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Le parcours heurté d’un communiste algérien
«Il n’y a de liberté pour personne, s’il n’y en a pas pour celui qui pense autrement. »
Rosa Luxembourg
Son nom sonne comme un pseudonyme et ce qui ne gâte rien, il commence
par le vocable sport, qu’on décèle aisément dans le comportement élégant
de l’homme fasciné par l’action, toujours alerte, prêt à en découdre.
Si son visage a gardé quelque chose d’enfantin dans sa rondeur, il
conserve les traces des vicissitudes de la vie qu’il a traversées bon
an, mal an, mais toujours dans la bonne humeur. Parcours heurté, marqué
par son addiction aux luttes dont il a fait son crédo depuis sa tendre
jeunesse. William a toujours refusé les murs et les frontières.
Cet épris de liberté et passionné de vie est un fidèle sans nostalgie à
son pays de toujours. Même en France où il vit, il a gardé sa part
d’Algérie et de Constantine qu’il aime par-dessus tout. Pour en savoir
plus, nous avons fait un plongeon dans la vie de William qu’il
décortique dans une exquise autobiographie : «Je suis né à Constantine
en décembre 1923. Un premier enfant est mort-né avant mon frère Lucien
né en 1905 et ma sœur Berthe. Ensuite, entre ma sœur Germaine et mon
frère Bernard, il y a eu deux autres sœurs qui sont mortes. Puis il y a
eu Suzanne. Et j’étais le dernier enfant, le neuvième enfant que ma mère
a porté. Pourtant, le docteur Attal, qui était un parent de ma mère,
avait dit à mon père : «ça suffit, les enfants».
Ainsi commence le récit de Wiliam et ses confidences, livrées à
l’historien Pierre-Jean Lefoll Luciani, rassemblées dans un ouvrage,
William Sportisse parcours d’un communiste algérien, sorti récemment aux
éditions El Ijtihed. «Benjamin de la maison, j’étais le plus choyé de
mes frères et sœurs et de tout le monde. Je n’aimais pas l’école, on m’y
accompagnait, j’allais dans la cour, mais dès que la cloche sonnait, au
lieu de rejoindre les salles, je revenais à la maison». L’homme au
sourire engageant sait que la vraie nouveauté naît toujours dans le
retour aux sources. «Je suis né dans le quartier de Saint-Jean, qui
était surtout habité par des Européens. Le cimetière européen n’était
d’ailleurs pas loin. Peu de juifs vivaient dans ce quartier : à ma
connaissance, nous étions peut-être deux familles juives, domiciliées
dans le même bâtiment.»
Brahimi Arezki, rouigui, Belkhodja et les autres...
Des Algériens musulmans, il n’ y en avait pas du tout. Ils habitaient
dans la vieille ville ou plus loin, dans la campagne périphérique de
Constantine. Mon père me racontait qu’il n’est allé à l’école qu’à l’âge
de 11 ans. Son père lui disait : «Tu n’iras pas à l’école française,
si tu y vas, tu vas perdre ton identité, tu vas perdre ta langue et tu
vas perdre ta religion.» Cette réaction existait aussi chez les
musulmans. William raconte son parcours sans en rajouter, en rapportant
tous les faits sans exclusive. «Par ailleurs, nous écoutions la musique
du pays, surtout du malouf constantinois.Les juifs de la génération de
mes parents n’écoutaient pas la musique française ou européenne. Notre
nouveau quartier s’appelait le Camp des Oliviers ‘’Djenen El Zitoun’’.
Nous avons dû arriver là, en 1930, quand j’avais 6 ou 7 ans et j’y ai
vécu jusqu’après mes 23 ans. Mon frère Bernard, sa femme et mon père y
ont vécu jusqu’à l’indépendance et j’y suis moi-même revenu lorsque
j’étais clandestin pendant la guerre de libération. La famille y est
donc restée 32 ans, c’est toute une vie et il y a beaucoup de choses à
dire ! »
A cette époque-là, les périls se profilaient et William en avait
conscience. «La crainte de l’arrivée du fascisme dans ces années
1934-1935 m’a beaucoup marqué. Et à mon avis, elle a aussi marqué les
milieux juifs de Constantine. Les jeunesses communistes ont été
impulsées après les évènements d’août 1934 par les lycéens, Maurice
Laban, Georges Raffini, Pierre Bartoli, tous les trois d’origine
européenne et mon frère Bernard. Ils formaient un petit groupe de jeunes
militants courageux qui osaient s’affirmer comme communistes. Ils
étaient entrés en contact avec des jeunes musulmans qui étaient
étudiants à la médersa, mais aussi avec des jeunes ouvriers de toutes
origines. Quand j’avais 12-13 ans, j’y accompagnais parfois Bernard sans
être membre des JC et je participais aux manifestations du Front
populaire. Des instituteurs ont également contribué à mon éveil
politique».
Au lycée d’Aumale, qu’il a rejoint en 1936, William se souvient qu’il
n’était pas un élève extraordinaire et qu’il n’était pas
particulièrement obnubilé par les cours, notamment d’histoire. «C’était
l’histoire officielle, l’histoire des dominants. Et quand il était
question de l’Algérie, c’était pour parler de la conquête, de la défaite
des Arabes et pour dire : ‘’La France a apporté la civilisation. Alors
si tu n’avais pas de notions politiques, tu pouvais te laisser prendre».
Je me souviens par exemple de Sadek Guellal, alors qu’il revenait de
la guerre du Vietnam, a quitté l’armée française pour rejoindre l’ALN, à
partir de la fin 1945. William milite aux Jeunesses communistes à
Constantine.
«Quand je suis arrivé, les JC étaient dirigées par Rabia Bensegueni
(dont le père, artisan, était membre de l’association des Oulémas mais
proche du PCA) et Guilbert Balduchi (dont le père était garde forestier à
Lambèse et membre du PCA). Les camarades m’ont proposé de devenir un
permanent de la région des JC. J’ai accepté, au grand dam, d’ailleurs,
de ma famille qui pensait que je gagnerais à continuer mes études.
Le camp des oliviers
Mais guidé surtout par le fait que je devrais poursuivre le combat
entrepris par mon frère Lucien, j’ai accepté cette proposition. Je suis
donc devenu un fonctionnaire de la révolution ! D’abord par une sorte de
cooptation, puis j’ai été élu lors de la conférence régionale des JC.
Cette période était passionnante, notamment lors de mes premières
visites à l’intérieur du pays. Elles m’ont permis de nouer des relations
locales, parmi lesquelles Abderrahmane Adjeroud et Madjid Djeddi (Aïn
M’lila), Bouchareb (Aïn Fakroun), Mohamed Toumi et Abdelaziz Rouigui
(Canrobert, aujourd’hui Oum El Bouaghi, Abdelkader Belkhodja (Batna),
Ali Djoudi (Biskra), Fodil Lid et ses frères (Fedj M’zala, aujourd’hui
Ferdjioua), Bachir Djeroud (Skikda), Brahim Dekoumi (Bordj Bou
Arréridj), Youcef et Yahia Briki (Akbou), Harbouche, Ahmed Ralaj, Roger
Simon Gioranni, Roger Cavieuse et Omar Lebbar (Sétif). J’ai eu le
privilège de devenir l’ami d’Ahmed Redha Houhou, SG de l’Institut Ben
Badis de Constantine. J’ai fait sa connaissance lors d’une assemblée au
cercle de l’UJDA, à laquelle il était invité.
Cette réunion avait été suivie d’un thé fraternel pendant lequel les
jeunes entonnaient des chansons révolutionnaires. J’avais chanté une
chanson en arabe écrite et composée par notre camarade Abdelaziz
Rouighi. Surpris d’entendre un jeune d’origine juive chanter une chanson
de lutte en arabe, Houhou m’avait félicité et nous avons noué des liens
d’amitié. La décision de créer une émission en arabe commune aux partis
communistes du Maghreb a été prise en 1953.
La Hongrie était d’accord. A partir de Budapest nous avions
immédiatement diffusé la proclamation du FLN du 1er Novembre.
D’ailleurs, quelque temps après, Aït Ahmed nous écrit par le biais de
l’ambassade d’Egypte afin de nous féliciter pour notre émission et pour
nous demander de passer l’appel du 1er Novembre. Nous avons fait une
petite réponse pour lui dire que l’appel du FLN avait été donné dès le
départ. A partir de novembre 1954, le gouvernement français proteste
auprès du gouvernement hongrois et tente de faire cesser l’émission.
Après avoir consulté le PCF, le bureau politique du PC hongrois décide
de supprimer l’émission à la fin d’octobre 1955, moins de 2 mois après
l’interdiction du PCA et d’Alger Républicain en Algérie, quand la guerre
d’indépendance algérienne s’est véritablement affirmée, à partir d’août
1955. Mais quand il a fallu revenir au pays, à la fin des années 1955,
je suis revenu. Mais j’ai été convoqué par la police. En quittant le
commissariat, je me doutais que la filature se poursuivait. Ma valise
était très lourde, j’ai marché quelques temps puis, apercevant un taxi
je l’ai stoppé. Le chauffeur était algérien. Je lui ai expliqué
rapidement ma situation, je me souviens d’ailleurs qu’il m’a dit : «Mais
toi, tu es juif, comment ça se fait qu’ils t’emmerdent ? Vous avez des
ministres juifs, et ils t’emmerdent à toi ?» Je lui ai répondu : «Ces
ministres ne sont pas mes amis, ils sont nos ennemis !».
Un parcours exceptionnel
Au départ, nos groupes armés se sont constitués en dehors de l’ALN,
quand sur une grande partie du territoire, des dirigeants du FLN ont
fermé la porte des maquis aux communistes. Fin 1955, les groupes des CDL
ont été soit arrêtés, comme Selim Mohamedia, soit obligés de prendre le
maquis, comme Roland Simeon, André Martinez et Tahar Belkhodja, qui
sont partis dans les Aurès, Raymonde Pesthard périra au maquis en 1957 .
William passe sept années dans la clandestinité à Constantine de 1956 à
1962. En novembre 1956, le préfét de Constantine, Maurice Papon,
affirme que la collusion du PCA constantinois avec le FLN n’ a pas été
détectée.
D’après eux, les dirigeants du PCA constantinois sont Ribet, Vallon,
Bel, Coulet, Sebbah Halimi, Mazri, Hocine Messad, Rachid Benmelik,
Arezki Brahimi et Abdellah Demene. Nous avions nos propres journaux
clandestins, Etudes et documents, Le Patriote. En 1962, William pense
que la prééminence du parti FLN n’entraîne pas nécessairement l’unicité.
Il souligne les positions courageuses de Abdelkader Guerroudj et Aït
Ahmed contre la dissolution du PCA. Ce dernier déclare qu’«un parti fort
et organisé, qui jouit de la confiance du peuple, n’a nul besoin de
dissoudre un autre parti. Il me semble au contraire, qu’il serait bon
que ce parti puisse se maintenir, car il jouerait le rôle de
stimulant».
Le 18 janvier 1965, William obtient la nationalité algérienne. «Il
fallait que j’apporte les preuves de mon militantisme et de ma lutte.
Des moudjahidine, comme Arezki Brahimi et Selim Mohamedia qui
travaillaient à Alger républicain, ont témoigné pour moi». William ne
veut pas s’étendre sur la fusion entre Le Peuple et Alger Républicain
qui donnera El Moudjahid, «une supercherie». Le 20 septembre 1965,
William est arrêté par la SM et, est qualifié «d’aventurier étranger»
dans … El Moudjahid pour s’être opposé au coup d’Etat de Boumediène. Il
est emprisonné à Lambese, Oued Rhiou et assigné à résidence à Tiaret,
de 1968 jusqu’en 1974. Il est embauché à Alger, à la Sonatram, jusqu’en
1988, où il poursuivait ses activités partisanes au PAGS. Il renoue avec
Alger Républicain jusqu’en 1993.
Depuis il s’installa en France. Mustapha Khelfalah, dit «El Kourk», est
un homme jovial à l’humour corrosif qui a connu William : un gars
clairvoyant de conscience, de courage et de modestie. Il n’a pas eu à
s’interroger beaucoup pour s’engager dans la voie qui est la sienne, en
se plaçant aux côtés des Algériens en lutte pour leur dignité. Il fait
partie des anciens d’Alger Républicain du noyau dur du journal. Il s’est
déployé comme un diable pour la réapparition du journal, en mobilisant
les hommes et en lançant des souscriptions afin de sauver le journal de
l’asphyxie. «On avait l’agrément, on pouvait se relancer dans
l’aventure intellectuelle et militante, mais que pouvait-on faire sans
le nerf de la guerre ? La publicité nous était interdite.
Le retour d’Alger Républicain a été salué comme il se doit par les
camarades. Mais la crise qui l’a secoué a fait beaucoup de dégâts et
très mal à William, partisan de la ligne traditionnelle et qui restait
constamment vigilant contre l’intrusion des forces de l’argent. William
revendique son algérianité, mais aussi son communisme et sa judaïté. Il
vivait de sa retraite à l’instar de Benzine. Lors de la décennie noire,
il a décidé de se retirer. Benzine lui a conseillé de partir en France,
face aux périls qui s’annonçaient. William , Khalfa, Benzine, Kaïdi,
Chaoui et les autres, c’était le mur de soutènement du canard. Ce mur-là
s’est effondré, mais il ne faut pas se leurrer la crise d’Alger
Républicain, c’est avant tout la crise du PAGS.
Parcours :
William Sportisse est né en 1923 à Constantine, dans une modeste
famille de culture judéo-arabe. Il découvre très jeune les méfaits du
colonialisme, inspiré par son frère Bernard, militant communiste.
William a adhéré au PCA et prend part à la lutte de libération en
dirigeant une émission favorable au FLN, à partir de Budapest. Après son
interdiction, il rentre à Alger et rencontre son ami Henri Maillot.
Revenu à Constantine, il coordonne l’action clandestine des communistes
du Constantinois et y organise le soutien à l’ALN jusqu’à la fin de la
guerre.
Il devient journaliste à Alger Républicain après l’indépendance. Arrêté
et torturé sous l’ère Boumediene et assigné à résidence à Tiaret. En
1974, il renoue avec l’activité professionnelle et militant au PAGS,
puis au PADS en France. Fait des séjours périodiques en Algérie,
notamment lors des commémorations en souvenir des anciens camarades de
combat décédés.
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Hamid Tahri
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