Nous étions jeunes, 20-21 ans, nous étions tous les deux passionnés pour ce sport du ballon rond, et c’est sur ce tapis vert que nous nous sommes rencontrés pour la première fois. Nous étions cette journée-là pourtant adversaire, mais le sport est souvent rassembleur pour diverses raisons. C’est pour cela que je peux aujourd’hui vous raconter cette merveilleuse histoire d’amitié. Bien des années ont passé, mais en écrivant ces lignes, les souvenirs d’hier sont encore très présents.
Tout comme lui j’habitais Paris ou sa banlieue pour mon travail et on jouait, lui pour le Stade Français, moi pour le Club Parisien. L’entrée obligatoire de l’époque dans l’armée nous sépara des rencontres sportives pour trois années, d’autant plus que mon unité était fixée en Bretagne, à quelque 300 km de Paris.
Après ces trois années, je m’apprêtais à reprendre mon travail, quand, hélas, l’armée avait encore besoin de moi, comme de tous les jeunes de mon âge, pour cette guerre d’Algérie. Et c’est dans ces tournants imprévisibles de la vie que parfois se réalisent des événements insoupçonnés, comme dans notre cas, de se retrouver ensemble lui et moi sur le même bateau qui nous menait de Marseille à Alger.
Vous aurez deviné que Jacques mon collègue de foot et moi portions le même uniforme et faisions partie du même groupe de soldats. Je vous laisse le soin d’imaginer nos retrouvailles, lesquelles nous ont fait oublier pour un instant la séparation d’avec nos familles. Pendant nos deux ans de service armé, nous étions toujours ensemble sur ce territoire hostile. Nous couchions dans cette vieille grange de fortune, l’un à côté de l’autre. Celui qui n’était pas appelé se portait toujours volontaire pour les missions confiées à l’autre. En fait, on se protégeait mutuellement.
Notre démobilisation fut le début d’une autre séparation qui dura 35 ans. Car découragé d’avoir vu tant de vies brisées, nombre d’amis tués ou blessés, je décidais d’émigrer au Canada en ce mois d’octobre 1958. C’est lors d’un voyage en France que par miracle, ma nièce a retracé le fils de Jacques. Le temps a manqué pour qu’on se rencontre lui et moi, mais je traçais déjà un plan pour le voir lors de mon prochain séjour.
Jamais je n’aurais pensé que cette rencontre me procurerait autant de peine de le voir assis dans sa chaise roulante, penchant la tête d’un côté et de l’autre, me reconnaissant à peine. Une maladie incurable et dévastatrice était venue le frapper. Pendant une semaine chez lui en Bourgogne je me suis occupé de lui.
Très cher ami, je sais que tu ne souffres plus. Tu dors de ton dernier sommeil, et même si tu ne m’entends pas, laisse-moi te redire combien tu as été l’ami que tout être humain espère avoir dans sa vie. Pendant tout le trajet de retour en avion vers le Canada, j’ai pleuré. Pleuré surtout pour l’injustice de cette vie, de me voir en santé et de n’avoir pu rien faire pour te sauver, ni même te soulager. Je pense à toi Jacques !
Toutes mes excuses Claude pour avoir dû écourter votre si beau texte pour des raisons d’espace, et un sincère merci pour avoir eu envie de le partager avec moi et toutes les personnes qui liront cette chronique ce matin. Claude m’a fait parvenir plusieurs textes de son cru, des textes qu’il écrit en fonction de ses humeurs et des souvenirs qui lui remontent en mémoire.
En cette période de festivités pour certains, et de tristesse pour d’autres, j’ai pensé publier ce si chaleureux texte sur l’amitié, cette amitié qui défie les ans quand elle est ancrée dans des valeurs profondes. Je voulais aussi faire savoir de nouveau à ceux et celles qui peinent à traverser les moments difficiles que l’écriture est le plus bel exutoire qui soit.
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