Faut-il enterrer albert camus au panthéon ?
Voilà cinquante ans exactement, le 4 janvier 1960, qu’Albert Camus quittait ce monde pour retrouver ses paradis depuis longtemps perdus. Et depuis ce jour, nous qui l’avons aimé, parce que nous pensions à tort ou à raison qu’il était notre voix, notre fierté et notre avenir ; parce que nous pensions qu’il nous avait enfantés, tant nous vivions dans l’espoir et l’attente de ce qu’il disait ou de ce qu’il dirait de notre pays ensanglanté… et depuis ce temps, donc, nous sommes orphelins.
Nul besoin pour nous d’aller à Lourmarin pour nous « recueillir » comme on dit, sur sa tombe. Nous ne nous arrêtons jamais à Villeblevin pour lire sur le bloc de pierre de la fontaine en face de la mairie ces mots qu’il écrivit en conclusion du Mythe de Sisyphe : « La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d’homme. » Nous n’allons pas à Tipasa, déchirer notre cœur à la vue de la stèle phénicienne que grava Louis Bénisti et sur laquelle le nom de Camus fut, comme celui de certains pharaons, mutilé pour l’effacer de la mémoire des hommes… Nous y entendons cependant la voix de Camus nous dire ce qu’est la gloire : « Je comprends ici ce qu’on appelle la gloire : le droit d’aimer sans mesure. »
Et nous savons que partout où il est chez lui, nous pouvons, comme Sisyphe privé des dieux, l’imaginer heureux. Alors, Monsieur le président, ne l’enfermez pas dans un caveau, aussi prestigieux soit-il. Victor Hugo ne s’en offusquera pas. Laissez Camus, qui appartient aux pauvres du monde entier, meubler l’imaginaire de ceux qui croient qu’un malheureux petit garçon de Belcourt, sans père, sans argent, malade et rempli d’angoisses, a su dire leurs douleurs, leurs désespérances et leur grandeur.
N’en faites pas une momie. Car, pour nombre d’entre eux, Camus est toujours vivant.
Par Claude Tedguy, philosophe et psychanalyste
Les commentaires récents