Tassadit Yacine, en anthropologue spécialiste du monde berbère, plaide pour une Algérie fidèle aux pères fondateurs du mouvement national. Analyse.
Le mouvement populaire est à son septième mois de mobilisation pacifique. Il est remarquable par son organisation, sa maturité et son civisme. C’est là un formidable terreau pour asseoir une organisation politique des plus réussies au monde.
Ce mouvement a mis en échec, comme on le sait, toutes les tentatives de division et les manœuvres malsaines de diversion. Sa détermination est plus que jamais inaltérable. Les Algériennes et les Algériens dans le pays et à l’étranger, conscients des enjeux et des risques que peut générer cette situation, ont identifié les facteurs de la crise et les acteurs qui agissent à visages découverts ou dans la clandestinité et, de ce fait, semblent résolus à ne plus rester les bras croisés.
C’est ainsi que le pays se retrouve face à deux forces qui s’affrontent ayant chacune sa logique et ses finalités spécifiques : d’un côté, un peuple, plus que jamais déterminé à en finir avec un système vieux d’un demi siècle, et de l’autre, ce même système déterminé à se maintenir à tout prix et en faisant comme si rien n’avait été dit, rien n’avait été fait. C’est ce qu’on appelle un dialogue de sourds.
Les représentants actuels au lieu d’être à l’écoute des revendications de la société civile proposent une élection présidentielle organisée à la hâte, ignorant le processus de transition.
Autrement dit, peut-on aller vers une organisation d’une élection présidentielle sans débat et sans transition tel qu’il est proposé par le haut commandement de l’armée ?
Peut-on espérer une sortie de crise en faisant l’économie d’un débat national réunissant toutes les potentialités collectives ou individuelles ?
Peut-on parvenir à une transition démocratique sans que la diaspora en général et l’élite en particulier ne soient invitées à prendre la place qui leur revient dans le combat pour construire une Algérie démocratique, laïque, plurielle, riche de son histoire et de ses diverses cultures ?
Peut-on (doit-on) se permettre d’ignorer une partie de notre population porteuse d’une histoire et d’une mémoire millénaires (les bérbérophones de Kabylie, du M’zab, du Gourara, du Hoggar) comme c’est le cas aujourd’hui parce que nos représentants officiels en ont été littéralement sevrés ? Doit-on et peut-on encore se permettre d’ignorer l’apport de ces groupes et celui de nos immigrés dans la libération de ce pays ? Doit-on et peut-on encore se permettre d’ignorer la place des femmes dans notre société alors qu’elles ont été présentes tout au long de notre histoire aux côtés des hommes depuis Carthage jusqu’à l’annulation des éléctions en 1991.
Trois moments dans notre longue histoire ont marqué l’histoire de notre pays : déjà sous Carthage elles se sont delestées de leurs bijoux pour aider les leurs :
– en 1871, elles se sont dépouillées de leurs bijoux pour aider à payer le tribut de guerre que les Kabyles devaient à la France,
– enfin en 1963, pour le fameux « senduq tadamun », où elles se sont senties concernées pour renflouer les caisses de l’Etat et aider la cause nationale autant que les hommes (avec leurs propres bijoux). Que dire encore du rôle héroïque qui a marqué l’histoire des femmes à l’échelle internationale, entre 1954-1962 ? Je ne citerai pas les héroïnes du passé lointain et plus récent qui se sont levées pour défendre leur terre contre le conquérant comme Dihya au VIIe siècle, Fadhma N soumer (1857), Ourida Meddad (1954). Tous ces faits n’ont pourtant pas œuvré pour une égalité hommes-femmes comme dans tout pays en phase avec son époque.
L’Algérie officielle a manqué plusieurs fois l’occasion de s’ouvrir à son histoire et à suivre le projet d’acteurs importants (hommes, femmes, berbérophones, arabophones et francophones) qui ont pourtant donné pour qu’elle soit enfin libre et fidèle à son histoire et à son legs ancestral. Or, depuis 1962 , l’Algérie a donné l’impression au monde de s’enliser dans une idéologie d’emprunt qui a paricipé à la perte de nombreux acquis comme le respect de la diversité politique et culturelle et de la tolérance religieuse. Pourquoi a-t-on tourné sciemment le dos au projet démocratique et social construit par l’élite à l’aube de 1954 ?
Projet conçu et éléboré par des figures politiques telles que Abane Ramdane, Hocine Aït Ahmed, Larbi Ben M’hddi, Chawki Mostephai, Mestfa Lacheraf, Frantz Fanon et intellectuelles comme Mouloud Mammeri, Jean Amrouche, Mohammed Dib, Kateb Yacine…
Que reste-il de ces figures mythiques pourtant mondialement connues ? Que faisons-nous de cette feuille de route qu’ils ont tracée pour nos enfants dans une Algérie progressiste, égalitariste et moderne ?
Une armée consciente et responsable doit être en principe au service de son peuple. Il est de son devoir d’être à l’écoute de ses revendications, unique façon d’éviter les éventuels dérapages, et de sauver ce qui peut l’être, en profitant de ce formidable civisme avant qu’il ne tourne en violence.
L’Algérie de demain doit impérativement se construire dans une véritable démocratie en éliminant les erreurs commises depuis 1962 et sortir de l’orbite idéologique arabo-islamique pour être elle-même. Les langues pratiquées en Algérie (berbère, arabe, français) doivent être respectées car elles constituent un formidable atout et ne pas être instrumentalisées à des fins idéologiques. Les droits de l’homme et du citoyen doivent fleurir comme l’un de nos ancêtres, Caracalla empereur romain (dynastie des Sévère), l’avait énoncé en 212 : il accorda la citoyenneté romaine à tous les hommes libres de l’Empire.
Dans le monde africain, car nous sommes en Afrique, l’Algérie doit être cet exemple phare qui illuminerait le monde par son ouverture, sa justice (l’égalité des droits et des langues) et sa grande diversité.
Tassadit Yacine
https://www.dzvid.com/2019/09/01/tassadit-yacine-pour-une-algerie-fidele-aux-peres-fondateurs/
Les commentaires récents