.
.
Tout autant que le 8 Mai 1945, le 1er Novembre 1954, le 20 Août 1955, le 17 Octobre 1961 ou le 5 Juillet 1962, il nous faut évoquer le 11 Décembre 1960, événement majeur de notre passé. Outre le risque d'amnésie, la commémoration contribue à se forger une conscience nationale.
11 décembre 1960, une journée pas comme les autres. De partout fusent les slogans : « Algérie algérienne ! », « Non à De Gaulle ! », « ALN, FLN vaincront ! »... D'Oran, d'Alger, de Constantine, comme de toutes les villes d'Algérie, des voix s'élèvent soutenues par des youyous stridents de milliers de femmes, brandissant vers le ciel, et à la face du monde les couleurs interdites, vert, blanc, rouge qui éclairent l'étoile et le croissant.
Quarante-huit années après les événements, même si beaucoup d'encre a été versée à propos des événements de décembre 1960, on ne dira jamais assez, à la jeune génération, le sacrifice de ces centaines de milliers de femmes, d'hommes, de vieillards et de jeunes, à peine sortis de l'adolescence, prêts à mourir afin que leur pays recouvre son indépendance.
C'était, il y a quarante-huit ans. Un peuple décidé, déferlait dans les rues, criant son ras-le-bol. Avec un héroïsme jamais égalé, sans arme, poitrines nues et poings tendus, des centaines de milliers de jeunes, aux premiers rangs des cortèges et des barricades, avaient osé affronter les hordes fascistes et xénophobes qui pointaient leurs armes en leur direction.
Combien, malheureusement, tomberont en ces tristes journées de décembre 1960, sous les balles des ultras et des militaires armés jusqu'aux dents ? Combien en garderont des séquelles indélébiles ? Comment oublier ces corps lacérés, ces victimes lynchées et ces enfants massacrés qui n'ont pas eu la chance de voir leur pays libéré du joug colonial ? De part et d'autre de la Méditerranée, ils étaient nombreux ces héros anonymes qui ont donné leur vie pour que l'Algérie puisse relever la tête.
Les manifestations populaires de décembre 1960 étaient-elles vraiment spontanées ?
.
A ce jour, la question demeure : il y a ceux qui l'affirment, et qui donc attribuent au peuple algérien de « radicales impulsions » qui, spontanément, ont fait vaciller l'Histoire. D'autres pensent au contraire, que loin d'être accidentel, le débordement dans la rue est la résultante d'un long processus de maturation. Qui a tort, qui a raison ? Ceux qui avancent l'hypothèse de la spontanéité font mine d'ignorer l'intensification des événements dramatiques, dès 1958, et le travail de sape psychologique méthodique de la France ultra gaullienne, « pro-Algérie française » qui, à partir de la métropole, donnait des gages aux fascistes de l'Organisation Armée Secrète, allant jusqu'à leur lancer du haut du Palais du Gouvernement d'Alger, le fameux : « Je vous ai compris ! ».
Des années durant, le peuple algérien exsangue, martyrisé et humilié accumulait les rancoeurs, tout en murmurant à voix basse : « Algérie algérienne ! », « Algérie libre ! », « Algérie indépendante ! », jusqu'aux jours où tout a basculé, le 9 au soir, puis le 10 et enfin l'explosion généralisée du 11 décembre 1960 qui a servi de porte-voix aux revendications d'un peuple unanime. Victoire tactique pour le FLN-ALN et victoire stratégique pour le peuple algérien, à travers la Vox populi qui, encore une fois, a tenu à affirmer, à l'unanimité, sa ferme volonté de mener le combat jusqu'à la victoire finale. Encore une fois, par centaines, des Algériens anonymes tombaient au champ d'honneur en revendiquant la liberté pour leur pays. Ces martyrs de l'indépendance n'attendaient rien en retour, ni galon de soie, ni prime au sacrifice, ni rue à leur nom, ni reconnaissance officielle. Les jeunes d'aujourd'hui doivent se souvenir de cet héroïsme au quotidien des véritables héros d'hier.
Raviver le « devoir de mémoire », quelle noble attitude ! Mais si le devoir de mémoire est important, il arrive parfois qu'il imprime à la mémoire des directions préméditées, surtout lorsqu'il est confondu avec le « devoir d'histoire ». Ce dernier est essentiel. Si le devoir de mémoire est individuel, (avec toutes les difficultés de se déprendre des passions), le devoir d'histoire, par contre, est scientifique et procède à l'examen critique en ne se confrontant pas seulement aux souvenirs, mais en tenant compte également des sources écrites et audiovisuelles. Ce matériau d'histoire avec ses armes scientifiques est nécessaire aujourd'hui car, tout travail, qui substitue l'histoire aux souvenirs, doit impérativement reposer sur une solide documentation et sur des données vérifiées.
Un peuple résolu à sortir du joug colonial
Les journées de décembre 1960 ont remis les pendules à l'heure. Le gouvernement français et l'opinion publique mondiale étaient, encore une fois, bien obligés de se rendre à l'évidence. Il n'était plus question de « Fellagas », de « rebelles » ou de « hors-la-loi », mais d'un peuple unanime et résolu à affronter le joug colonial.
Loin d'être tout à fait spontanées, les manifestations populaires du 11 décembre 1960 n'étaient pas non plus la résultante d'une longue maturation. Tout un chacun savait qu'un jour ou l'autre, les exactions quotidiennes de l'armée française et des colons, alliées au sinistre travail diplomatique qui faisait croire au monde que de Dunkerque à Tamanrasset, la France était une et indivisible, aboutiraient à l'explosion généralisée. Les manifestations populaires massives étaient une réaction contre les opérations sanglantes de ratissages militaires dans les villages et les montagnes, contre les agressions caractérisées dans les villes où tout « musulman » était considéré comme coupable, contre les colons qui usaient impunément de violence et procédaient à des liquidations physiques, faisant fi des lois internationales et des droits civiques des citoyens.
Les manifestations du 11 décembre 1960 demeurent l'un des événements les plus marquants de l'histoire de la lutte héroïque du peuple algérien contre les forces d'occupation qui, des décennies durant, ont oeuvré à son anéantissement physique et moral. Elles doivent être inscrites comme l'une des pages les plus glorieuses de notre lutte de libération nationale. Par cette levée de boucliers massive, le peuple algérien a non seulement voulu défendre sa dignité bafouée, mais a voulu, aussi, dévoiler au monde ses aspirations à la liberté et à l'ind épendance. Les marches populaires de décembre ont permis à la Révolution algérienne de devenir encore plus visible qu'elle ne l'était au-delà des frontières. Elles ont également contribué à mettre en exergue l'origine populaire de notre révolution.
Nous nous devons de célébrer cet anniversaire et de nous recueillir à la mémoire des martyrs. Mais, au-delà du cérémonial de circonstance et des gerbes de fleurs déposées au carré des martyrs, il faut laisser des traces de notre histoire à la génération montante.
Que restera-t-il de la résistance, de l'héroïsme et des sacrifices de nos aînés, si on se limite au recueillement et aux commémorations ? Pour réveiller et entretenir le souvenir, il faut des écrits, des films et des pièces de théâtre. Pour l'enraciner dans la mémoire, il faut faire face à l'histoire.
Le 11 décembre 1960, l'événement majeur
de notre passé
Quarante-huit années déjà ! Le temps qui s'écoule ne diminue en rien la flamme du souvenir et la responsabilité des auteurs des crimes imprescriptibles, dont rien ne peut atténuer l'horreur. Ordre fut donné, encore une fois, comme en mai 45, de noyer dans le sang et de briser les manifestations pacifiques, déclarées « révolte » et même « insurrection ».
Le sang versé n'a fait que rendre les fractures plus profondes. Les atrocités vécues durant ces sanglantes journées de décembre allaient forger la conviction de l'indépendance et ouvrir, une année plus tard, la voie à la négociation après 132 années de tyrannie. Près d'un demi-siècle après ces tristes périodes durant lesquelles, les principes moraux et humains furent piétinés, aucune excuse, aucun regret, aucune reconnaissance officielle des massacres collectifs et des crimes commis, par la France coloniale.
Bien au contraire, les nostalgiques de « l'Algérie de Papa » continuent de positiver l'occupation de l'Algérie en parlant des « bienfaits » de la colonisation et de « l'oeuvre émancipatrice et civilisatrice » de la France coloniale et vont jusqu'à ériger des stèles à l'honneur des hordes barbares de l'OAS.
Ainsi donc, lorsque l'Histoire pose problème, les manipulateurs du passé en inventent une autre, plus malléable, plus conforme, pour se légitimer et essayer d'effacer les horreurs commises. Tant que les vérités enfouies ne sont pas déterrées, il demeure impossible d'écrire la véritable histoire et de tourner la page. Le danger est grand aussi pour les responsables algériens de n'accorder de l'importance qu'à certains faits de notre passé et de laisser les autres se charger de l'écriture de notre histoire.
Dans les domaines croisés de la mémoire et de l'histoire, il nous faut prendre sérieusement en compte le rôle des médias écrits et audiovisuels (radio, télévision, cinéma). Encore une fois, nos médias boudent des pages glorieuses de notre histoire.
Encore une fois, nous sommes mis dans l'obligation de contempler notre passé à travers les lorgnettes voilées des caméras étrangères. Jusqu'à quand allons-nous tolérerer ces « visites guidées » de notre histoire ?
.
.
par Mohamed Bensalah
11-12-208
Les commentaires récents