Voici un ouvrage qui sort des sentiers littéraires habituels. Trois faits le font différencier des chemins rodés de la prose et la poésie. Le premier étonnement vient de ce que l’histoire est dite à travers des poèmes. Le deuxième revient à l’auteur de cet ouvrage car il s’agit d’un homme politique. Le troisième est des plus surprenants car le dit ouvrage est préfacé par le Président Abdelaziz Bouteflika.
Publié à l’occasion du cinquantième anniversaire du déclenchement de la guerre de libération, le recueil est constitué de plus d’une trentaine de poèmes. Les poèmes, d’une grande profondeur historique et esthétique, s’échelonnent chronologiquement de la domination romaine à l’indépendance. Deux hommes politiques se sont attelés à nous parler d’histoire mais à travers des poèmes bien ciselés. La préface du Président donne un avant-goût et incite le lecteur à poursuivre la quête du beau verbe et sa rime. « Lorsque l’auteur de ce livre me demanda de le préfacer, j’avoue avoir d’abord hésité. Je ne pouvais, en effet, m’improviser critique littéraire, professeur d’histoire ou, encore moins, académicien. Mais le titre de l’ouvrage frappa de plein fouet ma curiosité. Yughurta, Novembre, un grand nom, aux côtés d’un grand événement. L’Antiquité qui rejoint l’ère contemporaine, un grand roi oublié associé à la Renaissance, par le feu et le sang, d’une nation forte et digne… » Ainsi avait débuté le Président Abdelaziz Bouteflika sa préface. Personnellement, quand je l’ai lue, la curiosité m’a poussé à en savoir davantage sur ce que peut nous dire un politicien, poète à ses heures libres. Le premier poème me fit bercer de langueur et de bonne humeur. Et comme les politiciens savent rendre à César ce qui appartient à César, Boualem Bessaïh gratifie le lecteur, dès l’entame, d’un :
L’Algérie, mon pays
J’ai parcouru pays, contrées, villes, villages
Que de limpides eaux de fontaines j’ai bues
Que d’esprits lumineux j’ai croisés en voyage
Et combien de serments n’ai-je pas entendus
Mais ce coin de pays qui berça mon enfance
Exhale autour de moi comme un léger parfum
Qui m’attire de loin et rassemble en silence
Les enfants du terroir sans oublier quelqu’un
Ce coin n’est qu’un foyer d’un vaste territoire
Où vit un peuple fier avec hymne et drapeau
Ce peuple, ce pays, soudés, c’est la mémoire
De chaque citoyen de l’enfance au tombeau
Au laboureur le blé, au paysan le pain
Dans ce pays, la terre est la source de vie
Chacun par sa sueur porte l’espoir et prie
Pour que belle soit l’aube et l’enfant n’ait pas faim
Après ce poème lever de rideau, commence l’histoire…
Le premier chapitre est réservé à la domination romaine. Un beau poème incarne cette époque.
Il coule dans ma veine un sang chaud de Berbère
Phénicien ou Romain Byzantin Hilalien
Ma présence est antique, authentique est ma terre
Je fus ce que j’étais, aujourd’hui Algérien
Fouillant dans le passé j’interroge l’histoire
Un siècle avant Jésus, le temps des grands aïeux
Lorsque Rome et Carthage se disputaient la gloire
Dans le sang, ignorant la colère des dieux
Massinissa, serein, bâtissait son empire
En paisible voisin, sans songer au coup bas
Arrogante et devant la crainte qu’il inspire
Carthage l’invita sans attendre au combat
Autres belligérants, Syphax suit Carthage
Dont il attend l’appui de son règne en retour
Et Scipion, l’Africain jaloux de son image,
Choisit Massinissa et vole à son secours
Ce long poème, qui compte plus de soixante vers, nous enseigne sur un fait historique qu’avaient connu les plus grands et prestigieux Aguellid qu’ait connus l’Algérie au temps de la Numidie, Massinissa et Syphax. Puis un éloge est dédié à Césarée (Cherchell), la cité des Lettres et des Arts, que les rois Juba, père et fils, avaient fortifiée par leur érudition et leur savoir-vivre.
Tu n’es pas seulement la cité des merveilles
Tu fus aussi cité des Lettres et des Arts
Juba a fait de toi derrière les remparts
Un paradis secret où chacun s’émerveille…
Le long fleuve de l’histoire s’écoule en torrent impétueux. Et c’est l’invasion des Vandales qui marque l’esprit du poète politicien.
Vint le Roi Geiséric et ses hordes vandales
Pillant et saccageant par le glaive et le feu
L’ère des Byzantins reprend le flambeau des mains des Vandales. Et c’est toujours avec de la versification qu’est célébrée cette époque où, en peuple civilisé, les Byzantins marquent leur séjour en Algérie.
Au-dessus de l’intrigue ou la folie des hommes
L’Islam est tolérance et berceau de l’amour
Athènes ce joyau est la mère de Rome
La Mecque de l’Islam couronne le parcours
Ainsi le poète prépare le règne des dynasties musulmanes. De la Kalaa des Béni-Hammad à l’arrivée des frères Barberousse, l’Algérie musulmane est décrite en quatrains que seul un poète épris de son pays en sait versifier. Mille et un vers ciselés de main de maître courtisent l’histoire en strophes. De Tarik Ibn Ziad à Boabdil, le dernier roi de Grenade, et en passant par les redoutables Almoravides et les studieux Almohades, le style exhume des perles enfouies et exulte d’atticisme. « Par l’épée et la plume » est le titre d’un ensemble de poèmes leçon d’histoire. Il est dédié à la résistance de l’Algérie à l’invasion française de 1830. On y trouve même la lettre envoyée par Bonaparte au Dey Mustapha Pacha pour lui demander sa neutralité lors de son expédition en Egypte. Mais le Dey Mustapha Pacha rompit ses relations avec la France et envoya une flotte pour l’Egypte. Puis, un long poème est dédié à l’épopée de l’Emir Abdelkader.
Il est jeune et il sait faire parler la poudre
Il connaît le relief, la steppe et le désert
Il sait sur un cheval surgir comme la foudre
Désormais, il s’appelle Emir Abdelkader…
Et la légende continue. Fatma N’Soumer, Mokrani, Bouâmama et tous les autres que la terre d’Algérie avait procréés, s’illustrent dans ce tableau imagé de belles luttes sans peur et sans reproche. Viennent ensuite les poètes paroliers et la légende Mohamed Belkheir, le chevalier-poète. L’espoir bourgeonne avec l’Emir Khaled. Puis Ibn Badis, de Constantine, lance son appel réformiste. L’auteur dit à travers des vers sur la liberté ce que, des fois, l’histoire oublie de le dire.
Si je vis pour l’Islam,
Je vis pour l’humanité tout entière,
Pour son bien et son bonheur,
Dans toutes ses nationalités
Et ses patries, et dans l’expression
De sa sensibilité et de sa pensée
Quant à l’Algérie,
Elle est ma patrie
Propre à laquelle me lient le passé,
Le présent et le futur…
Un dernier hommage est dédié aux villes d’Algérie. Du Hoggar à Tlemcen, en passant par Constantine, Biskra, Oran, Ghardaïa, Alger, Batna… Sans oublier les hauts faits de la Révolution : le 8 mai 45 et Novembre 54 ; et jusqu’à l’indépendance, tout est poétisé par la main du maître.
Ce jour-là, la justice a vaincu l’imposture
Le faible a surmonté le temps du désarroi
Le cri de liberté a vaincu les armures
Le droit a triomphé de la force des lois
Adieu mépris adieu et finie l’hécatombe
Par-dessus les héros tout le peuple est vainqueur
Le drapeau flotte au vent et frôle les colombes
L’hymne chanté en chœur remplit de joie les cœurs
Gloire à vous les héros, gloire à vous les martyrs
Dont la voix retentit du fond des cimetières
Dommage vous est dû de la Nation entière
Pour avoir consenti pour elle de mourir.
C’est avec ces strophes que clôture le Président sa préface, après avoir résumé tout le malheur ou le génie des peuples par ces mots : « Ce ne sont jamais les peuples qui se font la guerre. Les peuples ont le génie de corriger les dérives, les arrogances, les outrages, les injustices et les crimes de quelques poignées d’hommes inaptes à s’inscrire dans le sens de l’histoire.»
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