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L'INVENTION DU DESERT...Extrait
Parfois l’aube m’écartèle, fait trembler mon cœur comme une proie. Je suis le peuplier assailli. Quelle est la nature de l’émoi : oppression ou joie intense ? Je ne saurais le dire, car je voyage alors aux frontières de toutes choses qui se couplent ou se déchirent. Je suis la bête victorieuse et je suis la bête soumise, je suis la jeune feuille bruissante et je suis la vieille feuille qui se décompose pour devenir terreau et perpétuer les germinations. Je suis tout simplement une zébrure qui vagabonde dans le ciel, entre la blessure du levant et le bleu tumescent de la nuit qui reflue. Je suis l’oiseau tôt levé pour assister à la Genèse qui chaque aube refait le monde. Je suis l’oiseau tôt levé. Dans l’odeur énervante du café et les bruits vermifères des bêtes aux noms imprécis que la nuit seule autorise. Je suis comme une bête tapie, à la fois attirée par l’ombre et terrorisée par ses spectres. Quelques fantômes du songe me suivent encore. Quelques émerveillements aussi.
Puis la lumière nomme les choses, efface leurs contours effrayants, accuse le franchise des ossatures. L’oiseau cesse d’être une voix, une insistance déchirante. Le jour lui redonne sa grâce, ses attributs d’acrobate. L’oiseau récupère le ciel, le signe d’un chant victorieux. Il se sépare aussi de moi, efface mes désirs d’essor, me restitue à mes laideurs et mes infirmités.
Je me retrouve scindé par la douleur. Je divorce d’avec mon rêve, d’avec l’aube trop tumultueuse qui accrédite tous les élans. Mes ailes brimées se rétractent, se contentent de battre en dedans, dans la scansion des viscères et les remous du sang en crue. Je deviens le simple spectateur des joies et des prouesses de l’oiseau qui oublie (avec moi) que l’aube est aussi l’heure des piloris, l’heure de la clarté qui désigne la proie au prédateur, l’heure de l’éveil qui rappelle la faim à l’affamé.
J’aurais tant voulu que chaque départ au matin, chaque lever de camp se fît avec la complicité de l’oiseau –avec ce désir incandescent de redessiner des frontières, d’insuffler au monde la jouvence, d’exterminer la laideur. Mais les jours ressemblent aux aléas des caravanes qui connaissent les pâturages comme les pierres blessantes des regs. Il y a des matins rogues et cadenassés, des matins brouillés de vent de sable. Qui a dit que les errances aboutissent toujours au port ?
Quand
les vents brouillent nos pistes et que la canicule nous . TAHAR DJAOUT . .
DESARROI DU FONCTIONNAIRE
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L'Ere
démocratique a bouleversé bien des donnees et ébranlé bien des
certitudes. Je me suis souvent demandé quelle idée peuvent
retrospectivement avoir du système qu'ils ont servi le policier
discretement en faction aux environs de la maison de Mouloud Mammeri,
le flic affecté à la surveillance de Kateb Yacine, les "tacherons"
chargés de torturer Bachir Hadj Ali, les commis (faux magistrats,
gardiens de prison...) qui ont mené la vie dure à des hommes donnés
aujourd'hui comme exemples de droiture, de patriotisme, de conviction
démocratique.
C'est généralement à l'occasion de leur mort
que nous avons enfin appris ce que des hommes comme Mouloud Mammeri,
Kateb Yacine, Bachir Hadj Ali ont réellement donné à l'Algérie, et même
à l'humanité entière. Il m'est arrivé d'imaginer les différents
factionnaires et commis saisis d'un profond désarroi en s'interrogeant
tout à coup, dans un éclair de lucidité (car je pense que c'est un état
qui doit les visiter de temps en temps): nous avons donc traqué et
persécuté tous ceux qui faisaient l'honneur de ce pays?
TAHAR DJAOUT
- Algérie Actualité, n° 1341.
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Fonctionnaire algérien !!!!!
SOLEIL BAFOUE...Extrait
J'invoque encore la débâcle des Aurores
J'invoque encore à la dérive des dernières Iles-refuges
J'invoque à l'orée de toutes les plaies
le soleil bafoué
déchiqueté dans une odeur de vague
Et accroché aux derniers sanglots
des cithares qui se sont tues
J'invoque pour me désabuser
Oh quel cauchemar
J'ai rêvé que Sénac est mort
tous les chants caniculaire
annonciateurs d'un Feu possible
Faut-il avec nos dernières larmes bues
oublier toutes les terres de soleil
ou personne n'aurait honte de nommer sa mère
et de chanter sa foi profonde
oublier oh oublier
oublier jusqu'au sourire abyssal de Sénac
Ici gît le Corpoème
foudroyé dans sa marche
vers la vague purificatrice
fermente l'invincible semence
des appels à l'Aurore grandit dans sa démesure
Sénac tonsure anachronique de prêtre solaire le temple
édifié dans sa commune passion du poète du paria
et de l'homme annuité réclamant un soleil
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TAHAR DJAOUT
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