Couverture bleu-blanc-rouge, image d’Emmanuel Macron sur son Command-Car de l’armée lors de la descente des Champs-Élysées à l’occasion de sa prise de pouvoir, telle est la première impression visuelle que laisse La septième arme, une autre histoire de la République. Scénarisé par le journaliste David Servenay et mis en image par Jake Raynal, cet ouvrage nous plonge tout de suite dans les arcanes les plus sombres du pouvoir républicain de l’après-guerre à nos jours. Maniant parfaitement l’alternance de monochrome et de couleurs, selon les sujets et les lieux, Jake Raynal réalise des images précises et épurées sur des aspects méconnus et ô combien polémiques de l’histoire de France depuis 1945. Les conflits coloniaux (Indochine, Algérie, Afrique Noire avec les massacres oubliés au Cameroun), mais aussi le génocide rwandais, l’implication de l’armée française en Afghanistan et jusqu’à la menace terroriste actuelle, aucun aspect n’est oublié dans le scénario de David Servenay.
À l’heure de la fin de la polémique autour de Maurice Audin, ce militant communiste algérois arrêté et torturé par l’armée française lors de la Bataille d’Alger, La septième arme relate de façon très didactique ces aspects sombres de la République, ces rapports souvent troublés, avec une armée qui a parfois agi en dehors de tout cadre légal en se justifiant au nom de la liberté républicaine. Car c’est de cela dont il s’agit dans cette enquête dessinée : essayer de comprendre pourquoi et comment l’armée, censée protéger la population, a pris des mesures radicales dans plusieurs conflits, parfois illégales, au nom de la sauvegarde de la liberté. La bande dessinée s'attache désormais à traiter des sujets complexes voire polémiques, de façon sérieuse et documentée, à l'image de ce qui a été fait sur l'affaire Boulin.
La septième arme est une œuvre qui permet au lecteur de s’interroger des décisions prises par les militaires, en accord avec les hommes politiques au pouvoir, qui n’ont pas été du tout dans le sens des droits de l’Homme, notion dont la France se targue d’être le berceau depuis 1789. À travers les portraits de militaires, mais aussi de politiques, mis en scène sous forme d’enquête journalistique sérieuse et étayée (on pense à l’intervention de l’historienne Raphaëlle Branche, spécialiste de la torture lors de la guerre d’Algérie) La septième arme permet donc au lecteur français de regarder son passé trouble en face, dans la lignée de nombreux travaux d’historiens actuels.
Une réponse à la guerre asymétrique dans les colonies
Pour les militaires français, la septième arme est avant tout une tentative de réponse aux guerres coloniales auxquelles ils ne sont pas préparés. En effet, ce sont des conflits d’un genre nouveau, ce que les stratèges vont rapidement nommer des « guerres asymétriques ». Derrière ce concept, il s’agit de montrer que les forces en présence sont théoriquement déséquilibrées mais que, parce qu’ils connaissent parfaitement leur territoire, les insurgés réussissent. Ils rééquilibrent le rapport de forces en menant une guerre sans grande bataille, faite de guérilla constante et en se noyant dans la masse des civils. En voyant cela, dès la guerre d’Indochine (1945-1954) les chefs de l’armée française tentent de mettre en place une réponse face aux Vietminh avantagés par le terrain. Débute alors une vaste action de propagande à destination des civils qui a pour but de les désolidariser de Hô-Chi-Minh et des siens. L’armée française prend alors des prérogatives en matière de gestion administrative et policière d’un territoire, ce qui n’est théoriquement pas de son ressort.
Cela se ressent surtout à partir de la guerre d’Algérie où, avec l’envoi du contingent français à partir de 1956, les militaires sont ceux qui contrôlent réellement l’Algérie. Avec des pouvoirs spéciaux, ils réussissent à gagner la bataille d’Alger, grâce à La septième arme, mais à quel prix ? Tortures, exécutions sommaires sont le lot quotidien d’une armée française qui applique au pied de la lettre les théories de ces chefs. Certains généraux se sentent alors assez forts pour tenter un coup d’état (21 avril 1961) : La septième arme est alors en train de dépasser ce pour quoi elle a été créée : le maintien de l’ordre sur un territoire où l’armée française est présente.
Les conséquences sur la politique étrangère de la France aujourd’hui
Comme le montrent parfaitement David Servenay et Jake Raynal à travers des textes brefs et précis, tout comme les dessins qui sont eux aussi d’une extrême justesse, La septième arme est utilisée par la suite dans de nombreux conflits contemporains, du Vietnam par les Américains à l’ex-Yougoslavie, mais aussi lors du génocide Rwandais (ce qui, au passage, démontre au lecteur la responsabilité des soldats français dans le déroulement de celui-ci).
Le choix des couleurs, d’une dominante sombre, avec beaucoup de noir et blanc, parfois légèrement colorisé, renforce le « côté obscur » de cette histoire de la République. Le style de Raynal, épuré et direct, rappelle furieusement celui de Hugo Pratt. Il fonctionne parfaitement sur ce sujet sensible. Les deux auteurs réussissent de façon exemplaire à démontrer que la France a eu, dans de nombreux conflits coloniaux puis post-coloniaux, une responsabilité réelle. Ce qui se poursuit jusqu’à aujourd’hui où une partie des terroristes islamistes assimile notre pays à un ennemi héréditaire de l’Islam, depuis les conquêtes coloniales. On pense ici à la dénonciation en 2016 par Daesh des accords Sykes-Picot sur le partage du Moyen Orient entre Français et Anglais en pleine Première Guerre mondiale. C’est d’ailleurs ce que montre le passage sur les attentats contre Charlie Hebdo en janvier 2015. Les dirigeants français de l’époque, pour à la fois rassurer la population et lutter efficacement contre les terroristes, emploient à nouveau les théories issues de La septième arme.
À travers cette œuvre de Servenay et Raynal, le lecteur est pris à témoin sur des aspects méconnus mais ô combien réels de la politique française depuis 1945. Il permet de mieux comprendre la face cachée du pouvoir républicain depuis la Libération. La septième arme est donc surtout un moyen pour tous de regarder notre passé national en face, loin de l’histoire officielle, pour mieux comprendre la réalité des événements dans tous ces conflits
Nicolas CHARLES
[samedi 02 février 2019]
https://www.nonfiction.fr/article-9732-la-face-sombre-de-la-france-depuis-1945.htm
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