'avoir atteint la cime des trois faces pyramidales de pénétration des douars menant ainsi la paysannerie à s'investir au profit de la révolution:
1- sensibiliser les douars au fait colonial;
2- provoquer en eux un certain élan de solidarité;
3- les emmener à s'investir militairement dans la lutte armée.
L'organisation s'implanta alors solidement dans toutes les régions.
Au maquis, sa double expérience dans les domaines politique et militaire mais aussi de meneur d'hommes ne reculant pas devant l'action armée lui permirent de gravir rapidement les échelons de la hiérarchie.
En 1955, Si M'hamed, l'idéaliste, fait désormais partie des principaux chefs de la Révolution en wilaya IV. Il était au nombre de ceux qui ont déclenché l'insurrection armée, une poignée de dissidents du MTLD dont personne, parmi les observateurs, n'avait pu penser à son succès.
«Qui peut imaginer que ce groupe va susciter un immense engouement en Algérie et donner souffle à un mouvement inédit en faveur de l'indépendance».[11]
Il devint rapidement, au mois d'août 1956[12], adjoint politique du colonel Ouamrane puis du colonel Dehiles qui apprécièrent sa culture politique.
Ce dernier avait beaucoup d'affection et même d'admiration pour ce grand garçon brun et athlétique, au visage mât, barré d'une fine moustache, les cheveux noirs, drus et plantés bas, donnaient au jeune une physionomie austère qu'il éclairait parfois d'un sourire. Il ne manquait pas de répéter à chaque occasion à ses djounoud le fait que: «Face à un ennemi plus puissant, nous sommes appelés à définir dans notre lutte un type de guerre populaire pour lequel l'adversaire n'est pas préparé et notre arme absolue demeure l'organisation».
Sous l'impulsion de Si M'hamed, jeune chef qui n'avait guère 27 ans, alors commissaire politique, la wilaya IV, qui regroupait tout l'Algérois sauf la zone autonome d'Alger, s'était terriblement politisée.
Sa jeunesse, son habileté à établir le contact avec les hommes du maquis lui ont valu une popularité dont personne jusque-là n'avait pu se vanter dans la wilaya IV. Il faut souligner que cette dernière était un territoire qui comprenait plus de 7 de nos actuelles wilayate. De 57 à 59, sont les années durant lesquelles la wilaya IV a connu le meilleur de son organisation, des bataillons furent mis sur pied, avec le regroupement de plusieurs compagnies.
Toutefois l'expérience a été rapidement abandonnée dans les autres wilayate en raison de l'inadéquation de cette forme d'organisation. L'ALN ne se présentait pas face à l'armée coloniale dans une disposition similaire à celle des Vietnamiens, permettant de concevoir une victoire militaire après une bataille de type classique opposant des unités fixes dans une grande confrontation.
Par contre, aux côtés du groupe de guérilla classique comprenant quelques hommes menant un attentat, la wilaya IV, et c'est là l'empreinte indélébile du colonel Si M'hamed, est restée célèbre pour ses commandos zonaux et katibas, qui portaient généralement le nom de leur fondateur ou d'un chahid, comme les commandos Ali Khodja et Si Djamel commandés respectivement par Si Azedine et Si Mohamed Bounaâma. Le commando représentait à la fois l'élite, au sein duquel les baroudeurs aspiraient à être intégrés et une école de formation militaire ambulante.
UNE WILAYA MODELE
La wilaya IV était un vaste territoire d'environ 8.000 km².
A l'instar des PC des autres wilayate, les postes de commandement de la wilaya IV n'avaient rien d'une forteresse, à l'intérieur de laquelle des généraux peaufinent des plans militaires. Rien de tout cela. Mais rien que ça pour que les généraux aillent combattre des moudjahidine mal habillés, mal nourris et mal armés qui, malgré cela, leur ont donné des soucis. En face de cette armada, il y avait une chose primordiale que n'avaient pas les militaires français: des djounoud qui avaient la foi en la justesse de la cause, animés par l'idéal révolutionnaire, qui sont le fer de lance d'un peuple qui refuse obstinément l'hilotisme abject dans lequel la France s'entête à le parquer. Quelques «gourbis»[13] constituent l'ensemble des installations du PC composées de cuisine, infirmerie, bureau du colonel avec le service des transmissions et du secrétariat.
Il cachait derrière la simplicité de son équipement des hommes (le nombre ne dépassait pas généralement une quarantaine) animés d'une volonté de fer, déterminés à venir à bout de l'hydre sanguinaire, fût-ce au prix de leur vie.
Il est arrivé plusieurs fois au colonel Si M'hamed de dormir à même le sol. Il s'est empressé une fois d'offrir sa couverture à un djoundi malade, préférant un «lit» d'herbe. Il prenait ses repas en compagnie de ses djounoud autour d'une «guesaâ» de riz ou de pâtes, un menu qui était un festin royal quand les moyens de l'ordinaire le permettaient et qui leur faisait oublier le morceau de galette et le demi-oignon des jours maigres. On raconte qu'une fois[14] Si M'hamed ordonna d'instaurer une garde de nuit, les unités de protection étant assez éloignées. Il demande de le réveiller pour son tour de garde. Malgré l'immense solidarité et la simplicité de Si M'hamed, tous ont été surpris par un tel ordre. D'un commun accord, ils décidèrent de ne pas le déranger.
Au petit matin, le colonel s'étant aperçu qu'ils n'avaient pas respecté sa consigne leur passa un mémorable et dur quart d'heure
«Avant d'être colonel, je suis d'abord un combattant comme vous. Il n'y pas de distinction à faire. Nous sommes tous là pour la même chose. En conséquence, je vous ordonne de me réveiller la nuit prochaine». Voilà pourquoi Si M'hamed était vénéré et voilà la grande différence entre un général de palace et un colonel révolutionnaire.
A défaut de véhicules, ce sont, à la limite de l'opulence, de robustes mulets utilisés pour le transport des vivres et des blessés, mais dans la plupart des cas, la marche à pied avec tout un barda sur le dos était la plus usitée.
Le PC de la wilaya était en perpétuel déménagement. De l'Ouarsenis au début de la Révolution où il connut plusieurs déplacements, il fut transféré dans l'Atlas blidéen puis dans le massif du Zbarbar dans le Titteri où, une fois, Si M'hamed, en fin stratège, avait installé l'effectif réduit de son PC de wilaya en face d'un... poste français, là il ne risquait pas d'être découvert par les militaires français.
Après la mort de Si M'hamed, le commandant Si Mohamed Bounaâma, son remplaçant, n'a pas trouvé mieux que d'utiliser une villa du militant Naïmi en plein centre de Blida pour implanter son PC dans laquelle il trouva la mort le 8 août 1961, après avoir été localisé par le service écoute (goniométrie) d'El-Harrach, trahi par les émissions de son poste de transmission. Certains écrits parlent plutôt de l'élimination du dernier des acteurs qui ont fait le voyage à l'Elysée.
La wilaya IV disposait d'environ 3.000 hommes qui, en véritables guérilleros, devaient impérativement s'adapter aux situations de guerre très complexes. Les moudjahidine étaient en perpétuel mouvement, imposant souvent aux chefs de prendre des décisions au quotidien.
La wilaya IV de Si M'hamed s'est toujours distinguée dans ses prises de décisions et réellement collectives qui étaient prises par consensus alors que d'autres wilayate étaient régies par une pesante hiérarchie. Il faut dire que l'impact du colonel Bouguera, cet homme de grande ouverture, a été très profond dans ce domaine alors qu'en wilaya V voisine, les responsables n'ont jamais mis à contribution les djounoud dans la prise des décisions n'acceptant pas de ce fait la gestion démocratique de la wilaya. Malheureusement l'avenir nous le confirmera, étant donné que le passé explique immanquablement le présent. Cette gestion démocratique de l'instance politico-militaire de la wilaya IV, comme nous le verrons plus loin, trouve son origine du fait que Si M'hamed partageait les mêmes convictions politiques qu'Abane Ramdane d'où un même projet de société postindépendance. En 1957, durant la Bataille d'Alger, l'étau de l'armée française se desserra en wilaya IV, pour satisfaire Bigeard, ce qui encouragea les responsables de la wilaya à intensifier des embuscades. Les embuscades tendues à travers la wilaya durant cette période leur ont permis de s'emparer d'un important armement. «Les routes et les pistes[15] étaient nos principales usines d'armement[16]». A suivre
*Fils de chahid, retraité
Notes :
[10] Au début de la Révolution (Novembre 54) Si M'hamed fut désigner par le colonel Ouamrane, chef de la Zone IV (qui allait devenir Wilaya), responsable politico-militaire de la future Zone III dont le PC était établit à Amrouna ( Théniet-El-Had).
[11] Sylvain Pattieu Les camarades, les frères.
[12] Il représenta aux côtés des colonels Ouamrane et Dehilès la Wilaya IV au Congrès de la Soummam au terme duquel il fut nommé Commissaire politique au PC de la Wilaya IV.
[13] Masure au toit de chaume
[14] Mustapha Tounsi Op. Cit. page 60
[15] Il fut entendre par là les embuscades.
[16] Entretien avec le commandant Azedine - Août 2008
Après avoir dirigé la zone III de Théniet El-Had, Si M'hamed se retrouve commissaire politique du Conseil de wilaya avec grade de commandant. Il fut à l'origine d'un changement, dont les méthodes s'inspiraient du marxisme sans évidemment en adopter l'idéologie politique. «D'une façon générale, la wilaya donnait l'exemple d'un talent nouveau en matière de guerre révolutionnaire sous toutes ses formes».[17]
Au début de 58, après le départ du colonel Dehiles pour la Tunisie, Si M'hamed devait être désigné comme responsable politico-militaire de la wilaya IV avec le grade de colonel grâce aux faits de guerre sous son impulsion (batailles de Oued Malah, Bouzaghza, Oued Fodda, Théniet El-Had et autres).
Il sera secondé par Si Salah (Zaâmoum), responsable des Renseignements et Liaisons, Si Lakhdar Bouchama, responsable militaire et Omar Oussedik, responsable politique.
Le caractère et la personnalité de Si M'hamed répondaient, à un degré moindre, au style établi par A. Bergman et B. Uwamungu[18], retraçant les qualités intrinsèques d'un bon chef. Il est tout à fait évident que ce sont là des situations stéréotypées et qu'elles sont très difficiles de trouver chez une même personne. «Tout au plus, disent les deux auteurs, peut-on dire qu'il faut avoir, pour être chef d'un groupe, les caractéristiques que le groupe attend et qu'il faut être intelligent».
Tant et si bien que Massu disait de Si M'hamed et de la wilaya IV: «A l'heure où on se plaît à dire que la rébellion a perdu la partie, parce qu'elle est étranglée aux frontières tunisiennes et marocaines, incontestablement le djoundi souffre dans le maquis physiquement et moralement, nous assistons à un phénomène déconcertant. Au beau milieu du territoire algérien, la wilaya IV fait montre d'une vitalité et d'un dynamisme extraordinaire. Elle s'est toujours singularisée par rapport aux autres wilayate. Cela tient de la personnalité rayonnante du colonel Si M'hamed, un véritable chef de maquis. Grâce à lui, la flamme révolutionnaire brûle dans la wilaya IV, une révolution qui se veut pure et qui s'affermit même par opposition au relâchement relatif régnant dans les autres wilayate».[19]
D'un abord agréable, facile et aux qualités multiples il était d'une simplicité telle qu'on avait parfois du mal à le reconnaître au milieu de ses djounoud. Le moudjahid Mohand Arav Bessaoud rapporte un témoignage qui laissa une très forte impression sur ce que fut la gentillesse de Si M'hamed. C'est un exemple sur l'esprit de sacrifice de part et d'autre. Ecoutons-le: «Au cours d'une mission qui m'avait été confiée, je tombais un jour sur un commando de la wilaya IV. Durant toute la journée, j'étais dans l'impossibilité de connaître le chef de ces trois compagnies. Le soir, je dormis avec les moudjahidine sans que ma curiosité ne soit satisfaite. Ce n'est que le lendemain, durant la levée des couleurs où le commando, au grand complet, présenta les armes à celui-là même qui refusa de partager ma petite natte préférant se coucher à même le sol que d'utiliser ce relatif confort offert, de surcroît, par un invité de passage, dont la santé était d'ailleurs chancelante. Ce fut ainsi que je connus le colonel Si M'hamed». On raconte[20] qu'une fois un officier venant de la wilaya VI s'arrêta au PC de la wilaya IV pour passer la nuit. Arrivé donc tard, il se trouvait dans l'impossibilité de reconnaître le chef de la wilaya.
Ce n'est que le lendemain, quand officiers et djounoud présentèrent les armes à Si M'hamed qu'il reconnut celui qui, la veille, refusa la natte qu'il lui tendait, préférant dormir à même le sol qu'utiliser ce confort relatif de son bienfaiteur de passage dont la santé était d'ailleurs chancelante (tuberculeux).
Voilà un esprit de sacrifice de part et d'autre. Sa manière de parler, d'être ou d'agir, sans démagogie ni bienveillance ou sollicitude, s'étendait à tout le monde, paysans, montagnards, djounoud de première classe.
Pour décrire le colonel Si M'hamed d'un mot, nul n'hésitera à le qualifier de démocrate-né.
A celui qui lira ces lignes, en découvrant le caractère et le comportement de Si M'hamed, peuvent lui paraître démesurées. Ils sont pourtant véritablement le reflet de ce qu'était réellement Si M'hamed.
La tolérance de Si M'hamed était une légende dans les monts de la région qu'il commandait. Par exemple, il a veillé à ce qu'une petite congrégation chrétienne installée dans les monts de Bissa soit protégée. Il ne manquait jamais de dire ce qu'il pensait à ce propos.
Rémy Madoui lui prêta ces propos: «Il ne faut pas oublier un instant que notre Révolution n'est pas une guerre de religion. Le peuple algérien est musulman, chrétien, juif, agnostique ou croyant non pratiquant tout simplement».[21]
SI M'HAMED ET LA WILAYA V (DIFFERENCE DE CONCEPTION)
Cette différence, ajoutée à d'autres divergences de vue avec la délégation de l'extérieur[22], comme nous le verrons plus loin, va avoir des conséquences dramatiques sur la fin tragique de Si M'hamed.
Le différend réside dans le fait que la wilaya IV était devenue une wilaya modèle, que plus d'un la considérait comme étant du genre «style wilaya IV» alors que le modèle wilaya V était de type autocratique sans partage aucun. Un différend dans les voies et moyens qui devront mener à l'indépendance. L'un était partisan d'un système autocratique militaire pour mener le pays vers l'indépendance. L'autre, adepte des théories d'Abane Ramdane, prônait la démocratie.
Les relations entre les deux wilayate étaient absconses, biscornues et ont de ce fait atteint leur pic lorsque Boussouf, alors responsable du MALG[23] qui ne portait pas sur le cœur les responsables de la IV[24], les traitait à chaque fois de «mikrada»[25]. Il y avait toujours des pics d'envie qui expliquent la nature humaine et qu'on se jetait quelquefois des cactus en guise de fleurs.
Alors que Si M'hamed laissait passer à chaque fois l'orage venant de l'Ouest, son responsable politique Omar Oussedik n'a jamais caché son aversion et sa rancœur à l'encontre des responsables de la wilaya V[26]. Nous verrons plus loin dans quelles circonstances il regagna Tunis en compagnie de Si Azedine. «N'en déplaise à certains, nous sommes arrivés sains et saufs», auraient dû se dire les deux responsables.
Sous les feux de cette troublante actualité, Si M'hamed, au comble de l'exaspération, qualifia ses détracteurs de malhonnêtes et d'hypocrites.
- Est-ce possible que des responsables puissent commettre l'erreur de saper le moral des djounoud en les mettant au courant de nos différends. C'est une impardonnable et grossière erreur, disait Si M'hamed à chaque fois que le sujet est remis sur la table.
Mais Si M'hamed avait toujours cette bonté de pardonner, parce qu'il y avait l'épineux problème de l'heure: tordre le cou à l'armée française.
Les écrits sur la wilaya IV découvrent un autre monde que celui qui prévaut, par exemple, dans la wilaya V où soumission, népotisme, soif du pouvoir, luttes de clans sont monnaie courant. Ce système, dont l'Algérie indépendante a malheureusement hérité, perdure jusqu'à nos jours.
L'idéal d'une démocratie pour laquelle Si M'hamed avait voué toute sa vie a été trahi, en ce sens qu'il a été l'un des rares chefs de wilaya[27] à mettre en pratique les résolutions du Congrès de la Soummam[28], plate-forme de société qui est d'actualité de nos jours mais dont les éléments sont toujours difficiles à mettre en œuvre.
Si M'hamed vouait un mépris pour les «révolutionnaires de palace».
SI M'HAMED, FIN STRATEGE
De responsable politique qu'il était au départ, adjoint du colonel Si Sadek, Si M'hamed finit par devenir un fin stratège, responsable militaire et, chose rarissime aussi, Si M'hamed, comme nous l'avons vu précédemment, était un passionné des écrivains français, et donc était un poète à ses heures.
Sur le plan militaire, l'histoire retiendra que Si AA zones libérées à l'Ouarsenis, Zaccar, l'Atlas blidéen, les monts de Médéa. Tout comme il dirigea de grandes batailles à Amrouna (Théniet El-Had) à Bouzegza, Oued El-Mellah.
Il mit à profit les zones interdites suite à la politique des centres de regroupement [29] pour créer de véritables centres de repos et d'installer des infirmeries.
Au plus fort moment de la politique de regroupement des populations, l'audace et la ruse de Si M'hamed lui dictèrent un jour d'installer son PC là où l'aviation ne venait pas le chercher, à proximité d'un poste français et d'un oued pour être approvisionné en eau. Une autre tactique de Si M'hamed qui consistait à fragmenter les unités de combat en petits groupes leur facilitant ainsi le déplacement et le repli face au nombre de plus en plus effarant des militaires et de leur armement.
Ecoutons Si Lakhdar Bouregaâ[30], proche compagnon de Si M'hamed: «Alors que je devais faire sortir ma katiba de la zone de danger où nous étions encerclés, Si M'hamed me conseilla calmement d'agir comme une guêpe. Piquer et prendre le départ. Surtout ne pas tenir tête. Piquer et se retirer. Décrocher par groupe de cinq avec un espacement entre chaque groupe».
LA «BLEUITE» VERSION ALN[31]
Que fallait-il faire pour miner les wilayate III et IV qui étaient considérées par l'armée française comme les piliers de la Révolution ?
Voilà une question qui brûla les lèvres du colonel Godard, chef du 2e Bureau. Il fallait s'occuper sérieusement de ces wilayate qui donnaient du fil à retordre à l'armée française[32]. Les rangs des djounoud étaient constitués d'intellectuels, de jeunes étudiants et lycéens au fait de la chose politique qui ont rejoint le maquis, surtout durant la grève des huit jours (28/01/1957 et au cours de la Bataille d'Alger fuyant ainsi la répression en rejoignant les wilayas III et IV. Les caisses du FLN étaient régulièrement renflouées par les cotisations.
Et c'est à partir de là qu'un plan machiavélique venait de naître dans les bureaux de l'action psychologique qui allait malheureusement gangrener les deux wilayate: il s'agit de la «bleuite».
Au départ, l'opération «bleuite» ou «bleu de chauffe» était une tentative d'infiltration des rangs de l'ALN par des éléments retournés, notamment des djounoud fait prisonniers, de militants actifs arrêtés et, sous d'atroces tortures, se sont ralliés à la cause de l'ennemi. Ces éléments manipulés par les services du 2e Bureau ont fait l'objet d'un scénario (vrai-fausse évasion des geôles françaises ou carrément libérés) qui fait qu'ils rejoindront le maquis en vue de donner des informations et de créer un service de renseignements à la portée de l'armée française dans les djebels.
La deuxième phase de la «bleuite» a été la plus dévastatrice. Il fallait créer un climat de suspicion dans les djebels, pourrir le maquis à tous les niveaux.
Le doute n'avait pas sa place parce que la wilaya n'avait pas les moyens aussi bien matériels qu'humains, ni le temps pour procéder à des enquêtes approfondies. On devait trancher dans le vif. On ne pouvait pas faire autrement car on avait un seul but: l'indépendance.
Des sources ont ainsi amplifié pour une raison ou une autre, le nombre de personnes éliminées dans le maquis.[33]
Le colonel Si M'hamed lutta avec acharnement contre les différents complots organisés par les généraux Gardés, Godard, les capitaines Léger et Heux dans la vaste wilaya IV. Comme au jeu d'échecs où l'essentiel du jeu est d'imaginer parmi les innombrables stratégies de l'autre joueur afin que l'autre joueur puisse agir différemment et mettre en échec le roi.
Cette tentative de pourrissement du djebel a été inspirée par un subterfuge de Si M'hamed et de Si Azedine[34] tendant à éliminer les harkis et goumiers qui étaient cantonnés dans les postes français contrôlant les douars des régions ou zones de la wilaya IV. Les harkis, dont le nombre s'est développé à une vitesse vertigineuse, ont été d'une telle nuisance pour les maquis que l'armée française les avait constitués en groupe de choc, véritable tête chercheuse des militaires, appelés «commandos de chasse» et constitués de harkis. Les douars occupés et défendus par ces suppôts de l'armée coloniale étaient de véritables poumons de l'ALN dont dépendait la survie des maquisards.
Les deux responsables ont essayé donc une ruse qui avait donné ses fruits et qui consistait à compromettre ces supplétifs dans des affaires de soutien au maquis avoisinant pour être tout simplement éliminés par l'armée.
L'opération consistait à établir dans le secret total trois listes de harkis et de goumiers condamnés par le FLN/ALN et qu'il fallait impérativement liquider parce que devenus nocifs pour la Révolution.
Ces listes sont contenues chacune dans trois carnets de couleurs différentes. Un pour chaque douar où sont employés ces suppôts de l'administration française.
Les listes reprennent donc les noms et prénoms des harkis et goumiers, leur adresse, les natures et marques de leurs armes, le montant de leurs supposées contributions financières, la date des versements des dons en nature (effets vestimentaires, munitions, etc.) dont aurait bénéficié la Révolution. Quelquefois, il est même porté en observation la date de leur prochain ralliement au maquis avec armes et bagages.
Lors d'un accrochage dans une région, on devait laisser sur place le cadavre d'un moudjahid avec tous ses effets vestimentaires, le contenu de ses poches, son arme[35], etc. On lui glisse dans la poche le carnet correspondant au douar le plus proche où sont cantonnés les éléments supplétifs de l'armée française.
Grâce à ce moyen détourné, l'ALN se débarrassa de plusieurs de ces suppôts en ne dépensant aucun effort ni aucun moyen.
LA REUNION DES COLONELS DE L'INTERIEUR : DECEMBRE 1958
En 1958, la situation des wilayate III et IV n'était pas reluisante. Elle était des plus dramatiques. L'avenir nous révèlera que l'une d'elles (IV), après la mort de Si M'hamed, a été mise dans une logique de «Paix des braves», si chère au général de Gaulle. L'enclavement des deux wilayate accentua le manque de tout: pas d'argent, pas de munitions, pas d'armes. La «bleuite faisait des ravages surtout parmi les jeunes instruits qui ont fui la Bataille d'Alger». La politique d'extermination avec son diabolique plan Challe et particulièrement son opération Courroie, véritable bulldozer pour écraser la Révolution d'ouest en est, sont venus accentuer la dégradation de la situation sur le terrain.
La réunion du Caire (CNRA d'Août 1957) enterra définitivement les deux primautés retenues dans le cadre organisationnel du Congrès de la Soummam, véritable projet de société postindépendance. Dans ce remous de problèmes, est venu se greffer l'avènement du GPRA de 58, créé en l'absence des colonels de l'intérieur qui, fort des deux primautés, se sentir lésés par cette décision.
Quelques colonels de l'intérieur[36] décidèrent alors de se réunir en Wilaya II commandée par Ali Kafi qui n'assista pas aux assises répondant ainsi aux vœux d'une certaine clientèle de Tunis qui l'avait copté à la tête de sa Wilaya.
Les raisons d'une telle réunion qui s'est tenue dans un schéma de «bleuite», avait non seulement pour causes entre autres intrinsèques, mais aussi avait pour but de renforcer la coordination entre l'intérieur et l'extérieur ceci d'une façon générale. D'une façon particulière, les motifs des participants variés selon les uns et les autres.
Si M'hamed était venu à cette réunion pour une autre raison de complot (Les colonels de l'extérieur voyaient en cette réunion une tentative de déstabilisation de l'ordre établi lors de du CNRA de 57) contre qui ce soit mais apparemment mettre les choses au clair avec les responsables de l'extérieur et même de l'intérieur avec notamment Amirouche et Mahiouz qui a voulu l'entrainer dans l'affaire de la «bleuite».
Si M'hamed était surtout préoccupé par le manque d'armes et de munitions qui mettait en danger la poursuite de la révolution et reprochait le silence des dirigeants de l'extérieur. Si M'hamed reprochait aux dirigeants de l'extérieur de passer leur temps à se chamailler le fauteuil. Il exigea la mise en pratique des deux résolutions de la Soummam. Pour cela, il n'avait pas attendu pour démocratiser sa Wilaya. Amirouche, pour sa part, était là pour dire aux «révolutionnaires de palace» (sic) que ceux qui se battent devaient avoir une place prépondérante dans la direction de la révolution, d'où la primauté de l'intérieur sur l'extérieur. Il se révéla le plus farouche en qualifiant le GPRA de fantoche.
Répondant à l'effet Abane, cette réunion entraîna une levée de bouclier contre le GPRA et les E.M. de telle sorte qu'une réunion dite «des colonels de l'extérieur» eut lieu du 6 au 12 Decembre 1958. La réaction a été fulgurante.
Quatre colonels devaient disparaitre dans de curieuses circonstances : Lamouri en 1959, Amirouche et Si Haouès moururent au mois de Mars 1959, Si M'hamed, le «Abane Ramdane du maquis» deux mois plus tard, victime de l'antidote de la démocratie.
Il avait ressenti durement la disparition du secrétaire politique de la Révolution. «En apprenant la mort de Abane, il est resté pensif et plus ou moins absent. Il se retourne vers moi et ne prononce qu'une seule phrase : Il l'ont eu» [37]. Comme a été l'élimination de Abane Ramdane par Boussouf, le professeur Ali Mebroukine[38] rapport que le colonel Houari Boumediene a toujours soupçonné le MALG d'avoir donné aux services secrets français l'itinéraire respectif de ces responsables (El Watan du 26 Décembre 2007). Le Congrès était, pour Si M'hamed, une mesure de prophylaxie anti-pouvoir autocratique qui allait s'affirmer après la réunion du Caire et donner naissance, après l'indépendance, à un certain système de gouvernance, qui, durant l'été 1962 a donné lieu à un dangereux schisme.
Si M'hamed a été davantage séduit par une certaine vision postindépendance dont il partagea expressément les principes avec Abane et qui, à eux deux leur ont couté très cher.
Abane, Si M'hamed et les autres démocrates étaient porteurs d'un projet de société postindépendance qui est d'actualité aujourd'hui même.
Si M'hamed nous a laissé rêveur d'une Algérie démocratique.
*Fils de chahid, retraité
Notes :
[17] Alistaire HORNE Histoire de la guerre d'Algérie Edition DAHLED Page 261
[18] A. Bergman et B. Uwamungu Encadrement et comportement Edition ESKA Paris.
[19] Général Massu Le Torrent et la digue
[20] Mohamed Teguia La guerre de libération en Wilaya IV.
[21] Rémy Madoui, déserteur de l'armée française, lui prêta ces propos dans son livre «J'ai été fellaga, officier déserteur»
[22] Application des résolutions de la plate forme de la Soummam, mésentente avec le GPRA, réunion inter wilaya
[23] Ministère de l'armement et des liaisons générales.
[24] Hamoud GAID - Sans haine ni passion Chez ENAG-DAHLEB Page 171
[25] Singerie.
[26] Hamoud GAID Op. Cit. Page 198
[27] Les autres sont Amirouche, Haoues, Abidi Lakhdar qui ont assisté à la réunion inter-Wilaya de Décembre 1958.
[28] Particulièrement les deux primautés.
[29] Les zones interdites ont été inspirées de la maxime de Mao Tsé Toung : «Retirer l'eau, le poisson meurt». Les centres de regroupement donc ont été institués pour dégarnir la campagne et priver les maquisards de la logistique dont ils bénéficiaient.
[30] Rencontre au centre de presse d'EL Moudjahid le mardi 5 Mai 2009
[31] Mohamed-Rachid Yahiaoui Op. Cit.
[32] Général Massu Le torrent et la digue -
[33] Yves Courrière dans son livre «L'heure des colonels» parle de plus de 2000 morts en Wilaya III et plus de 450 en Wilaya IV.
[34] Entretien avec le commandant Si Azzedine Aout 2008 ;
[35] Il est tout à fait évident que cette arme a été échangée par un vieux fusil de guerre ou un fusil de chasse presque hors d'usage.
[36] Les colonels Si M'hamed Bougara (W.IV) - Amirouche (W.III) - Haouès (W.VI) - Abidi Lakhdar (W. I) Etaient abscents : Ali Kafi W.II pour des raisons obscures) Si Lotfi (W.V qui malgré son acceptation du principe et pour des raisons particulières n'a pas assisté à la réunion).
[37] Mustapha Tounsi Il était une fois la Wilaya IV (Casbah Edition.)
[38] Historien
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