Thubursicu Numidarum, Madauros…
Indubitablement, la région de Souk Ahras en est une de légendes et d’histoire. La période antique y est riche en événements. Nous sommes dans le pays des hommes libres, dans celui des Numides, qui ne virent et n’entendirent cavalcader, l’une après l’autre, plusieurs civilisations, ou plutôt plusieurs conquérants : Phéniciens, Romains, Vandales, Byzantins, sans une résistance farouche.
Pfft !... Finalement, ne restent dans l’oued que ses pierres, comme on dit. Ne restent debout que des ruines, en somme des pierres de taille, avec lesquelles les Romains ont fait des centres urbains, et les Byzantins des citadelles, des forts ou des fortins, dont cependant l’inestimable valeur n’est pas à démontrer. En effet, comme toute civilisation ne vient pas du néant, étant incontestablement imprégnée, d’une manière ou d’une autre, de celle qui l’a précédée, sous les nombreux vestiges romains et byzantins qui parsèment cette région, il y a autant de traces berbères et numides.
L’on peut citer plusieurs sites classés patrimoine national : Taghaste (Souk Ahras), Thubursicu Numidarum (Khemissa), Madauros (M’daourouch), Thaghura (Taoura), Tipaza de Numidie (Tifech)... Cette région donnera de grands génies pour l’humanité. Nous parlions entre autres de Saint Augustin, Apulée de Madaure, Maximus du même lieu éponyme (ami du premier), rhéteur et grammairien, et Nonius Marcellus, grammairien et lexicographe latin, surnommé «le péripatéticien de Thubursicu». Des génies, surtout les deux premiers, qui avaient alors ouvert la porte de la modernité, à (pour) ceux qui en ont fait grand cas (et le font toujours d’ailleurs).
Leurs descendants ou leurs concitoyens continuent à les ignorer, ou à les jeter carrément aux oubliettes. Même les sites, instructifs au plus haut point, principalement en matière d’identité, n’intéressent personne. Oui, le tourisme en Algérie, surtout celui culturel, qu’il soit local ou autres, n’est pas pour demain ni pour après-demain. Ailleurs, le plus petit coin touristique (sites archéologiques, historiques, naturels ou autres) fait l’objet d’une revalorisation appropriée et devient une source importante de revenus. Gravitent tout autour plusieurs petits métiers et commerces artisanaux, voire industriels.
Des bibelots, des breloques, des cartes postales et autres bidules se rapportant à ce lieu font rentrer, mine de rien, beaucoup d’argent. Cela permet surtout d’en garder vivace la mémoire, et toujours présente l’histoire. Chez nous, ces lieux sont déserts à longueur d’année. Ils ne s’animent que le temps d’une visite officielle ou une rare excursion d’étrangers. De fait, nous avons été trois fois à Khemissa ces derniers temps, chef-lieu de commune distant de Souk Ahras de 37 km, précisément aux vestiges de Thubursicu Numidarum, nous y avons passé pratiquement à chaque fois toute la journée, nous nous sommes retrouvés seuls dans cette grande cité numido-romaine.
A part les gardiens qui se trouvent un peu partout dans le site, il n’y a pas âme qui vive. L’on a aussi remarqué que la gendarmerie dresse son barrage juste au niveau de l’entrée du site. On ne peut se garer devant l’entrée, mais de l’autre côté de la route. De quoi étouffer l’envie du plus grand des curieux d’y aller faire un tour !
On peut en dire autant du site de Madauros. Enfin, nous ne pouvons parler de ces lieux sans évoquer Amar Tlili, décédé il y a quelques années. Enseignant et passionné d’archéologie et d’histoire, il avait à cœur de protéger ces lieux ; il nous racontait, entre autres anecdotes, comment lui et son ami Kateb Yacine faisaient le désherbage parmi les ruines de Khemissa. Questionné à propos de ces sites, Mourad
Zerarka, enseignant d’archéologie à l’université du 8 Mai 45 de Guelma, nous renvoie aux travaux de Stéphane Gsell et Charles Albert Joly.
Au pays des Numides
Dans l’avant-propos du fascicule sur des fouilles effectuées par Charles Albert Joly à Khemissa, M’Daourouch et Announa, écrit par Stéphane Gsell, on peut lire ceci : «Bourg d’une tribu indigène, Thubursicu devint une grande cité romaine, sans infusion importante de sang nouveau, par la volonté des Numides qui l’habitaient. Madauros, transformée par la création d’une colonie de vétérans, fut, malgré quelques souvenirs du passé, un centre véritablement romain, un foyer de vie latine, la patrie du célèbre écrivain Apulée, la ville élégante et lettrée où Saint Augustin vint faire une partie de ses études». Plus tard, Jacques Heurgon, latiniste, écrit dans le bulletin de l’association Guillaume Budé (année 1956) : «Timgad et Djemiîa étaient des créations ex nihilo de la colonisation romaine ; leur population, bien que des éléments indigènes y fussent venus s’y agréger, était fondamentalement romaine.
Madaure (était un) centre numide qui existait dès le IIIe siècle av. J.-C, (puis) a été entièrement transformée par la fondation d’une colonie de vétérans sous les Flaviens. Mais Khamissa (ou) Thubursicu Numidarum offre l’exemple significatif, parmi d’autres, d’un bourg indigène attaché au nom de la tribu (Numidae) dont il était antérieurement le chef-lieu, où persistent les civilisations et les langues libyques et puniques, et qui, pourtant, sans afflux de sang nouveau, par l’assimilation sans réticence des Numides qui l’habitaient, devient une grande cité romaine, et sans doute, quoique l’histoire n’en fasse pas mention, une des plus considérables de l’Algérie antique».
Le site de Thubursicu Numidarum (Khemissa) s’étend sur 65 ha et conserve de nombreux vestiges. Le tracé de la ville est toujours visible ; l’on peut y voir aussi un beau théâtre encore bien conservé, la platea vetus (l’ancienne place ou forum), le forum novum, les petits et les grands thermes. Le fort byzantin trône sur une colline au milieu du site, et 16 autres à l’extérieur et tout autour de la cité. L’on voit aussi des tables de mesure, un nymphée, la porte à trois arcs, la porte de Tipaza de Numidie…
Sachons que la source donnant naissance à l’oued Medjerda (anciennement appelé Bagrada) se trouve dans le site Khemissa. La ville berbère et numide, comme Cirta, Thibilis, Suthul ou Calama, Tobna... est ensevelie, «écrasée», par ou sous celle romaine.
Les Numides fidèles à leurs ancêtres
Selon Gsell : «On a supposé avec assez de vraisemblance que ce lieu a été indiqué, comme une ville forte, par Tacite, dans son récit de la révolte de Tacfarinas. L’historien raconte qu’en 23 ou 24 après J.-C., le Numide recommença la guerre et vint assiéger l’oppidum Thubuscum. Le proconsul Dolabella rassembla à la hâte tout ce qu’il avait de troupes et accourut». Nous pouvons lire aussi ceci : «Les habitants de Thubursicu Numidarum paraissent (…) être restés attachés au souvenir de leurs ancêtres. Une inscription latine, trouvée jadis à Khamissa, mal copiée et aujourd’hui perdue, était un hommage à la mémoire d’un souverain qui régna en Numidie au premier siècle avant notre ère, Hiempsal, fils de Gauda.
La vieille langue des indigènes devait être encore très répandue dans cette région ; elle s’écrivait même : à Tifech, à Souk Arhas et aux environs de ce lieu, ailleurs encore, ont été trouvées d’assez nombreuses inscriptions libyques, qui semblent être presque toutes de l’époque romaine. Toutefois, à Khamissa même, on n’en a recueilli qu’une seule.
Des sépultures de forme dolménique existent dans le voisinage des ruines, à quelques centaines de mètres au nord-est de l’Aïn el Youdi, le long de la voie de Thagaste, et surtout dans le djebel Tifech, au Sud de la ville. A Thubursicu, certains caveaux, surmontés d’épitaphes latines et abritant des morts incinérés, sont couverts de vastes dalles, sommairement dégrossies, rappelant les tables des dolmens». L’histoire, selon le site de l’Unesco par exemple, nous apprend que Saint Augustin visita plusieurs fois Thubursicu, surtout pour essayer d’apaiser les esprits quant aux problèmes engendrés par le schisme entre Catholiques et Donatistes.
A ce propos, pour résumer Mahfoud Kaddache, nous dirons que ces «troubles» faisaient partie des insurrections et des révoltes permanentes dans le pays profond pour l’indépendance. L’autre site important est celui de Madauros. Pour 20 DA seulement (le ticket d’entrée), l’on est transposé dans un autre décor, dans le monde antique. M’Daourouch est à 42 km au sud de Souk Ahras.
Le site est à 7 km de la première ville et s’étend sur 70 ha. Il y avait à Madauros, où naquit Apulée, le premier romancier de l’humanité, l’une des plus anciennes escolae de l’Afrique du Nord ou université, où Saint Augustin fit ses études et où Maximus donnait ses cours de grammaire. Les principaux vestiges de cette ville numido-romaine sont le forum, le petit théâtre, le marché, les différents thermes, les huileries, la citadelle byzantine et bien d’autres choses. Beaucoup de pierres de taille sont éparpillées çà et là à l’extérieur de la clôture d’enceinte…
Le site de Tipaza de Numidie (Tifech) conserve les vestiges des thermes et la citadelle byzantine. Traversé par la RN 82, celui de Thaghura (Taoura) présente à gauche les restes d’une chapelle et à droite ceux de la citadelle byzantine sur un pic rocheux surplombant la région.
Il faut dire que beaucoup de statues, ex-voto et autres objets archéologiques qui se trouvent actuellement au théâtre romain de Guelma faisant office de musée, proviennent des sites de Khemissa, de M’Daourouch et d’autres lieux environnants. Bien sûr, les trésors archéologiques, les pièces les plus précieuses, sont bien «casés» au musée du Louvre. Bien protégés en somme, diraient certains.
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