Cinquante
ans après sa disparition, tous les médias célèbrent Albert Camus, avec
un temps fort : la diffusion, mercredi 6 janvier sur France 2, du «
Camus » réalisé par Laurent Jaoui
Dès l'ouverture, l'émotion
s'impose. L'enfant de la pauvreté apparaît dans l'éclat du soleil
algérien. La plage, le quartier de Belcourt, l'instituteur, la mère
silencieuse, la grand-mère autoritaire… Les lecteurs du Premier Homme
(1) tressaillent. Ils sentent que le réalisateur, Laurent Jaoui, leur
fait une promesse : prolonger à l'écran ce livre que l'on ne ferme
jamais.
La gratitude se prolonge en découvrant
l'interprétation de Stéphane Freiss. Juste, sans scories et sans
artifices (ou presque), à la hauteur de son sujet : habité, profond et
déchiré.
Choisissant d'évoquer sous forme de flash-back les dix
dernières années de Camus, le film est construit autour du dernier
réveillon de l'écrivain à Lourmarin. Il y reçoit en compagnie de son
épouse Francine (Anouk Grinberg, la fragile beauté d'un cristal brisé),
Michel et Janine Gallimard, amis, complices et confidents.
Un
dîner qui se vit comme une dernière cène avant la fin tragique. Qualité
du texte et de la restitution d'une époque, le film est à bien des
égards une vraie réussite.
L'impératif sentimental
Néanmoins,
malgré l'originalité de la proposition et la qualité de
l'interprétation, il n'est pas au-dessus de toute critique. Inspiré sur
le fond par Olivier Todd, l'un des biographes de l'écrivain, Laurent
Jaoui tombe dans l'un des travers de la fiction française : l'impératif
sentimental.
Le contexte intellectuel, littéraire, historique
des années cinquante n'est pas oublié, bien entendu. Tous les passages
obligés et attendus sont au rendez-vous : la querelle de L'Homme
révolté et la séparation d'avec Sartre, la guerre d'Algérie, le prix
Nobel de littérature… Le tout ponctué des phrases célèbres de l'auteur,
comme la fameuse « entre ma mère et la justice, je préférerai toujours
ma mère ».
De même, la place du théâtre et de la danse dans
la vie de Camus est mise en évidence. Et enfin, évidemment, son goût
pour les femmes (La Chute est éloquente sur le sujet (2)).
L'écrivain n'a pas été, sur ce point, ce que l'on appellerait un homme
fidèle. Mais plus on progresse dans le film et plus le propos se
concentre sur cette dimension intime de l'écrivain.
Ses dix
dernières années s'éclairent peu à peu à la lumière de ses tourments
domestiques et de ses passions dévorantes, celles d'un homme de 40 ans
qui se prépare à rompre définitivement avec sa femme. Un Camus, en
quelque sorte, malade d'une crise de milieu de vie, inscrivant son nom
dans la longue liste de ceux qui délaissent le foyer pour une «
jeunette ».
Le dernier repas
C’est toute la tension dramatique du dernier repas. Un point de vue
qui, pour les besoins de la cause, invente même une scène d'adieu entre
les deux époux : dans le train qui les conduit à Paris, Francine
l'autorise à la quitter. Camus rejoint alors la voiture des Gallimard.
Une embardée tragique met un point final à cette nouvelle aube.
Ce
qui ainsi s'annonçait comme une très belle évocation d'une figure
majeure de la vie intellectuelle des années d'après-guerre verse peu à
peu dans un sentimentalisme bien peu camusien (3). À la relecture du
film, les scènes « sérieuses » (Sartre, l'Algérie…) apparaissent comme
la justification (le décor ?) d'un téléfilm sentimental.
Du
Camus journaliste, résistant, auteur prolifique d'une œuvre éclectique,
le téléspectateur ne saura rien ou presque. À l'heure où triomphe
l'information people, il ne sera pas dépaysé. Philip Roth, dans son
saisissant dernier roman, Exit le fantôme (4), mettait en garde
contre les biographes qui font de l'intime (la faute, le secret,
l'infidélité) la clé de toute une œuvre. Camus, après bien d'autres,
est la nouvelle victime de cette dérive contemporaine.
Laurent LARCHER
(1)
Dernier livre sur lequel Camus travaillait lorsqu'il est mort en 1960.
Roman autobiographique inachevé, il a été publié en 1995 chez Gallimard.
(2) La Chute, folio, 2008, pp. 61-73.
(3)
Lire l'article « Femme » de Séverine Gaspari dans le Dictionnaire
Albert Camus, sous la direction de Jean-Yves Guérin, Bouquins, 2009, p.
321-324.
(4) Exit le fantôme, Philip Roth, Gallimard, 2009.
Il y a une solitude dans la pauvreté, mais une solitude qui rend son prix à chaque chose.
L'envers et l'endroit
La
vie est courte et c'est péché de perdre son temps. Je suis actif,
dit-on. Mais être actif, c'est encore perdre son temps, dans la mesure
où l'on se perd. Aujourd'hui est une halte et mon coeur s'en va à la
rencontre de lui-même. Si une angoisse encore m'étreint, c'est de
sentir cet impalpable instant glisser entre mes doigts comme les perles
de mercure. Laissez donc ceux qui veulent tourner le dos au monde. Je
ne me plains pas puisque je me regarde naître. À cette heure, tout mon
royaume est de ce monde.
L'envers et l'endroit
Le mal qui est dans le monde vient presque toujours de l'ignorance, et
la bonne volonté peut faire autant de dégâts que la méchanceté, si elle
n'est pas éclairée.
La peste
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