Dans ses carnets, de 1936 à 1938,
apparaissent des plans, indications et bouts d’essai concernant un projet
romanesque qui aura pour titre, en 1937, « La mort
heureuse ».
Ce roman raconte l’histoire d’un homme qui veut à tout prix être heureux et qui ira jusqu’à commettre un crime pour cela. On sait l’importance de cette problématique pour Camus, qui tout au long de son œuvre incarnera ses idées philosophiques dans différents personnages. En effet, la conquête du bonheur est difficile, et Camus affirme que non seulement« L'héroïsme est peu de chose, le bonheur est plus difficile », mais aussi qu’il est impossible d’être heureux tout seul et que la solidarité et l’engagement (La Peste) sont indispensables à la vie dans une communauté d’hommes. Le héros, Patrice Mersault, faisant fi de la morale bourgeoise , et voulant être heureux à tout prix, arrivera à une impasse qui est aussi celle du roman. Camus abandonnera ce projet et écrira « l’Etranger ». Le narrateur le dit bien : « dans cet épanouissement de l’air et cette fertilité du ciel, il semble que la seule tâche des hommes fût de vivre et d’être heureux ». Le héros , dans cette communion avec la nature, dans un corps plein de santé, éprouve « l’exaltation » qui remue le monde et rejoint « l’enthousiasme de son cœur ». il célèbre ces noces de l’homme avec ce qui l’entoure. C’est ainsi que Lucienne est décrite : « avec ses cheveux blonds en arrière, son nez petit et droit et l’élan magnifique de ses seins, elle figurait et sanctionnait une sorte d’accord secret qui la liait à la terre et ordonnait le monde autour de ses mouvements. » Car l’homme ne peut être heureux qu’ici et maintenant, dans un corps préservé de la maladie, épanoui et fort, dans une sorte d’animalité proche de l’inconscience. Et cette santé n’est pas seulement l’apanage de l’Homme mais aussi celle d’endroits, de ville telle Gênes ,« assourdissante, qui crevait de santé devant son golfe et son ciel, où luttaient jusqu’au soir le désir et la paresse ». Et le héros dans cette vigueur retrouvée, débarrassée de la pauvreté qui est une entrave au bonheur, peut enfin ressentir la « soif, faim d’aimer, de jouir et d’embrasser ». Le corps pour s ‘épanouir a besoin de la mer, du soleil et de la lumière propre au pays méditerranéens. Cette noce que célèbre l’homme avec le monde prend des accents poétiques, voire lyriques, d’une immense beauté : « Patrice lève le bras vers la nuit, entraîne dans son élan des gerbes d’étoiles, l’eau du ciel battue par son bras et Alger à ses pieds, autour d’eux comme un manteau étincelant et sombre de pierreries et de coquillages ». L’homme, jeté dans un monde « plus dense et plus noir » où « une secrète palpitation d’eau annonçait la mer » C’est pourquoi la mort peut être douce car elle est le retour ultime au monde, un éparpillement de molécules qui se mêlent à d’autres dans une suprême inconscience, un retour au chant de la terre. L’homme doit devenir ce qu’il est dans un long cheminement, en revenant à l’expérience originelle dans cette communion avec la nature. Et pour être en accord avec le monde, telle Lucienne, il doit se libérer des contraintes physiques, morales et culturelles. Le héros vit de manière non-conventionnelle, affranchi de la pauvreté, retranché souvent dans une bienheureuse mais éprouvante solitude pour une remontée vers l’essentiel, essayant de retrouver une sensation du temps et de son écoulement. Les seules personnes que rencontre le héros sont eux-mêmes des marginaux, ainsi les étudiantes de « la maison devant le Monde » ou ce pêcheur taciturne. A lire absolument …
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