.
Depuis 2009, tout Tipaza l’a adopté. Rencontre avec Claude, natif du nord de la France… mais Algérien de cœur.
Assis au fond de sa véranda, Claude a le mal du pays. La voix nasillarde à cause d’un vilain rhume contracté depuis son retour à Lille, il rumine contre la pluie qui perle sur ses fenêtres. Rentré depuis moins d’une semaine en France, Claude songe déjà à sa prochaine visite “au pays”. “Chez lui à Tipaza”.
Claude un prénom étrangement français pour un Algérien ? C’est que l’homme au teint pâle et au regard bleu acier n’a pas fait ses premiers pas entre les ruines romaines de Tipaza, ni coulé ses premières brasses au Grand Bleu à Chenoua, ni appris à pêcher sur le charmant petit port de la cité antique. Claude n’a même pas un passeport vert bien que “l’idée trotte dans la tête”. Cela n’empêche, Tipaza est devenue sa ville et l’Algérie son pays. Il paraît même que tout le monde le connait dans la station balnéaire, située à 50 km à l’Ouest d’Alger. Son prénom agit auprès des habitants comme un sésame et peut ouvrir nombre de bras. Jusqu’à ceux du maire. Oui Claude, devenu une célébrité locale en l’espace de quelques voyages à Tipaza, a reçu la médaille d’honneur de la ville en 2011, rappelle-t-il fièrement.
“Un cœur algérien, un cœur français”
Claude a reçu en 2011 des mains du maire de Tipaza la médaille d’honneur de la ville. Photo Djamila Ould Khettab
Son histoire d’amour avec l’Algérie et Tipaza a débuté en 2009 au comptoir du café de l’hôtel Matarès, où il a depuis l’habitude de prendre ses quartiers. Là, il fait la rencontre debout derrière le zinc d’Ismaël, qui lui propose de découvrir la ville après son service. Les deux hommes ne se quitteront plus. En guise de signe d’amitié, Claude se promène avec au tour du cou la pièce de cinq dinars qu’Ismaël lui avait rendue le premier soir. “Elle témoigne de mon attachement à l’Algérie. Elle irrigue mon cœur algérien et mon cœur français”, sourit-il. Plus qu’un ami et un confident, Ismaël est très vite devenu un “khouya” pour Claude.
Depuis leur rencontre, Claude n’est jamais vraiment reparti en France. Bien sûr, il a fait les allers-retours entre Lille et Tipaza. Neuf en tout au cours des quatre dernières années. Mais si le corps voyage, l’esprit, lui, reste de ce côté-ci de la Méditerranée. Tombé sous le charme de la beauté de Tipaza, ses vestiges de pierre et ses paysages à couper le souffle, Claude dit être surtout envoûté par la fraternité qui règne entre les résidents. “Ce sont les gens qui y vivent qui m’ont fait aimer Tipaza. D’ailleurs le trois quart de mes photos ne montrent pas des paysages mais des rencontres”, souligne Claude.
Ambassadeur de Tipaza
La langue n’a jamais été une barrière entre Claude et les habitants de Tipaza. Même si le Lillois bredouille seulement quelques formules de politesse en arabe, Claude tient des discussions à bâton rompus jusque tard dans la nuit avec son khouya. “Le langage du cœur suffit et me le renvoie bien. C’est une langue qui évite toute les ségrégations”, pense Claude. Et puis à Tipaza la majeure partie des locaux sont “francophones et francophiles” alors Claude s’y sent comme un poisson dans l’eau.
Jubilant, volubile, Claude est avant tout un grand sentimental, qui s’entiche des inconnus à en faire des amis. Voire des parents. A Tipaza, Claude s’est constitué une seconde famille, une famille algérienne. En plus d’Ismaël, il y a son khouya Oussama, dresseur de chevaux qui amusent les touristes avec ces étalons sur le port et sa “oukhti” Zouliha, l’artiste.
Il s’est naturellement imposé comme un “ambassadeur de la ville”. Claude a beau ne pas être très doué en darija, il dit servir d’interprète entre les deux rives de la Méditerranée. “Je traduis pour les français l’esprit algérien qu’ils méconnaissent. Je veux contredire les médisants”, dit Claude, qui dit ne pas passer un jour en France sans évoquer son pays de cœur. Investi dans sa mission, Claude a même réalisé un reportage de 20 minutes dans l’atelier de sa oukhti Zouliha pour présenter l’artisanat algérien.
Aux côtés de Zouliha, Claude arbore avec fierté le maillot de l’équipe nationale. Photo Djamila Ould Khettab
Du haut de sa cinquantaine d’années, Claude rêve de couler une retraite paisible à Tipaza. Mais le sujet est tabou, son épouse refuse d’en entendre parler. Elle a un passé très douloureux avec le pays de ses origines, explique Claude, l’air triste. Alors, déchiré entre les deux rives, Claude continue de voyager seul en ne perdant pas l’espoir de rapprocher un jour sa famille en France de sa famille algérienne.
Par Djamila Ould Khettab F | novembre 14, 2013
Les commentaires récents