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Au lendemain de la définition par le gouvernement d'Edgar Faure, en septembre 1955, de la politique d'intégration, 61 élus algériens - dix des quinze députés à l'Assemblée nationale, cinq des sept sénateurs, la majorité des soixante élus du deuxième collège de l'Assemblée algérienne - déclarent dans une motion : «L'immense majorité des populations est présentement acquise à l'idée nationale algérienne... les élus soussignés croient de leur devoir d'orienter leur action vers le réalisation de cette aspiration.» (El Moudjahid n°31 du 14 janvier 1958).
Quelques mois plus tard, ce sont les 130 élus de l'UDMA dans les instances politiques et administratives, qui démissionnent collectivement. Le 7 janvier 1956, c'est un manifeste de l'Association des oulémas ; association fondée par Cheikh Ben Badis, en 1931, pour revendiquer l'autonomie religieuse et culturelle, qui affirme : «Il ne peut y avoir de terme à l'état de guerre actuel, ni d'édification d'un ordre libre nouveau, sans l'entreprise de négociations franches et loyales avec les représentants authentiques du peuple algérien légitimement investis dans l'effort de la lutte.»
Au début de janvier, le gouvernement français avait dû renoncer à faire voter en Algérie pour les élections législatives. Le mandat des anciens députés n'étant pas prorogé, l'Algérie n'était plus représentée à l'Assemblée nationale française. C'était le début de l'effondrement de la fiction «L'Algérie c'est la France». Les pleins pouvoirs, votés au gouvernement Guy Mollet, le 16 mars, vont permettre à Robert Lacoste de pallier la volonté de non-coopération exprimée par les élus algériens. L'Assemblée algérienne n'est plus en état de fonctionner, tellement l'écart est grand - sur le plan des idées et des sentiments - entre le 1er Collège (les Européens) et le 2e Collège, les indigènes où les «61» sont majoritaires. Elle est dissoute le 12 avril 1956 ; le ministre résidant exerce ses attributions. Les conseillers généraux et les conseillers municipaux, d'où les Algériens en majorité se sont exclus volontairement, seront à leur tour supprimés en décembre 1956 et remplacés par des délégations spéciales dont les membres sont nommés par l'autorité administrative et peuvent, en cas de nécessité, s'il n'y a pas assez de volontaires, être des officiers français.
En juillet 1955, les étudiants algériens, réunis sous la bannière de l'UGEMA, se font entendre à leur tour et prennent position unanimement pour la cause algérienne. En effet, c'est à Paris, le 9 juillet 1955, que s'ouvre au Palais de la Mutualité le congrès constitutionnel de l'Union générale des étudiants musulmans algériens, à laquelle, au début, l'UNEF apporte sons soutien. Mais dès le début de l'année 1956, la tension va grandir entre étudiants algériens et étudiants français. La répression policière amène l'UGEMA à protester contre les arrestations et les détentions arbitraires de ses membres. Des incidents violents, provoqués par des étudiants français, éclateront à Montpellier le 20 janvier 1956.
Peu à peu, l'UGEMA, considérant le véritable état de guerre qui règne en Algérie, prend politiquement position. C'est la première rupture avec l'UNEF, la rupture définitive aura lieu le 29 décembre 1956. L'UGEMA sera dissoute par le gouvernement Gaillard le 28 janvier 1958. L'opposition violente avec les étudiants européens d'Alger - 5.000 - qui menacent les 500 étudiants algériens.
Le 11 mai 1956, dans une motion, l'Association générale des étudiants d'Alger - européens - demande la création de corps francs universitaires pour combattre le FLN. La section de l'UGEMA d'Alger répond par la décision, pour les lycées et les universités, d'une grève générale illimitée.
Quelques jours plus tard, elle lance un appel pour que les étudiants gagnent le maquis.
Le 25 mai 1956, le Comité directeur de l'UGEMA, réuni à Paris, étend à toute la France la grève des cours est des examens. Dans une déclaration, le Comité directeur écrit : «Est-il possible de poursuivre des études dans le calme, hélas, devenu factice pour nous, des universités, alors que chaque jour nous apporte son lot de nouvelles alarmantes et tragiques [...]. Et comment pouvons-nous nous préoccuper encore d'examens à réussir, de concours à gagner ou de titres à acquérir, alors que, pour chaque Algérien, le devoir de contribuer à la lutte de son peuple revêt le caractère d'un impératif catégorique ? Le moment n'est-il pas venu, pour chacun de nous, de prendre ses responsabilités ?»
Le premier étudiant algérien arrêté en France est Mohamed Zerrouki, en mai 1955. Jusqu'à la fin de l'année 1956, une centaine d'étudiants seront appréhendés, en France et en Algérie, jugés ou internés dans les camps. D'autres seront torturés, assassinés comme Belkacem Zeddour, originaire d'Oran. La vérité sur la mort de Belkacem Zeddour fut racontée officieusement en février 1956 par l'inspecteur Loffredo, lui-même et ses hommes étaient compromis avec un membre du cabinet du ministre de la Justice. Il reconnut que Zeddour était mort sous la torture. En même temps, Loffredo dénonçait le complot destiné à attenter aux jours du président du Conseil Guy Mollet, alors à Alger. Par la suite, R. Lacoste devait l'utiliser en France pour des missions confidentielles.
Un autre étudiant à avoir été arrêté, torturé puis tué fut Ferhat Hadjaj. Etudiant en propédeutique, maître d'internat au lycée de Ben Aknoun (Alger), il a été détenu neuf jours, puis retrouvé égorgé le dixième jour à Djidjelli.
Le Parti communiste algérien, composé d'Européens et d'autochtones, a aussi contribué à la lutte pour la libération de l'Algérie, et a payé un lourd tribut pour la cause nationale. Ses militants, femmes et hommes, ont été victimes d'exactions par les forces de l'ordre. Pour leur engagement auprès des Algériens en lutte, la chasse aux communistes était dès lors ouverte, et ce depuis 1956. Les opérations de police se sont multipliées à Oran durant cette période, et l'acharnement de la DST était paroxysmique.
Avant l'intégration de ses membres à titre individuel dans le FLN (1er juillet 1956), le Parti communiste algérien avait mis sur pied, notamment dans la région d'Oran, des groupes armés, appelés «Combattants de la Libération».
Une vaste opération de la BST (Brigade d'Oran de la Surveillance du territoire) aboutit à l'arrestation, en septembre 1956, d'une quarantaine de personnes, membres du PCA, de le CGT, ou simplement considérés comme sympathisants. Parmi les arrêtés - en majorité d'origine européenne - un grand nombre est torturé.
Le scandale éclate tout de suite dans la presse. Robert Lacoste déclare en Conseil des ministres, le 3 octobre, que les informations publiées ne sont pas confirmées. Le directeur de la sûreté nationale, Jean Mairey, va à Oran pour enquêter. On refuse généralement de lui répondre. Néanmoins, il écrit dans un rapport du 13 décembre 1956 : «... Par ailleurs, au cours de mon récent voyage à Alger, j'ai enregistré les déclarations de policiers, tant de métropole que de l'ancien cadre local, indignés des procédés utilisés par les forces de l'ordre en Algérie, ainsi que celles de plusieurs officiers supérieurs. Tous confirment, hélas, la réalité des faits.» Cité par P. Vidal-Naquet dans son livre La Raison d'Etat, paru en 1962 aux éditions Minuit, page 70.
Au scandale des tortures, s'ajoute celui de la détention des personnes arrêtées dans les locaux du Trésor (annexe de la préfecture) pendant parfois plus d'une semaine, détention qui a permis les tortures. Sur ce point, le super-préfet d'Oran, Pierre Lambert, s'explique lors d'une conférence de presse : il a assigné à résidence les suspects dans des locaux où on les interrogeait, c'est vrai.
Mais la loi sur les pouvoirs spéciaux l'y autorise. Recevant la délégation de la commission Internationale contre le Régime concentrationnaire, Pierre Lambert définit sa position vis-à-vis de la torture. Dans son rapport, la CICRC écrit : «L'un des IGAME a reconnu explicitement devant la délégation que la torture était appliquée et qu'elle l'était parce que seule susceptible d'obtenir les informations sur les attentats projetés, informations qui permettaient, selon la même autorité et d'autres personnes, de préserver un grand nombre de vies humaines.» (Le Monde 27 juillet 1957).
Ce même super-préfet a d'ailleurs été mis en cause par Benalla Hadj, né en 1923 près de Relizane. Ancien sergent-chef de l'armée française, il a combattu en Italie, en France et en Allemagne. En 1954, membre du CRUA (deviendra membre du CNRA). Arrêté le 16 novembre 1956. Torturé. Dans sa plainte, Benalla Hadj dénonce le préfet Lambert qui personnellement a demandé que tous les moyens soient employés pour obtenir de lui une déclaration en faveur de la France. Condamné à mort le 12 février 1957, il fut gracié puis transféré plus tard en France, où il fut détenu notamment à l'île de Ré. Son avocat à Oran était maître Thuveny que le préfet Lambert fit interner avant le procès et qui fut détenu onze mois dans un camp avant d'être expulsé d'Algérie. En mars 1958, Me Thuveny devenait procureur du Roi à Rabat. Il était assassiné quelques mois plus tard par des terroristes européens de la «Main rouge». La torture, méthodes musclées d'interrogatoire qui a été utilisée en premier à Oran sur les militants communistes, et on verra plus loin les horribles procédés, sera reprise et généralisée en 1957 à Alger. En effet, on appellera Centre de tri et de transit les locaux où l'on interroge et torture.
Les communistes algériens ont été arrêtés un par un et interrogés de façon «musclée», puis embastillés dans la prison civile d'Oran. C'est le cas notamment de Chaber Serhane, un ouvrier agricole, syndicaliste, communiste. Arrêté à son domicile par deux inspecteurs de la PRG de Mascara le 9 septembre 1956 à 6h 30 du matin, il a été battu sauvagement, sans rien avouer. Alors, il fut emmené à Oran le lendemain. Arrivé dans les locaux de la DST à 12 heures, il y est resté jusqu'à 15 heures.
Il dut subir des tortures atroces, allongé sur une table, entièrement nu. C'était alors l'électricité sur les dents, la gorge, et tout le corps, y compris les parties génitales. L'objectif de ses tortionnaires était de lui faire avouer sa complicité dans deux attentats commis à Mascara qui coûtèrent la vie à deux agents occasionnels. Les yeux bandés, ses bourreaux voulurent à tout pris lui faire dire qu'il avait vu, au moment de l'attentat, les nommés Stambouli, Baghdad et Menouer.
A force de supplices, il finit par ce que les policiers voulaient entendre. Désespéré, Chaber voulut se suicider à l'aide d'une lame de rasoir qu'il avait trouvée dans les locaux de la DST. Il perdit connaissance après avoir perdu beaucoup de sang. Lorsque le médecin dépêché sur place pour masquer ses blessures le réveilla, il dit aux agents : Donnez-lui un revolver pour qu'il finisse son geste.
Un autre militante du PCA, Gisèle Amiach, étudiante à Oran, a été arrêtée le 10 septembre 1955 sur la plage de Cap Falcon, par des policiers en civil. Ayant refusé de les suivre car ils n'ont pas présenté de mandat, les policiers l'obligèrent à monter dans une auto de couleur beige, en lui promettant qu'elle sera chez elle avant 18 heures.
Ils l'emmenèrent dans les locaux de la DST. Elle subit le même sort que Shaber : torture, électricité, eau de javel, bref, des supplices intolérables pour une jeune fille. L'un des inspecteurs lui disait : «Quand tu voudras parler, tu lèveras le doigt». Tout cela ponctué d'insultes et de grossièretés. Si elle levait le doigt sans parler, les décharges électriques devenaient plus fortes. Lorsqu'elle criait, des coups de poings pleuvaient sur sa bouche. Enceinte d'un mois, elle était gagnée par une crainte terrible des conséquences que cela pouvait avoir sur son futur enfant.
Elle en parla aux inspecteurs, et ils se mirent à ricaner en lui répondant : «Même si l'on faisait venir un médecin, il ne pourra pas encore s'en rendre compte». Les tortures et les sévices durèrent plusieurs heures, pendant lesquelles elle avait toujours les yeux bandés. Lorsqu'on lui enleva le bandeau, elle se retrouva dans un bureau qui ne portait plus aucune trace, ni appareil électrique, ni eau dont ils l'avaient inondée à chaque fois qu'elle défaillait. Elle passa la nuit sur un lit de camp, ne pouvant même pas marcher. Elle était menottée jusqu'au lendemain où elle dut subir un autre interrogatoire pendant toute la journée. Vers 17 heures, on l'emmena dans les locaux désaffectés du Trésor. Là, elle resta dix jours avec sept autres femmes. Au onzième jour, elle fut transférée à Saint-Leu pour une nuit, puis elle fut présentée le lendemain au juge d'instruction qui ordonna son incarcération à la prison civile d'Oran.
Autre victime des opérations de police d'Oran, madame Gabrielle Benichou Giminez, ex-conseiller général d'Oran, condamnée à perpétuité par le régime de Pétain, condamnée à 45 ans de travaux forcés le 4 août 1957 par le Tribunal permanent des Forces armées d'Oran, puis transférée à Pau où elle tomba malade. Militante elle aussi du PCA, elle raconte à son avocat comment elle fut arrêtée et torturée comme les militants précédents:
«Je crois bien avoir été arrêtée le lundi 10 septembre à 9 heures, chez moi, en compagnie de mon mari, Roger Benichou. Je me trouvais donc chez moi avec l'un de mes enfants de 3 ans et demi, lorsque quatre policiers en civil, dont deux armés de mitraillettes ont fait irruption dans mon appartement pour, disaient-ils, perquisitionner.
Comme je leur réclamais leur mandat de perquisition, ils me répondirent qu'ils n'en avaient pas besoin. Ils mirent la maison sens dessus dessous, fouillant jusque dans les moindres recoins, défaisant les lits, les armoires, lisant me correspondance, etc.
Ils trouvèrent en tout et pour tout: l'Humanité de la veille, un vieux tampon de l'UNFA (Union des femmes algériennes), des photos de famille, un dossier médical que j'avais constitué pour une demande de pension ayant été condamnée en 1941 et contracté une tuberculose bronchique et pulmonaire, mon passeport, notre livret de famille. Imaginez donc les moments d'angoisse que nous avons pu vivre, mon mari et moi, quand la journée passée, nous pensions à nos enfants que nous avions laissés pratiquement dans la rue.
«Conduits à la DST toujours par les quatre policiers, nous fûmes donc pris en charge par cette police. On me fit asseoir sur une chaise dans un couloir et on prit mon mari. Presque aussitôt, j'entendis des hurlements terribles.
«Evidemment, je crus que c'était lui, et je passai par des transes terribles, allant jusqu'à lui insuffler toute ma force, moralement, pour qu'il tienne le coup, pensant, tant ma détresse était grande, que cela agirait à distance. Puis, au bout de deux heures environ, le Patron' m'a fait venir dans son bureau. Il m'a demandé si je me doutais pourquoi j'étais là et si je voulais parler spontanément. Comme je lui répondais que je n'avais rien à dire, que j'étais malade et que j'avais deux enfants, il m'a remise entre les mains de trois autres flics. J'étais courageuse, sûre de moi ayant déjà subi en 1941, quatre jours et quatre nuits de tortures, d'où j'étais sortie défigurée, ayant subi la flagellation, la douche glacée en plein hiver, des coups de poing, des gifles, et n'ayant pas dit un mot. J'ai, hélas, dû déchanter. Après onze heures de tortures, je ne tenais plus le coup car j'insiste là-dessus, pour que l'on n'ait pas demain à mépriser ceux de mes camarades qui n'ont, comme moi, pas tenu le coup - on ne peut pas ne pas parler. L'on peut, bien sûr, sauver beaucoup de choses, encore faut-il avoir la force de le faire, en faisant beaucoup travailler son esprit, car ils sont très forts, très psychologues et guettent la moindre défaillance, le moindre détail pour vous mettre dans le sac. Durant les séances de tortures à l'électricité, un des inspecteurs me disait : Vous n'avez pas honte, vous les avez tous mis dans la merde, et maintenant vous voulez tirer les marrons du feu, vous êtes des lâches'.
«Après trois jours dans un enfer à entendre des hurlements, à deviner le genre de torture que l'on faisait à mes camarades, car on ne crie pas de la même façon sur la table électrique que lorsqu'on plonge la tête dans la baignoire ou qu'on vous enfonce une bouteille dans l'anus, j'ai cru devenir folle. Le lendemain, à 5 heures environ, l'on m'a emmenée à la Trésorerie dans une cave sans aération. J'ai réclamé un médecin tout de suite. Il n'est venu que le lundi suivant, n'ayant été prévenu que le dimanche. C'était le docteur Veaux d'Arzew. Le mardi nous passions devant le juge d'instruction et ensuite à la prison civile d'Oran.»
Il en sera de même pour Jean Vera, né à Oran, ouvrier, syndicaliste, communiste.
Lui a été embarqué le 11 septembre 1956 à 15 heures dans les bureaux de l'entreprise où il travaillait. Emmené vers le boulevard Oudinot au siège de la BST à Oran, on lui avait mis les menottes immédiatement dans la voiture.
A peine lève-t-il les yeux qu'il voit un homme assis sur une chaise, menottes accrochées et toute la figure tuméfiée, alors que son dos était plein d'ecchymoses. Il raconte :
«On m'installe en face de lui, sur une autre chaise et un des inspecteurs me dit : Alors, tu as bien vu ?' Puis, d'un coup de poing au visage, il ponctue : Tu as compris ? On n'a pas de temps à perdre, déshabille-toi, et vide ton sac !'
«Tortures, insultes, coups de poings et de pieds pleuvaient pendant trois jours et trois nuits. Le 13 septembre, j'étais gagné par la fatigue, je me suis endormi. Des plaintes d'hommes et de femmes me réveillèrent. Ils étaient debout de chaque côté du mur où je me trouvais et des inspecteurs étaient en train de les battre. Il faisait jour et je regardais mon poignet droit où le sang avait coagulé. La peur me prit et je tremblais sans arrêt. Vers 10 heures, je fus transféré au Trésor. Le 18 septembre, je fus conduit à la prison civile d'Oran.»
Ainsi fut aussi le sort de Blanche Moine Masson, membre du PCA, secrétaire de l'Union générale des syndicats algériens, arrêtée par la DST à Oran, le 16 septembre 1956, puis condamnée à dix ans de réclusion par le TPFA d'Oran le 4 août 1957. Son mari André Moine sera arrêté à Alger en 1957 et accusé d'être le chef du réseau «Presse-Propagande» du PCA. Il sera condamné à 5 ans de prison.
Blanche Moine Masson donnera la même version que les suppliciés cités plus haut, et elle ponctuera sa déclaration à son avocat par des détails qui montrent la sauvagerie de ses tortionnaires en ceci :
« ... Le grand patron de la DST qui devait m'interroger renonça lorsqu'il vit dans quel état j'étais : pleine de plaies, la figure tout enflée, méconnaissable, la bouche éclatée. Je suis restée du dimanche 16 septembre au jeudi 27, enfermée dans une cellule, sans air et menottée sur un lit de camp. Précisions de mes blessures :
- Plaies aux bras droit et gauche, aux coudes et aux avant-bras, aux deux pieds, talons, plaies très profondes. Le 4 octobre, je suis encore aux soins à la prison;
- Bouche : plaies infectées, après plusieurs jours de lavage au bicarbonate et à l'oxygène et colunovar. Je suis toujours aux soins le 4 octobre 1956;
- Plaies aux deux épaules;
- Plaies au coccyx infectées;
- Plaie devant la jambe gauche;
- Marque au pied gauche sur doigts de pied de brûlures faites par l'appareil électrique;
- Marques sur l'estomac occasionnées par les coups de poings; plaies à la tête.» (Blanche Masson)
En octobre 1956, le groupe communiste de l'Assemblée nationale dépose une proposition tendant à envoyer à Oran une commission d'enquête parlementaire. Le 26 octobre, par 281 voix contre 238, l'Assemblée nationale décide la création d'une commission d'enquête et la charge de se rendre à Oran dans le plus bref délai possible. La commission d'enquête arrive à Oran deux mois plus tard, le 27 décembre. Elle repartira le 30 décembre.
Le rapport qu'elle fit, connu sous le nom de rapport Provo, information tirée du Journal officiel, Assemblée nationale. Annexe au procès-verbal de la séance du 5 mars 1957. La commission se composait des députés Provo, Isorai, Bricourt, Jean Cayeux, Hovnanian ey Quinson rejette les accusations portées notamment contre les inspecteurs de la BST Pellerin, Sciaccaluga et Atyasse.
L'un des membres de la commission, cependant, le docteur Hovnanian, refuse de contresigner le rapport. Il s'en explique publiquement : «Il est bien certain que trois mois et demi après, il était quelquefois difficile de se faire une opinion [...]. De prime abord, il est troublant que ces expertises médicales, tout en constatant l'existence de cicatrices suspectes, en minimisent la portée par une imprécision prudente des termes [...]. Par ailleurs on note des lésions punctiformes des doigts et des pieds que les détenus déclarent être consécutives à l'application de l'électricité. Il est difficile de suivre, là-dessus, les experts médicaux qui l'attribuent à une épidémie d'eczéma due au climat nord-africain. Aucun livre médical ne parle de cette forme très particulière d'eczéma ; il y aurait là une découverte médicale qu'on pourrait intituler : L'eczéma punctiforme d'Oran'» (voir France-Observateur, n°358, du 21 mars 1957.
Les avocats des torturés d'Oran, de leur côté, dénoncent le Rapport Provo. Le scandale avait été grand. Pour la première fois, des Européens avaient été torturés en Algérie. Mais quand les conclusions de la commission sont rendues publiques, c'était déjà «La Bataille d'Alger» et les nouveaux scandales qui éclatent font oublier celui d'Oran.
Pendant leur séjour à Oran, les membres de la commission d'enquête furent saisis d'autres cas de tortures. Ils entendirent aussi certaines personnes et reçurent plusieurs communications d'ordre particulier, ou, comme celle qui suit, d'ordre général. Lettre d'un groupe de militants FLN aux membres de la commission d'enquête à Oran, s.l. (Oranais), s.d. (décembre 1956).
Nous soussignés, militants du Front de Libération nationale, avons l'honneur de porter à votre connaissance la liste de nos frères torturés et même décédés à la suite de sévices subis dans les locaux des différents services de police. Tout d'abord, nous attirons votre attention sur la méthode érigée en principe, à savoir que tout militant arrêté ou détenu illégalement durant plusieurs jours, parfois jusqu'à un mois et davantage, dans les différents locaux des services de police (DST, PJ, PRG, gendarmerie, etc.) se voit notifier un arrêté administratif d'assignation à résidence.
Cette méthode ayant pour but de couvrir sous une forme tout à fait particulière les services de police en ce qui concerne la détention illégale des militants arrêtés ; nous précisons que les services de police, contrairement aux règlements intérieurs desdits services, maintiennent de cette façon les militants dans leurs locaux où ils sont soumis aux interrogatoires, sévices et tortures et... (baignoire, électricité, coups, la faim, la soif, etc.) pendant plusieurs jours de suite.
Il est un fait irréfutable et contrôlable que les registres des geôles ne portent aucune mention du militant, ni son dépôt (argent, objets personnels) déposés dans les locaux de la police. Cette manoeuvre évidente a pour but de couvrir la police d'une plainte éventuelle des parents ou alliés, lorsque des personnes meurent dans les locaux des suites des tortures. Nous nous permettons également d'attirer votre attention sur les rapports des médecins légistes dont la majeure partie portent la mention 'négatif'. Nous vous signalons également qu'au cours de toutes les perquisitions, des bijoux et des sommes d'argent ont disparu des domiciles des militants, sans parler des actes de vandalisme tels les bris de meubles, effraction de tiroirs, etc. A la prison d'Oran, 1.500 détenus politiques y sont incarcérés et plus d'un millier ont fait l'objet de tortures et de sévices.
Il nous est matériellement impossible d'établir une liste nominative, néanmoins, nous vous donnons ci-dessous quelques noms portés à notre connaissance.
Militants FLN décédés des suites des tortures :
1. Berraho Kader, originaire de Rio Salado, arrêté en novembre 1954 à la gendarmerie, blessé et décédé à la prison civile d'Oran le même mois.
2. Zeddour Brahim (voir plus haut). Le frère de la victime prénommé Mohammed peut donner tous les détails et justifications utiles ; il est détenu à la prison civile d'Oran.
3. Benmoussi, caïd à Demalherbe, arrêté par la gendarmerie d'Aïn Témouchent, torturé à mort à la prison civile, 8 jours après son incarcération.
4. Hadj Mohamed, parfumeur à Oran, marché de Sidi Okba, face à l'école Pasteur (filles), 50 ans environ, torturé et mort dans les locaux de la PJ en août 1956.
5. Nabri, originaire de Lourmel, douar Habara, âgé de 22 ans, arrêté par la gendarmerie de Lourmel et mort 8 jours après des suites des tortures (mai 1956).
6. Delhoum, de Maghnia, négociant en denrées coloniales, 35 ans environ. Arrêté à Maghnia par la PJ et transféré à Oran où il est décédé dans les locaux de la PJ en août 1955.
Militants FLN torturés, actuellement en prison à Oran :
* Cour 5 : Souiah Houari (ancien adjoint au maire d'Oran, responsable MTLD d'Oran). Arrêté dans la nuit du 20 au 21 avril 1956, accusé d'être le chef des groupes locaux de l'Oranais.
Benalla Hadj (né en 1923 près de Relizane. Voir plus haut). Abderrahmane Ben Mohamed, Boudjadja Ali, Bentouti Mohamed, Haffaf Omar (arrêté dans le cadre des opérations dirigées contre le PCA en septembre 1956), Missoum Houari (arrêté le 7 septembre 1956, torturé jusqu'au 18 septembre dans les locaux de la DST).
* Cour 1 : Issiakhem Ferhat, Zebaïr Mohamed, Sebiane Abdellah, Amar Ghalem, Djellouli Mohamed.
* Cour 8 : El Habib, Fertas Houssine, Belkacem Abdelkader, Rahal Bouhadjar, Sbaâ Mohamed, Boudalia Mustapha, Aït Amr Brahim
* Cour 7 : Rguig Mohamed, Graaoui Mohamed, Khadraoui Djilali, SNP Mohamed Ben Amor, Aïssaoui Rahab, Khadraoui Yahia, SNP Mohamed ben Mohamed dit Henri Cour, Khoualède Bouterjès.
* Cour 2 : Benhamitei Belkacem.
* Cour 3 : Brahime Ben Cheikh.
* Cour 4 : Messaoudane Mohamed, Hadri Abdelkader, Benabdelmalek Mohamed, Khaldoune Benaïsen, Bekkouche Yahia.
* Cour 10 : Bouri Mohamed, Medinoune Adda, Rahmoune Djilali.
* Cour des mineurs : Hamza Reguig, 17 ans.
Militantes du FLN, torturées, actuellement en prison :
Zaânane Yamina, Bekkadour Zoulikha (étudiante à la faculté des lettres d'Alger. Condamnée à 2 ans de prison et 500.000 anciens francs d'amende au procès dit «Procès des intellectuelles» à Oran, le 23 mars 1957. Selon l'acte d'accusation, chargée par le FLN de tirer des tracts à la ronéo) Lavalette Evelyne (âgée de 28 ans), jeune dirigeante catholique, secrétaire à Alger, condamnée au cours du «Procès des Intellectuelles» à 3 ans de prison.
Arrêtée à Oran le 15 novembre 1956, torturée pendant 5 jours. Son cas fut soumis à la commission d'enquête par le docteur Durand, médecin inspecteur de la Sécurité sociale d'Oran (interné le 22 janvier 1957 par décision du préfet Lambert). Le docteur Hovnanian déclare à son sujet : «Enfin, le cas Lavalette, plus récent, nous a permis de voir une jeune fille ayant une infirmité du cou (rigidité en attitude penchée) dont l'origine traumatique de fraîche date semble difficilement contestable...», Mme Reguig Mohamed, Denise Pla, Zohra-Fatima Benkkadour (employée à la mairie d'Alger), Hamaïna Aït Kaci et Jacqueline Orengo.
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par Youcef Dris
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