Lettre à Monsieur Emmanuel MACRON - Président de la République
Monsieur le Président
Lors de l’hommage que vous avez rendu à Jacques Chirac à la télévision le 26 septembre vous avez déclaré : « Une France qui regarde son Histoire en face et dont il sut reconnaître, lors du discours du Vel d’Hiv, les responsabilités dans les heures les plus sombres... Une France qui assume son rôle historique de conscience universelle ».
C’est effectivement une prise de position très positive que vous avez ainsi soulignée. Vous-même en avez pris une également, dans le même sens il y a juste un an, reconnaissant la responsabilité de la France, pendant la Guerre de Libération de l’Algérie quant à la pratique institutionalisée de la torture. Et, comme témoin dans cette même période, puisque, appelé affecté à la Villa Susini (de juin 1961 à mars 1962), ayant eu l’occasion de constater alors les très nombreuses exactions commises par l’Armée Française (en particulier la torture), des crimes contre l’Humanité, des crimes de guerre, des crimes d’état commis au nom de la France, votre déclaration du 13 septembre 2018 m’avait apporté un très, très profond soulagement, et un immense espoir.
Cet espoir que j’avais eu, c’est que vous alliez confirmer, dans cette logique, vos engagements pris lorsque vous étiez candidat à la Présidence de la République. En effet, lors de votre voyage en Algérie vous aviez évoqué, lors d’une émission à la télévision algérienne, que le colonialisme pouvait être considéré comme un crime contre l’humanité, tout en lui reconnaissant cependant quelques aspects positifs. Puis le 5 mai 2017, à la rédaction de Médiapart vous déclariez : « De fait, je prendrai des actes forts sur cette période de notre histoire... »
Mais, depuis, hormis la condamnation de la torture, c’est le silence assourdissant sur tous les autres crimes (crimes contre l’humanité, crimes de guerre, crimes d’état...) commis au nom de la France dans cette période. Une liste à la Prévert peut en donner la nausée :
- Les massacres commis à Madagascar, au Cameroun, au Vietnam... lors des guerres de libération coloniale
- Les massacres de Sétif, Guelma, Khératta... le 8 mai 1945 et les mois suivants
- La torture, enfin reconnue, condamnée
- Les viols, une forme de torture des plus violentes, compte-tenu de la culture arabo-musulmane où les questions sexuelles structuraient la société :
- Pour les hommes, l’homosexualité étaient interdite
- Pour les femmes, non seulement elles étaient des victimes, mais considérées comme coupables et mises au banc de leur société
- Les « crevettes Bigeard » : ces condamnés à mort, sans jugement, sauf celui de l’officier, jetés à la mer d’un avion ou d’un hélicoptère, les pieds scellés dans un bloc de ciment, pour être sûr qu’ils ne reviennent pas à la nage. Cette technique exportée en Amérique du sud par les spécialistes (Aussaresses, Trinquier....) de ces pratiques (propos de Pierre Mesmer).
- Les exécutions sommaires.
- Les « corvées de bois », ces autres exécutions sommaires, dont les archives militaires pouvaient dire que le prisonnier avait été abattu parce qu’il avait tenté de s’évader lors de l’exécution d’une corvée.
- L’utilisation du Gaz (Vx ou Sarin) pour exécuter des combattants réfugiés dans une cave ou une grotte.
- L’utilisation massive du napalm (déjà en Indochine). Les historiens estiment entre 600 et 800 villages rasés de cette manière. (1)
- Les essais nucléaires qui ont provoqué, qui provoquent encore aujourd’hui des dégâts considérables chez les militaires français qui avaient été exposés, mais aussi dans la population civile vivant dans cette région.
- Les camps d’internement, pudiquement appelés dans cette période des camps de regroupement, qui ont généré plusieurs centaines de milliers de morts (le rapport Rocard, établi avant la fin du conflit évaluait à plus de 200.000)
- Le massacre du 17 octobre 1961 à Paris, principalement autour du Pont Saint Michel, a fait plusieurs centaines de morts algériens sur ordre de la répression décidée en conseil des ministres
- Le Massacre du 8 Février au Métro Charonne de manifestants réclamant la paix en Algérie
Et cette liste n’est certainement pas exhaustive.
Alors, Monsieur le Président, vous qui reconnaissez chez votre prédécesseur son rôle important pour que la « France assume son rôle historique de conscience universelle » ne croyez-vous pas urgent de traduire dans les faits vos engagements de candidat ?
Dans quelques jours, le 17 octobre prochain, nous serons au Pont Saint Michel à Paris pour commémorer ce massacre, ce crime d’état, pourrons nous annoncer une déclaration de votre part à ce sujet ?
Henri POUILLOT
- 1 OCT. 2019
https://blogs.mediapart.fr/henri-pouillot/blog/011019/une-france-qui-regarde-son-histoire-en-face
Cet usage est très peu connu. Un article du journal "Le Bien Public" du 8 septembre 2013 publie un témoignage terrible, repris dans "ledauphine.com", sous la signature de Alexandre OLLIVIERI.
995, puis récemment avec les évènements en Syrie. De vieux souvenirs datant de 1959 surgissent alors.
Le gaz sarin. Ce nom fait frémir la communauté internationale depuis plusieurs semaines. Depuis que Barack Obama, le président américain, envisage une intervention en Syrie, persuadé que le régime totalitaire de Bachar el-Assad en a fait l’usage contre sa population civile.
Lorsqu’il entend parler du puissant neurotoxique aux informations, Auguste Cuzin, retraité vivant à Arandon, voit resurgir de vieux souvenirs. Ceux d’une autre époque, où il a expérimenté ce gaz de combat sur ordre de sa hiérarchie. Il était alors sergent dans l’armée française. En pleine guerre d’Algérie.
Auguste Cusin, en 1959, lors de tests au gaz sarin.
"J’étais chef de pièce dans l’artillerie, de février 1958 à avril 1960, en Algérie, détaille Auguste Cuzin. Durant le deuxième semestre de l’année 1959, j’ai été appelé à la base secrète de Beni-Ounif". Là-bas, dans le nord du Sahara, à quelques kilomètres de Colomb-Béchar, il va réaliser des tirs d’expérimentation avec des obus chargés de gaz sarin.
"Chaque matin, les officiers nous donnaient l’ordre de tirer à 6 ou 8 kilomètres, au canon, durant deux heures. Nous avons expérimenté le gaz sarin". La cible ? Des caisses, disposées dans le désert, dans lesquelles étaient emprisonnés des animaux. "Uniquement des petits animaux, se souvient l’ancien soldat. Des rats, des lapins…" Chaque obus contenait un demi-litre de gaz, qui se répandait dès l’impact au sol. "Nous allions dans le désert 48 heures plus tard, équipés de masques à gaz, pour aider les techniciens à ramasser les animaux morts, qu’ils emmenaient au laboratoire pour des analyses." Aucun tir sur l’homme, selon les historiens. Dans quel but ? Des tirs sur l’homme ont-ils existé ? Auguste Cuzin n’en sait pas plus. Benjamin Stora, éminent historien, spécialiste de l’Algérie, juge "probable" l’idée d’expérimentations au gaz sarin durant le conflit algérien. Frédéric Médard, auteur d’une thèse sur la présence militaire française en Algérie, croit lui aussi à ce témoignage. "La base de Béni-Ounif servait de centre d’essais et était surnommée ’le site des armes spéciales’. Mais ces tests ont été réalisés en marge des opérations de maintien de l’ordre en Algérie. À ma connaissance, aucun humain n’a été victime du gaz sarin durant ce conflit."
Pour l’historien, l’armée française cherchait avant tout à développer des modes de combat à opposer aux forces du Pacte de Varsovie. "La menace soviétique était très présente à l’époque, rappelle Frédéric Médard(1). Il s’agissait avant tout de contrer la tactique russe, qui s’appuyait beaucoup sur les gaz".
Appliquant scrupuleusement les ordres, Auguste Cuzin a poursuivi le rituel des exercices de tir durant un mois. Lui et ses camarades ont été confrontés de très près à ce gaz hautement mortel. "Un jour, un collègue incommodé par la chaleur a soulevé furtivement son masque pour cracher. Quelques secondes après, sa peau commençait à le brûler. Il a fallu lui administrer une piqûre d’atropine de toute urgence. Il a survécu."
L’ancien sergent se souvient aussi avec précision des centaines de mouches mortes qui reposaient sur les caisses contenant les obus. "On n’a pas été mis en condition pour manipuler ce gaz. On secouait les obus, sans se rendre compte du danger. Ce n’était vraiment pas notre heure…"
(1) “Technique et logistique en guerre d’Algérie”, ouvrage de Frédéric Médard, 2002.
Comme pour les essais nucléaires de Réggane, la France a "testé" ces armes horribles, sans s’inquiéter des victimes civiles qui ont pu être touchées simplement parce qu’elles se sont trouvées au mauvais moment, au mauvais endroit.Après l’utilisation de cet "agent orange" (la dioxine) au Vietnam, le napalm pour détruire (des Oradour sur Glane à la Française) entre 600 et 800 villages algériens, la France est vraiment mal placée pour donner des leçons sur les armes interdites par d’autres pays.
Les commentaires récents