Colloque international organisé par l’Académie de géopolitique de Paris.
Une princesse,certes vivant à Londres, Basmah Bint Saoud Bin Abdelaziz, petite-fille du roi Abdelaziz, est venue plaider pour «une évolution» et non «une révolution», pour des réformes en Arabie Saoudite, pour une charte arabe des droits de l’homme l Le souffle des révoltes populaires arabes aurait-il gagné cette contrée arabe ultraconservatrice, dirigée depuis la création du royaume par des monarques vieillissants issus de la même tribu et qui porte son nom ?
C’est une première : un colloque international consacré à la question
des droits de l’homme en Arabie Saoudite s’est tenu au Sénat français,
mardi dernier. L’édifice politico-social du royaume saoudien serait-il
en train de se fissurer sous la poussée d’une contestation interne
présente depuis plusieurs années, mais férocement réprimée et très peu
médiatisée ?
Ali Rastbeen, fondateur et président de l’Académie de géopolitique de
Paris, commence par planter le décor. Après l’envoi de troupes par Riyad
pour soutenir la répression populaire au Bahreïn, un territoire qui
abrite une base navale américaine, alors que l’ONU reste silencieuse,
une nouvelle phase est en train de se développer dans les sultanats de
la région, indique l’orateur. Riyad tente, sous couvert de l’unité, de
mettre un terme à l’indépendance du Bahreïn. Aujourd’hui, alors que les
évolutions internes du système saoudien ont ébranlé les fondements du
régime tribal, l’idée de l’union des Etats du littoral méridional du
Golfe persique est à nouveau lancée pour préserver le régime.
On peut supposer que derrière cette tentative se cache le complot de fusionner les petits émirats dans l’Etat saoudien grâce au soutien des puissances étrangères à la région. Ce projet sera à l’origine d’un avenir obscur pour la région. Et le président de l’Académie de géostratégique de Paris de relever qu’il est surprenant que les Etats, les milieux internationaux et même les organes de l’Organisation des Nations unies ferment les yeux sur l’existence, dans le monde contemporain, d’un régime fondé sur des principes tribaux. Pour signaler ensuite que le versement de pots-de-vin constitue un des instruments de la politique étrangère du régime saoudien, grâce à la manne pétrolière. La violation des droits de l’homme est généralisée, dans le silence de la communauté internationale. L’Arabie Saoudite tente d’acheter, grâce à des avantages accordés aux pays occidentaux et aux Etats-Unis, le silence de ces derniers même si, de temps en temps, ils publient des rapports sur la situation des droits de l’homme dans ce pays, sans suite.
«L’Arabie Saoudite joue un important rôle économique, religieux et sécuritaire dans la vie des musulmans et non musulmans à cause de sa place centrale dans et pour l’islam, sa possession de grandes quantités de pétrole et son statut spécial d’exportateur majeur de doctrines léthales, de terroristes et d’extrémistes religieux», indique pour sa part Ali Alyami, directeur du Centre pour la démocratie et les droits de l’homme en Arabie Saoudite, basé à Washington.
Qu’en est-il du wahhabisme ?
M. Rastbeen rappelle que le wahhabisme – qui a pris naissance en 1745 dans la région du Nejd – a commencé comme un mouvement unificateur et a joué un rôle considérable dans l’évolution de la géographie politique de l’Arabie Saoudite. L’alliance entre le wahhabisme et l’identité ethnique saoudienne a permis l’extension de la puissance politique et religieuse de ses alliés, au-delà des tribus et des dynasties, sur l’ensemble de la péninsule arabique et leur domination sur d’autres régions et tribus. Aujourd’hui, l’influence du wahhabisme, en raison de son rôle historique et vital, dépasse celle, officielle, d’une institution religieuse. Depuis la création du régime saoudien, le wahhabisme a formé sa culture, son enseignement et son système juridique et imprimé son empreinte sur l’ensemble des tendances islamistes sunnites de l’Arabie Saoudite.
Dans l’Arabie actuelle, les muftis wahhabites jouent un rôle essentiel
dans les affaires politiques du pays et les ministres de la Justice, du
Pèlerinage, des Principes islamiques, des Legs, de la Propagande et de
l’Orientation sont nommés sur leur conseil.
La création du régime des Al Saoud, sur la base de l’union entre les
mouvements salafistes et wahhabites, est à l’origine des tensions et des
crises qui secouent aujourd’hui les fondements du régime saoudien. En
1991, suite à la présence grandissante des forces américaines dans le
Golfe persique et en Arabie, 700 savants wahhabites dirigés par
Abdelaziz Ibn Baz, grand mufti et dignitaire religieux d’Arabie, ont
publié une déclaration, dans laquelle, tout en critiquant les politiques
et les actions du gouvernement, revendiquaient la mise en œuvre
intégrale des principes du salafisme.
En outre, malgré les soutiens apportés par Riyad à la création de réseaux tels qu’El Qaîda, les menaces de ces réseaux se sont également dirigées contre les dirigeants saoudiens. Toutefois, les Al Saoud et les wahhabites disposent d’établissements et d’institutions religieuses influentes à travers le monde qui rivalisent avec le chiisme. Ces actions sont menées à l’échelle planétaire par un établissement intitulé Rabitat Al Alam Al Islami.
Chiisme et «déchiisation»
La «déchiisation» ou élimination des chiites constitue un principe de
base du XVIIIe siècle à nos jours, indique Ali Rastbeen. «Du point de
vue des wahhabites, les chiites sont des mécréants, propagent le
polythéisme, ont transgressé le principe de l’unicité et commis le péché
impardonnable de dénaturation religieuse sanctionné par la mort».
A ce jour, aucun Saoudien de confession chiite n’a été ministre ou
membre du cabinet monarchique. Lorsqu’en 2005, le roi Fahd augmenta le
nombre des députés de 120 à 150, seuls deux chiites y furent intégrés
pour un total de quatre. Le Conseil régional (15 membres dont 2 chiites)
des régions majoritairement peuplées de chiites ne compte plus qu’un
seul chiite.
Alors que l’Arabie Saoudite compte 37 850 mosquées et que plus de 1600
mosquées ont été construites à l’étranger, les chiites saoudiens n’ont
pas le droit d’en construire, les mosquées chiites existantes remontent à
la période ottomane. Quant à l’accès à l’enseignement et à l’éducation,
ils sont victimes de discrimination. Ils sont difficilement admis dans
les universités et n’y sont pas embauchés en tant que cadres ou
enseignants. La situation est encore plus grave dans les écoles.
Selon les dernières statistiques officielles les chiites constituent 10
à 15% de la population totale, évaluée à 22 millions d’habitants.
Catalogue non exhaustif de violations des droits de l’homme
Hamzeh Al Hassan, un des dirigeants de l’opposition contre le régime saoudien et activiste des droits de l’homme, cité par Ali Rastbeen, qualifie Riyad de «cimetière» des droits de l’homme. L’état déplorable des détenus politiques dans les prisons, l’aggravation de l’écart entre les classes sociales, l’extension de la pauvreté, la quasi inexistence de droits pour les femmes sont autant de violations des droits de l’homme en Arabie Saoudite.
Ainsi que la violation des droits des travailleurs étrangers, le règne
d’une minorité sur la majorité, la répression des chiites, l’arrestation
arbitraire des activistes politiques, la corruption administrative,
financière et politique.
Un des chapitres les plus affligeants des droits de l’homme concerne
les droits des femmes. Les Saoudiens considèrent comme un péché le
déplacement hors du foyer d’une femme non accompagnée d’un proche
parent. Bien que l’emploi des femmes ne soit pas interdit, il est soumis
à de nombreuses restrictions et les femmes doivent, avant de commencer à
travailler, solliciter l’autorisation du ministère des Traditions
islamiques. Cette institution a mis en place des lois très restrictives
pour le recrutement des femmes. A la suite de l’émergence du nouveau
gouvernement saoudien en 2005 et de la création du ministère de
l’Enseignement, les filles sont autorisées à fréquenter l’école.
Cependant, l’accès à l’enseignement supérieur constitue un défi pour
les femmes. Elles n’ont pas le droit de conduire de voiture. Le
soulèvement récent de certaines d’entre elles pour protester contre
cette interdiction leur a permis de transgresser la loi. Un tribunal a
condamné une femme à dix coups de fouet pour avoir conduit une voiture.
Le professeur Gérard-François Dumont, professeur à la Sorbonne, dans
une communication sur le droit des femmes en Arabie Saoudite, à la
faveur d’une analyse comparative avec la Tunisie, l’Irak, l’Iran et la
France, relève que dans la Loi fondamentale promulguée en 1992 par le
roi Fahd, le vocable «femme» n’est pas mentionné.
Les droits dynastiques appartiennent aux fils, il n’est pas fait
allusion aux filles. Et de préciser que l’Arabie Saoudite ne refuse pas
explicitement l’application de la Déclaration universelle des droits de
l’homme – «étalon» et «norme» du degré d’application des droits de
l’homme par les Etats – mais considère que ses lois souveraines
l’emportent sur les lois internationales. Elle a écarté le concept
d’égalité entre les hommes et les femmes au profit du principe de la
soumission à Dieu.
Le rapport du comité national des droits de l’homme, en 2008, sur
l’engorgement des prisons indique que le nombre de prisonniers y est si
élevé que les détenus sont obligés de dormir à tour de rôle. Il y aurait
actuellement 30 000 personnes détenues sous des accusations sans
fondement et nombre d’entre elles sont privées de visites et n’ont même
pas encore été présentées devant un magistrat.
Des restrictions en matière de liberté d’expression ont été étendues en
2011 à internet. Les blogueurs n’ont pas été épargnés ; ils risquent la
pendaison pour des écrits blasphématoires.Toutefois, une société civile
commence à se développer à partir de 2004.
«La Loi fondamentale n’est pas un texte sacré», donc réformable.
Abordant le volet juridique des droits de l’homme en Arabie Saoudite, Safa Ben Saad, chercheure à l’université Toulouse 1, dans une communication intitulée «Les droits de l’homme dans la Loi fondamentale saoudienne», considère qu’une nouvelle ère a commencé en 1992 et que la Loi fondamentale constitue «une avancée» dans le droit saoudien. «C’est le premier texte juridique saoudien qui inclut certains droits de l’homme», relève Safa Ben Saad. Et de signaler qu’au lieu de rejeter les droits fondamentaux en tant qu’importation occidentale, les Saoudiens islamisent les droits de l’homme. C’est une conséquence à une logique selon laquelle l’islam est une doctrine complète.
«Cette démarche ressemble à un bricolage artificiel, parfois forcé.»
«Il n’existe pas un déni des droits de l’homme mais, ces droits sont
considérés comme des droits laïcs» et «la conséquence de cette
appropriation en est que les droits de l’homme sont bafoués». La juriste
relève que le concept de l’Etat de droit est absent dans la Loi
fondamentale et qu’il s’agit d’islamité plutôt que de constitutionalité.
Le détenteur de la souveraineté c’est le roi, la séparation des
pouvoirs est inexistante. Ce qui l’amène à conclure que «la Loi
fondamentale n’est pas un texte sacré, sa révision est possible, plus,
nécessaire».
C’est en ce sens que quelques réformes ont été introduite à partir de
2005 comme la possibilité, pour la première fois, pour les femmes de
voter aux élections municipales de 2015.
«Aider au changement»
«La dynastie saoudienne est affaiblie face au religieux», estime Ali
Alyami, directeur du Centre pour la démocratie et les droits de l’homme
en Arabie Saoudite. Dans une communication sur le thème «Arabie/alliance
wahhabite : l’effondrement imminent», l’orateur estime que «le
wahhabisme isole de plus en plus le pays à l’intérieur du monde arabe et
à l’échelle planétaire».
Pour sa part, Ali Al Ahmed, président de l’Institut des affaires du
Golfe (Washington), ancien membre de la Commission américaine sur les
droit religieux internationaux, après avoir dressé un réquisitoire des
violations des droits de l’homme en Arabie Saoudite, relève que «le
système éducatif fabrique de la haine » et que «l’oppression religieuse
est un terreau qui favorise la propagation du terrorisme».
La princesse Basmah bint Saoud Ibn Abdelaziz, qui préconise une charte
arabe des droits de l’homme, considère que «ce n’est pas un problème de
chiites ou de sunnites ou de chrétiens, mais d’éducation dans une
société où la moitié de la population ne veut pas de changement». La
princesse saoudienne a dressé un plaidoyer pour que les droits des
individus soient respectés dans tous les pays arabes, souhaitant «une
évolution» plutôt qu’«une révolution».
Le directeur de l’Institut d’histoire des sciences sociales, Pierre
Rigoulot, dans une communication intitulée «L’Arabie Saoudite :
traditions, droits de l’homme et géopolitique», évoque un «douloureux
dilemme» et indique que «les violations sont évidentes mais cela appelle
de notre part une réflexion ; les critiques portées contre l’Arabie
Saoudite pour les violations des droits de l’homme peuvent-elles être
productives ?» et «la question n’est pas de dire les choses conformément
à nos convictions, ce qui compte c’est d’aider au changement. On est
entré récemment dans une nouvelle dynamique, depuis cinq ans les femmes
ont leur propre carte d’identité. Une société comme l’Arabie Saoudite
peut-elle absorber de nombreuses réformes à la fois ? Ce pays est
peut-être plus fragile qu’on le croit. Ne devons-nous pas nous pencher
sur toutes les implications d’une chute du régime saoudien ? Les
défenseurs des droits de l’homme ont-ils intérêt à l’effondrement d’un
allié des Occidentaux, principal fournisseur de pétrole ?»
* Ce colloque international sur les droits de l’homme en Arabie
Saoudite a été organisé par l’Académie de géopolitique de Paris, un
établissement privé d’enseignement créé en 2000, reconnu en 2009 par le
rectorat de Paris.
L’Académie de géopolitique de Paris reprend, dans le dernier numéro de
sa revue, Geostratégiques, les communications développées lors du
colloque et d’autres encore.
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