par R. N.
Ce vaisseau, Le Banel, ne va jamais atteindre sa destination. Il va s'échouer sur une crique, en Algérie, entre Ténès et Cherchell, près de Beni Haoua. Une troublante histoire de naufragés, dont des femmes qui ne vont jamais réaliser leur rêve, celui de vivre en Amérique. Le navire devait participer avec un corps expéditionnaire français à mater une sédition qui a tourné à la guerre d'indépendance menée par des esclaves affranchis de la partie ouest de l'île.
Ce vaisseau, lourdement armé et avec plus de 700 personnes à bord, a terminé sa course sur les côtes algériennes, à un peu plus de 10 km à l'est de ce qui était à l'époque le «Vieux Ténès», sur la baie des «Souahlias», ou «Souilias». C'était au petit matin d'un pluvieux et venteux 15 janvier 1802, à quelque 200 km à l'ouest d'Alger.
Ce jour-là, vers quatre heures du matin et par un temps de tous les diables, ce vaisseau, faisant partie de la division du contre-amiral Ganteaume, se fracasse sur les brisants de cette baie. Une légende va alors naître du naufrage de ce navire, armé et équipé à Toulon pour emmener à Saint Domingue des troupes envoyées par Napoléon Bonaparte, agacé plus que tourmenté par la prise de pouvoir d'anciens esclaves dans la partie française de l'île, qui exportait à cette époque l'essentiel du café et du sucre consommés dans le monde. 130 ans après l'invasion française de l'Algérie, plus exactement en 1937, le mythe et la légende vont alors se tutoyer sur la réalité de ce naufrage. Et ses victimes. En particulier l'énigmatique présence de «femmes», qui seraient selon la tradition locale des religieuses, tombées entre les mains des Kabyles après le naufrage de leur navire sur une côte inhospitalière. Bien évidemment, dans les croyances locales, comme pour les amateurs d'aventures et de récits de marins, de naufragés et de fictions rocambolesques toutes aussi extravagantes les unes que les autres, la fin dramatique du voyage de ces femmes, qui terminent leur vie non pas en Amérique mais dans un village de montagne parmi des tribus kabyles, est poignante, dramatique.
Et c'est cette histoire de naufragés, dont beaucoup ne regagneront pas la France, qui, de toutes les histoires de marins, de courses en mer de ce côté-ci de la Méditerranée, retient toujours l'attention et l'intérêt, par ses nombreux mystères, ses énigmes: le sort, après le naufrage, de certains des «passagers» du Banel.
Au fait de cette histoire, des «pères blancs», des missionnaires d'Afrique, Yahia et Bruno, qui habitaient à Bissa, sur les hauteurs de la partie nord du Dahra, avaient estimé que si ces femmes étaient jeunes lors de leur naufrage, elles auraient très bien pu assister aux premiers événements de l'occupation française de l'Algérie. L'histoire en elle-même est confuse, et il est ardu de démêler les faits réels de ce drame des éléments, qui y ont été ajoutés par la tradition orale, très peu crédible avec l'amplification des événements eux-mêmes. La trame de ce drame est singulière et alimente jusqu'à nos jours, plus de deux siècles après les faits, une terrible et controversée histoire de naufragées européennes, prétendument des Hollandaises, perdues dans un pays dont elles ne connaissaient ni la langue, encore moins les coutumes, qui a pris les contours les plus fantasques, les plus imaginaires, et tout autant les plus saugrenus à travers des récits surréels et imaginaires d'une saga, qui a fait l'objet de plusieurs ouvrages, et des documentaires télévisuels.
Jusqu'à bluffer la représentation diplomatique des Pays-Bas à Alger, qui a financé en 2008 la réfection du mausolée construit à la mémoire de l'une de ces naufragées, «Mama Binette». Toutes les affabulations entourent par ailleurs le naufrage d'un navire, qui avait à son bord un peu plus de 700 passagers entre marins et soldats, et quelques passagères clandestines, et dont les péripéties dramatiques se seraient perdues et oubliées de la mémoire collective des gens de la région, s'il n'y avait pas eu ce roman en 1956, «Les captives du Banel», d'Alberte Sadouillet-Perrin.
L'essai de Mahdi Boukhalfa revient dans le détail, en convoquant l'histoire, de la chute de Grenade à la découverte des Amériques par C. Colomb, des Dey à Alger en passant par les campagnes napoléoniennes dans les Grandes Antilles, pour dépoussiérer cette légende, et la replacer dans son histoire, celle de la région de Ténès alors sous régence ottomane.
L'essai, mis en vente en ligne sur le site «Leseditionsdunet.com » (https://bit.ly/2ksZChL), est en compétition avec 165 autres oeuvres pour le grand prix du jury de la journée du manuscrit francophone (https://bit.ly/2kM2wyw), et donc a besoin de partages sur la page.
Mahdi Boukhalfa
«Mama Binette, naufragée en Barbarie»
Un fait réel, le naufrage le 15 janvier 1802, au niveau de la baie des la baie des Souahlias, à l’ouest d’Alger, du Banel, un vaisseau militaire de la flotte napoléonienne, en partance pour l’île de Saint Domingue pour participer à mater une rébellion. Il y avait 700 personnes, des marins et des soldats à bord de ce bâtiment de guerre lourdement armé. Moins “normale”, était la présence d’un groupe de femmes - leur nombre est indéfini, cela va de 3 à 9 selon les récits - dans ce bâtiment de guerre.
La baie des Souahlia
Que faisaient-elles dans cette galère? Des migrantes clandestines avant l’heure vers le nouveau monde? Des religieuses hollandaises échouées en “barbarie”? Une explication à laquelle l’ambassade des Pays-Bas a semblé vouloir donner du crédit -ou peut-être était-ce un clin d’oeil amical? - en apportant, en 2008, une participation financière à la restauration du mausolée de Mama Binette, le nom emblématique de toutes les légendes entourants ces femmes. Imma Binette, la “mère des filles”.
Cette nationalité hollandaise attribuées à ce petit groupe de femmes va nourrir d’ailleurs des explications fantaisistes sur la couleur des cheveux (blond ou roux) et des yeux (bleus) des habitants de Ben Haoua. Mama Binette, le nom est entré dans la légende, épouse d’un chef local, bienfaitrice, infirmière prodiguant des soins aussi bien aux femmes qu’aux hommes et en définitive, une “mrabta”, une quasi-sainte.
Le journaliste Mahdi Boukhalfa, qui connaît la région de Ténès et ses habitants comme sa poche a décidé de se lancer dans l’entreprise de démêler l’écheveau des légendes entourant ces femmes blanches “échouées en barbarie” et on mesure à la lecture du livre qu’il n’est pas facile d’aller à l’encontre des mythes et des légendes pour établir les faits.
Et il n’ignorait pas en s’engageant dans ce travail publié aux “éditions du net” car cette affaire alimente, deux siècles après les faits, des controverses autour des ces naufragées “ prétendument des Hollandaises, perdues dans un pays dont elles ne connaissaient ni la langue, encore moins les coutumes, qui a pris les contours les plus fantasques, les plus imaginaires, et tout autant les plus saugrenus à travers des récits surréels et imaginaires…”.
Le mausolée de Mama Binett à Beni Haoua
Beni Haoua aime bien ses légendes
S’il ne lève pas totalement le mystère de ces femmes, dont même le nombre reste incertain, l’auteur règle son compte à plein d’affabulations et d’invraisemblance tout comme à la récupération de la légende par une certaine historiographie hagiographique coloniale. La description du contexte historique global dans lequel ce naufrage a eu lieu est d’une grande utilité, tout comme le rappel ce qu’était la réalité locale dans la région de Ténès. Un livre passionnant où, conclut l’auteur, la région aime ces légendes qui font rêver et attirent les touristes.
“Quand le vent de « nord est » est de force 9 ou 10, et que les petits pêcheurs locaux restent à terre, cloîtrés, souvent sans le sou, dans les cafés du village. Alors, forcément, la légende de «Mama Binett » est un trésor de famille, ici à Beni Haoua (les enfants d’Eve) la bien nommée, toujours hantée par des vaisseaux fantômes, des naufrages à inventer, de femmes tombées du haut de la Providence, d’histoires impossibles à raconter.”
L’essai de Mahdi Boukhalfa est encompétition pour le grand prix du jury de la Journée du Manuscrit Francophone dont la cérémonie de la remise des prix est prévue le 13 novembre à Paris.
La crique de débarquement des naufragés
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