Victoire n'est pas gloire !
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En ce jour du mardi 8 mai 1945, les Alliés fêtaient, dans la joie et
l'allégresse, leur victoire sur les forces de l'Axe. Cela signifiait, en
clair, la fin des hostilités. L'Algérie n'était pas de la partie. Au
contraire, elle était confrontée, ce même jour d'armistice, à un épisode
sanglant supplémentaire de son Histoire. Ce jour, célébré dans la
liesse dans une France libérée du nazisme, était un jour de deuil pour
l'Algérie colonisée. La fin du nazisme ne signifiait aucunement la fin
du colonialisme.
Un télégramme daté du 11 mai 1945 du Général de Gaulle, alors Chef
du Gouvernement français provisoire, ordonnait l'intervention de l'armée
sous le commandement du général Duval, surnommé le boucher de Sétif,
pour écraser l'insurrection. Ce dernier a mené une répression des plus
barbares contre une population indigène désarmée, faisant fi de toutes
les valeurs morales et humaines.
Le Constantinois était plongé dans un horrible bain de sang. La
répression menée conjointement par l'armée et la milice, était d'une
rare violence : exécutions sommaires, massacres de civils, bombardements
de mechtas. Autrement formulé, cette barbarie ne pouvait être qualifiée
autrement qu'un crime crapuleux contre l'humanité à Sétif, Guelma,
Kherrata. 45 000 Algériens ont péri sous le regard indifférent des
puissances pour sauver le régime colonial. Les trois corps de l'armée
coloniale sont entrés en action : infanterie, marine, aviation contre un
peuple qui avait pour seule arme sa poitrine nue et sa foi en Dieu et
en son pays. Redoublant de férocité, le système colonial pensait frapper
fort pour prévenir toute tentative de soulèvement à venir. Son
intention meurtrière était de massacrer le maximum d'indigènes pour
garantir la stabilité de son système. Ce fut une faute historique grave
commise par le pouvoir en place de l'époque. Au contraire, elle
(répression) allait servir d'accélérateur pour la Guerre de Libération
Nationale.
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Désormais, rien ne sera plus comme avant 10 000 manifestants se sont
donné rendez-vous dans les rues de Sétif dès 8 heures scandant l'hymne
patriotique « Min Djibalina » (Du haut de nos montagnes). Des banderoles
étaient déployées portant des slogans: «Libérez Messali Hadj», « Nous
voulons être vos égaux », « À bas le colonialisme », « Vive l'Algérie
libre et indépendante.» De même, ils avaient reçu l'ordre d'exhiber le
drapeau algérien pour la première fois. C'était un jeune scout musulman
de 26 ans (né le 08 janvier 1919), Bouzid Saâl qui le déploya. Il fut
immédiatement abattu par un policier. Le premier martyr était tombé. Ce
crime crapuleux allait mettre «le feu aux poudres.» La liste des
victimes sera longue, trop longue. Les émeutes se sont poursuivies
pendant plusieurs jours. C'était le début d'un véritable massacre, voire
un génocide qui ne disait pas son nom. Selon les sources algériennes,
il y avait 45 000 morts. D'autres sources révèlent d'autres chiffres. «
Pour les autorités coloniales : 1165 victimes ; un rapport du service
secret américains sur place annonce 17 000 morts. Pour les historiens,
comme Charles-Robert Agéron : 8 000 ; Charles André Julien : 15 000
morts contre 103 victimes européennes. Quant à l'Administrateur chargé
de la région de Sétif, il avance le chiffre de 2 500 morts.» Ce qui
montre bien que les colons s'étaient préparés à étouffer l'insurrection
dans l'œuf. Les responsables locaux distribuaient toutes les armes
disponibles aux miliciens qui se sont livrés à une réelle chasse aux
émeutiers. Durant cette période, l'Est algérien a connu le déchaînement
d'une véritable folie meurtrière. Les corps étaient tellement nombreux
qu'on n'arrivait même plus à les enterrer tous. On les jetait partout :
dans les puits, dans les gorges de Kherrata, en Kabylie. Certains
miliciens ont même utilisé des fours à chaux pour faire disparaître des
cadavres.
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Cet épisode sanglant allait servir de levain au nationalisme
algérien qui ne s'était pas rétracté d'un iota. Au contraire, il est
passé à la vitesse supérieure. Qui l'aurait mieux exprimé que Kateb
Yacine : «A Sétif se cimenta mon nationalisme. J'avais 16 ans.» Au
début, les Algériens avaient manifesté pacifiquement pour ne pas
provoquer les autorités coloniales. C'était juste pour les rappeler à
honorer leur promesse faite aux Algériens après avoir participé à
libérer la France des Nazis. La réponse fut ce qu'elle fut
historiquement. En dépit de ce massacre, les Algériens n'avaient rien
perdu de leur fibre nationaliste. Ils sont restés stoïquement Algériens
jusqu'au bout des cheveux en ce que le système colonial n'avait, à leur
yeux, aucune légitimité. Il a «analphabétisé» la société indigène, l'a
pressurée d'impôts jusqu'à la réduire à la misère. Il a spolié les
indigènes de tout ce qu'ils possédaient comme biens matériels, voire
même immatériels (culture, us, traditions sociales
). Le système
colonial était fondé sur une exploitation sauvage de l'Homme par l'Homme
; en l'occurrence de l'indigène par le colon. Autrement dit, c'était un
«apartheid» à peine voilé mais, en tout cas, fortement discriminatoire.
Il se basait manifestement sur les appartenances raciale et
confessionnelle. Le code de l'indigénat faisait le reste. 90% de la
population «indigène» étaient privés de leur droits civiques, voire
humains des plus inaliénables. Si les émeutes avaient baissé de tension à
Sétif, d'autres avaient éclaté dans différentes régions montagneuse de
la petite Kabylie, Des fermes européennes isolées et des maisons
forestières ont été attaquées et leurs occupants tués. Le mouvement
s'était étendu très vite de Guelma à Bel-Abbès. Par prévention, le
pouvoir colonial a consigné toutes les compagnies de tirailleurs
musulmans en formation et ordre était donné de mettre, sous clés, toutes
les armes.
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LE 8 MAI 1945, PREMONITION POUR LE 1ER NOVEMBRE 1954
La Deuxième Guerre Mondiale n'a pas été, pour autant, stérile. D'une
part, elle a fait tomber le masque sur vrai visage d'un colonialisme inhumain.
Celui-ci a fait preuve d'une répression dépassant tout entendement. Les
Algériens ne pouvaient supporter outre mesure. D'autre part, elle a démontré
que l'armée française n'était pas invincible. La défaite rapide des Français
face à l'Allemagne nazie a apporté l'eau au moulin du nationalisme algérien. Le
sang de ces derniers versé pour libérer la France devait avoir pour récompense
l'égalité en droits et devoirs avec les colons et le respect de l'identité et
de la culture algériennes. Ce ne fut pas le cas. A contrario, brimades et
vexations étaient le lot quotidien des indigènes. Ils avaient, alors, tout
compris : « il n'y a d'autres solutions que les mitraillettes » (Farhet Abbas)
mais
algériennes, cette fois. La Guerre de Libération Nationale était en
gestation. Elle se préparait doucement, douloureusement mais
sûrement. Cette
Guerre avait permis aussi de réveiller les consciences velléitaires des pays
colonisés pour lutter en faveur de leurs indépendances. Si la France a dû
s'affranchir de l'occupation allemande de quelques années, pourquoi l'Algérie
se résignait-elle à subir les affres d'un colonialisme séculaire ? La défaite
française à Diên Biên Phu (Viêt Nam) en 1954 a renforcé la détermination des
indépendantistes algériens à enclencher leur Guerre de Libération. Preuve
supplémentaire pour les Algériens que l'armée coloniale n'était pas invincible.
Cependant, perdre l'Algérie affecterait la France dans son rang de «grande
puissance.» Quant aux Algériens, la lutte armée exprimait leur profonde
désillusion due aux promesses françaises non tenues. Son déclenchement, un 1er
Novembre 1954, a conduit le pays à la victoire finale. Le 5 juillet 1962 fut
proclamée l'Indépendance nationale fêtée dans la même liesse que celle du 8 mai
1945 en Europe.
ET «L'ÉTAT» DE L'ALGERIE EN
2013 ?
La somnolence politique de l'Algérie, en matière de développement, accuse
un retard difficile à rattraper. Le pays ne cesse de s'enfoncer en raison de
l'immoralité des politiques, des scandales financiers à répétition qui n'ont
pas cessé de ternir son image déjà froissée. Les affaires de Khalifa, des
Bédjaoui, Sonatrch 1, Sonatrach 2, les malversations de l'ex ministre de
l'énergie, les fraudes électorales
. Et la liste est encore longue, trop
longue. L'Algérie se trouve, aujourd'hui, dans une impasse existentielle. En
cinquante ans de pouvoir, les gouvernants ont moins appris à gérer les affaires
du pays qu'à gérer leurs propres affaires par des enrichissements illicites. La
voie a été «officiellement inaugurée» au lendemain de l'Indépendance avec le
détournement de «la Caisse de solidarité» (Soundouk Ettadhamoune). Nos mères et
grand-mères ont offert à l'État algérien naissant les quelques bijoux rescapés
de la prédation coloniale. Ils sont tombés dans d'autres mains plus
prédatrices. Nationales, celles-là. Des politiques véreux l'(Caisse) ont
effrontément détournée pour se payer « des châteaux en Espagne » alors que le
sang de nos glorieux martyrs n'avait pas encore séché dans les montagnes. Le
coup d'envoi aux concussions et malversations ayant été solennellement donné,
des milliards de dollars ont été dilapidés depuis par nos «saigneurs.» Et
ça
n'en finit pas. Leurs comptes se sont copieusement renfloués de prédations
confortés, en cela, par leur immunité politique, cest-à-dire l'impunité. Ce
qui explique les raisons que cette oligarchie maffieuse reste rivée à SON
pouvoir depuis l'Indépendance. Et elle n'est pas prête à le quitter. Elle est
en train de conduire le pays vers l'insoluble, sinon vers l'incertain. Rien
n'est plus dangereux pour le pays que ses montreurs d'ânes lorsqu'ils
deviennent nababs.
Après cinquante ans d'Indépendance, sont oubliés par nos dirigeants les Zabana, les Ben M'hidi, les Amirouche
qui se sont sacrifiés sur l'autel du pays pour que vive le peuple
libre et l'Algérie indépendante. De même qu'ils ont pu estomper de la mémoire
nationale la culture des Ben Badis et des Ibn Khaldoun. Ont-ils peur de leur savoir
et de leur expérience ? Ils ont empêché une Algérie philomathique et savante.
Ils refusent une société organisée. Notre École, sinistrée intellectuellement,
est en passe d'enseigner l'ignorance parce que nos dirigeants craignent la
force de l'intelligence citoyenne. D'où la pratique d'une politique délibérée
de maintenir, voire de promouvoir la médiocrité à tous les niveaux afin de
rendre le peuple facilement gouvernable, taillable et corvéable à leur merci.
La société, qui était verticale le 8 Mai 1945 et le 1er Novembre 1954, se
trouve, aujourd'hui, horizontale. La corruption a atteint, en 2013, des
proportions insoutenables pour avoir atteint dangereusement le sommet de
l'État. Le pays est réellement en danger. Nos seigneurs se sont frayé leur chemin
vers le pouvoir mais refusent d'ouvrir la voie au développement économique,
social, culturel, démocratique. Comme dit le sage adage : « Les morts fondent
la patrie, les vivants la perdent. » Sans foi ni loi, l'égo individuel de ces
roturiers prime le pays, la nation, la société. Il y a tout lieu de croire
que
la colonisation a changé de main.
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Mohammed Guétarni
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