Jean-Michel Devésa « écrit l’Algérie », cher pays de son enfance
Le deuxième roman de Jean-Michel Devésa, « Une fille d’Alger » édité en 2018 par Mollat, est un livre fort qui traite un sujet que la littérature, comme l’histoire, a de la peine à aborder : la guerre d’Algérie. Il le fait au travers de l’histoire d’une femme Hélène Samia Lapérade dont la généalogie est complexe – franco-algérienne pour dire vite, à cheval sur deux cultures, sur deux langues ; elle fuit l’institution religieuse où on l’a reléguée pour se retrouver dans un bordel, Les Andalouses, où sa beauté fait merveille et séduira l’amant de la patronne, comme elle devra fuir l’Algérie pour venir échouer à Bordeaux.
L’évocation des clients, celle d’Alger, tout autour, en proie aux affres d’une guerre qui ne dit pas son nom, les menaces du Front de libération nationale (FLN), celles de l’Organisation de l’armée secrète (OAS), l’armée partout présente, et là-bas, très loin, à Paris, les intrigues politiques et les décisions prises sans toujours que soient envisagées les conséquences humaines qu’elles auront, la violence partout présente qui se déchaîne – tout cela est abordé avec une grande lucidité.
Un monde de couleurs, de bruits, d’odeurs, qui grouille de vie et dont on se prend à rêver qu’il aurait pu durer si… Mais il faudra partir dans la panique des derniers attentats et avec le sentiment d’avoir été abandonnés pour tenter de survivre dans ce pays étranger qu’est la France métropolitaine.
Souvenirs…
Le livre de Jean-Michel Devésa n’est en rien didactique ; il donne à voir plus qu’il ne cherche à démontrer. Cela tient sans doute à ce que l’histoire d’Hélène Samia se tisse avec les souvenirs du narrateur – souvenirs très lointains d’une enfance algérienne, d’une généalogie elle aussi complexe, auxquels viennent se mêler les images plus récentes d’une Algérie écrasée dans le ressentiment et la sclérose qui ne laissent plus grande place au passé.
L’histoire d’Hélène Samia est rapportée à la première personne. Alors que celui qui se nomme lui-même le narrateur, le conteur, parle de lui à la troisième personne – ce qui crée une sorte de décalage qui peut déranger mais qui me paraît avoir l’intérêt de mettre une distance entre l’auteur et le scripteur, et d’éviter ainsi toute la complaisance de l’auto-fiction.
… et nostalgie
L’écriture de Devésa s’attarde à décrire le dérisoire décor dans lequel vit Hélène Samia, les fards et les cosmétiques qui la magnifient dans les différents rôles qu’elle tient et dont elle se défait pour vivre ce qui a été sans doute son unique amour, avec Raymond Rossi, mais qui, toujours, s’ouvre sur le bleu de la mer et les bruits du dehors :
« Alors que deux ou trois oiseaux strient la portion d’azur délimitée par la baie de la pièce où se tient Hélène Samia et que halète la Méditerranée – l’eau qui vient mourir sur la minuscule bande de plage coincée entre la falaise sur laquelle est bâti Beau-Rivage et les éperons rocheux affûtés ou sculptés en vasques et le son plus mat du ressac –, cet infini geignement n’est entrecoupé que par les exclamations des enfants de la famille dont la parcelle est mitoyenne avec le mur d’enceinte de la propriété de Raymond. »
Mais la nostalgie est partout présente – peut-il en être autrement quand le pays évoqué fut celui de l’enfance, heureuse ou malheureuse ?
Ce n’est pas un hasard si le bordel porte le beau nom de Les Andalouses – vieux mythe d’une fusion réussie entre les différentes cultures méditerranéennes – et si, dans le lit des filles, défilent les soldats comme les combattants du FLN, ceux qui vont fuir et qui pleurent et ceux qui s’apprêtent à toutes les compromissions pour sauver leurs intérêts, oubliant pour un court instant la guerre à laquelle ils se livrent.
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