Cette boisson verte aussi «green» – couleur allusive en anglais de Grine – est, par excellence, l’élixir des écrivains comme Marcel Proust qui en consommait, en prime de sa légendaire madeleine. Car inspiratrice. Cependant, le nouveau livre de Hamid Grine ne fait pas dans l’apologi spiritueuse mais «spirituelle » aux allitérations littéraires. A la recherche du temps perdu du côté de chez… Camus.
A la recherche de son père «spirituel», Albert Camus. Un Parfum d’absinthe débute avec la mort du père de Nabil. Une paternité posthume remise en cause. A propos de ce deuil, l’auteur dit : «Ce deuil attise les convoitises de l’oncle Messaoud qui confie le soir même du troisième jour à son neveu Nabil, professeur de français, intègre et compétent, qu’il n’est pas l’héritier de son père. Mais juste un bâtard recueilli par son frère.Le deuil, comme c’est souvent le cas, fait remonter en surface toutes les vieilles rancunes familiales. Il dévoile les personnes sous leur vrai jour. Messaoud est un viveur jouisseur, Nabil est honnête homme trop positif pour l’Algérie d’aujourd’hui. Le deuil n’est pas synonyme de tristesse pour Nabil. Mais de délivrance d’un père froid, distant et dur avec sa défunte mère.».
Aussi, Nabil effectuera une quête initiatique. Il fera son inventaire à la Prévert. Une pierre de touche pavant la voie de la tolérance.
Toutefois, Hamid Grine posera la question frontale de l’engagement des intellectuels pour la cause algérienne et le combat anti-colonial.Un pavé dans la mare : «Comme la majorité des Algériens, Nabil n’est pas sûr de ses origines. Sa généalogie s’arrête à son grand-père. D’ou sa quête identitaire pour se retrouver et se réconcilier avec lui-même. En marchant sur les traces de Camus, c’est lui même qu’il découvre. L’homme Camus, son supposé père, mais aussi les autres écrivains algériens contemporains.
Avec l’ami de Camus, Rabia et sa petite fille la belle Sarah, il apprend à recadrer Camus dans une autre perspective : comme un écrivain français d’Algérie et non comme un Algérien. Il faut le louer pour ce qu’il a fait au lieu de le blâmer pour ce qu’il n’a pas fait.
Après tout, c’était un colonialiste humaniste, comme l’a qualifié Albert Memmi.
En revanche, il faut regarder avec un œil critique les écrivains algériens contemporains de Camus : Feraoun, Dib, Mammeri, Kateb, Senac et Jean El Mouhoub Amrouche. Qu’ont-ils fait durant la guerre? Ont-ils fait plus que Camus ou moins que lui.
Avec eux, c’est l’exigence de la vérité et de l’engagement qui s’impose.
Je pense que c’est la première fois qu’un roman pose avec beaucoup de tolérance la question de l’engagement de nos écrivains durant la révolution».
Quant au côté autobiographique, il répond : «Chaque auteur introduit des éléments saisis ici et là, accumulés au fil des ans soit dans son entourage, soit dans la société. Un Parfum d’absinthe n’échappe pas a cette règle qui est la base même de tout processus créatif.
Pour le père et la mère et leurs rapports exécrables, je me suis inspiré de personnes de ma propre famille.
En fait, d’un cousin éloigné, un homme de l’ancienne génération, admirable et injuste à la fois.
Les traits de caractère de la mère sont globalement ceux de ma grand-mère. Quant à Nabil et son épouse, ils sont inventés de toutes pièces, même si ici et là on pourrait retrouver leurs traits chez quelques personnes de ma connaissance. Vous savez, le monde est un formidable théâtre. Il suffit de bien regarder.»
Concernant cette quête et enquête du «Graal» de Camus, Hamid Grine explique : «J’ai toujours aimé Camus pour sa sensibilité et sa philosophie de la vie : vivre l’instant au maximum en se battant même si l’issue du combat n’est pas certaine, même si la vie est absurde. Les pages de Noces à Tipasa sont parmi les plus belles écrites sur notre pays, sur sa terre, sa nature… à chaque fois que je lis Noces à Tipasa, j’ai envie de m’y précipiter. Et souvent je m’y précipite. Pas d’Algériens dans les œuvres de Camus ? Mais Camus était français.Et c’est normal qu’il voyait l’Algérie avec ses yeux de Français, même s’il lui arrivait – et il faut lui rendre hommage – de dénoncer dans ses écrits journalistiques la misère en Kabylie et la répression dans le Constantinois. Il dénonçait les injustices et non les fondements mêmes du système colonial. Il ne voulait pas d’une Algérie indépendante. Mais d’une Algérie autonome reliée à la France. Tout cela est débattu dans le roman. Avec cette règle : ne jamais blâmer, toujours essayer de comprendre en se mettant à la place de l’autre pour voir les choses de la même façon que lui.»
Ce nouveau roman est plus élaboré, plus abouti et bien senti. Et puis, il est olfactif, filial et téméraire dans un trait cursif sans concession.
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Hamid
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