Le 29 juin 1992, le combatif Mohamed Boudiaf, coordonnateur de la révolution du 1er Novembre, est lâchement assassiné à Annaba.
Son assassinat s'inscrit dans la longue série noire des éliminations physiques sinon d'exclusions commises sur les militants, engagés corps et âme en faveur de la liberté, depuis la naissance du mouvement national manifestement incapable d'agir autrement que par la violence au lieu d'instaurer, dés le début de son éclosion, un climat de confiance par des débats d'idées et surtout dans le cadre d'une culture démocratique permettant d'évacuer celle de la ténébreuse pensée unique, avec son intolérance et sa brutalité, qui a fait tant de mal au pays et a ses hommes forgés dans la clarté des objectifs ainsi que la sincérité de l'engagement rassembleur des forces patriotiques. A la veille de chaque 5 juillet, le peuple Algérien se rappelle de ce triste et obscur 29 juin. Un souvenir traumatisant a plus d'un titre d'autant plus que ce militant de la cause nationale a offert toute sa vie au pays afin de rassembler et consolider les rangs d'une jeunesse paupérisée, notamment depuis l'échec programmé des reformes coloniales de l'après deuxième guerre mondiale, pour que le peuple Algérien, comme un seul homme, parvienne a se libérer de l'obscurantisme des esprits et enfin sortir du trou noir colonial qui ne rayonnait que pour ses intérêts et le bonheur de ses suppôts.
Issu d'une famille dont le nom veut dire convivial, le défunt Tayeb el Watani avait connu dés son jeune age l'injustice du système colonial bâti autour du douarisme sous la coupe des Caïds chapeautés par des administrateurs coloniaux policiers, secondés par des bachaghas, contrôlant et renforçant la ségrégation (quartier indigène, arabe, négro, colon, gaouri, assimilé , etc.) sciemment entretenue par une myriade de sous-traitants autochtones (percepteurs des impôts, indicateurs : Shab tarbouche etc.) ainsi que des « notables » de quartiers a la solde du système colonial : Cheikhs, goumiers baroudeurs ( Shab el guennour oua el baroud)
D'une manière générale, depuis notamment 1956, tous les dirigeants Algériens du CEE (comité de coordination et d'exécution) du GPRA (Gouvernement provisoire de la République Algérienne jusqu'à la fin du siècle passé, avaient connus pour leur plupart la disgrâce voire l'élimination physique comme ce fut le cas du défunt Mohamed Boudiaf.
Pendant la courte période qu'il avait passé à la présidence du Haut Comité d'Etat (du 16 janvier au 29 juin 1992), il a prodigué à son entourage d'avoir le sens de l'abnégation ainsi que celui de la mesure. A ce propos et d'après des témoignages, deux faits, parmi d'autres, méritent qu'ils soient médités. Le premier concerne l'usage des biens de l'Etat : il était horrifié du gaspillage de l'éclairage, entre autres, des résidences d'Etat et de leurs jardins. Le second : il ne permettait nullement aux autres de s'occuper de ses propres affaires. A ce sujet, il a lui-même sacrifié le bélier de l'Aïd el Kébir qui est la seule fête dont il a jouit, en Algérie, depuis l'indépendance. Il ne voulait rien changer à ses habitudes ancrées dans la culture qui a permis, à l'échelle de toute une génération, de résister aux tentations du fastueux et donc du gaspillage sous bassement de la corruption ainsi que de la dépendance
En revanche, il reconnaissait que la jeunesse Algérienne avait tous les droits de jouir des bienfaits de l'indépendance (formation, travail, loisirs, etc.). En peu de temps, le courant passer entre lui et cette jeunesse mystifiée par une école en ruine éducationnelle. Il personnifié l'espoir auprès d'une grande partie des nouvelles générations.
En effet, il a donné sa pleine confiance aux jeunes. Hélas, cela dérangeait d'autres clans, habitués au travail au noir an termes de complots, qui avaient besoin d'un homme alibi et non d'un rassembleur donnant sa main, par le geste et la parole, afin de réconcilier tous les Algériens et Algériennes en proie au désespoir. Comme la veille du 1er Novembre 1954.
En vain, le mal est profond. Demain, des gens vont se remémorer de cette obscure journée qui a provoquée une obscure décennie noire en termes de malheurs à tous les niveaux d'une société désarticulée et totalement égarée. En revanche, les dizaines de milliers de morts, torturés, déplacés, disparus
, ont dévoilé le coté obscur du système de gouvernance de l'époque.
Cela n'a pour autant suffit ni servit d'expérience aux gens encore moins qu'ils aient du recul notamment aux responsables politiques manipulés par d'autres clans qui ne reculent devant rien afin de faire fructifier leurs profits dévastateurs, en termes d'injustices criardes et d'agissements obscurs, susceptibles encore une fois de faire régresser le pays avec cette fois-ci, A Dieu ne plaise, un ténébreux et long tunnel. Certes, les temps ont changé, en termes d'idées et de puissants moyens financiers, par rapport au passé, néanmoins les dangers qui ont fait aboutir a la décennie noire (1990-2000) sont toujours aux aguets. Par conséquent, il serait hasardeur de croire que le pays est définitivement à l'abri des retournements de situation de l'Histoire. Par conséquent, la clairvoyance n'est nullement d'attendre les entassements des problèmes puis réagir en faisant semblant de les régler.
Le défunt coordinateur de la révolution novembriste, avait appris dés sa jeunesse de les anticiper et qui, hélas, l'a oublié a la fin de sa vie. Il avait confiance au jardin de la jeunesse d'Algérie. Et au processus démocratique. Repose en paix Si Mohamed tu embaumais le respect et la sympathie autour de ta personnalité. Deux qualités rares. A la fin, et tout compte fait, il vaut mieux vivre une nuit comme un lion rugissant bravant n'importe quel danger, qu'une peureuse grenouille ne cessant de croasser toute la vie dans un bosquet de roseaux à côté d'une sombre seguia d'oued !
.
par Ali Brahimi
«En 1962, Boudiaf avait dit à Boumediène qu’il ne pouvait pas marcher avec la mitraillette»
Boudiaf, héros du net algérien, des enfants facebook. Curieusement, le Président assassiné a eu des arrière- petit-fils qui voient en lui un héros, un homme propre dans un pays sale, un mort qui donne de l'espoir et qui continue d'agir, alors que ces jeunes n'étaient même pas nés, quand il a été ramené, emballé, tué et livré à la terre nationale et au ciel de personne. La raison ? Plusieurs dont la première et l'essentielle : Boudiaf est un anti-Bouteflika, un contraire, un portrait inversé.
A noter donc en premier, que les deux sont venus par avion (moyen d'élection premier en Algérie), mais l'un d'eux est mieux vu que l'autre. Curieusement, par partage de générations : Bouteflika est apprécié par les anciens, les vieilles et vieux, la génération obéissante de Boumediene, les nostalgiques. Boudiaf c'est le héros des plus jeunes, la génération Tarek Mameri, les internautes libres, les gens jeunes qui veulent prendre le Pouvoir, le pays par le torse, la route et l'avenir. Boudiaf a eu un rideau derrière le dos, Bouteflika l'a en face, entre lui et son peuple. Le premier parlait beaucoup aux Algériens, le second à peine et presque plus. Boudiaf a été le fondateur du FLN, Bouteflika est son propriétaire. D'où le malaise. Boudiaf a été tué, Bouteflika tue le temps. Boudiaf parlait en algérien aux Algériens, Bouteflika parle en arabe à ses propres souvenirs.
Autre chose ? Oui. Les six mois de Boudiaf lui ont donné cette brièveté des stars qui meurent jeunes et au sommet de la gloire, en fabriquant leur mythe. Bouteflika a fait l'erreur fatidique de s'offrir et de nous imposer, par viol des consciences et de la constitution un 3ème mandat. Boudiaf semblait sincère. Bouteflika semble surtout en colère contre quelque chose qui s'est passée en 1979 et qu'il nous fait payer et dont il nous accuse, sans cesse. Boudiaf aimait les jeunes. Bouteflika les redoute ou les méprise. Boudiaf tournait le dos à ses meurtriers là où Bouteflika nous tourne le dos à nous. L'un est mort depuis vingt ans, l'autre l'a été pendant vingt ans, mais aux Emirats. Les jeunes générations voient en lui un Père alors qu'on les accuse de vouloir tuer le père. Boudiaf est un homme, un seul, un Algérien, le patron d'une briqueterie. En Bouteflika, ils voient un système, une caste, une famille, une région, un clan. Du coup, la confiance n'est pas la même. La preuve de l'honnêteté de Boudiaf c'est qu'il a été tué. Dans le pays des martyrs, la mort par mort et par assassinat est une déclaration de patrimoine, acceptée par tous. C'est la preuve que l'on mérite la vie.
Boudiaf est le Président que l'on rêve : sincère, parlant algérien, ouvert, aimant son pays pour sa terre et pas pour son pétrole, fier de sa nationalité, la nôtre, entier et avec une vision d'avenir qui veut rajeunir le pays et pas le faire vieillir. Cet homme ne nous a pas tiré dans le dos, ni en face. Il a pris la balle à la place de nous autres, même ceux qui sont nés après. Les Algériens jeunes le devinent d'instinct.
.
par Kamel Daoud
Les commentaires récents