Jean-Michel Leutier, jeune pied-noir quitte son oranais natal pour continuer des études brillantes à Toulouse. Voulant séduire la sœur d’un copain, via la mère experte en bonnes œuvres, il devient visiteur de prison. Le sort le met en présence d’Abane Ramdane, l’un des fondateurs du FLN, emprisonné à Albi, qui, plus tard, sera lâchement assassiné par ses pairs en 1957. Ses études philosophiques, ses conversations avec Ramdane emplissent son esprit et sa conscience sur l’avenir de l’Algérie. Un avenir où les colons ne sont plus les maîtres de l’Algérie, mais des habitants lambda, où les paysans algériens ne sont plus ravalés au rang de presque serf par les gros propriétaires. C’est avec un regard neuf, décillé que Jean-Michel, lors de ses vacances au pays, mesure le fossé entre les graines que le prisonnier a semé dans son esprit et la vie de ses parents, des habitants de l’Oranais. Cette confrontation entre deux idées de l’Algérie et de la colonisation jette le trouble chez le jeune homme « Jusqu’alors, défricher, bâtir, semer, planter, instruire, enseigner, avait servi de bonne conscience au colonisateur. ». Cette impossibilité pour les colons de comprendre, de voir que tout change autour d’eux « Ce que voyaient ces « Français d’Algérie », c’est qu’il était trop tard. Mais était-ce si évident ? ». Lorsque la guerre, on dit alors, les Evènements, éclate, il suspend son sursis et part défendre ce qu’il considère, avec justesse, son pays. Blessés plusieurs fois, il se meurt et la visite quotidienne du « petit curé » lui permet de raconter sa courte vie, sa rencontre avec Ramdane et ce qui en découla, la guerre dont la fameuse nuit de Zelemta qui jettera l’opprobre sur ce jeune officier multi médaillé. Un livre superbement construit qui raconte, expose la guerre d’Algérie sans trémolos, avec rigueur et calme la situation des deux côtés. Les français de France de l’époque, d’avant la déclaration de guerre, ne se sentaient pas concernés : « L’Algérie, oui, c’était une partie rose sur la carte de l’outre-mer ; mais ce n’était que ça. Non, décidément, ce n’était pas l’Alsace et la Lorraine. » Je me souviens, pour avoir établi des dossiers, de certains pieds noirs, propriétaires terriens, arrogants avec les subalternes que nous étions. J’avais, à l’opposé, deux collègues fraîchement rapatriés, ceux qu’on appelait « petits blancs » qui pleuraient leur pays. C’était dur à comprendre pour la jeune fille que j’étais, tout en faisant un parfait résumé. Abane Ramdane a réellement existé. Il fut l’un des créateurs et chefs du FLN, écarté puis tué pour des raisons de pouvoir. « Tour à tour présenté comme un Robespierre ou le Jean Moulin et même le Mao Tsé-toung africain, s’il avait survécu à la guerre, Abane Ramdane reste peu ou mal connu. Cela n’est pas fortuit. Une véritable conjuration du silence en a fait l’oublié, voire « l’évacué » de la révolution algérienne. » Ramdane vivant, lui qui comparait leur lutte à celle des Irlandais, aurait-il eu le pouvoir et la volonté de faire ce qu’il expliquait à Jean-Michel ? Si le statut Blum-Viollette qui voulait donner la nationalité française aux étudiants « Les étudiants musulmans, tout en restant musulmans deviennent français et qu’aussi imbus de préjugés religieux et racistes qu’ils soient les colons ne puissent leur décrier la fraternité française. » (C’était en 1936) avait été ratifié…. Et la « nuit de Zelemta » me direz-vous ? Je vous laisse découvrir cet épisode humain et très fort. Un livre, entre fiction et réalité, dans un style très construit ; une belle écriture classique comme je les aime. J’ai trouvé, chez René-Victor Pilhes, beaucoup d’estime pour ces « petits blancs » qui étaient présents en Algérie depuis plusieurs générations ou ceux qui sont venus chercher un avenir meilleurs et, pour les enseignants, un grand désir d’apporter leurs connaissances aux « Arabes », ainsi que pour Ramdane. Une belle découverte de cette période, guerre qui se cache derrière ces « Evènements » dont on ne parle que très, trop, peu. Un très bon livre.
https://www.onlalu.com/livres/roman-francais/la-nuit-de-zelemta-rene-victor-pilhes-19452
La nuit de Zelemta* est une fiction qui raconte la rencontre entre un jeune français pied-noir et Abane Ramdane. L’auteur, appelé du contingent lui-même durant la guerre d’Algérie, témoigne, à travers un très beau récit, de l’admiration qu’il éprouve pour le grand chef nationaliste algérien.
Jean-Michel Leutier, pied-noir de Ain Temouchent, est parti étudier à Toulouse. Il a 18 ans et le cœur qui bat pour la sœur de son meilleur ami qui réside à Albi. A Albi justement, il y a une prison que visite chaque dimanche sa dulcinée avec sa charitable mère, Mme Jouli, pour apporter le réconfort aux victimes d’infortune et pour compenser l’éloignement de son mari. On se console comme on peut.
Une force brutale et agressive
Pour ne pas rater une seconde du bonheur de la présence de Rolande, Leutier lui colle à la jupe. Le voici, en ce dimanche de printemps 1953, avec les deux femmes à la prison d’Albi. « Aujourd’hui, nous verrons les politiques », dit Mme Jouli. Bonne décision.
Parmi les politiques, il y a un homme qui a un fort ascendant sur un groupe, il est le chef charismatique. Il est maigre avec un regard qui écrase tout. Il a un nom et un prénom : Abane Ramdane. Intrigué par ce détenu du « Bled », Leutier lui confie qu’il est lui aussi du même pays. Nous n’avons pas écrit compatriote, évidemment.
D’emblée, le jeune lycéen français est séduit par cet homme qui lui dit que l’Algérie c’est leur pays à tous les deux : « Et un jour nous y vivrons tous les deux dans l’égalité et la fraternité qui laissent un peu à désirer, vous n’avez pas encore réfléchi à cette question, n’est-ce pas ? Vous y avez vécu une enfance dorée sur ses plages tandis que moi, eh bien, lors de mes passages là-bas, je faisais autre chose, je ne fréquentais pas les Européens. (…) Ce que nous voulons, c’est une Algérie indépendante pour tous, pour vous comme pour nous… »
Après un long soliloque enflammé, Abane demande à Leutier un service. Celui de lui ramener de chez un libraire toulousain un ouvrage de Lénine intitulé « Que faire ? » ». Leutier accepte volontiers. Mais que pense-t-il de cet homme qui prêche l’indépendance et l’égalité pour tous ? Il a reçu un choc, une déflagration.
Bien plus tard, il se confiera à un prêtre sur son lit d’hôpital : « Aujourd’hui encore, la force, la brutalité, l’agressivité même de cet homme, m’impressionnent, surtout sa facilité à ne pas les dissimuler, au fond, il était passé à l’action, il était déjà en guerre, il n’avait cure de masquer ses intentions politiques ». Mais ne nous pressons pas. Revenons à 1953 et à Leutier qui découvre, grâce à Abane, une Algérie pour les dominants et une autre Algérie pour les dominés, les colonisés. Lui évidemment appartient à celle des dominants.
Leutier est un pied-noir modeste, son père est gendarme – donc symbole de la répression des indigènes – et sa mère infirmière dans un hôpital. Jusqu’à la rencontre avec Abane, il a vécu la vie paisible et dorée d’un pied-noir profitant de la luminosité du pays : soleil, ciel bleu et mer, sans se mêler à une majorité indigène dont le plus riche bachaga demeurait un « melon » aux yeux des plus humbles Européens, comme le précise le narrateur. Mais toute cette injustice, toute cette oppression, toute cette humiliation, Leutier, l’insouciant Leutier, est passé à côté avant la rencontre avec Abane.
Livre en main, voici Leutier à nouveau face à au détenu Abane qui lui demande ce qu’il avait retenu de leur première conversation. « Que Abane travaillait à une Algérie nouvelle, libre, indépendante, forte de toutes les communautés à égalité de droits, une Algérie où les Français occuperaient toute leur place ». Evidemment que Leutier ne redoutait pas cette Algérie. Abane, décidément prolixe, mais autoritaire, mais directif, lui raconte ses faits d’armes de colleur d’affiches, créateur de réseau pour l’indépendance de l’Algérie puis membre du PPA (Parti Populaire Algérien) avant d’être arrêté à… Ain Temouchent probablement par le père du jeune lycéen, lui dira-t-il. Clin d’œil du destin.
Leutier épargne Abane
A la suite de ses visites, Leutier fut atteint d’une affection inconnue « Le Syndrome Abane » qui « le plongeait à Toulouse dans des visions aussi lucifériques que prémonitoires de l’avenir prochain de l’Algérie française ».
Le jeune Leutier, si brillant fut-il dans les études avec une licence en droit à 20 ans à un cheveu du doctorat et du barreau, refuse pourtant le sursis militaire et se jette dans la bataille de la guerre d’Algérie pour défendre le pays de ses « ancêtres ». Courageux, il gravit très vite les échelons jusqu’au grade de lieutenant.
Mais entre-temps il y a eu la nuit de Zelemta, près de Mascara. Il était alors aspirant et commandait une section composée de 3 groupes. Ils encerclèrent les mechtas dans une nuit sans lune. Un filet de lumière est perceptible à travers la porte de l’une d’elles. Ils l’encerclent. Leutier cassa la porte d’un violent coup de pied. Surprise : 4 hommes assis autour d’une lampe à pétrole. Ils sont paralysés, non par la peur comme le précisera Lantier, mais par la surprise.
Au premier coup d’œil, l’officier français reconnait Abane sous la capuche de sa Djellaba. Un autre membre du CCE, Dahleb est avec lui, tous deux en route vers le Maroc. Leutier peut d’une balle mettre fin à celui qui est présenté comme le cerveau de la Révolution algérienne, celui qui est derrière tous les malheurs des colons, celui qui veut bouter hors du pays tous les colons y compris son père et sa mère.
Mais lucide, Leutier sait d’avance que le combat est perdu et que Abane, pour l’avoir écouté, était le seul chef FLN qui il lui semblait ne pas être « hostile foncièrement à une participation active des pieds-noirs à la construction de l’Algérie nouvelle. » Il chargea alors ses hommes de fouiller les 3 autres, lui s’occupera d’Abane. Il le fouille « leurs regards se croisèrent, froids, presque hautains, visages marmoréens », découvre un pistolet automatique, mais fait comme si de rien n’était d’autant que les 3 autres étaient désarmés. S’il avait dénoncé Abane, les 4 amis auraient été embarqués et peuvent être exécutés.
Leutier n’est pas fier de lui. Il se sent traître. Mais « grâce à Ramdane », il avait pressenti avant tout le monde ce qui se profilait d’inéluctable. Dès lors, il n’avait pas jugé digne de sa conception de l’existence de procéder à l’arrestation du responsable de son « Syndrome ».
En vérité, un beau livre-hommage à Abane, le pur, Abane, le juste, Abane, l’irascible, Abane, l’impulsif, mais Abane l’incorruptible, Abane le génie politique qui aurait pu être le Mandela algérien.
Par:
https://www.tsa-algerie.com/lofficier-francais-et-le-syndrome-abane/
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