Dans un pays où les témoignages, souvent tardifs et parcellaires, tentent de guérir d'une amnésie sur l'histoire plus ou moins entretenue pour des raisons politiques, c'est la sortie du livre «Juste Algérienne», aux éditions Barzakh, en juin 2013, qui a fait connaître Evelyne Safir Lavalette. Un livre singulier, mélange de poèmes et de prose, où le parcours non moins singulier de son auteure transparaît moins dans le récit des faits que dans les sensations qui s'y expriment. Evelyne Lavalette fait partie de ceux qui ont fait «Le choix de l'Algérie» pour reprendre le titre du livre de ses amis, Pierre et Claudine Chaulet, paru également en 2012 aux éditions Barzakh.
Evelyne Lavalette, native de 1927, fille d'Européens installés en Algérie depuis deux générations, fera, elle aussi, démentir l'implacable déterminisme social, ethnique ou «racial», en choisissant d'être du côté du plus faible. D'être du côté de ceux que l'ordre colonial a installés dans une altérité définitive et absolue. Des humains pas suffisamment humains. Cette décision «d'être l'autre» ne va pas de soi. Elle est par excellence l'expression d'une singularité où la conviction de ce qui est juste l'emporte sur toute autre considération que ce soit l'appartenance de classe ou l'origine. Et il n'est pas surprenant de retrouver Evelyne Lavalette sur une même trajectoire qu'un Pierre Chaulet, décédé le 5 octobre 2012, dans ces milieux progressistes chrétiens d'origine européenne, dont le cœur est trop grand pour s'aveugler sur l'oppression banalisée des «autres». Et choisir d'être l'autre, d'être «juste Algérienne» a un prix. Rupture familiale d'abord. Et, aussi, puisque l'on a choisi d'être «l'autre» de subir aussi le traitement que lui réserve l'ordre colonial : la torture, la prison et même des tentatives de liquidation de la part de la Main rouge.
Evelyne Lavalette est définitivement une moudjahida comme ses convictions le lui dictent. Elle est avec Benkhedda, Abane et Ben M'hidi, elle fait l'agent de liaison, transporte des documents
Elle fait la frappe. Elle s'occupe de l'appel à la grève des étudiants ou, encore, de la fameuse lettre d'Ahmed Zabana à ses parents. En novembre 1956, elle «tombe» à Oran. Elle reçoit le traitement réservé aux Arabes. Elle est torturée. Mais comme on ne «conçoit» pas qu'une femme «de souche européenne» choisisse d'être «l'autre» que l'on a tant déshumanisé, on cherche l'explication par les troubles mentaux. Après la torture, ce fut l'internement en asile psychiatrique. Les initiés connaissaient cette femme, qui répugnait à se mettre en avant, mais beaucoup d'Algériens n'ont commencé à la connaître qu'à la parution de son livre, préfacé avec passion par Ghania Mouffok. Elle était âgée de 86 ans.
DANS CE LIVRE, UN TEXTE DATE DE 2012, INTITULE «EN GUISE DE FIN» ET AVEC L'ARRIERE-FOND D'UNE DECENNIE TERRIBLE, «ELLE» - C'EST PLUS SOUVENT ELLE QUE «JE» QUI APPARAIT - ECRIT : «ELLE S'INVENTE UNE SOCIETE DOUCE ET FRATERNELLE, MODERNE, ORGANISEE, QUI SE SOUVIENDRAIT DE L'ESSENCE DE L'APPEL DU 1ER NOVEMBRE ET DE LA PLATEFORME DE LA SOUMMAM, SOCIETE QUI AVANCERAIT AU GRE DES PARAMETRES DU XXIEME SIECLE. ET PLUS PRES, LA, A SON ECHELLE, ELLE VOUDRAIT ENTENDRE SES PAS DANS UNE FORET DE CEDRES, MARCHER TRES LOIN, DANS UNE VALLEE PROFONDE ET SE CHAUFFER DOUCEMENT AU SOLEIL SUR UN PLATEAU HERBEUX
». PAIX A EVELYNE SAFIR LAVALETTE, CETTE JUSTE ALGERIENNE. CETTE GRANDE ALGERIENNE.
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par Said Djaafer
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