L’institut dirigé par le professeur est, avec sa préconisation de l’hydroxychloroquine, aux avant-postes de la lutte contre l’épidémie. Une revanche pour un scientifique rebelle et une ville d’ordinaire pointée pour ses incivilités
l traverse le rez-de-chaussée d’un pas pressé. Ce mercredi 1er avril, alors que les admissions quotidiennes pour les tests de dépistage au Covid-19 viennent de se clôturer, Didier Raoult a tombé le masque FFP2 et la blouse qu’arborent tous les soignants de «son» Institut hospitalo-universitaire (IHU) Méditerranée Infection. Veste noire. Sourire. Direction le parking, juste en dessous des salles techniques inaugurées voilà pile deux ans, le 28 mars 2018, et remplies des appareils d’analyse et de tests les plus perfectionnés.
Affairée à remplir de gel hydroalcoolique l’un des verseurs de cette grande salle transformée en hall d’accueil et de prélèvements, une infirmière arrache quelques mots à ce «patron» que les médias français ont surnommé le «druide»: cheveux longs grisonnants et bague à tête de mort sur l’annulaire droit. Idem pour nous, assis sur une chaise, face au guichet 2 où les candidats au dépistage remettent papiers d’identité et «carte vitale», le sésame pour la sécurité sociale française.
Questions de méthodologie
On l’aborde en parlant des questions sur sa méthodologie. L’Agence nationale de sécurité des médicaments vient juste de rappeler que les traitements expérimentaux, dont l’hydroxychloroquine qu’il recommande, sont réservés aux hôpitaux et aux essais cliniques. Yanis, son assistant, nous a prévenu: pas d’entretien formel. Le «druide» fronce les sourcils et réplique: «Regardez bien. Croyez-vous que cela ressemble à une institution qui ne serait ni crédible ni prudente?» L’infectiologue vient de faire la une de Paris Match. Il ne laisse rien passer: «Personne ne peut contester le sérieux et le professionnalisme de notre IHU.»
On a «regardé» ses équipes travailler jusqu’à la nuit tombée. Jusqu’à l’heure des ultimes tests de la journée commencée à 8 heures du matin pour les équipes de l’institut, et à 5 heures pour les marins-pompiers chargés de canaliser la file d’attente, sur le boulevard Jean-Moulin. Accueil toujours poli. Public docile et attentif. Gestes techniques répétés à l’envi (un écouvillonnage dans chaque narine).
Jean-Marc est, ce soir, le truculent chef de la sécurité. Il conduit à l’étage une jeune femme chargée d’un pack de bouteilles d’eau destinées à son père, placé dans l’une des chambres de confinement total. Sarah, une infirmière, regarde sa montre fatiguée. Elle sait, comme ses collègues, que le Covid-19 est redoutable: «Je dois absolument refaire le test. J’ai peur pour mon mari.» Une de ses collègues a choisi, elle, de voir désormais son époux à l’hôtel réquisitionné où elle réside, à deux pas du Vieux-Port, pour protéger ses deux enfants.
Institut flambant neuf
Etonnant lieu que cet institut flambant neuf, coincé entre le dinosaure de béton qu’est l’Hôpital de la Timone et les bâtiments situés légèrement en hauteur des facultés de médecine et de biologie de Marseille. Etonnant aussi, dans cette métropole méridionale et populaire réputée pour sa criminalité et ses incivilités, de voir l’ordre, la courtoisie et la fraternité qui paraissent y régner sur le front du Covid-19.
Un père arrive, soutenu par ses deux filles. La famille est Comorienne, une communauté très présente à Marseille. Son souffle est court. Une dame, plutôt bourgeoise et très bien mise, elle aussi en attente, lui offre de s’asseoir. Distances respectées. Port du masque généralisé. Une aide-soignante rabroue ceux qui ne pincent pas l’étoffe au-dessus du nez. Dehors, plusieurs centaines d’autres candidats au test ont attendu toute la journée, placés chacun à un mètre de distance par des marins-pompiers en tenue de scaphandrier: blouse, surblouse, masque FFP2 et lunettes en plastique.
Revigorés
Marseille est en lutte. Mais tous ces gens, inquiets pour leur santé ou envoyés par leur médecin traitant, s’affirment revigorés par ce docteur qui a «choisi ses armes» et «se bat courageusement». «Raoult a coalisé la communauté des Marseillais, reconnaît le professeur Philippe Devred, radiologue et vétéran des hôpitaux. Ce qu’il dit et préconise, à savoir qu’en matière médicale le temps de guerre n’est pas le temps de paix et qu’il faut adapter les règles pour rattraper le retard sur l’ennemi, est absolument vrai.»
Idem pour Michel Amiel, médecin généraliste et sénateur-maire des Pennes-Mirabeau, à la périphérie des quartiers nord. Le parlementaire vient d’avoir les derniers chiffres: 5619 contaminés par le Covid-19 en Provence-Alpes-Côte d’Azur, 1372 hospitalisés, 336 en réanimation et 124 décès. Soit un taux de mortalité moindre que dans le reste de la France: «La force de Didier Raoult, c’est qu’il n’a pas cessé d’être un praticien. Il soigne. Il est au contact des gens et des scientifiques les plus renommés. Je le respecte pour ça.»
«Prescrire en leur âme et conscience»
Cliché récurrent en zone de guerre: un général de terrain fort en gueule et habile à défendre son pré carré, jalousé par l’état-major. «Il est grand temps de permettre aux médecins de prescrire en leur âme et conscience un médicament qu’ils jugent bon pour leurs malades», tranche l’ancien ministre de la Santé, Philippe Douste-Blazy, ex-candidat à la direction de l’OMS en 2016. D'autant que les Etats-Unis, l’Italie, l’Espagne ont fait le pas de la chloroquine: «Il y a très peu de chercheurs comme Raoult, qui sont publiés dans les revues les plus prestigieuses et enfilent toujours la blouse devant les patients. Cela devrait en inciter beaucoup à la modestie.»
La France de Didier Raoult ressemble à ce bâtiment de l’IHU où le bleu clair marin de la façade contraste avec l’austère bleu sombre des guichets, posés sur une dalle de béton lissé grise. Sur quatre étages, le nec plus ultra de la technologie indispensable pour débusquer les bactéries les plus coriaces. Batteries d’ordinateurs. Plateforme de laboratoire où les réactifs pour les tests ne manquent pas, contrairement à beaucoup d’hôpitaux. Une forteresse anti-épidémique. Mais il suffit de se risquer dehors, du côté de l’accueil Urgences de la Timone, pour prendre le contraste en pleine figure. L’entrée du grand hôpital marseillais est délabrée. Sur son autre façade, la moitié de l’enseigne lumineuse est cassée. Marseille est une métropole qui n’a jamais cessé de souffrir, tout en voulant briller. Et son inimitié légendaire avec Paris a toujours résonné dans ses bistrots, aujourd’hui fermés à double tour pour cause de confinement…
«Ne pas la saisir est un crime»
Ce virus va-t-il changer ces a priori? Annie Chasson vit à Marignane. Elle sourit: «Je ne sais pas si le docteur Raoult mérite le Prix Nobel de médecine que lui et son ego surdimensionné semblent tant vouloir. Mais je sais ce qu’est le mépris des élites technocratiques parisiennes. Si l’hydroxychloroquine est une chance, ne pas la saisir alors que le pic de l’épidémie approche est un crime.»
Vérité simple que les abords de l’IHU résument. Sur le parvis, désormais barré par les pompiers qui accueillent le public sur la chaussée, l’espoir est palpable. Catherine, le visage englouti dans son revers de manteau, attend son compagnon sur le trottoir. En main? Son paquet de médicaments, dont deux boîtes de Plaquénil 200 mg, le médicament fétiche du docteur Raoult, facturé moins de 6 euros en pharmacie, où les stocks se sont évaporés. La jeune femme est arrivée la veille de Nîmes. Le couple a dormi dans sa voiture. Test positif.
Elle désigne, à l’intérieur de la cour de la Timone, ceux qui attendent à leur tour leurs résultats, son Plaquénil à bout de bras. L’antipaludéen, utilisé aussi contre la polyarthrite rhumatoïde, fait bien moins peur que le Covid-19. «Osez dire à tous ces gens que ce médicament, connu depuis des décennies, est plus dangereux que le virus! Osez leur dire qu’ils n’ont pas droit à cette chance-là!» Pour elle, comme pour beaucoup d’autres, une chance comme celle-là d’être soigné ne se refuse pas.
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