De l'Ugema à l'Unea.Témoignage sur le mouvement étudiant (1959-1965). A la mémoire de Houari Mouffok, Président de l'Unea. Essai de Ahmed Mahi. Inas Editions, Alger 2014,143 pages, 650 dinars
Actuellement, les organisations estudiantines pullulent... chacune d'entre elles se (re-) trouvant liée directement à un parti politique... chacune d'entre elles défendant une vision idéologique du devenir de la société... en général assez proche de celle du pouvoir en place (et de ses «associés»). Pluralisme oblige ! Ce n'est pas une tare
mais c'est peut-être mortel pour l'unité d'action et cela donne une Université plus plongée dans des querelles (il y en eut de sanglantes, hélas) d'hégémonie et de basse intendance que de promotion du savoir, de la recherche
et du progrès. Il est vrai que la plupart ( sinon tous) de nos étudiants ont peu connaissance de l'Histoire (avec ses luttes et ses moments héroïques) du mouvement étudiant... tout particulièrement celui de l'Aeman, de l'Ugema puis de l'Unea (Historique). Ils comprendraient alors que tout mouvement estudiantin ne peut avoir de présence, d'influence, de dynamisme et de durabilité qu'indépendant ou au moins autonome de tout parti politique. Tout en étant très engagé dans la lutte sociale. L'Unea ( Historique) elle-même en a souffert à certains moments, mais avait réussi, malgré tout, à préserver un minimum d'autonomie politique... ce qui a valu à l'organisation, à ses dirigeants et militants (surtout ceux de gauche, connus pour être engagés juqu'à l'entêtement) bien des avanies, et bien plus. Houari Mouffok, militant au sein de l'Ugema dès 1959, aux convictions marxistes claires, est le premier et unique président de l'Unea élu démocratiquement à la tête du Comité exécutif en septembre 1963 (après le 5è Congrès de l'Ugema). «A l'intelligence brillante et à la modestie exemplaire», il a souffert le martyre. La prison et la torture (après le coup d'Etat du 19 juin 1965 et le coup «fourré» des Marocains qui l'avait livré) l'ont totalement brisé, séparé de sa famille et de ses deux enfants en bas âge, délesté de son domicile,... il est décédé en décembre 2013, et n'avait jamais récupéré. Fin triste et non pas triste fin. Il avait, pour ainsi dire, perdu la raison. Sera-t-il réhabilité un jour ? On en doute, car ce n'est pas dans les habitudes de notre système. Le pouvoir de l'époque (celui du FLN et de Ben Bella) avait déjà averti les étudiants et leurs dirigeants : «C'est bien d'être sérieux, mais il ne ne faut pas vous prendre au sérieux» ( Chérif Belkacem dixit, alors ministre de l'Enseignement supérieur recevant une délégation dont faisait partie l'auteur). Celui de Boumediène ne supportant aucune opposition ou même simple contestation politique, tout particulièrement au départ, fit le reste.
L'auteur : Natif de Mechria (Nâama) en 1934, A. Mahi étudia à l'Université technique de Dresde (RDA) où il obtint les diplômes d'ingénieur et de Dr ingénieur. Cadre supérieur dans le secteur de l' énergie, entre autres... un long parcours militant dans les rangs des étudiants (Ugema puis Unea). Membre fondateur et de la direction du Pags.
Avis : A lire (même si ça fait un peu rapport administratif
vérité historique oblige) par tous ceux qui ne savent pas que le mouvement étudiant, avec l'Ugema puis l'Unea, a été, jusqu'en 1965, un creuset et un moteur de progrès
sur lequel il fallait compter
puisqu'il fallait «casser». A lire aussi son entretien in Le Soir d'Algérie du mardi 23 décembre 2014, signé Brahim Taouchichet.
Extraits : «L'engagement signifiait la conscience de la liberté individuelle et collective, le respect de la liberté de pensée, donc de la pratique démocratique et que tout engagement, dans notre pays, doit s'inscrire dans le sens du progrès et de la justice sociale» (p 6). «Quand les facteurs de tension s'exacerbent au sein des tenants du pouvoir, ils produisent le recours à la violence pour (...) les dépasser et trancher uniquement les problèmes de rapports de force ou de personnes» (p 65). «La liberté, c'est la conscience de la nécessité» (Entretien Le Soir d'Algérie, op.cité, p 6)
COMBATS ETUDIANTS POUR L'INDEPENDANCE DE L'ALGERIE. Unef-Ugema (1955-962). Etude de Dominique Wallon. Casbah Editions, Alger 2014, 235 pages, 880 dinars
Un itinéraire engagé. Bien plus, militant. Celui d'un «fils de très bonne famille», de la moyenne bourgeoisie française parisienne qui découvre peu à peu le combat politique et surtout la lutte pour l'Indépendance des Algériens... à travers les activités des Etudiants, représentés par l'Unef (une organisation... globalement de gauche, créée en 1907, une des plus vieille Union nationale d'étudiants du monde). Une évolution en phase avec l'organisation qui ne s'est pas engagée tout de suite et franchement, jusqu'en 56, car dirigée par une tendance apolitique même s'il y avait une forte sympathie.
1956 : 2è Congrès du 31 mars. L'Ugema s'engage résolument par une motion politique plus que claire pour l'indépendance et les négociations avec le FLN. 18 mai, grève illimitée des cours et appel pour rejoindre les maquis... L'Unef reprend le dialogue avec l'Ugema, ce qui aboutit à une déclaration commune (5 juillet) «empreinte d'humanisme» mais un peu tiède, insuffisante pour servir de base politique durable au partenariat des deux organisations. Heureusement, la réflexion politique va avoir lieu dans un cadre ad hoc (avec pour participants, entre autres, François Borella, Robert Chapuis et Jacques Julliard). Résolution politique : le droit du peuple algérien à l'indépendance est reconnu.
Décembre, une autre rupture, l'Ugema demandant une position claire sur la nécessité de négociations politiques avec le FLN..
1960 : Reprise des relations et appel à des manifestations unitaires (27 octobre). L'Unef va alors s'affirmer en toute indépendance des partis politiques, comme une organisation «audacieuse et responsable» avec un grand pouvoir de mobilisation des étudiants et d'attraction de militants déterminés.
Partie à ne pas rater : la découverte par l'auteur (et Bruno Etienne) en avril 60 de l'Algérie coloniale par le biais d'une visite «organisée» par l'Amicale de l'Iep d'Alger, une Amicale, «Algérie française, mais pas du tout fasciste comme l'AGE d'Alger» : Impression retenue «très pénible, sinistre et révoltante à la fois, d'une répression victorieuse dans un pays occupé militairement à un degré que la France elle-même n'avait pas connu entre 1940 et 1944». C'est tout vu ! C'est bien dit !
L'auteur : Né en juin 1939, diplômé de Sciences Po' Paris, ancien de l'Ena, D. Wallon a été vice-président «Algérie» de l'Unef en 1960-1961, puis président en 1961-1962, par la suite. Auteur de nombreux rapports consacrés à la Culture, il est depuis 2003 président fondateur du Festival des Cinémas d'Afrique du pays d'Apt.
Avis : Beaucoup de détails inintéressants sur la vie de l'auteur, mais l'essentiel y est. En bonne place. Donc à lire pour avoir toutes les versions de l'Histoire. Des documents importants : la déclaration commune Unef-Ugema faite à Lausanne le 6 juin 1960, celle commune Ugta, Ugema-Cgt, Unef du 17 février 1961, et la deuxième déclaration commune Unef-Ugema du 21 juin 1961.
Extraits : «Toute l'histoire interne de l'Unef, de 1956 à 1962, va être celle d'une action continue et tenace des dirigeants de la gauche syndicale pour amener la majorité des étudiants sur une position syndicale contre la guerre, puis pour des négociations de paix avec le FLN, et finalement l'indépendance» (p 43). «Pour l'Unef, le bilan de ces années de lutte, de ce dialogue avec l'Ugema, est exceptionnellement riche (...). Il restera longtemps au crédit de ce monde étudiant et de son organisation syndicale d'avoir contribué, avec une force bien plus grande que son importance objective, à sauver quelque chose de l'honneur d'une France empêtrée dans une guerre coloniale dont elle a mis tant de temps à comprendre la nature et la fin inéluctable» (p 181).
LA VILLA SUSINI.TORTURES EN ALGERIE. Un appelé parle, juin 1961-mars 1962. Mémoires de Henri Pouillot (Préface de Berbard W.Sigg). El Kalima Editions, Alger 2014,181 pages, 600 dinars.
Le 27 janvier 2001, un film, «Le général de Bollardière et la torture» est (enfin) projeté dans une salle parisienne
comble. Après la projection, le débat. Victimes survivantes, témoins passifs, exécutants tourmentés... Puis, un homme se leva au fond de la salle et dit alors : «Je fus de ceux-là, des tortionnaires, et c'est vrai». Le livre venait de naître.
Il a fait une partie de son service militaire, de juin 1961 à mars 1962... à la Villa Sésini (Susini) qui avait comme lieu de «stockage», comme «centre de transit» proche, le fort de Dar el Mahçoul... et a donc été un témoin direct de la torture pratiquée. Dix mois qui furent pour lui un enfer, une galère «qui marque une vie d'une façon indélibile».
Il raconte son «baptême» qui survient le surlendemain de son arrivée, le dimanche, à Alger. Un appelé du bataillon se fait tuer à Belcourt. Les autres casernements, informés de l'attentat, s'organisent en petits groupes pour des représailles afin, disent-ils, de «venger le copain»... Bilan oral déclaré : 400 personnes exécutées. Bilan officiel rapporté par la presse (à l'époque, surtout la radio, Europe 1) : «Nombreux tirs entendus tout au long de l'après-midi. Lors du bouclage du quartier, quatre Algériens ont été tués en tentant de fuir...». La guerre d'Algérie, la vraie, venait d'être découverte et surtout, «plein de choses» : Des pratiques courantes d'exécutions d'otages civils innocents, la haine et le mépris du «bougnoule», une hiérarchie militaire qui «couvrait», sans états d'âme, des appelés devenus capables d'horreurs, de sang-froid, l'impossibilité de faire part de son opposition, un sytème d'information complètement truqué. Le ton est donné. Et il n'y a pas que la torture (dont les Français ont réussi à «exporter» avec Aussaresses et consorts qui ont transmis leur «savoir-faire» à la dictature d'Argentine) mais aussi la corvée de bois (exécution sommaire sans procès), le «largage» de prisonniers d'avions ou d'hélicoptères, les camps d'internement dénommés de «regroupement», les «descentes» dans les domiciles accompagnées presque toujours de coups, de vols, d'humiliations et parfois de viols. «Il était possible de tout faire» !
L'auteur : Dixième d'une famille de la campagne solognote (France) de onze enfants, H. Pouillot est un ingénieur de formation, militant des droits de l'homme, antiraciste et anticolonialiste, actuellement retraité,... 40 ans après, il livre ses souvenirs, ses regrets et sa honte. Une manière de chercher la voie de la guérison ?
Avis : Dur à lire ! Un texte simple mais tendu qui met en exergue l'insidieux endoctrinement de l'époque, la situation coloniale et les manipulations de l'encadrement qui ont créé des hommes tortionnaires ou/et criminels dans l'armée d'occupation en Algérie
Extraits : «La réputation de la Villa Susini restera, pour l'histore de la France, une citadelle aussi sinistre que les camps de déportation gérés par la Gestapo pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle demeurera «célèbre» pour ses exactions» (p 69). «La vie d'un Algérien était tellement une notion secondaire» (p 101). «Si la torture a été une institution, pendant la guerre, c'est bien parce qu'au plus haut niveau elle était considérée comme un élément stratégique de base» (p 115). «C'est sous le prétexte de «raison d'Etat» que la torture a été occultée, pendant et après cette guerre (
). L'information a souvent été «adaptée» pour répondre à cette préoccupation» (p 163). «Le colonialisme qui s'est développé en Algérie a institutionnalisé une forme d'esclavage» (p 165)
par Belkacem Ahcene-Djaballah
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