L’Algérie (au lieu de la Prusse) n’est pas un pays qui possède une armée mais c’est une armée qui occupe l’Etat, Dixit, M. Harbi et Mirabeau.
Parmi toutes les études qui ont été faites sur les ressources dont dispose l’armée algérienne, il y a au moins une qui est bien documentée parce qu’elle fait ressortir un plan comptable empiriquement détaillée des moyens qu’elle s’octroie sur le budget de l’Etat. De plus, l’ingéniosité de l’auteur de l’étude, laisse apparaitre un plan des dépenses futures pour toute la catégorie des cadres supérieurs de l’armée algérienne.
En un mot, c’est une somme colossale qu’il faut mobiliser pour satisfaire les besoins de cette catégorie d’officiers supérieurs. Cette somme défalquée du budget du ministère de la Défense nationale est la part rétribuée aux officiers à la retraite. Et afin de convenir à leur standing de vie, il faut ajouter la part mobilisée de leur reclassement social et économique dont la plupart optent pour le commerce de l’import -export.
Dans tous les cas, la place centrale de l’ANP dans le jeu politique n’est plus à démontrer parce qu’elle est la force principale des luttes pour le pouvoir de l’Etat. En effet, depuis l’affaire des colonels de l’armée de libération nationale, l’Algérie a toujours été contrôlée par les militaires au détriment des Politiques.
Depuis l’assassinat d’Abane Ramdane en passant successivement par le coup de force de l’Etat Major Général au putsch de 1965 de l’omnipotent colonel Boumediene et sa clique, en ajoutant au gré des circonstances historiques et toujours sous l’arbitrage de l’armée, la désignation des président Chadli et Zéroual et surtout l’aréopage du HCE constitué majoritairement par des militaires et comme cela ne suffit pas, même la présidence de Boudiaf a été sous une forme ou sous une autre, un montage politique de l’ANP.
Ainsi, le décor de la scène politique algérienne est entaché d’une série d’usurpations du pouvoir de décision au nom du peuple. Il en est que le constitutif populaire de l’armée algérienne tant réclamé par les contestataires est un vrai problème de définition du principal bras séculier de l’appareil de l’Etat. Indépendamment de l’idéologie du populisme qui est l’apanage des propagandistes du parti FLN, le ressort de l’armée algérienne repose principalement sur son modèle et l’offre qu’elle propose aux jeunes Algériens.
In fine, elle ressemble au modèle de l’armée française dont elle hérite ses structures de fonctionnement accouplé à un patriotisme largement instrumentalisé par une oligarchie. Si l’armée algérienne est une des institutions de l’Etat la plus structurée, il n’en demeure pas moins que l’élargissement populaire de sa fonction sociale cache la différentiation des catégories qui la composent. Largement orchestrée par une évolution pyramidale des carrières, le plus important contingent de la troupe est au service quoiqu’on dise des officiers supérieurs qui bénéficient de tous les avantages matériels et symboliques.
Sur le plan de la carrière, l’auteur de l’étude citée ci-dessus, ne relève aucune attribution particulière pour les hommes de troupe. Par contre, il relève un large éventail de privilèges pour tous les officiers supérieurs du grade de colonel au général. D’autant que ce sont les hommes de la troupe recrutés au sein de la masse algérienne qui affrontent tous les dangers au péril de leur vie alors que les donneurs d’ordre restent dans leur QG à l’abri de la violence. Alors que dire du slogan : “Djeich, chaab, khaoua, khaoua” ?
Certes, la confrontation meurtrière durant la guerre civile a laissé des traces et c’est le traumatisme du conflit armé qui a contribué à apaiser les esprits en Algérie. Tous les spécialistes reconnaissent qu’il est impossible pour une société quelle qu’elle soit de pouvoir supporter une suite ininterrompue de révoltes ou de résistances. Pour cerner les mécanismes du contrôle de l’Etat par l’armée et de son appropriation de la “vox populi “afin de contrôler la société, il est plus que tangible de revenir sur le modèle spécifique de l’Armée nationale populaire. Il va de soi qu’une telle appellation comporte en elle-même, tous les éléments constitutifs de l’Etat national.
L’Etat algérien est un héritage de l’Etat-Nation français constitué au XVIII è siècle. Il ne faut pas aller chercher très loin dans le temps comme l’ont fait désespérément un certain nombreux d’écrivains algériens pour le rattacher à une quelconque forme étatique des Etats antiques ou médiévaux. Cette remarque vaut aussi pour tous les essayistes qui ont trop glosé sur les vertus de l’Etat considéré à tort comme un parapluie anthropologique.
A la limite, les critiques de Marx ou les analyses d’Ibn Khaldoun, ont en commun, l’idée de la coercition comme principal instrument de l’exercice du pouvoir de l’Etat. Il ressort que tous les autres substantialisation du type (peuple, nation, patrie) ne sont que des formulations ostentatoires de la dénomination.
A coup sûr, l’aspect sémiotique de la désignation a pour corollaire, l’idéologie comme outil de la légitimation en acte de la gouvernementalité c’est-à-dire aux techniques de la gouvernance s’y ajoute le discours de la légitimité. Il ne revient pas de discuter des théories de l’Etat mais toujours est-il que la formation historique qu’est l’Etat national algérien est une des conséquences de la colonisation française. Si nous partons de l’idée que l’Etat national est une construction historique intimement liée à l’histoire coloniale, dans ce cas là, il devient plus facile d’intégrer les attributs comme populaire, national et patriotique, etc., dans la formalisation de l’Etat algérien.
En effet, on constate que les attributs sont transformés en substances pour maintenir en l’état un mode de fonctionnement des institutions étatiques. Tant qu’on est dans le discours, il existe des procédés rhétoriques qui consistent à intervertir le rapport de la substance à l’attribut. Dans de tels procédés, ce n’est pas la substance que l’on caractérise mais c’est l’attribut que l’on substantialise. De ce fait, les attributs du type populaire, national, patriotique contribuent à eux seuls à conditionner les rapports de l’Etat et de la société.
En général, ces notions confuses servent à gommer les différences sociales. Elles servent à substituer à la dynamique des groupes sociaux une statique sociale. Plus particulièrement, la notion de peuple ne peut se comprendre que dans l’état de fusion des éléments sociaux lorsqu’un événement collectif rassemble la foule. On constate par la force des choses, l’usure du mouvement collectif. Et par nécessité, ce même mouvement lorsqu’il se relâche a besoin de substantialiser la notion de peuple selon un mode sémiologique précis afin de rendre compte de la statique sociale comme nouvelle donne politique.
Donc, le peuple ne peut exister autrement que dans cette forme consécutive à une situation politique et sociale. L’effacement par l’oblitération des catégories sociales est le phénomène qui reflète le mieux l’accrétion de la physique sociale. En résumé, le mode de désignation des Etats “populistes” est une gageure réductible à une idéologie excessive qui de fait, gomme la différence sociale.
Elle masque la compétition sociale qui est inhérente à toute société. Dès lors, il est plus que loisible de revenir aux articles 8 et 84 de la constitution algérienne qui concernent l’armée algérienne. D’une façon claire et précise, la constitution de 1963 attribue une multitude de fonctions à l’armée. En plus de la défense du territoire de la République, elle se voit attribuer des fonctions politiques, économiques et sociales. Alors que l’héritage de la guerre de libération nationale délimite le caractère social de l’Etat algérien, l’armée algérienne étend ses compétences à divers domaines d’activités pour consolider l’emprise sur la société algérienne en formation.
Elle servira de cheval de bataille pour le contrôle de l’Etat et de la société. Dans un premier temps, à la fin de la guerre, les autorités de l’époque s’appuient sur un populisme ambiant qui finira par devenir l’idéologie officielle du parti-Etat. La montée en puissance de l’institution militaire servira de tremplin à l’encerclement idéologique opéré par l’autoritarisme du colonel Boumediene. En étant l’interface du parti-Etat, l’armée consolide sa position politique en recourant au service militaire obligatoire qui lui fournira au nom du socialisme des contingents de jeunes appelés.
Nonobstant, la source du pouvoir de l’Etat selon la devise consacrée : “l’Etat par le peuple et pour le peuple”, il ressort que deux notions citées ci-dessus s’avèrent fondamentales dans l’acte fondateur de l’Etat algérien. La notion de République qui est utilisée pour définir la forme de l’Etat algérien représente ces jours-ci, un enjeu majeur dans le mouvement de protestation tandis que le caractère social de l’Etat en tant que prémisses du socialisme est relégué au second plan, et il est évoqué juste pour la défense des biens publics.
La pseudo-rupture
Après les événements d’octobre 88, l’article 24 de la constitution de 1989 tend à restreindre de la façon suivante le domaine d’intervention de l’armée. On lit ce qui suit :-“La consolidation et le développement du potentiel de défense de la Nation s’organisent autour de l’Armée nationale populaire.
L’Armée nationale populaire a pour mission permanente la sauvegarde de l’indépendance nationale et la défense de la souveraineté nationale.
Elle est chargée d’assurer la défense de l’unité et de l’intégrité territoriale du pays, ainsi que la protection de son espace terrestre, de son espace aérien et des différentes zones de son domaine maritime”.
Cette définition du rôle de l’armée algérienne a pour principale caractéristique, la délimitation théorique du champ d’intervention de l’institution militaire. Si les actions sociales et économiques et politiques ne sont plus citées comme telles, il n’en reste que dans la réalité, l’armée a gardé intactes toutes les prérogatives énoncées dans les constitutions de 1963 et 1976.
La preuve en est qu’elle demeure le principal canal de la désignation du président de la République. Elle intervient en dehors de l’état de catastrophe, pour assurer des missions de service public alors que ce rôle est dévolu aux collectivités. Ces nouveaux statuts réitérés dans les articles 28 et 25 de la constitution de 1996 révisée en 2002, 2008 et 2016 ne sont hélas que des pétitions de principe qui n’enlèvent rien à sa puissance tentaculaire. Par beaucoup d’aspects, par l’évocation substitutive de l’osmose, Etat-Société, Armée-Peuple, elle s’invente un système d’homologie sémiologique par l’entremise de toute une rhétorique pour masquer la part régalienne de l’institution militaire et l’essence de son existence en tant que force de coercition c’est-à-dire, le Kuhr.
Que faire ?
Il nous semble illusoire de se suffire de la démonstration massive du peuple algérien pour limiter le pouvoir de l’armée algérienne. Alors et afin de démontrer la puissance de l’armée algérienne, lisons le dernier numéro de la revue El Djeich qui vaille que vaille tente de se mettre au diapason de la protesta. Eu égard au slogan “Djeich, chaab, khaoua-khaoua”, les rédacteurs de l’éditorial usent d’une rhétorique populiste.
A la lecture de cet ”édito”, il n’y a rien de neuf à déceler dans l’appariement politique du mouvement populaire par les porte-parole de l’armée algérienne. Hélas ! Ils répètent inlassablement des pétitions de principes édictées depuis l’indépendance qui servent comme toujours de paravent à une opération d’envergure entreprise par l’armée pour consolider son contrôle sur l’Etat. L’évocation des articles 7, 8 et 102 de la constitution ne sont que des manœuvres dilatoires pour contenir le rejet du public d’un régime politique confectionné par cette même institution.
A ce titre, le recours à la rhétorique homologique est une vraie machine de guerre dans la tentative de la réappropriation de la volonté populaire. A titre d’exemple, l’édito du dernier numéro d’El djeich qui affiche que le “peuple est la principale et unique source du pouvoir” est une lapalissade de convenance qui perpétue la même litanie afin de contourner par le biais des institutions en place, la principale revendication de la population c’est-à-dire la fin du système.
C’est ce point limite des positions qui laisse entrevoir, une possible confrontation entre le peuple et l’armée. Malgré, les recommandations de Maitre Bouchachi, une des figures de proue du mouvement, la sollicitation d’accompagnement du Hirak par l’armée, ne semble pas avoir été pris en compte par l’institution militaire. De ce fait, on est dans une impasse.
Inéluctablement, face à une telle situation, les leaders du mouvement doivent trouver les moyens pour affronter l’adversité de l’armée. Il est peut-être temps de désigner parmi les tous les activistes du Hirak, des délégués pour entamer des négociations avec les décideurs militaires pour qu’enfin le pouvoir revienne aux civils.
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