La commission des affaires étrangères a examiné le présent rapport d’information au cours de sa séance du mercredi 30 octobre 2013.
Mme la Présidente Elisabeth Guigou. Nous examinons ce matin le rapport d’information de la mission d’information sur l’Algérie, une mission de huit membres, présidée par Axel Poniatowski et dont le rapporteur est Jean-Pierre Dufau.
Nous avons créé cette mission il y a un peu moins d’un an, dans un contexte particulier. L’Algérie venait de célébrer, quelques mois auparavant, le cinquantenaire de son indépendance et le Président de la République s’apprêtait à effectuer à Alger et à Tlemcen la première visite d’État de son mandat.
Le choix de cette destination n’était pas anodin. Au-delà du symbole, un des buts de la visite était, notamment, de réchauffer la relation bilatérale, laquelle avait été quelque peu détériorée les mois et années précédents.
Sur le plan intérieur, les derniers mois ont été particulièrement mouvementés en Algérie. La longue hospitalisation du Président Bouteflika et les conditions de son retour suscitent de nombreuses interrogations alors même que l’Algérie est supposée entrer dans une année électorale capitale, en 2014.
Nous sommes donc désireux d’avoir l’analyse de la mission d’information sur ces questions.
M. Axel Poniatowski, président de la mission d’information. Il nous est apparu intéressant de travailler sur l’Algérie, pays avec lequel nous avons une histoire commune particulière. Il y a à peu près 5 millions d’Algériens ou de personnes d’ascendance algérienne qui vivent aujourd’hui en France.
Je tiens à remercier les membres de la mission : Jean Pierre Dufau, notre rapporteur, Philippe Baumel, Jean-Claude Buisine, Jean-Claude Guibal, Françoise Imbert, Jean-Luc Reitzer et Odile Saugues.
Sur huit mois, nous avons mené une vingtaine d’auditions et vu une quarantaine de personnes. Nous en avons rencontré une cinquantaine lors de notre déplacement à Alger, en mars dernier.
M. Jean-Pierre Dufau, rapporteur de la mission d’information. Pour introduire ma présentation, je tiens à reprendre une citation d’Abdelaziz Bouteflika datant de 1974 et mise en exergue de notre rapport : « les relations entre la France et l’Algérie peuvent être bonnes ou mauvaises, en aucun cas elles ne peuvent être banales ».
Nous avons voulu, de la manière la plus objective qui soit, dresser le tableau des relations franco-algériennes.
Bien sûr, la dimension historique a été abordée, ne serait-ce que pour montrer le poids de 132 ans de relations communes et passionnelles. Ce mot est particulièrement adapté en ce qui concerne l’Algérie. On ne peut comprendre la relation bilatérale actuelle sans connaître le passé.
Le pouvoir politique en Algérie s’est construit en opposition à la France. Il faut avoir cela en tête avant de s’intéresser à ce pays. Cela permet de mieux comprendre certains modes de fonctionnement. Je pense notamment à cette hantise d’un complot français aux visées néocoloniales. Une telle thèse a été ressortie par la presse algérienne mais aussi par une partie de la classe politique algérienne au moment de l’intervention au Mali.
En France aussi, l’Algérie est encore très présente sur notre scène politique. Le rapport rappelle le poids de groupes tels ceux des anciens combattants, des pieds noirs ou des harkis et l’impact de ce « fait algérien » sur notre agenda politique avec l’examen de plusieurs lois mémorielles au cours des 20 dernières années. Nous n’avons pas souhaité rouvrir les débats qui ont été menés à ce sujet. Nous avons estimé que notre mission n’avait pas cet objet-là.
Mais outre l’histoire, la relation franco-algérienne est marquée par l’existence d’un extraordinaire « espace commun » entre les deux pays. Et ce point a beaucoup attiré l’attention de la mission d’information qui a pu se rendre compte du lien dense et dynamique entre les populations : les ressortissants algériens, les double nationaux, les descendants d’Algériens mais aussi les pieds noirs, représentent largement 5 millions d’habitants, soit près du dixième de la population française.
Et puis il y a la langue française, ce « butin de guerre » très combattu par le pouvoir algérien les premières années de l’indépendance mais qui demeure un atout significatif aux yeux de bon nombre d’Algériens. On a pu s’en rendre compte en visitant l’Institut français d’Alger, qui est littéralement submergé de demandes d’inscriptions aux cours de français !
De ce poids de l’histoire, de ces liens extrêmement étroits, est née, bien évidemment, une relation compliquée. Nous revenons, sur l’histoire « sinusoïdale » des relations bilatérales depuis l’indépendance. Une constante nous a d’ailleurs frappés : au cours de la dernière décennie, à chaque fois que les relations ont eu l’air de s’améliorer (ce fut le cas avec les présidents Chirac en 2003 et Sarkozy en 2007), un événement est survenu dans la foulée pour tendre à nouveau les relations et nuire aux progrès accomplis. Cette « malédiction » va-t-elle frapper la visite de François Hollande en décembre 2012 ? Pour le moment, tout se passe bien et le rapport revient, sur les principaux aspects et résultats de cette visite.
Enfin, la fin de cette première partie consacrée aux relations franco-algériennes traite des coopérations qui, selon la mission, doivent ou peuvent être approfondies ou poursuivies.
Nous avons retenu quatre thèmes structurants.
Tout d’abord, la dimension humaine, c'est-à-dire, par exemple, les thématiques relatives à la circulation, au séjour ou à la coopération judiciaire. Il y a là beaucoup de progrès possibles. En faveur, certes, des ressortissants algériens mais aussi de nos compatriotes qui ne se voient pas appliquer les textes favorables auxquels leur nationalité française devrait leur donner droit. Notre rapport invite à des efforts des deux côtés mais ne passe pas sous silence les carences algériennes.
La langue française, l’éducation et la culture sont également un des enjeux de coopération que nous avons voulus évoquer. Parce que la relation franco-algérienne est spéciale, au même titre que peuvent l’être les relations avec l’Allemagne ou le Québec, la création d’un Office franco-algérien de la jeunesse nous semble, à terme, nécessaire. La jeunesse représente assurément un axe fort sur lequel il faut travailler. De nombreux projets sont en cours comme la création d’un réseau d’instituts d’enseignements supérieur technologique en Algérie – une vingtaine – et il faut accroître la mobilité vers les universités françaises.
Sur le plan linguistique, le rapport revient sur la présence du français en Algérie, le 2ème pays francophone au monde (avec 16 millions de locuteurs). Pour des raisons politiques, ce pays n’est pas membre de la Francophonie. Toutefois, on pourrait imaginer d’associer le parlement algérien aux travaux de l’Assemblée parlementaire de la francophonie. Nous avons suggéré cela lors de notre déplacement. Cette proposition ne semble pas avoir été mal accueillie mais l’on ne doit pas avoir d’illusion quant aux chances que cette initiative puisse rapidement se concrétiser.
Le rapport examine ensuite les relations économiques franco-algériennes. Il fait le point sur l’équilibre des échanges entre les deux pays mais aussi sur les difficultés que rencontrent nos entreprises. Nous avons auditionné Jean-Pierre Raffarin représentant spécial pour les relations économiques entre la France et l’Algérie. Nous avons également rencontré des entrepreneurs français en France et lors de notre déplacement à Alger. Nous avons essayé de recenser leurs difficultés mais de voir aussi les potentialités qu’offre le marché algérien. Assurément, la France a des atouts, notamment la langue et une proximité culturelle sur laquelle nous devons capitaliser.
Enfin, le rapport traite du thème de la sécurité. Comme en matière économique, la France et l’Algérie ont des intérêts convergents. L’opération Serval a permis un rapprochement avec des gestes algériens appréciables. Il faut espérer qu’il puisse en aller encore ainsi à l’avenir, en particulier dans le cadre du traité de coopération militaire signé en 2008 et ratifié en février dernier.
La seconde partie du rapport est plus délicate que la première puisqu’elle traite des affaires intérieures algériennes. Il ne s’agit pas évidemment de formuler des recommandations sur la marche à suivre en Algérie.
Dans un premier temps, nous avons voulu comprendre pourquoi l’Algérie était restée à l’écart du printemps arabe de 2011.
Les causes sont multiples. Nombre d’Algériens disent qu’ils ont déjà eu leur printemps en 1988. Ensuite, les autorités ont été habiles face aux manifestants en achetant la paix sociale. De manière plus structurelle, il existe, en Algérie, des « soupapes de sécurité » comme une réelle liberté de la presse, laquelle ne se prive pas de critiquer les autorités. Je pense notamment au caricaturiste Dilem. Le souvenir de la décennie noire a également beaucoup joué dans ce « rejet » du « printemps arabe » de 2011. Contrairement à la Tunisie, à la Libye, à l’Égypte ou à la Syrie, la population n’avait pas à lutter contre un dictateur.
Après cette analyse, le rapport décrit un pays sous pression. L’Algérie va mal. Corruption, conservatisme, jeunesse frustrée sont autant de maux qui s’ajoutent à un modèle économique bloqué – je dirais même sclérosé – et une diplomatie tendue qui tend encore à raisonner avec les schémas du passé. La société algérienne est en ébullition permanente. L’Algérie est d’ailleurs émaillée de manifestations au cours desquelles les gens réclament leur part des bénéficies d’une économie rentière reposant quasi-uniquement sur les hydrocarbures. Il y aurait un millier de manifestations par an en Algérie. À côté de cela, les services publics sont peu efficaces et l’hospitalisation du président Bouteflika, en France, pendant plusieurs semaines a été très critiquée en Algérie comme symbole du piteux état des hôpitaux.
Sur le plan économique, nous revenons sur les principaux blocages qui affectent l’Algérie : comme je l’ai dit, elle dépend d’une rente pétrolière et gazière qui a un effet anesthésiant sur le reste de l’économie. Le climat des affaires est, en outre, très dégradé. Au classement « Doing Busines », l’Algérie est 152ème sur 185 pays. La diversification économique est nécessaire. Le tourisme n’a pas droit de cité. Les pratiques administratives et une législation comme la fameuse règle 51/49 qui plafonne à 49 % les participations étrangères au capital des entreprises algériennes brident le développement.
L’année 2014, année d’élections, pourrait être l’une des occasions d’effectuer des réformes.
Nous nous sommes donc livrés à un petit exercice prospectif pour voir comment sera l’après 2014 en Algérie. A quelques mois d’une échéance électorale prévue au mois d’avril prochain, nous ne savons toujours pas qui sera candidat ni même si les élections auront lieu car le scenario d’une révision constitutionnelle expresse pour porter le mandat d’Abdelaziz Bouteflika à sept ans est tout à fait envisageable.
L’Algérie est dans une position d’attente et, pour le moment, préfère ne pas bouger. Elle voit l’exemple des pays voisins, dans lesquels règnent une grande instabilité et la violence. Elle a été profondément marquée par la décennie noire dans les années 90 et, pour le moment, est comme figée politiquement.
On ne peut considérer notre relation avec l’Algérie comme étant une question uniquement de politique étrangère. Ce qui se passe là-bas a des répercussions directes chez nous pour les raisons que j’ai pu évoquer précédemment et que le rapport détaille.
Ignorer ce pays serait une folie. Ne pas coopérer et s’en détourner seraient une faute. Quoiqu’on en pense, les destins de l’Algérie et de la France sont liés et le resteront.
M. Axel Poniatowski, président de la mission d’information. Je voudrais maintenant insister sur deux points, deux interrogations.
Tout d’abord, pourquoi l’Algérie a-t-elle échappé au Printemps arabe ? A priori, il n’y avait pas de raison. Notre mission a conclu à la conjonction de trois facteurs.
Premier facteur, le souvenir des années noires. Les manifestations en Algérie se sont produites sur 3 jours, les 6, 7 et 8 janvier 2011 et le Printemps arabe s’est terminé à la mi-février. Ça a été rapide. Les Algériens ont vu ce qui se passait dans les pays voisins. Ils se sont dit qu’ils ne voulaient pas revivre ça. La décennie noire c’est 150.000 morts et 200.000 exilés. Ce fut une période effroyable.
Deuxième facteur, cette révolte a été bien maîtrisée par les autorités algériennes, et ce, de trois façons. D’abord, par le maintien de l’ordre où l’Algérie a une expérience plus grande que ses voisins. Le maintien de l’ordre a été efficace avec une présence massive de militaires et de policiers dans les rues d’Alger. 30.000 d’entre eux furent déployées. Il y eut un seul mort. Ensuite, il y eut une injection massive de pouvoir d’achat. 20 milliards d’euros furent dépensés en à peine 3 mois ! Ça a servi à subventionner les produits de première nécessité – en particulier l’huile et le sucre –, à mettre des crédits à disposition de la population et notamment des étudiants et augmenter les salaires avec rétroactivité : les policiers ont été augmentés de 80 %. On a acheté la paix sociale. Enfin, les autorités ont annoncé des réformes importantes sur le plan politique et la fin de l’état d’urgence. Cette dernière est bien entrée en vigueur mais aucune réforme n’a été menée.
Troisième facteur, l’état de la société elle-même. Aujourd’hui, il n’y a pas d’opposition politique en Algérie. Les Frères musulmans n’existent pas. Les représentants de la tendance islamiste sont déjà très présents, que ce soit au gouvernement, au FLN ou à l’Assemblée populaire nationale. Cette révolte n’a été relayée par aucune force politique et s’est éteinte d’elle-même. De plus, cette révolte n’était pas dirigée contre Bouteflika et il existe dans ce pays plusieurs soupapes de sécurité : il y a régulièrement des manifestations (un millier par an environ), la presse – surtout la presse écrite – est libre et dénonce les affaires de corruption, la société algérienne a accès aux médias étrangers et les Algériens peuvent circuler plus facilement que dans les pays voisins : la France accorde 200.000 visas par an aux Algériens dont 20.000 de longue durée. Les Algériens ne sont pas prisonniers chez eux.
Il nous a semblé que c’est cette conjonction de trois facteurs qui a fait que cette révolte s’est éteinte très rapidement. Pour autant, l’opinion publique souhaite des évolutions mais n’est pas prête à un changement de régime et à aller jusqu’au chaos.
Après cette question sur les raisons de l’absence de Printemps arabe, il était intéressant de voir pourquoi un pays aussi riche que l’Algérie restait aussi bloqué, en particulier sur le plan économique. C’est le problème de gouvernance algérienne. L’Algérie est un pays riche. Actuellement, elle a 200 milliards d’euros de réserves de change et un endettement quasi nul. Mais elle ne vit exclusivement que sur la rente des hydrocarbures, lesquels représentent 97 % de ses exportations, 40 % du PIB, 70 % des recettes fiscales mais n’emploient que 3 % de la population active du pays. Et la production est considérée comme étant à son pic.
Sur le plan économique, le pays est bloqué. Le secteur privé est quasiment inexistant. Et ce pays ne produit rien à part du gaz et du pétrole. Un chiffre est marquant : la capitalisation de la bourse d’Alger est de un pour mille du PIB algérien. Celle de la bourse de Casablanca représente 60 % du PIB marocain. Cela veut dire que la capitalisation boursière rapportée au PIB est 600 fois plus grande au Maroc qu’en Algérie. On a vu deux raison à ça : l’héritage soviétique d’un système où toutes les grandes sociétés sont nationales et le fait que le pays ne fonctionne qu’à travers ses plans quinquennaux. Le blocage se manifeste par une législation contraignante. Les entrepreneurs privés sont responsables civilement mais aussi pénalement. L’administration est toute puissante et tatillonne. Il y a un contrôle des changes rigoureux. Le recours au crédit et aux banques est quasiment inexistant. Et en plus, on ne veut pas des investissements étrangers comme avec la loi 51/49, votée il y a à peine trois ans et qui décourage considérablement les investisseurs étrangers qui n’ont plus la maîtrise de leurs projets.
Je retiens les points suivants :
- la rente a permis au pays d’éviter de se réformer jusqu’à aujourd’hui ;
- une explosion sociale nous apparait peu probable à court terme car si l’opinion publique est hostile au régime, elle est résignée : elle ne vote plus et la participation réelle est plus faible que les chiffres officiels. Et il y a une forte volonté d’émigration vers la France, le Canada ou quelques autres pays ;
- l’armée constitue la colonne vertébrale du pays. Le « Nidham » – le système – fait tout pour gagner du temps afin que la situation perdure. Il est assez occupé aujourd’hui à la succession du Président Bouteflika.
A moyen et long termes, cette situation n’est pas viable. Soit on sera dans une situation d’explosion, comme dans les pays voisins. Soit on peut assister à une évolution du pays à petits pas. Auprès de certains ministres, notamment, nous avons constaté qu’il y avait une volonté de changements, lesquels sont impossibles pour le moment. Il pourrait y avoir une évolution mais il faudra l’arrivé au pouvoir d’un homme providentiel pour faire aboutir cette forme de perestroïka dont l’Algérie a besoin.
Mme la Présidente Elisabeth Guigou. Vous nous avez fait un compte-rendu très passionnant des travaux très fouillés de la mission et vous avez dit les choses qu’il fallait dire avec finesse. Nous verrons les réactions quand le rapport sera publié, mais il est important et fera date.
Je ferai quelques remarques. Tout d'abord pour dire l’espoir que le réchauffement des relations que l’on a constaté avec le succès de la visite du Président de la République François Hollande soit durable. Il faut souligner que ce succès a créé des conditions favorables au moment de l’intervention française au Mali et d’obtenir un appui à l’action de la France de la part de l’Algérie. Sur un autre plan, il faut réfléchir à la manière de mieux valoriser la présence sur notre sol des binationaux franco-algériens, qui représentent un lien irremplaçable entre nos deux pays. Il faut une meilleure prise en compte de la jeunesse qui veut aussi la reconnaissance de la république.
Je crois qu’il faudrait mieux distinguer la mémoire de l’histoire. Les Algériens comprennent l’intérêt sur le plan historique de recherches communes pour qu’il n’y ait pas de récits différents de chaque côté de la Méditerranée, qu’il est important d’arriver à des vues partagées sur des événements qui nous ont déchirés. Mais cela ne rend pas possible pour autant une unification en termes de mémoire ; il y a eu la résistance, des morts de chaque côté, cela a existé, ne peut s’effacer, mais cela ne doit pas bloquer les projets d’avenir et je crois que les Algériens y sont prêts.
Cela étant, le système paraît bloqué, que ce soit sur le plan politique ou sur le plan économique. C’est très difficile pour les investisseurs français. Néanmoins, il y a plusieurs pistes à privilégier ; il faut mettre l’accent sur la jeunesse et la formation professionnelle, ainsi que sur l’agriculture et l’agroalimentaire. Avez-vous l’impression que la situation puisse évoluer lors des élections de 2014 ? A la fin des années 1980, il y a eu un printemps algérien, autour de Chadli et du gouvernement Hamrouche. Le souvenir de cette période demeure.
M. Jacques Cresta. Si le développement du tourisme est un marqueur de la volonté d’ouverture, la situation de l’Algérie sur ce plan montre ses limites. Même s’il y a des investissements dans ce secteur, même s’il y a une volonté exprimée pour cela, les difficultés administratives rendent les choses complexes. On relève d’autres difficultés, dues au manque de ressources humaines, pour lesquelles de la formation serait à faire. Au-delà de ces aspects, est-ce qu’il n’y a pas une dimension culturelle comme facteur explicatif ?
M. Hervé Gaymard. Ma question porte sur le Sahel et le Mali. Jusqu’au milieu des années 2000, les relations entre l’Algérie et le Mali étaient mauvaises. L’Algérie accusait le président ATT de complaisance et de faiblesse sur le terrorisme. Lors de la visite conduite par le Président de l'Assemblée nationale Claude Bartolone au mois de mars, le président Bouteflika a souligné que si François Hollande n’était pas venu avant, il n’aurait pas autorisé le survol du territoire pour Serval. La prise d’In Amenas est intervenue peu après. Qu’en est-il de l’implication de l’Algérie sur les affaires sahéliennes, dans cet arc de crise important ? Vos interlocuteurs se sont-ils exprimés sur ce sujet ? Quel est votre pronostic, compte tenu notamment de la bombe à retardement démographique qui menace l’ensemble de la région face à laquelle l’Algérie sera en première ligne ?
M. Jean-René Marsac. La francophonie attire une partie de la jeunesse. Qu’en est-il de la pratique du français dans la vie quotidienne et dans le système scolaire ? Est-elle en baisse, stagnante ou en croissance ? Sur votre idée d’un office franco-algérien de la jeunesse, avez-vous eu un écho favorable de la part des autorités ? Quelles sont les perspectives réelles de concrétisation, d’après vous ?
Sur le plan économique, ce qu’a dit Axel Poniatowski est éclairant. Sur la base de cette description, que devraient faire nos entreprises pour se préparer ? La diplomatie économique peut-elle aider à construire le futur et comment peut-on se préparer à cette évolution et sur quel créneau ? S’agissant de l’agroalimentaire, je pense par exemple à des entreprises bretonnes d’élevage pour la production de lait qui seraient en action ; c’est un sujet à suivre.
Mme Danielle Auroi. Je vous remercie pour cet excellent rapport. J’aurais deux petites questions. D’abord, je m’interroge sur les rapports de l’Algérie avec les pays frontaliers ; il y a certes la zone sahélienne mais aussi la Libye. L’Algérie n’a pas toujours été réactive par rapport aux enjeux et en particulier à la façon dont la Libye est utilisée par des groupes terroristes. Y a-t-il des évolutions sur ces sujets très sensibles qui concernent la région ?
Ensuite, je voudrais vous poser la question de la condition des femmes en Algérie. Le discours officiel se veut rassurant, mais de ce que l’on m’en dit, il existe encore des situations de polygamie et les femmes souffrent d’un manque de reconnaissance quant à leur place dans la société.
M. Jacques Myard. La relation avec l’Algérie, depuis quarante ans, c’est « Je t’aime moi non plus. » Le problème vient de la question de la cohésion nationale. On se souvient de ce qu’avait écrit Ferhat Abbas dans son journal, à savoir qu’il avait parcouru tous les cimetières algériens et n’avait pas rencontré de nation algérienne. La nation s’est soudée dans l’expérience de la guerre, c’est à dire contre nous. C’est pourquoi les propos de la Présidente sur la mémoire et l’histoire me paraissent illusoires.
Deux phénomènes doivent être soulignés. Le premier est l’explosion démographique, avec une croissance de 2,6 % par an et un taux de chômage massif des jeunes. Le deuxième est le fait que l’islamisation de la société a déjà eu lieu. Le jour de congé est le vendredi et plus le dimanche. Nasser avait répondu à la demande des autorités algériennes qui recherchaient l’arabisation de la société en envoyant 4 000 musulmans qui ont, non pas arabisé mais islamisé la société. C’est ce que les mouvements islamistes recherchent et non la prise du pouvoir politique. C’est ce qui a conduit à la guerre civile. C’est ce qui explique que l’Algérie soit restée hors du mouvement du printemps arabe. De l’argent a aussi été distribué, l’Algérie étant effectivement une économie de rente. Cela étant, il y aura peut-être un printemps le jour où il y aura des élections libres.
Je voudrais formuler une remarque sur l’opération Serval. Il ne faut pas se faire d’illusion, les rebelles ont été approvisionnés bien après le début de l’intervention.
J’en finirai par une question : il y avait 10 millions d’habitants il y a quarante ans, il y en a 38 millions aujourd’hui, quel est le taux de croissance démographique actuel ?
Mme Seybah Dagoma. La jeunesse algérienne est un axe fort du travail à mener compte tenu de la proportion de moins de 15 ans. Vous préconisez la création d’un Office franco-algérien de la jeunesse. Je voudrais savoir si selon vous un Erasmus euro-méditerranéen de la jeunesse est envisageable ? Ma seconde question portera sur les relations économiques et commerciales bilatérales, auxquelles les deux pays souhaitent donner un nouvel élan, notamment en favorisant les colocalisations. Avez-vous d’autres exemples que celui de Renault et pensez-vous que le coût du transport est un obstacle pour développer davantage de filières si l’on songe notamment au fait que les Allemands ont adopté cette démarche avec des pays d’Europe centrale et orientale.
M. Philippe Cochet. Sur la question de la mémoire et de l’histoire, je souhaiterais attirer l’attention sur le fait que les archives conservées à Aix-en-Provence contiennent des informations sur des personnes qui ont aidé la France et qu’elles sont photocopiées par des personnes issues du Gouvernement algérien. Il conviendrait qu’elles soient mieux protégées. Sur le plan économique, l’économie de rente a de beaux jours devant elle puisque du pétrole de schiste a été découvert et que les décisions sont prises pour s’orienter vers ces nouvelles technologies.
M. Philip Cordery. Je vous remercie pour votre analyse de la situation politique. Vous avez notamment évoqué la guerre civile, le maintien de l’ordre, l’économie de rente, les clans au sein de l’armée qui se neutralisent… Mais il est un facteur supplémentaire d’étouffement : le fait qu’il y a une synthèse entre les islamistes et le pouvoir militaire, ce qui est quelque chose d’unique au Maghreb. Des forces politiques et sociales existent néanmoins, certes dans la frustration, dans la résignation, voire avec une forme de honte vis à vis des évolutions en cours dans les pays voisins, mais cet état n’est pas une fatalité. Je suis sceptique concernant votre proposition sur la jeunesse. Il faudra que l’office que vous proposez fonctionne de telle sorte qu’il permette des échanges entre les sociétés civiles.
M. Paul Giaccobi. Je félicite la mission pour ce rapport très fouillé et sans complexe sur l’Algérie. Je formule cinq interrogations ou nuances. Tout d’abord, la possibilité, ou tout du moins, quelques signes d’émergence d’un système privé productif. Il y a des gens formés, des infrastructures et quelques percées timides mais notables. Les transports ne sont pas un obstacle à des coopérations économiques. Sur les investissements étrangers, on relève une omniprésence des Chinois dans le BTP et les commerces. Il est fréquent de voir sur des permis de construire le nom d’entreprises chinoises. Troisième remarque, je pense que l’on devrait aborder l’Algérie sans sentiment de culpabilité. L’impasse actuelle du pays, son blocage, n’est absolument pas dû au passé colonial de la France. Beaucoup d’Algériens ont conscience de la propre responsabilité de l’Algérie dans son blocage actuel. Par ailleurs, c’est étonnant de voir que, malgré l’arabisation du pays, il reste une forte présence et appétence pour la langue française alors même qu’elle n’est pas le vecteur du développement économique dans le monde moderne. Le dernier point que je souhaite soulever est relatif à la Kabylie. C’est une région qui connaît toujours des troubles et dans laquelle, par exemple, les panneaux ne sont pas écrit en Arabe. Par ailleurs, lorsqu’ils sont à Alger, les Kabyles vivent de manière très communautariste, entre eux et de façon relativement séparé.
M. Pierre Lellouche. Je voudrais dire toute mon estime à ceux qui ont travaillé sur ce rapport, le diagnostic est en effet très juste. Je crois en effet que le moment est venu de dire les choses sans se réfugier derrière le caractère passionnel des relations entre la France et l’Algérie. Les complexes de la colonisation inspirent beaucoup nos politiques. Or, je ne crois pas que ce soit une position durable pour la France. Je serais donc favorable à ce qu’un travail de vérité, décomplexé, soit établi.
Par exemple, pourrait-t-on savoir le montant de la rente pétrolière perçue par l’Algérie depuis son indépendance ? Et quelle partie de cet argent a bénéficié à la société ? Lorsque j’entends parler d’office franco-algérien de la jeunesse, je me demande quelle sera l’attente des jeunes Algériens. Lorsque j’ai participé au voyage présidentiel en Algérie sous le mandat du Président Sarkozy, la jeunesse que nous avions rencontrée à Constantine réclamait avant tout des visas. Je crains que l’office franco-algérien de la jeunesse soit en réalité un office des visas car l’émigration est la seule soupape de sécurité de cette jeunesse. L’idée d’un programme Erasmus euro-méditerranéen ainsi que des initiatives dans le domaine de l’éducation sont probablement de bonnes idées, mais je souhaite que nous regardions en face la réalité que constitue la soupape de l’immigration. Nous avons une génération qui connait l’échec dans son pays et qui n’arrive pas à s’intégrer. C’est problématique. Prétendre que la population immigrée est un atout alors qu’elle n’est pas intégrée me pose problème. Enfin, en matière de défense, chacun sait que la France n’a rien vendu à l’Algérie depuis l’indépendance. Les exportateurs sont les Russes et les Chinois. D’ailleurs, le programme nucléaire en Algérie a été construit par les Chinois et nous n’avons aucune information à ce sujet.
Mme Marie-Louise Fort. Je félicite le Président et le rapporteur pour leur franchise qui s’affranchit du langage diplomatique. En ce qui concerne la repentance qui marque fortement nos relations avec l’Algérie, je ne crois pas qu’on puisse avancer de façon ouverte sur ces sujets si nous restons accrochés à de vieilles lunes. Nous devons nous tourner vers l’avenir. Avez-vous pu constater l’émergence d’une jeune génération au sein de la nomenklatura qui serait capable d’aller au-delà de tout cela ?
M. Michel Vauzelle. Je ne pense pas qu’exprimer son agacement, dire que nous ne devons pas nous sentir coupables, dire que la jeunesse algérienne n’est chez elle ni en Algérie ni en France soit une solution. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, vous évoquiez une situation bloquée et parliez de « petits pas ». J’ai conscience de la sensibilité algérienne qui est très complexe, mais nous devons essayer d’avancer.
En matière de politique de sécurité au Sahel, peut-on imaginer de pouvoir assister à des petits pas de coopération entre la sécurité algérienne et la France dans le Sahel, notamment dans l’enceinte du dialogue 5+5. Entre les Européens du sud et le Mali, le Niger, le Tchad, la Mauritanie et le Burkina Faso, cela donne des résultats tout à fait intéressants. Par ailleurs au plan intérieur, il y a l’idée du codéveloppement peut être une clé pour le démarrage de l’économie algérienne avec la colocalisation et la formation professionnelle. La jeunesse française d’origine algérienne qui est mal dans sa peau pourrait être placée au centre d’un dispositif de coopération entre la France et l’Algérie, d’autant plus qu’elle dispose des deux cultures et parfois même des deux langues.
Mme Pascale Boistard. Si nous voulons tisser un lien avec l’Algérie, il faut aussi se souvenir qu’il y a sur notre propre sol des jeunes – et des moins jeunes – qui font partie de cette histoire, dont il faut rappeler qu’elle n’est pas seulement conflictuelle.
Lorsque l’on relance le débat sur la double nationalité et sur les « bienfaits » de la colonisation, on ne contribue pas à arranger la relation bilatérale. Ceux dont je parle sont extrêmement francophiles et ils suivent parfois bien mieux que nos concitoyens l’actualité politique de notre pays. Sans renier notre histoire, nous devons être conscients que nous avons une responsabilité politique lorsque nous nous exprimons, nous qui représentons la nation.
Pour terminer sur une note plus légère, permettez-moi de vous conseiller la lecture de La France arabo-orientale de Pascal Blanchard. Il me semble que l’histoire culturelle que nous avons en commun avec l’Algérie peut ouvrir quelques horizons.
M. Jean-Claude Guibal. Je m’interrogeais principalement sur deux sujets. Pourquoi un pays aussi riche que l’Algérie n’arrive-t-il pas à transformer sa rente en emplois ? Qui exerce vraiment le pouvoir et quelles sont les relations de ce pouvoir, notamment les militaires, avec la société, en particulier les jeunes générations ? Vous avez répondu.
Il reste à savoir comment trouver une juste attitude à l’égard de l’Algérie quand on est Français. Je partage entièrement l’idée qu’il faut dire ce que l’on pense et comment on a vécu ces moments douloureux, en acceptant qu’il en soit également ainsi de l’autre côté. La France sert à assurer la cohésion d’une société qui n’était pas une nation avant l’intervention française.
Est-il possible aujourd’hui de surmonter le conflit, la passion, l’attraction-répulsion, la rivalité mimétique entre la France et l’Algérie, jusqu’à pouvoir parler des harkis ?
Quelle est, par ailleurs, la place de l’Algérie dans le cadre du dialogue « 5+5 » ? Joue-t-elle un rôle de même plan que les autres pays du Maghreb ?
Enfin, il a été question de la Chine en Algérie, mais qu’en est-il des Etats-Unis ?
M. Jean-Marie Le Guen. Merci pour ce rapport, qui dit les choses en les analysant avec finesse. Mais entre le temps de l’analyse et le temps de l’expression et de la politique à conduire, il doit aussi y avoir celui de la réflexion sur les intérêts de notre pays et sur nos propres attitudes, qui ne sont pas toujours positives. Il y a eu parfois une arrogance et un ressentiment dans le discours des autorités françaises – je précise que je ne parle pas de ce Gouvernement, bien au contraire. Il faut faire attention si nous voulons un dialogue avec l’Algérie.
Peut-on ne pas considérer ce pays comme un partenaire stratégique ? Plutôt que de se demander ce qu’il devrait être, y compris pour son propre bien, il faut réfléchir à la manière dont nous en parlons. Il faut voir aussi qu’il y a une certaine prise de conscience. Certains des sujets abordés par le rapport sont également considérés comme relativement explosifs dans les cercles du pouvoir.
Je terminerai en rappelant qu’un appel d’offre a été lancé par le gouvernement algérien pour la construction et la gestion de sept CHU. L’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (APHP) a été sollicitée, dans l’idée que l’un d’entre eux, voire davantage, pourrait lui être confié. On se tourne donc principalement vers Paris pour reconstituer une politique hospitalo-universitaire. Cela a peut-être un sens politique – et il est positif.
Je ne vois pas comment la France pourrait faire une impasse stratégique sur de telles opportunités, sur les problèmes géostratégiques indissolubles de la relation franco-algérienne et sur les liens humains.
Tout cela doit nous inciter à développer une analyse lucide, tout en définissant des orientations politiques.
M. Jean-Paul Bacquet. J’ai pu rencontrer le Premier ministre algérien et le ministre des transports et de l’équipement. Leur demande concerne aujourd’hui quatre millions d’appartements et sept CHU, mais je rappelle que nous n’avons jamais eu de réponse à des appels d’offre passés il y a des années. La France répond, sans hésiter, sans avoir de réponse à ses propres réponses.
M. Didier Quentin. Je voudrais féliciter, à mon tour, le président et le rapporteur pour la qualité du rapport.
Juste avant cette réunion de commission, nous avions un petit-déjeuner de travail, très intéressant, avec l’ambassadeur du Maroc. Comment voyez-vous l’évolution des relations entre l’Algérie et le Maroc ? Il peut y avoir une incidence sur la relation avec la France, au regard des liens privilégiés que nous entretenons avec le grand voisin de l’Algérie. Je rappelle qu’il y 1.600 kilomètres de frontières communes aux deux pays.
Je rappelle aussi l’effort consacré par les Algériens dans le domaine militaire. En 2012, ce budget était de 9,3 milliards de dollars.
S’agissant des femmes, observe-t-on un accès croissant aux responsabilités ? L’ambassadeur du Maroc nous a dit que le nombre des femmes au Gouvernement avait été multiplié par six. On est passé d’une femme à six… Y a-t-il une évolution similaire en Algérie ?
On commémore cette année le centième anniversaire de la naissance d’Albert Camus, qui est un lien important entre la France et l’Algérie. Je voudrais savoir si l’on en parle aussi dans ce pays.
M. Philippe Baumel. J’ai le sentiment, pour avoir participé à cette mission d’information, qu’il s’agit plutôt d’un rapport décomplexé. Nous avons, pour la première fois, une parole complètement libérée du côté français, avec une analyse de fond, quitte à bousculer un peu, parfois. Nous attendons les réactions, et je pressens qu’elles seront nombreuses, au regard de notre propre débat.
Pour ma part, en terme de préconisation, je ne suis pas du tout « exaspéré ». Nous avons besoin d’une part d’audace. Je ne sais pas si l’Algérie fait partie de la « France orientale », mais je suis convaincu qu’elle appartient, avec le Maroc et la Tunisie, à « l’Europe orientale ». Peut-être faudrait-il renforcer nos liens dans le cadre méditerranéen, en faisant des propositions concrètes de partenariat économique. Je sais que Michel Vauzelle y a beaucoup travaillé.
La question des CHU a été évoquée, mais je me souviens aussi que le ministre de l’agriculture était très heureux, lorsque nous l’avons rencontré à Alger au mois de mars, d’avoir inauguré une conserverie de tomates. C’était la première fois depuis l’indépendance. C’est dire que le marché reste à couvrir. Il y a du travail à faire avec un peu d’audace, d’inventivité et d’opiniâtreté, même s’il y a aussi des blocages, comme la règle des 51 %. Nous devons être en capacité de faire une proposition de partenariat fort, peut-être avec nos partenaires européens, afin d’être mieux entendus.
M. Thierry Mariani. Merci Madame la Présidente et merci au président et au rapporteur. J’ai appris beaucoup de choses, l’Algérie est un pays que je ne connais pas et j’ai été surpris de la situation financière, d’où deux de mes questions. Premièrement, comment un pays avec une telle situation financière peut-il ne pas réagir lorsqu’il voit une partie de sa population, et notamment ses jeunes, massivement émigrer ? Y a-t-il un véritable débat là-dessus ? La deuxième question, sans aucun esprit polémique : au vue de cette situation financière, comment cela se fait-il que l’Algérie ne rembourse pas sa dette à la France, par exemple la dette envers certains hôpitaux ? Je sais que suite à la visite de M. Hollande les choses ont commencé à bouger. Ma troisième question a déjà été évoquée par l’un de mes collègues : y a-t-il un positionnement de l’Algérie sur la situation des harkis ?
M. Guy-Michel Chauveau. Ce qui se passe au Sahel peut être l’occasion d’amener l’Algérie autour d’une table, ce qui n’a pas été le cas jusqu’à présent. On se souvient de la visite d’Amadou Toumani Traoré, le Président du Mali, il y a deux ans à Alger qui n’était suivie d’aucun commentaire public, d’aucune transparence. Ce serait peut-être le moment de continuer à soutenir la création d’un forum Maghreb-Sahel.
Mme la Présidente Elisabeth Guigou. Avant de passer la parole au président et au rapporteur, permettez-moi de faire quelques remarques.
La première, c’est qu’on sent à travers nos échanges à quel point tout cela reste passionnel. Pour arriver à dépasser cette histoire douloureuse entre la France et l’Algérie, et pour éviter que l’on nous renvoie toujours la culpabilité de la colonisation, je pense justement qu’il faut distinguer histoire et mémoire. L’histoire, c’est l’affaire des historiens. Benjamin Stora a déjà commencé à écrire des choses que je trouve formidables. La mémoire, elle restera ce qu’elle est, avec la douleur des gens.
Deuxième remarque : ne sous-estimons pas la vitalité de la société algérienne, dans les villes en tout cas. Pour avoir rencontré des associations de femmes et de jeunes qui s’occupent des mères célibataires ou des avortements, qui ne se laissent pas impressionner, je sais ce qu’il en est.
Enfin, l’Algérie constitue bien sûr un partenaire stratégique pour nous, malgré les difficultés et les blocages. Quand on parle avec le Premier ministre, on a l’impression que tout va s’ouvrir… Je crois qu’il ne faut pas se décourager : à travers des projets concrets, à travers Erasmus et la jeunesse, nous avons une carte à jouer.
Par ailleurs, la rente pétrolière va un jour arrêter de figer ce pays. Commençons à proposer un partenariat sur les questions énergétiques : c’est dans notre intérêt, nous avons des entreprises performantes en Algérie. Si l’on pouvait proposer un partenariat euro-algérien, je pense que l’on pourrait être plus fort. C’est difficile, mais il faut regarder en avant, et non en arrière.
M. Jean-Pierre Dufau, rapporteur de la mission d’information. Merci Madame la Présidente. Vos interventions démontrent que le coté passionnel existe toujours, en Algérie comme en France. Beaucoup de questions posées ont des réponses plus précises dans le rapport. Vous avez également apporté de nombreuses précisions, voire des commentaires, qui enrichissent le débat.
La croissance démographique est un élément important. Quelques précisions : le taux de fécondité est de 2,55, la population prévue fin 2013 est de plus de 39 millions. Les Algériens seront 46 millions fin 2025 et 55 millions en 2050. Ce ne sont que des prévisions mais elles montrent que la croissance démographique continue d’être très importante. Un autre élément important : 28 % de la population a moins de 15 ans. C’est donc sur la jeunesse qu’il faut parier à moyen terme lorsqu’on parle de l’Algérie.
A propos d’Albert Camus, il nous semble que commémorer, en Algérie, le centenaire de sa naissance n’apparaît pas de nature à froisser la susceptibilité des Algériens qui reconnaissent sa stature et saluent les propos méditerranéens de son œuvre.
Sur les questions de mémoire et d’histoire, il y a plus de 50 ans que la paix a été prononcée en Algérie. Il est normal que les archives soient désormais ouvertes aux historiens.
Sur les rapports avec le Maroc, l’affaire du Sahara Occidental bloque un certain nombre de dossiers comme cela a déjà été dit.
Sur la question du Sahel, le voyage de François Hollande a été déterminant sur l’évolution de la position de l’Algérie par rapport au terrorisme au Sahel. Ce geste fait en faveur de la France ne l’a pas été en faveur de la MINUSMA, dont les troupes ne peuvent pas transiter par l’Algérie.
Sur les questions économiques, avec Nicole Bricq, les rapports sont en train de se développer sur les dossiers de commerce extérieur. La colocalisation et le codéveloppement se mettent en œuvre. Le 27 novembre aura lieu un comité mixte économique franco-algérien. Les choses avancent, mais à petits pas, et je crains que les évolutions ne seront pas aussi rapides que nous le souhaitons.
La présence chinoise, de plus en plus importante, n’est pas très bien ressentie : la population algérienne n’apprécie pas cette présence qui ne dépense pas d’argent en Algérie.
Je pense qu’il y a dans le domaine agricole, dans le domaine industriel, dans le domaine de la formation professionnelle, beaucoup de choses à faire entre la France et l’Algérie. Il y a des besoins de formation énorme pour les métiers du tourisme, mais aussi pour les métiers de l’agriculture. Dans ce cadre, la vingtaine d’institut de technologies sera un élément déterminant comme les rapports avec les universités françaises. Il faut à la fois savoir privilégier la langue française en Algérie mais aussi reconnaître l’importance de la langue arabe en France et, pourquoi pas, renforcer l’enseignement de la langue arabe dans les universités françaises.
Sur les frustrations de la société civile et notamment de la jeunesse, je ne peux que partager votre analyse : c’est vrai que la demande de visas est récurrente. La proposition d’un Erasmus euro-méditerranéen peut être un premier élément de réponse dans le cadre de l’office franco-algérien de la jeunesse avec les remarques intégrées de Philippe Cordery sur ce sujet. Quant à l’exemple donné par Jean-Paul Baquet et Jean-Marie Le Guen, il est caractéristique sur la façon dont elles sont traitées et il faut le faire évoluer. Ceci ne peut se faire que réciproquement : on n’est pas tout seul à décider en la matière et il faut persévérer.
Sur la condition féminine, elle évolue lentement, trop lentement, mais il existe des associations remarquables, comme le CIDDEF (Centre d'Information et de Documentation sur les Droits de l'Enfant et de la Femme) ou comme des associations de jeunes qui essaient de faire évoluer les choses. C’est une longue patience, ou une longue impatience…
En conclusion, je considère qu’il faudra toujours avoir la juste attitude vis-à-vis de l’Algérie, être non seulement ouvert sur nos préoccupations mais aussi sur les siennes. J’espère que nous entrerons rapidement dans une nouvelle page de l’histoire de l’Algérie lorsque la jeunesse aura pris davantage d’importance. A nous de la préparer et de nous y préparer.
M. Axel Poniatowski, président de la mission d’information. Merci. Je souhaiterais réagir sur l’affaire de la mémoire. Il est difficile de distinguer la mémoire de l’histoire car la mémoire est de l’histoire. Autrement dit, la nation algérienne ne s’est créée qu’au moment de la colonisation. Avant, il n’y avait rien sauf quelques civilisations, quelques peuples et quelques peuplades. Abdel-Kader, le premier grand homme de l’Algérie, fédéra les troupes autour de lui contre la France : la nation algérienne a démarré ce jour-là. C’est très difficile de distinguer la mémoire et l’histoire.
La conviction que j’ai, c’est qu’il ne faut surtout pas se focaliser sur ce sujet. On a vu la façon dont il a ressurgi à chaque fois : il a suffi d’une petite étincelle pour que les choses soient de nouveau dramatiques. En 2005, c’est l’affaire de la contribution positive de la colonisation qui a plombé la fin du quinquennat de Jacques Chirac ; plus récemment, ça a été l’affaire du diplomate algérien arrêté par erreur et détenu pendant un an, qui a miné la fin du quinquennat de Nicolas Sarkozy. J’espère qu’il n’y aura pas de nouveau une étincelle qui plombera le voyage plutôt réussi de François Hollande il y a quelques mois, même si je sais qu’elle peut se produire à tout moment. Il ne faut surtout pas s’arrêter sur les questions de mémoire, extrêmement délicates, et il faut continuer à avancer, à petits pas, dans notre relation avec l’Algérie.
L’affaire du Sahel en Algérie est traitée par l’Armée, tout comme le fut l’attaque de la raffinerie.
Sur l’affaire économique, il ne faut pas être naïf ou idéaliste. Il faut simplement être très pragmatique : ce qui se passe en Algérie, comme c’est le cas dans de nombreux pays arabes et ailleurs, c’est que pour faire de bonnes affaires, il faut être bien connecté. En l’espace de 15 ans, la part de marché française en Algérie est passée de 25 à 15 % alors même qu’elle a augmenté en volume. Qui ont pris les parts de marché perdues ? C’est la Chine, la Turquie et quelques autres pays. Ces pays-là ne respectent aucunes règles de l’OCDE. Cela permet de répondre dans des conditions plus favorables aux appels d’offre lorsqu’ils ont cours.
Si le domaine de l’agroalimentaire est très important, le domaine dans lequel notre participation pourrait être essentielle est le tourisme. L’Algérie est un pays exceptionnellement beau, il y a un millier de kilomètres de front de mer et un arrière-pays superbe. C’est très curieux de voir qu’il n’y a que très peu de tourisme. Il pourrait représenter pour l’Algérie une manne extraordinaire et c’est le secteur économique qui pourrait déboucher sur une ouverture politique du pays.
Un dernier point concernera la problématique des femmes et des jeunes. Concernant les droits des femmes, l’Algérie a fait un peu comme le Maroc : à la dernière élection de l’Assemblée populaire, je crois que 30 % de femmes ont été élues. Les lois concernant les femmes, elles, n’ont cependant absolument pas changé. S’il n’y a pas tellement de polygamie en Algérie, ce sont surtout les lois sur l’héritage qui sont problématiques : un fils a le droit à une part entière tandis qu’une fille n’a le droit qu’à une demi-part. Ce système évolue très doucement. L’Algérie bénéficie d’une jeunesse remarquable : il y a un désir évident d’échanger, d’apprendre et de pouvoir accéder aux universités. La France accueille aujourd’hui 25.000 étudiants algériens par an, ce qui représente le troisième plus grand nombre d’étudiants étrangers après les Marocains et les Chinois. Je pense que c’est une bonne chose : nous préconisons de faciliter la venue de jeunes étudiants algériens en nombre supérieur en France afin qu’ils puissent ensuite retourner chez eux.
En conclusion, je crois en effet que l’ouverture de l’Algérie se fera plus par le domaine économique que par le domaine politique. Ce dernier va évoluer, inexorablement mais difficilement. En revanche, le pays peut s’ouvrir rapidement par l’économie.
Mme la présidente Elisabeth Guigou. Merci beaucoup, je veux vraiment remercier notre rapporteur et le Président de la mission. Je pense moi aussi qu’il faut regarder vers l’avenir : puisque les relations politiques sont difficiles, raison de plus pour pousser sur le plan économique. J’espère vivement qu’il n’y aura pas une autre étincelle qui obérera le réchauffement récent.
PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES de FRANCE
en conclusion des travaux d’une mission d’information constituée le 14 novembre 2012,
sur l’Algérie
Président
M. Axel Poniatowski
Rapporteur
M. Jean-Pierre DUFAU
Députés
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La commission autorise la publication du rapport d’information.
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