Au lendemain de l’indépendance, l’Algérie vivait une situation socioéconomique critique : la pauvreté et la misère, un taux de chômage de 70%, un taux d’analphabétisme de 90%, un déficit important en main-d’œuvre qualifiée et en encadrement.
Notre pays se devait de mettre fin au plus tôt à ce lourd héritage légué par le colonialisme, les Européens ayant laissé derrière eux un pays sous-développé et totalement à l’arrêt. Pour cela, il fallait mettre en œuvre une politique de développement national qui réponde aux impératifs majeurs de l’Algérie indépendante dans les sept domaines fondamentaux suivants : priorité à une industrialisation de transformation, indépendance économique, formation et emploi, valorisation des ressources, contribution au développement de l’agriculture, compétitivité internationale dans les technologies modernes et enfin économie de devises en mettant en avant des programmes économiques et de construction afin de consolider l’indépendance politique en engageant des plans de développement. Il y a eu les plans triennaux 1967-1969, quadriennaux 1970-1973 et 1974-1977 et quinquennaux 1980-1985, répondant aux différents impératifs industriel, social, agraire, culturel, scientifique, sportif, santé, enseignement…Enfin, pour la valorisation des hydrocarbures, il y a eu le plan Valhyd pour développer une industrie pétrolière et gazière.
La bataille du développement national était donc en marche. Y ont été associés les premiers cadres algériens en majorité autodidactes, mais qui ont su concevoir et développer une expérience profitable par laquelle ils ont été au-devant de la scène de l’Algérie future. En effet, cette expérience a permis rapidement de faire fonctionner les institutions, les sites pétroliers, gaziers, miniers, les sociétés nationales pour rétablir l’économie et enfin les terres agricoles récupérées et prises en charge par nos paysans pour les exploiter. C’était une étape nouvelle de l’évolution économique et sociale de l’Algérie, tout aussi importante, qui fut la grande bataille qui s’annonçait pour cette génération après celle de la libération du pays.
C’était la grande période de l’ industrialisation du pays où, le temps passant, les entreprises se créaient et grandissaient, la croissance augmentait ainsi que l’offre. Des centres de formation ou médico-sociaux, des cantines se créaient au sein de chaque entreprise, les prix diminuaient et on parlait très peu de corruption, de fuite de cadres, de cerveaux ou de capitaux, de liquidation d’entreprises, de compression d’effectifs, de salaires impayés, de conflits sociaux... C’était un événement marquant et témoin de l’engagement d’une génération au service réellement de l’Algérie indépendante après le départ massif des cadres européens.
Les premiers cadres algériens ont été d’un apport indéniable au développement national, ils ont notamment su changer la donne et s’imposer comme acteurs-clés dans le processus de nationalisations et de développement national, après avoir préservé et valorisé le patrimoine public. Ils ont apporté la preuve de leur sacrifice dans la douleur de leur jeunesse, se passant d’une vie meilleure en travaillant sans répit et dans des conditions des plus pénibles, une charge de travail insupportable par manque d’effectif et de qualification sans pour autant demander davantage ou profiter de leurs postes. La norme de travail dépassait le plus souvent douze heures/jour pour des salaires mensuels dérisoires qui se situaient en moyenne entre 500 et 3000 DA ; certains travailleurs étaient même payés en nature en bons de semoule, de sucre, de café, d’huile, etc. Cela ne leur a rien rapporté aujourd’hui. Quand le patriotisme avait encore du sens dans l’esprit et la lettre du Congrès de la Soummam.
En outre, cette génération a donné le meilleur d’elle-même en contribuant à une autre réalité nationale, à savoir les importantes actions de solidarité et de volontariat dans le cadre des campagnes nationales. Plus important encore, des familles algériennes ont fait don de leurs bijoux, leur argent liquide… au profit du Fonds national de solidarité (sandouq tadhamoun). Cela a donné plus d’adhésion et de participation sur le terrain. Evidemment, un peuple magnifique et une race de cadres et de travailleurs resteront le modèle d’une génération qui a marqué l’histoire de notre pays par son sacrifice pour le développement de l’Algérie indépendante. Mais presque tous ont terminé leur carrière dans une totale déception, lorsqu’on constate que nos gouvernants oublient vite les sacrifices des générations. Une nation qui oublie, qui marginalise ou ne donne pas d’importance aux valeurs humaines n’a sûrement pas d’avenir.
Les évolutions et les transformations accomplies durant cette période sont résumées comme suit. Sur le plan économique : l’évolution rapide du progrès de la société algérienne et l’émergence d’une classe moyenne dominante et productive dont notamment l’Algérie était économiquement, socialement et culturellement plus avancée au plan microéconomique qu’aujourd’hui. On peut rappeler ici, essentiellement entre autres, la réalisation de grands ensembles industriels et technologiques dans toutes les branches d’activités : énergie et pétrochimie, sidérurgie, industrie agroalimentaire et pêche, mines, hydraulique dont les barrages de Beni Haroun-Abadla parmi les importants en Afrique.
En effet, un nombre impressionnant d’entreprises économiques, commerciales et bancaires locales et nationales qui voient le jour jusqu’à se compter par milliers, avec notamment la multiplication de leurs usines, de leurs agences ou unités, leur réseau de distribution et de leurs bureaux d’études à travers tout le pays. A titre d’exemple, Sonatrach avec 120 000 travailleurs et son organisation qui couvrait toutes les activités de la pétrochimie, devenue un Etat dans l’Etat et bien d’autres entreprises géantes à l’instar de Sonacome, SNS, Sider, Sonelec, Sonelgaz, Sonatiba, DNC, SNLB, SN Métal, SNMC, SNIC, Sonic, Sonatram, Sonarem, Sonitex, Saidal-Enapharm, ENMTP, CNAN, Cirta fabrication de tracteurs, moissonneuses-batteuses, BCL, fabrication de pièces industrielles, Batimétal, SNTA, Ofla, Oncic, etc.
Puisque la fiscalité ordinaire assurait les dépenses de fonctionnement, la fiscalité pétrolière est consacrée seulement aux équipements dont la part consacrée à l’équipement industriel était autour de 45% du produit intérieur brut (PIB) et plus de 50% du total équipement au moment où le pétrole valait sur les marchés mondiaux à moins de 10 dollars le baril, la part de la production industrielle annuelle était autour de 18 à 25% du PIB, la part générée en croissance annuelle était de plus de 10%, une agriculture rénovée où l’Algérie arriverait à produire la totalité de ses besoins en céréales, en légumes et fruits et à même exporter l’excédent, alors qu’aujourd’hui, l’Algérie figure parmi les pays gros importateurs grâce aux devises fortes des hydrocarbures, l’épargne nationale était en moyenne de 40% du PIB, la stabilité du taux de change dinar/dollar avec un cours de change fluctuant entre 4 DA et 5 DA pour 1 dollar.
Ces performances étaient parmi des plus fortes dans le Tiers-Monde, un acquis, porteur de grandes perspectives socioéconomiques pour l’horizon 1980 (H80) pour passer de l’état de pays pétrolier à celui de pays industrialisé où notre pays commençait à prendre place dans le concert des pays développés et s’imposer comme leader dans le Tiers-Monde.
Malheureusement, tout ce projet politique et économique fut abandonné à la mort du président Boumediène au milieu des années 1980, par l’introduction du fameux programme antipénurie (PAP), pour concrétiser pleinement le slogan «Pour une vie meilleure». Ce qui a exclu toute perspective de développement industriel et de l’économie des entreprises et plus alarmant encore la tendance des nouveaux dirigeants et cadres ne reposait pas sur l’échelle des valeurs et du mérite, dont la majorité était dépourvue d’un réel palmarès intellectuel et professionnel, notamment promus sans compétences et ce, quitte à compromettre un projet d’entreprise non achevé, un plan de redressement, etc.
Ainsi, l’Algérie vient de perdre ses meilleurs cadres et artisans du développement national. Alors qu’on ne peut améliorer la qualité du management des entreprises que par l’importance et le progrès des hommes. Et puis vint l’avènement de milliers d’importateurs sur la base d’un simple registre du commerce aux dépens des règles du jeu de l’économie de marché et d’une économie diversifiée, ce qui a valu la suppression du ministère du plan dont on connaît aujourd’hui les répercussions négatives. «Les Algériens et le prix du baril de pétrole». Sur le plan politique : de reconquérir la souveraineté économique sur : - La récupération des terres des colons, des assurances, des banques et des ressources minières. - Le 24 février 1971 fut une grande date dans le processus de libération économique, c’est, en effet, à cette date que furent nationalisés les hydrocarbures, principale richesse du pays, qui assurent à ce jour le fonctionnement et fait vivre l’Algérien et qui représente 98% des recettes totales du pays. - Le remplacement du franc français par la création du dinar algérien. - La mise sur pied de sociétés nationales, dont Sonatrach, créée en 1963. - La naissance d’une industrie nationale à la faveur de la nationalisation des hydrocarbures. - Une politique d’équilibre régional par la mise en œuvre de programmes spéciaux de développement qui a permis de mettre fin aux disparités entre les régions. Faut-il rappeler au passage que des réunions du gouvernement se tenaient au niveau des régions, dont notamment les Aurès, le Titteri, l’Oasis, la Saoura, la Kabylie… - Le plan Comedor qui devait restructurer et moderniser la capitale, voire la projection d’une nouvelle capitale politique dont le choix était porté sur Boughzoul. - De bâtir un Etat qui survive aux hommes et aux événements. - Une charte nationale, après un large débat populaire en vertu de laquelle, la Constitution est promulguée. - Une réforme sportive a été sans conteste une révolution sportive où le sport algérien rentrera dans les manifestations internationales. C’était le début de la période dorée du sport national.
Ajouter à cela une politique régionale de leadership qui a conquis les espaces géopolitiques dont notamment le monde arabe, l’Afrique et le Tiers-Monde. Ainsi de plusieurs événements très importants dans l’histoire du monde, le discours historique prononcé en avril 1974 par le président Houari Boumediène à l’Assemblée générale extraordinaire de L’ONU où il a lancé les grandes idées sur les matières premières pour un nouvel ordre économique international (NOEI), le sommet de l’OPEP à Alger lorsqu’il appelle à la nécessité pour une juste rémunération des hydrocarbures qui intervient après le choc pétrolier de 1973 et en marge de ce sommet, le président Boumediène a réussi à la conclusion d’un accord entre l’Irak et l’Iran, mettant fin à une guerre séculaire, la conférence des pays Non-Alignés, le dialogue (Nord-Sud) , la présidence de l’ONU assurée par l’Algérie lors du sommet de l’organisation de la conférence islamique à Lahore (Pakistan) où il prononce un discours qui est resté dans les annales où il a lancé à ses pairs que «l’on ne va pas au paradis le ventre creux» ajoutant : «L’islam que je connais depuis l’âge de dix ans n’a jamais nourri son homme.» Il donne l’exemple aux pays en voie de développement. Ces questions sont toujours d’actualité et font date dans les relations internationales.
Sur le plan agraire : une politique agraire est mise en œuvre ayant pour principe de base «la terre à celui qui la travaille» pour la mise en valeur des terres et pour une agriculture rénovée et organisée en grandes exploitations agricoles (domaines autogérés) avec des moyens d’équipements et d’irrigation à travers toutes les régions du pays qui revêt aujourd’hui une importance stratégique dans le cadre de l’équilibre régional et du développement local.
- La réalisation du barrage vert qui inspire aujourd’hui une grande expérience dans la lutte contre la désertification. - Le lancement du barrage fruitier à Benislimane fut abandonné à la mort du président Boumediène. - La réalisation de villages socialistes dotés d’écoles, de polycliniques, de maisons de jeunes, annexes administratives, ce qui verrait l’éradication de gourbis hérités de la période coloniale, la mise en valeur agricole et freiner l’exode rural.
Sur le plan de l’éducation, l’enseignement et la formation : la démocratisation de l’enseignement a été extrêmement rapide et forte, elle a permis à notre pays de se doter de milliers d’écoles, de lycées, d’universités, d’instituts technologiques, de centres de recherche scientifique, de centres nucléaires et de grandes écoles en cinéma, théâtre, musique où le taux d’alphabétisation a atteint près de 75% à la fin de 1970, cela grâce à un corps d’enseignant riche, intègre et de rang magistral. Cette évolution a eu des répercussions positives sur l’enseignement supérieur dans la mesure où l’université algérienne était classée parmi les plus performantes dans les pays du Tiers-Monde et permettait la formation de cadres haut niveau, voire même des cadres de la nation des Etats d’Afrique et de multiplier des effectifs dans toutes les spécialités pour notre développent national où nous avons aujourd’hui à travers le monde les meilleurs chercheurs, les meilleurs médecins, les meilleurs professeurs, les meilleurs économistes, les meilleurs journalistes, les meilleurs financiers, les meilleurs ingénieurs, les meilleurs littéraires .
Sur le plan santé publique : une politique de médecine gratuite a permis à notre pays de se doter de milliers de polycliniques, de dispensaires et d’hôpitaux, ce qui a donné accès à toutes les couches sociales où on enregistre entre 5 à 10 lits environ pour 1000 habitants. Elle a permis également d’éradiquer de manière définitive les maladies contagieuses et épidémiques, voire l’espérance de vie passant de 60 à 80 ans.
A donné naissance à une importante industrie pharmaceutique. L’on parlait d’âge d’or, de la médecine algérienne où on accueillera des malades de l’Afrique, du Maghreb, voire même des responsables et chefs d’Etat d’Afrique. Tous les hôpitaux universitaires (CHU) sont devenus un haut lieu de formation, de séminaires nationaux et internationaux, de recherche où l’on accueillera également des étudiants universitaires de l’Afrique et du Maghreb. Voilà à notre âme et conscience une génération qui avait marqué l’histoire de l’Algérie des années 1960-1970. C’est là un grand débat sur le développement économique et social de l’Algérie indépendante dont jamais un bilan n’a été établi, soit sérieusement pris en considération pour instituer la pensée critique pour édifier un Etat fort et respectable.
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