Depuis quelques jours et les nombreuses informations, parfois contradictoires, qui nous tombent dessus sans qu'on puisse les sélectionner, des musulmans restent persuadés que le virus est une décision de Dieu pour faire réfléchir les humains. Je comprends que Dieu puisse trouver des voies un peu détournées pour nous faire réfléchir. C'est son nom-attribut «al qahar» (celui qui contraint) qu'il fait jouer ces temps-ci. Parce qu'on ne comprend pas vite.
On nous dit que nous sommes à la troisième révolution, après celle du néolithique et l'industrielle. Il s'est passé près de 10.000 ans entre la période néolithique et le début de l'industrialisation, alors qu'entre l'industrialisation et cette nouvelle «révolution», il s'est passé à peine plus de deux siècles.
Le temps appartient à Dieu, nous dit-on
Il se trouve que les êtres humains se sont moins tués durant les 10.000 ans que durant les deux siècles d'industrialisation qui a vu les inventions militaires se multiplier et se «perfectionner» : on tue plus de civils avec moins de soldats. Il paraît, toujours selon les spécialistes, que l'homo-sapiens a été à l'origine de la disparition de nombreuses espèces animales et qu'au début de la révolution industrielle qui a vu se multiplier les vaccins, on avait déjà compris que les maladies, comme la tuberculose ou la variole, étaient dues à des virus «importés» de l'animal à l'humain. On n'arrête pas le progrès.
Les massacres nazis sur des populations entières, tout comme les deux bombes atomiques américains sur le Japon en sont les exemples les plus démonstratifs et les plus connus de cette révolution industrielle. Il reste les massacres dont on n'a pas parlés, les accidents nucléaires, les guerres bactériologiques dont on a accuse toujours les autres Etats non démocratiques, nous faisant oublier que ces Etats non démocratiques ont acheté leurs matériels militaires, bactériologiques ou pas, chez les Etats «vraiment» démocratiques.
Pourquoi et comment cette puissance meurtrière peut-elle exister et peut-elle être possible ?
Pourquoi notre penchant pour le mal est-il plus important que nos sentiments d'empathie ? Satan aurait-il gagné ? Je me dis que c'est plus facile pour l'humain d'explorer le mal, plutôt que le bien qui demande de l'abnégation et de l'humilité. Satan n'est pas humble, il a défié Dieu. A part quelques personnes dans le monde, qui prend le risque de s'humilier et de demander pardon ? Les musulmans attendent leur agonie pour demander pardon. Ils le font aussi à la fin du mois de jeûne, comme les juifs pendant le Yom Kippour'. Mais passés ces temps courts, l'ego caracole sur des autoroutes larges, ouvertes, toutes droites. Cette troisième révolution, apportée par un virus mondialisé, serait une révolution spirituelle. Après bien des massacres d'humains et de la planète, il serait temps.
C'est pour cette raison que de nombreux musulmans pensent que ce virus est une bénédiction. C'est écrit : «d'un mal peut sortir un bien et une chose néfaste peut être bénéfique à l'humain». Cette nouvelle révolution devrait nous obliger à rentrer en nous-mêmes, le confinement devrait y aider, et à nous demander où nous en sommes sur le plan spirituel et dans nos actions, à faire de l'introspection. Certains musulmans comparent ce confinement à une retraite spirituelle. On a pu ainsi dire et écrire que Dieu oblige le monde entier à entrer en retraite et que les retraitants avaient raison de s'isoler pour prier Dieu. Toute la planète fait comme eux, à présent. Une vidéo est passée en boucle, montrant de nuit la ville de Tanger et un bruit montant comme une marée des habitations illuminées : Dieu est grand (Allahou akbar).
De fait, les musulmans mettent l'accent sur la santé qu'on espère toujours bonne avec l'aide de Dieu et ceci est vrai. A quoi peuvent me servir quelques millions amassés si j'ai un virus qui ne se soigne pas ? Rien ne s'achète, ni l'amour vrai, ni la santé, qui dépendent totalement du hasard, donc de Dieu. Les Etats démocratiques se sont basés, depuis deux siècles, sur la sacro-sainte liberté pour se construire et faire passer leur message libéral et individualiste. Ils ont sacralisé une utopie pour diminuer le rôle de l'Eglise catholique et ils ont réussi haut la main. Le summum de leur réussite a été la période des Trente glorieuses' entre 1947 et 1975 (grâce à une main-d'œuvre immigrée peu payée) où l'on a appris que le progrès et le bonheur étaient fortement liés au matériel et aux achats de biens. Mais à quoi sert la liberté si cet Etat ne peut pas me soigner et soigner les autres ? Quel besoin d'être libre si je ne puis être avec les autres et respirer un air sain ?
Un maître spirituel a envoyé un mot à ses disciples pour fustiger le monde d'avoir oublié Dieu, qui en serait venu à nous contraindre à prier, à s'humilier et à demander pardon, tout en nous fermant les mosquées et les lieux de prière. Là, ce n'est plus le même raisonnement, puisque aussi bien retraitants que non retraitants, croyants que athées, sont mis dans le même sac. C'est ce que fait Dieu, si tel est son dessein avec ce virus. Il met tout le monde dans le même sac. Ceux qui meurent sont les plus faibles, confinés à plusieurs dans quelques mètres carrés et les plus exposés qui soignent dans les hôpitaux, pendant que les leaders de ce monde sont protégés (par qui ?) et peuvent facilement se confiner dans des palais payés par l'argent public, ouvrant sur des jardins immenses. Les décisions politiques vont dans le même sens que le dessein de Dieu : on demande à ce que l'économie ne s'arrête pas et pendant que les patrons des firmes multinationales sont confortablement confinés dans leurs maisons ou leurs îles-paradis-fiscaux, les ouvriers et les employés doivent continuer à travailler.
Beaucoup d'entre les leaders économiques ou politiques (ça va ensemble) ont oublié leur finitude et ont tenu à amasser sans considération pour le vivant qu'il soit humain, animal ou minéral. Ils ont démoli le monde par passion de l'argent et l'argent a été inventé près de 1.500 ans avant notre ère. Dieu aurait pu, à ce moment-là, nous mettre en garde contre l'utilisation inconsidérée de l'argent et de ce qu'il représente comme nouveau dieu. C'est vrai qu'il avait récusé le Veau d'or'. A la décharge de Dieu, le monde de la finance a vécu de nombreuses crises financières, surtout après l'invention de la bourse, mais les leçons n'ont pas servi et l'argent public a comblé les creux. On a toujours l'argent comme dieu tutélaire. Qu'on soit croyant ou pas.
C'est un peu simpliste, mais ce n'est pas faux. Dans le monde soufi, on raconte qu'il existe une quarantaine de «pôles» (qutb) qui soutiennent le monde. Je me suis toujours demandé pourquoi Dieu avait besoin de «pôles» pour faire son boulot. Mais on nous dit aussi que nous sommes les «mains de Dieu» sur terre, d'où la notion de «khalifa» (celui qui vit derrière les préceptes divins, qui applique les lois divines sur terre) dans le Coran. Que serait le monde s'ils n'étaient pas là ? On ne voit les mouvements immenses de solidarité qu'après des catastrophes. La catastrophe présente voit, elle aussi, des gestes de partage, d'encouragement et d'entraide. Le numérique est le grand gagnant de cette crise mondiale parce que des prières et des rencontres se font par skype ou zoom. Justement les leaders du numérique se veulent à l'échelle mondiale. Mais pourquoi faut-il des catastrophes pour faire parler ses sentiments humains ? D'un mal peut sortir un bien, vous dis-je. Le bien ne peut-il pas sortir d'un bien ? On parle de «multiplication» de pains dans l'Evangile. Le bien sorti d'un mal, c'est un match nul.
Quel est le dessein de Dieu ?
Je ne prie pas pour être sauvée du virus : à quoi me servirait-il d'être sauvée alors que la planète meurt ? Je prie pour accepter sereinement ce dessein divin, très flou et très opaque, peu à la portée des gens, dont moi : «Je ne détiens pour moi ni nuisance ni avantage, sauf si Dieu le veut» (Coran 10/49).
Par Louma O.
Enseignante - Paris
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