.
Par Fabienne Marti
A mes parents,
.
C’est en proie à un profond dilemme intérieur, symptomatique du climat délétère et hostile à l’islam qui assombrit malheureusement chaque jour notre ciel hexagonal, que je me présente à vous, dissimulée sous un pseudo, pour vous livrer ce témoignage empreint d’une vibrante émotion et de la plus grande sincérité.
Luttant contre des sentiments ambivalents qui me tiraillent sans répit, oscillant entre une culpabilité intransigeante et une sourde révolte, j’ai finalement choisi la prudence en masquant mon identité pour retracer le long cheminement qui m’a menée vers l’essentiel : ma conversion à l’islam.
Si bien des obstacles jalonnent encore ma route, si de cruelles questions existentielles me plongent parfois dans le désarroi, ma foi en Dieu est ce précieux flambeau qui illumine ma vie de sa vaste clarté et me fait percevoir un hymne d’amour dans tout ce qui m’entoure. L’existence terrestre, ma propre existence prennent alors tout leur sens.
Devant nos yeux, les ténèbres de l’ignorance banalisée et du racisme instrumentalisé nous conduisent inexorablement vers l’abîme. Il ne tient qu’à nous de montrer qu’en marchant vers Dieu nous bâtissons des ponts entre les hommes.
Pour comprendre mon parcours, il me faut évoquer en premier lieu l’Algérie. Cette terre ensoleillée aux couleurs azurées de la méditerranée, qui enfant me semblait si lointaine, a marqué de son empreinte indélébile toute mon histoire familiale.
Oran, Mostaganem, Arzew, Tlemcen, Saint-Leu, cinq noms de ville qui ont bercé la douce quiétude de ma petite enfance, et dont les paysages exotiques me faisaient rêver, m’imaginant là-bas, sous d’autres cieux, dans d’autres circonstances.
Cinq noms synonymes de souffrance quand, vers dix ans, j’ai lu la nostalgie inconsolable dans les yeux de mes très chers parents, et que j’ai ressenti au tréfonds de mon être l’intensité de leur douleur à l’idée de l’impossible retour.
Je suis fille et petite-fille de pieds-noirs, arrivés en 1830 et partis en 1963. Mon frère est né à Oran, j’ai vu le jour en France, et je nourris l’espoir de découvrir cette contrée qui m’est depuis si longtemps familière.
L’Algérie et son long cortège d’épreuves, de part et d’autre, des familles endeuillées, décimées, déracinées, des générations sacrifiées.
L’Algérie, c’est l’éveil de ma conscience politique, c’est le désir inassouvi de connaître la vérité, sans complaisance, de tirer des enseignements, de tisser des liens, riche des récits de mes parents qui regorgeaient de belles histoires d’amitié, de respect et de fraternité.
L’Algérie, c’est ma première rencontre avec l’islam, cette troisième religion du Livre, celle qui inconsciemment m’attirait, m’intriguant irrésistiblement parce qu’elle est la dernière révélation divine.
Elevée dans la plus pure tradition catholique, j’ai toujours cru en Dieu. La foi relève de l’indicible, et l’élévation spirituelle à laquelle j’aspirais était celle du cœur.
A l’adolescence, mon élan vers Dieu se traduisait par une profonde quête de sens, et une litanie de questions critiques dont j’abreuvais ma chère maman, au demeurant très pieuse, au sujet de notre religion.
Jusqu’au jour où j’ai dû me rendre à l’évidence : je croyais en Dieu, mais je rejetais le dogme catholique.
« Moi, je vais devant moi ; le poète en tout lieu
Se sent chez lui, sentant qu’il est partout chez Dieu »
C’est par ces vers que Victor Hugo a fait son entrée dans ma vie à l’âge de quatorze ans, provoquant en moi un choc et un émoi littéraires inégalés, qui depuis ne se sont jamais taris.
Cet immense poète romantique, ce dramaturge, ce romancier à la stature incomparable, cet artiste du verbe, virevoltant avec les mots, cet homme engagé a su toucher l’intériorité de mon âme. Son culte ineffable à Dieu, son amour absolu de la nature, de l’humanité, et de l’univers ont résonné en moi avec une rare intensité.
Je ne crains pas de dire que son œuvre magistrale, ses interrogations les plus intimes, sa proximité unique avec Dieu m’ont révélée à la foi, tout en développant progressivement mon intérêt pour l’islam.
Au panthéon de mes auteurs favoris, Hugo m’a accompagnée tout au long de ces dernières années, et lorsque j’ai appris qu’il s’était peut-être converti à l’islam, une certitude inébranlable m’a peu à peu envahie : je ne devais écouter que mon cœur, et faire abstraction des préjugés les plus funestes et destructeurs qui allaient bon train dans ma sphère socio-professionnelle.
« Et puis laisse ton cœur ouvert !
Le cœur, c’est la sainte fenêtre.
Le soleil de brume est couvert ;
Mais Dieu va rayonner peut-être ! »
Oui, laissons nos cœurs ouverts à l’autre, dans toute sa différence et son individualité.
La quintessence du message du Coran ne nous enjoint-elle pas à faire de nos différences une vraie richesse, à nous « entre-connaître » pour ne former qu’une seule et même communauté, celle de l’humanité.
Quelle ironie cinglante d’observer qu’à l’heure de la multiplicité des circuits de communication, entreprendre la simple démarche d’apprendre à connaître son prochain, de le respecter, d’échanger avec lui, constitue une véritable gageure pour nos sociétés occidentales !
J’ai franchi le pas de la conversion il y a un an de cela. Ce pacte scellé avec Dieu m’a procuré une source inestimable de plénitude, de sérénité et d’apaisement, comme une renaissance de l’âme.
En effet, après avoir été confrontée à la condamnation et l’ostracisme implacables d’un environnement relationnel médusé, aux yeux de qui j’incarnais l’exemple atypique à marginaliser d’urgence – la conversion à l’islam d’une femme occidentale, indépendante, autonome, cadre, sportive, passionnée par la culture, les voyages, bref une française de son temps - je m’engageais enfin spirituellement.
Après une longue phase de réflexion, de maturation, au cours de laquelle je me dois de le reconnaître « 2001 », le terrorisme et le poids du patriarcat ont été autant de facteurs de doutes et de questionnements, je choisissais enfin ma voie.
Si vous me croisiez aujourd’hui dans la rue, vous verriez qu’aucun « signe ostentatoire » ne me distingue, et que rien dans mon attitude n’indique de prime abord que je suis musulmane. Il faut dépasser le carcan réducteur des apparences pour discerner l’âme de croyante qui m’anime.
Certes, je le concède avec amertume, je me vois aujourd’hui contrainte de donner le change en permanence dans ma vie quotidienne et professionnelle, et de jouer à ce que je ne suis pas, à ce que je n’ai jamais vraiment été...
Face à ce que je qualifie d’inquisition inique et anachronique qui sévit de manière intolérable au « pays de Voltaire », permettez-moi de clamer non pas un « J’accuse ! », mais un humble « Je déplore ! » :
- Je déplore que notre classe politique, nos élites intellectuelles et les grands décideurs des médias français se rendent complices d’une stigmatisation orchestrée de l’islam et de ses fidèles, en conditionnant l’opinion à travers des représentations systématiquement négatives qui tronquent la réalité, abusent nos concitoyens, et au final déchaînent les passions.
- Je
déplore que notre pays ne favorise pas l’émergence sur le devant de la scène d’une
nouvelle génération de français musulmans, de toutes origines, susceptible
d’apporter une réelle plus-value à notre société tant sur le plan intellectuel,
politique, économique que scientifique, et pas uniquement sportif… (c’est une
férue de sport qui parle…)
- Je déplore que l’on entretienne la peur pour mieux régner, que l’on caricature pour mieux humilier, que l’on exclut pour mieux affaiblir.
- Je déplore que les bienfaits de la loi sur la laïcité soient dévoyés pour être érigés en doctrine au détriment du spirituel, quel qu’il soit.
- Je déplore qu’en cette période de crise économique sans précédent, ceux qui nous gouvernent continuent de nous manipuler en surmédiatisant des « affaires » qui ne sont que des leurres.
- Je déplore enfin que l’essentiel soit perdu de vue : l’universalité de nos civilisations, de nos cultures, de nos religions, de nos langues, du sens même de notre existence.
Par-delà la brume épaisse du sectarisme et de l’islamophobie qui couvre, menaçante, notre horizon, je veux plus que jamais croire que le cœur de chaque homme, de chaque femme, peut à tout moment transpercer le rideau de l’indifférence, de l’ignorance et de la haine, pour rayonner.
.
.
Le 27 octobre 2008
.
.
.
.
Les commentaires récents