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La région du chenoua, aujourd’hui, n’est plus référencée à cette montagne qui culmine à 905m d’altitude, un sommet qu’occupe une sainte, Lala thafughalt, qui nargue les montagnes du Dahra qui lui font face, qui plonge dans la mer et qui laisse errer son regard sur l’immense plaine de la Mitidja à la rencontre des amazighs des Béni Salah sur les hauteurs de Chréa. La région, dans son approche culturelle et son appartenance au monde amazigh, fait remonter ses frontières, à l’Est, à l’oued Mazafran prés d’Alger, et à l’Ouest, à Béni howa jusqu’aux portes de Ténès. La wilaya de Ain Defla avec les localités de Tachta et Abadia constitue ses frontières sud. La superficie sus mentionnée demeure occupée par une population amazighophone qui continue jusqu’à ce jour à s’approprier sa culture amazigh, bien entendu, et à faire usage dans son quotidien de la langue de ses ancêtres : thamazight.
Vue du Chenoua à partir du site archéologique de TIPAZA
Il faut faire remarquer, toutefois, que ce vécu culturel et linguistique amazigh reste cantonné à l’initiative individuelle et qu’il n’y ait guère une conscience d’appartenance à une communauté de destin qui pourrait être à l’origine d’un élan pour un éveil identitaire organisé.
L’occupation de cet espace par les amazighs remonte à très longtemps,les préhistoriens nous signalent ,ici et là ,la présence de matériaux qui attesteraient cela.Le témoignage le plus édifiant,cependant, reste la découverte des grottes dites Rassel et Rolland sur la corniche du chenoua,qui dateraient de 12.000 ans avant Jésus Christ et qui connurent l’âge du bronze , la chasse, et la guerre ,grâce au poignard fait dans ce matériau trouvé dans ces lieux et dont la pointe était chauffée à l’arsenic.
L’histoire retient que l’aguelid Juba II en fit une partie de son royaume et y érigea sa capitale, l’actuelle Cherchell et l’antique Iol-Césarée, comme il s’appuya sur les savoirs faire des populations locales,les amazighs,pour assurer le rayonnement de toute la région.
Une culture riche mais aussi variée avec un substrat amazigh s’y pratique et rappelle, sans conteste, qu’elle est pérenne, indélébile et constitutive d’une identité.
La poterie, un art traditionnel, exclusivement féminin, orné de motifs géométriques et/ou floraux assure une continuité d’un savoir faire assez répandue qui se transmet de mère en fille et dont la notoriété et la spécificité sont rappelées dans les écrits de nombreux spécialistes .De nombreuses femmes, dans des localités comme Beldj et Benaouda dans la commune de Tipasa, les 03 îlots dans la commune de Cherchell ainsi que Sidi Sémiane, en font leur source de revenus mais garantissent par leur geste la pérennité d’une identité.
Poteries avec des formes géométriques
La vannerie réalisée à base des feuilles prises du palmier nain (agwenid) permet aux hommes et aux femmes de créer un mobilier à usage domestique et/ ou commercial assez vaste et diversifié et qui leur reste, à beaucoup d’égard caractéristique et spécifique.
Se superposant à ce savoir faire, un riche patrimoine culturel immatériel tributaire de la mémoire demeure présent et s’exprime dans une dimension amazigh à travers,les chants dainan et ahellil reconnaissables surtout à leurs refrains, la poésie ancienne et moderne, les dictons et les proverbes, les devinettes, les contes et diverses pratiques sociales ainsi qu’à travers des us et des coutumes et l’usage au quotidien d’une langue que cette population continue à appeler ça et là haqbeylit , haqbeylekt ou hachenwit .
Celle-ci continue à retentir aux frontières de tout cet espace culturel nonobstant les aléas auxquels elle fait face et nonobstant les prédictions faites par ordre de monsieur le gouverneur général publié par Edmond DOUTTE, et E.F. GAUTIER, professeurs à la faculté de lettres à Alger, lors d’investigations sur la dispersion de la langue amazigh à travers l’Algérie en 1913 et à la suite de la quelle ils avaient prédis la disparition de cette langue dans peu de temps.
Hachenwit, comme elle est appelée par beaucoup d’usagers, renferme en son sein quelques nuances, dues à son statut de langue orale, qui tendent à être exploitées par certains comme des distinctions importantes qui pourraient conclure à deux langues différentes et créer des divergences.Nous pensons que c’est des richesses qu’il y a lieu de rapprocher et non d’éloigner.
Le devenir de toute langue demande à être porter par ses propres enfants et reste tributaire d’eux pour un épanouissement et pour un développement certain.
Pour Hachenwit tout tend progressivement vers une réviviscence.Des poètes et des chanteurs émergent de partout et en font leur outil artistique.Mais pour maintenir cet élan il est nécessaire de passer à son enseignement, un fait qui jusqu’à maintenant souffre des hésitations qu’ont les familles et la population à y adhérer eu égard, en outre, à son statut d’enseignement non obligatoire.
Cela ne désarme guère les militants acquis à sa revendication et s’apprêtent à lancer un cours qui débutera, selon la publicité murale qui est faite, en avril 2009.
Cette conquête et toutes les autres sont l’œuvre d’un combat menés durement par les militants et les artistes de cette région auxquels nous ne cesserons jamais de rendre hommage.
Depuis, en effet, les années 1980 l’adhésion au mouvement culturel berbère s’était faite spontanément et s’est inscrite dans les actions menées à Alger et au séminaire de yakourène avec la participation d’un animateur chenoui, en l’occurrence A.Bendaoud.Par la suite beaucoup ont rejoint la revendication qui, par son travail, qui par ses actions et son activisme.Au chenoua et à ses alentours nous assisterons à la naissance de groupes de chants, de chanteurs individuels,de poètes et même de comédiens dramaturges.
Pour l’histoire nous citerons parmi les poètes de premières heures et dont l’action avait commencé bien avant avril 1980, Abdallah BENDAOUD et AMMOUR Ahmed dit hammiche qui fut une source indéniable pour le lancement du groupe ICHENOUYIEN.D’autres ont consacrés des œuvres à ce combat tels : Feu Mohamed IMEKRAZ, Abdelkader BOUCHELAREM, Farid OUAHDADOU, Hocine HECCHAD et Ramdane ZEFFANE pour la zone de la montagne du Chenoua et ses environs immédiats, MSILTI Belkacem pour la région de Gouraya ,Mohamed MOUACI , Abdelkader ADDALA pour la région de MENACEUR et Hamid KHLIF pour Tachta dans la Wilaya d’AIN DEFLA.
Le groupe Ichenouyien demeure le pionnier en matière de chant dans cette région, où d’autres chanteurs en individuel ou en groupe vinrent ensuite tels : AMAR AZGHAL, HALA n Chenoua dont il reste Nourdine IMEKRAZ qui continue aujourd’hui en individuel à donner une empreinte particulière à ces chants, ITRI N SBAH avec Farid Ouahdadou, Mohamed ADDALA, Brahim BOUAOUD surnommée le « HAMMADOUCHE chenoui »,AZZOUZ ,Abdelkader ZEFFANE,IGHILASSEN,IYOURAYEN et Mahfoud OUHAWA un chanteur individuel de Beni Hawa qui a pour idole feu MAATOUB Lounes ainsi que son style.
Dans toute cette ressource artistique nous déplorons la production d’œuvres par la gent féminine mais nous ne pouvons guère conclure à son inexistence car pour la poésie nous pouvons citer CHABNI Houria de Gouraya découverte, lors de la 3éme édition de la semaine sur les arts et la culture Chenouie organisée dans cette ville, absente depuis ainsi que pour le chant la chanteuse Nora qui chanta en kabyle alors que sa voix aurait pu aider à un éveil identitaire plus précoce si elle avait été orienté vers cette voie par ses encadreurs.
La pérennité d’une culture substrat d’une identité dépend beaucoup plus des êtres et de l’environnement qui la portent que d’institutions en charge de développer et de mettre en œuvre des moyens à cet effet, telle est la conclusion à appliquer à celle ci dans cette région où les individus ne jouent pas encore convenablement le rôle historique qui leur sied.
Abdallah BENDAOUD
Animateur MCC (mouvement culturel chenoui) et animateur MCB, Alger 1980
Paru dans la revue Tagmat novembre 2009
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