Document inédit du procès de l’Organisation spéciale à Annaba en juin 1951
C’est un document d’une inestimable valeur historique pour le spécial 1er Novembre, 60e anniversaire du déclenchement de la Révolution. Ce sont les minutes du procès de l’Organisation Secrète (OS) dont l’audience s’est déroulée du 11 au 30 juin 1951 au tribunal correctionnel de Bône (Annaba).
Ce qui est connu sous l’intitulé «Affaire Benzaïm et 134 autres», - «poursuivis pour avoir depuis un temps, dans le département de Constantine, entrepris par quelque moyen que ce soit de porter atteinte à l’intégrité du territoire français ou de soustraire à l’autorité de la France une partie des territoires sur lesquels cette autorité s’exerce», reproduit une tranche importante de notre histoire, celle du 1er Novembre 1954, le grand coup de baroud qui a arraché l’Algérie aux mains du colonialisme.
Le procès reproduit dans le document, dont nous avons obtenu une copie, série certes une somme de faits et d’informations (pour la justice coloniale ce sont autant de charges contre les prévenus) sur la préparation du déclenchement de la Révolution, mais rafraîchit également la mémoire pour les amnésiques : l’indépendance a été gagnée par des hommes engagés, décidés et prêts à se sacrifier pour que les Algériens vivent libres.
Mohamed Bezaïm et les 134 autres «prévenus» étaient donc poursuivis aussi par l’administration coloniale «pour détention sans autorisation d’armes et minutions de guerre et d’explosifs dans les mêmes circonstances de temps et de lieu». «Les minutes du procès», un précieux document historique, feront ainsi ressortir des noms de ceux qui allaient conduire la Révolution algérienne.
Le 11 juin 1951, l’audience commença au tribunal correctionnel de Annaba. Les juges coloniaux examinaient d’une part l’organisation secrète dite «OS», notamment le cas des prévenu «Belhadj, Ben M’hidi, Didouche, Boudiaf, les autres chefs n’ayant pu être identifiés, d’autre part l’activité déployée par tous les autres au sein des différentes sections».
Sur l’OS et ses responsables, le compte rendu donne aux historiens un véritable matériau pour reconstituer l’histoire du 1er Novembre et révèle aux Algériens que celui-ci n’est pas tombé du ciel, mais était le fruit d’énormes sacrifices consentis par des hommes prêts à mourir pour l’indépendance du pays.
Pour reproduire le langage du document en notre possession : «Il ressort des éléments de la cause qu’après la naissance du parti politique dit MTLD (Ndlr : Manifeste pour le triomphe des libertés démocratiques, créé après la dissolution du Parti du peuple algérien), un des chefs du mouvement, un certain Madjid non identifié (Hocine Aït Ahmed) imagina de créer une formation paramilitaire appelée d’abord Groupe de Choc, puis OS dont le but était de parvenir à la libération de l’Algérie par la force ou la violence».
«L’action politique menée jusqu’alors s’étant révélée inefficace, ces groupes paramilitaires bien entraînés», ajoute la même source, projetaient «en outre de constituer le cadre d’une armée de libération qui, en cas de conflit intérieur ou extérieur, s’appuierait sur la masse de la population musulmane». On y lit aussi que «cette organisation paramilitaire fortement hiérarchisée et disciplinée s’étendit d’abord à l’Algérois, puis à l’Oranie et au Constantinois». «Elle se subdivisa en zones, régions, sections, groupes, demi-groupes et enfin, élément de base, l’organisation était secrète avec cloisonnement dans le sens vertical ; les membres de base ne connaissant que leur chef de demi-groupe et de groupe et ainsi de suite».
- Quand l’insurrection se mettait en place
«Les minutes de l’affaire Benzaïm» soulignait : «L’organisme central envoyait périodiquement aux responsables locaux des contrôleurs qui furent successivement dans le département de Constantine : Boudiaf Mohamed dit Tayeb, Ben M’hidi Larbi dit Lakhdar, Brahim et Lakhdar non identifiés, et enfin Didouche Mourad dit Abdelkader». «Le prévenu Belhadj Djilali, instructeur national sous les ordres de Madjid (le nom de guerre de Hocine Aït Ahmed) qui a dirigé des pelotons d’instruction militaire en présence de celui-ci et de chefs départementaux, effectuait des inspections dans les trois départements des sorties en campagne, notamment à Chenoua, sortie à laquelle participait entre autres Mohamed Benzaïm, chef de la région de Bône».
Belhadj affirmait à cette époque déjà, trois ans avant le déclenchement de la lutte de Libération nationale, dans ses aveux consignés dans le document que «le but final poursuivi était l’insurrection en vue de l’indépendance». En ce qui concerne Larbi Ben M’hidi, dit Lakhdar, et Mohamed Boudiaf, dit Tayeb, il apparaît dans les documents saisis par les autorités coloniales, et «les aveux des personnes arrêtées», qu’ils étaient tour à tour contrôleurs du département de Constantine, que le rôle de Boudiaf a été précisé. «Il a chargé Benzaïm de recueillir à des fins très spéciales des renseignements sur le personnel militaire et policier et sur des notabilités européennes et musulmanes».
Pour ce qui est de Didouche Mourad, «il était envoyé périodiquement en mission dans le département de Constantine pour contrôler les sections locales, sanctionner les manquements à la discipline et surtout recevoir, masqué d’une cagoule, le serment de fidélité des éléments et des chefs». Didouche Mourad, selon le compte rendu de l’audience, a procédé à des distributions d’armes, en particulier une mitraillette à Benzaïm et plus de 10 mousquetons et 800 cartouches de guerre à Benzaïm et Boukerma de Philippeville (actuelle Skikda).
Le but de l’organisation, mentionne-t-on, est la «création d’une organisation prémilitaire pour un prochain soulèvement», «parfaire l’instruction militaire pour l’employer contre le Français le jour de la révolte», «le jour de la révolte attaquer les forces militaires et les services de police. N’abattre les civils qu’en cas d’opposition armée, préparer le soulèvement pour la libération de l’Algérie, s’entraîner pour combattre les Français par les armes et les chasser». Se basant sur les déclarations des membres de l’OS, l’administration coloniale a conclu : «Il n’y a pas d’équivoque sur les buts poursuivis». Ce qui explique, selon elle, «le caractère secret et fortement hiérarchisé de l’organisation».
L’objectif était donc d’ores et déjà clair : l’indépendance de l’Algérie. Les Didouche, Ben M’hidi, Boudiaf et les autres membres et partisans de la lutte armée mettaient, en effet, en place les conditions de l’insurrection. Lors de l’audience de juin 1951 à Annaba, la justice coloniale a annoncé d’ailleurs «la découverte d’une grande quantité de documents, d’armes, de munitions et d’outils, documents sur l’art de camoufler, de la guérilla, de se déplacer, d’utiliser le terrain, sur les tirs, listes de notabilités européennes et musulmanes à neutraliser en cas d’événements graves, document sur le service secret SSA de la libération algérienne».
Didouche, Boudiaf, Ben M’hidi, Badji Mokhtar et les autres
Dans les «minutes du procès» de l’Organisation secrète, dans ce qui est appelé à l’époque le département de Constantine, on retrouvera aussi le nom de Badji Mokhatar, chef de la section de Souk Ahras, de Zighoud Youcef, chef de la section de Gondé Smendou, Bentobal, chef de la section de Mila. Le procès s’est terminé par la condamnation de ceux qui allaient devenir les chefs de la Révolution.
Selon le document en notre possession, Bakkouche Abdelbaki, Ben Mohamed, Benmostefa Ben Ali, Guerras Abderrahmane, dit Mokhtar, Zighout Youcef, Ben Saïd, Didouche Mourad, dit Abdelkader, Boudiaf Mohamed, dit Tayeb, Ben M’hidi Larbi, dit Lakhdar, Habachi Abdeslam, dit Kebache, Boudjaja Ali Ben Belgacem, Graïcha Cherif Ben Leulmi, Rikouah Brahim Ben Mekki, Chougui Youcef Ben Brahim, Gueribi Larbi Ben Ahmed, Gueribi Ali, Hamoudi Larbi, Bitat Rabah Ben Mostapha dit Si Salah, et Bentebal Slimane, ont été «tous déclarés coupables d’atteinte à la sûreté de l’Etat». Ils ont écopé de deux ans de prison et transférés à la prison de Barberousse (actuel Serkadji) à Alger. Ce sont eux qui déclencheront le 1er Novembre 1954. La plupart meurent au combat, mais après 52 ans d’indépendance, «heureux les martyrs qui n’ont rien vu».
Said Rabia
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