La Gloire
Mon beau dragon Mon lance-flammes
Mon tueur Mon bel assassin
Ma jolie brute pour ces dames
Mon amour Mon trancheur de seins
Mon pointeur Mon incendiaire
En auras-tu assez brûlé
Des hommes-torches et violé
Des jeunes filles impubères.
Broyeur de mort, lanceur de feu
Rôtisseur de petits villages
Mon bel envoyé du Bon Dieu
Mon archange Mon enfant sage
Bardé de cuir casqué de fer
Fusilleur Honneur de la race
Que rien ne repousse où tu passes
Mon soldat Mon fils de l'enfer
Va dans tes bêtes mécaniques
Écraser ceux qui sont chez eux
Va de l'Équateur aux Tropiques
Arracher le bonheur des yeux
Va, mon fils, va, tu civilises
Et puis meurs comme à Épinal
Sur une terre jaune et grise
Où nul ne te voulait de mal.
Pierre Seghers, 1957
Poème écrit pendant la guerre d'Algérie (1954-1962)
Le combat algérien
(1958)
À l'homme le plus pauvre
à celui qui va demi nu sous le soleil dans le vent
la pluie ou la neige
à celui qui depuis sa naissance n'a jamais eu le
ventre plein
On ne peut cependant ôter ni son nom
ni la chanson de sa langue natale
ni ses souvenirs ni ses rêves
On ne peut l'arracher à sa patrie ni lui arracher sa
patrie.
Pauvre affamé nu il est riche malgré tout de son nom
d'une patrie terrestre son domaine
et d'un trésor de fables et d'images que la langue
des aïeux porte en son flux comme un fleuve porte
la vie.
Aux Algériens on a tout pris
la patrie avec le nom
le langage avec les divines sentences
de sagesse qui règlent la marche de l'homme
depuis le berceau
jusqu'à la tombe
la terre avec les blés les sources avec les jardins
le pain de bouche et le pain de l'âme
l'honneur
la grâce de vivre comme enfant de Dieu frère des
hommes
sous le soleil dans le vent la pluie et la neige.
On a jeté les Algériens hors de toute patrie humaine
on les a fait orphelins
on les a fait prisonniers d'un présent sans mémoire
et sans avenir
les exilant parmi leurs tombes de la terre des
ancêtres de leur histoire de leur langage et de la
liberté. […]
Jean Amrouche
Les poètes et la guerre d’Algérie
« La guerre d’Algérie » a bien eu lieu, puis elle a prit fin il y a plus de cinquante ans. L’aurait-on oubliée?..
Qu’est-ce qu’un poète peut « écrire » de cette guerre? La poésie peut-elle « saisir »l’évènement ? Peut-elle le signifier ? Et nous-mêmes aujourd’hui qu’attendons-nous de tels écrits, de tels vers ? Que sommes-nous prêts à entendre de ses chants ou de son murmure?...
C’est ce serein défi que l’ anthologie (« Les poètes et la guerre d’Algérie ») entend relever en nous la remettant « en perspective »; en nous remettant en mémoire quelques aspects des solidarités de combat avec les humiliés : hommes, femmes, enfants, histoire, paysages et principes…
Tout commence par une photo en noir et blanc d’enfants d’Algérie, signée Jean Paul Viau. Emouvante et simple reproduction d’une fillette au foulard noué sur la tête qui porte un léger châle de laine blanche sur les épaules dont une fibule (une broche berbère) retient les extrémités sous la gorge.
Le titre du livre s’inscrit sur ce noir et blanc tel un fin nuage en bleu …
Une photo qui est un pan d’histoire, un moment de présence précieuse. Comme si ce souvenir du passé nous inondait du son profond du patrimoine. Notre patrimoine. Image qui ne représente pourtant qu’une fillette et un garçon derrière elle ;- s’ils sont encore vivants, ils auraient aujourd’hui atteint tous deux les soixante dix ans ou plus…
Puis une bonne poignée de pages de préface nous introduisent dans l’amitié de ce livre. On nous rappelle par exemple qu’à la fin des années 50 de jeunes poètes rassemblés autour de la revue marseillaise Action poétique (celle qui édita un numéro spécial contre la guerre d’Algérie en 1960), « pensaient que la poésie pouvait et devait changer le monde ».
Le préfacier qui fut enfant durant cette guerre, est un écrivain au long cours. Poète, membre du conseil de rédaction de la revue Europe pendant une dizaine d’années, directeur des éditions Le temps des cerises, initiateur de l’affichage de poèmes dans le métro parisien, traducteur, essayiste, critique et journaliste, Francis Combes est aujourd’hui directeur de la Biennale Internationale des Poètes du Val de Marne,- l’éditrice de l’ouvrage que nous présentons. Francis Combes, soit dit en passant, est ce poète français dont un recueil fut traduit à l’arabe par… Tahar Ouettar ! (« Errabi’ el azrek » : apprentis du printemps- Aljahidhiya, Alger, 2009)
« Les poètes et la guerre d’Algérie » s’étire sur plusieurs chapitres. Le premier ouvre sur les poètes français contre la guerre. Le second est un « Hommage à Maurice Audin ». Le troisième est consacré à 13 poètes algériens (1954-1962). L’avant dernier chapitre présente quatre poèmes traduits de l’arabe. Le dernier, enfin, un poème traduit du kabyle et des boqalat. Suit un index des quarante quatre poètes du recueil avec une courte biographie pour chacun. Un travail soigné et méritoire qu’on aurait aimé voir dans quelques vitrines de nos librairies, pour le plaisir de le feuilleter, l’acheter et l’offrir à nos ados…
Pour un premier envoi, nous choisissons choisissons quelques poètes français en « éclaireurs ». [Revenir plus tard sur la suite….]
Le premier poème qui ouvre l’ouvrage est de 1952…
L’aube comme un cheval
Se mit sur les genoux
Devant nous
Alger se leva
L’Afrique à sa fenêtre
Nous regardait entrer
Je ne venais pas comme un frère
J’étais en uniforme […]
Le poème est signé de Jacques Dubois, officier de réserve durant la guerre d’Algérie et qui fut insoumis…
Le second, d’Alain Guérin, relate l’assassinat de l’Algérien Belaid Hocine, le 28 mai 1952 lors de la manifestation contre la venue à Paris du général américain Ridgway…
Suivent les vers de la journaliste Madeleine Riffaud, résistante à 18 ans, journaliste de la guerre d’Algérie et du Vietnam, qui ont la transparence de l’éternel.
Madeleine Riffaud et Picasso en 1956
On les tue par le feu, l’eau, l’électricité
Eux qui vécurent loin des sources
En rêvant d’eau toute leur vie
Eux qui grelotaient, sans charbon
Au soleil glacé du Mouloud.
Eux qui veillaient sans lumière
Au fond d’un bidonville obscur
La première fois qu’il vit
De près
Une baignoire
Fut le dernier jour de sa vie (écrit-elle en septembre 1955)
Elle qui durant la résistance au nazisme avait pris les armes puis avait écrit un poème resté fameux dans les annales de la poésie de résistance :
« Neuf balles dans mon chargeur
Pour venger tous mes frères
Ça fait mal de tuer
C’est la première fois
Sept balles dans mon chargeur
C’était si simple
L’homme qui tirait l’autre nuit
C’était moi »
« Femmes avec fusils »
Suit un poème d’Aragon, « … Il rêve à l’Algérie », extrait du Roman inachevé (1956).
Puis « Pour la paix » de Maurice Cury :
[…] Ils nous offrirent des décombres
Et la mort à pleines brassées
Nos tout puissants ministres de la peur
Nos anciens guerriers nostalgiques
Désiraient que nous devinssions
Des tueurs et des tortionnaires
Contre les peuples opprimés
Qui désiraient leur liberté […] (octobre 56)
Puis ce magnifique extrait d’un poème d’Henry Deluy :
[…] C’est pourquoi
Nous pour qui la parole est un acte
Nous avons fait notre choix parmi les mots
Parmi les plus abstraits
Les plus difficiles
Ensemble nous avons mis la paix
dans nos projets d’avenir
Au devant de la porte
Ensemble nous avons mis la Paix dans l’immédiat
Dans l’armoire quotidienne
Avec le linge des enfants.
(in la revue Action Poétique, 1960)
Le spécial « guerre d’Algérie », n° 12, de décembre 1960 (on y reconnait le nom d’anna Gréki)
Mais que peut la poésie, contre la guerre ?
La poésie est peut être comme l’eau des ablutions qui sert à « ouvrir » l’être à la Prière. Celle de la paix. Celle de la reconnaissance de l’Autre. Celle qui aide à ne pas perdre pied dans les moments horribles et, comme une plante, croit au changement, appelle ce changement, participe à le réaliser. Avec peu. Et peu à peu…
Voilà ce qu’écrit Gabriel Cousin, un poète que Claude Roy aida à publier son premier recueil…
La femme de Maurice Audin regarde le silence. Djamila Bouhired écoute le ciel chaque matin
Et vous mon cher collègue ?
Oh ! Moi, vous savez à Pâques cette année j’ai choisi la Toscane. La terre de Sienne n’est pas encore si rouge que cela !
Et vous ?
La misère espagnole est si curieuse….
Et vous ?
La truite. La truite. Le silence. Les cheveux de l’eau. Une connaissance lente et fidèle comme pour une femme….
Ah ! Quand donc les gens de mon pays… les braves gens, bien sûr… recevront-ils la petite semence de l’inquiétude qui fait lever l’intolérable angoisse de l’injustice
Et ainsi de suite, des poètes femmes, des poètes hommes, vont de constat en dénonciation, de colère en étonnement, d’invocation en espoir à main solidaire sur prés de 170 pages ; ces pages qu’on respire et respire encore un demi siècle après ces longues et terribles années que les responsables nommaient « les évènements » pour ne pas dire et laisser dire que c’était la guerre ….
Abderrahmane Djelfaoui
https://djelfalger.blogspot.com/2015/03/les-poetes-et-la-guerre-dalgerie.html
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