.
Il y’a un avant et
un après le 5 octobre, dont nous n’avons pas mesuré encore toute les
conséquences. Octobre 88 n’est pas un accident de parcours, mais le
résultat d’une gestion, la Conséquence d’une politique, dont les signes
avant coureurs se sont multipliés dés le début de la décennie 1980,
fertile en événements qui ont secoué le pays en profondeur. La
politique intransigeante du pouvoir a porté les fruits de la violence,
avec le 20 avril 1980, l’arrestation des dirigeants islamiques, le
maquis de Bouyali, le procès des dirigeants de la LADDH et des enfants
de martyrs de la Révolution, l’agitation dans les mosquées, les stades,
les universités, le prix très bas du baril de pétrole, le chômage très
élevé, la dette extérieure très importante, l’affaire Mecili.
Les
violences policières sont entrées dans l’ère du quotidien. L’impunité
est la règle. L’humiliation une fois vécue et acceptée, prépare à subir
d’autres, à obéir et à se taire en toutes circonstances, à ne plus
pouvoir vivre et penser qu’en aliéné.
Le peuple algérien dévoré par
son Etat a le sentiment que la politique nationale, la vie politique,
telles qu’elles sont gérées, se font au dessus de lui, sans lui et
contre lui. Ceux qui monopolisent le pouvoir, trouvent qu’il n’est pas
bon de le partager, ni de l’éclairer, n’écoutent personne, croient tout
savoir, n’avoir rien à apprendre, mais tout à enseigner. Ils ont besoin
pour durer de bafouer les règles les plus élémentaires de la
démocratie, d’exercer une répression qui a tendance non pas à régler
les problèmes, mais à éliminer ceux qui les posent, à supprimer les
contradictions en éliminent les contradicteurs.
Le divorce est entre
le peuple dépouillé de ses droits et le FLN parti unique, qui est
supposé le représenter et parler en son nom, pour l’empêcher de parler.
L’année sociale 1988 s’annonce morose et même pleine de périls. Une réaction populaire profonde est au bout du chemin.
I- Les événements du 5 octobre 1988.
Je
m’incline une nouvelle foi avec émotion indicible, devant la mémoire
des victimes d’octobre 1988, et représente 20 ans après mes
condoléances les plus attristées à tous les membres de leurs familles,
avec l’expression de mon profond respect.
Les événements d’octobre
88 découlent d’une lutte de clans exaspérée au sein du pouvoir. C’est à
l’intérieur de ce dernier que se déroule à huit clos, secret, rude, le
plus dur des combats, entre deux tendances divergentes, contradictoire,
l’appareil du FLN pour qui la vie politique est conçue avec un seul
objectif, pérenniser le système politique en place depuis
l’indépendance du pays, et la présidence de la république avec les
partisans de l’ouverture contrôlée, du libéralisme. Le FLN dont l’UGTA
est une de ses organisations de masse, a incité discrètement les 18000
ouvriers de la zone industrielle de faire grève, qui s’est étendue à
tout le pays, bien que sachant que c’est l’armée qui est au pouvoir, et
qu’il n’est que l’instrument de sa domination. En Algérie, qui détient
l’armée, tien le pouvoir.
Pour camoufler les rivalités et les
divergences stratégiques au sommet de l’Etat, le pouvoir a déclaré le
parti d’avant-garde socialiste(P.A.G.S) qui avait infiltré de nombreux
syndicats, responsable de la tragédie, et a procédé à de nombreuses
arrestations de ses cadres et militants. Cette déclaration est de toute
évidence contraire à la réalité des faits. La rue disponible qui ne
supporte pas le vide, est occupée par les jeunes qui ont détruit de
nombreux symboles du pouvoir. Ce dernier sous-estimant la profondeur du
mécontentement et du désespoir des jeunes, en particulier
l’exaspération de ceux sans débouchés, en rupture d’école et de
travail, flottant entre petits boulots aléatoires et les combines
inavouables, qui se posent avec angoisse la question relative à leur
avenir, et celui de la société, a vu leur irruption brutale dans la
rue. La coupe est pleine, c’est le ras le bol, car les jeunes ne
peuvent aller plus loin dans la démission et la soumission.
L’explosion
populaire du 5 octobre 1988, s’inscrit dans la mémoire collective du
peuple algérien, comme une rupture du pays légal avec le pays profond,
un cri de colère et de désespoir d’une jeunesse stressée, flouée,
soufrant du double syndrome d’exclusion et de frustration, longtemps
drapée dans le silence, en accusations muettes, qui refuse un pouvoir
centralisé, bureaucratique, dictatorial. Elle clame par sa descente
dans la rue, sa volonté de mettre fin aux entraves à ses droits et à sa
liberté, par la mise en œuvre de la démocratie et des droits de l’Homme.
L’état
de siège décrété par le président Chadli Bendjedid le 6 octobre 1988 a
placé sous le commandement militaire, les forces de sécurité et toutes
les autorités civiles et administratives. Chaque jour apporte une
sinistre moisson d’outrages à la dignité humaine qui est plus chère que
la vie. Quand l’homme est humilié, il oublie qu’il habité par la vie et
il la risque. La ligne rouge celle du sang a été franchie par les
militaires, les gendarmes et les policiers, qui ont tiré avec des armes
de guerre, sur des enfants, des adolescents, des jeunes et des moins
jeunes, qui n’avaient comme défense que leurs mains nues.
Pour le
pouvoir la répression doit être sans pitié afin d’être efficace, menée
dans le plus grand secret, en dehors des fondements essentiels de
l’Etat de droit, des lois et des droits de l’Homme. Les violations des
droits de l’Homme ont été à grande échelle, systématiques, massives. Le
pouvoir a avoué 500 morts, le double est à retenir. La torture est de
notoriété publique, généralisée. Défendre les droits de l’Homme, c’est
en premier lieu dénoncer la torture, dont l’interdiction doit être
immédiate, globale, efficace. De nombreux témoignages des victimes sont
bouleversants, difficiles à supporter. Une manifestation islamique
dirigée par Ali Benhadj, dispersée au niveau du siège de la DGSN à Bab
el Oued a fait 10 victimes.
Au nom de la sécurité, les libertés ont
été altérées et aliénées. Il faut naviguer au milieu des vents
violents, et faire face à la tempête, condamner les atrocités commises
et les horreurs perpétrées.
La LADDH s’est fixée un devoir, une
obligation et une règle, parler et écrire pour dénoncer les
arrestations arbitraires, la torture, les camps de travaux forcés dans
le sud du pays, diffusés par la télévision. Marcherait-on à ce point
sur la tête en Algérie ? J’ai été convoqué par le général Mohamed
Betchine qui venait d’être désigné à la tête de la sécurité militaire
par le président en remplacement du général Lekhal Ayat. Trois raisons
sont supérieures à la raison d’Etat : celle du droit contre
l’injustice, celle de la liberté contre la tyrannie, celle de
l’humanité contre la barbarie.
Les intellectuels dans leur grande
majorité ont renoncé à leur rôle de critiques et d’analystes rigoureux,
pour servir de simples relais et d’instrument du pouvoir.qui sait
flatter sait aussi calomnier. Les médias tous publics, la télévision,
et la radio et la presse en particulier, ont diffusé non pas
l’information mais la propagande, règle totalitaire, qui a pour but de
manipuler l’opinion publique considérée comme étant passive et
perméable aux principes idéologiques et doctrinaux du pouvoir, qui
justifient la dictature.
La justice ne contrôle pas la police
politique, qui a le pas sur elle. Il faut compter avec la sécurité
militaire, bien rodée, d’une redoutable efficacité. Pour qui la fin
justifie les moyens ; elle détient l’essentiel des leviers de la
justice, pèse d’un poids démesuré sur son fonctionnement et sur ses
décisions. Les tribunaux et Cours de justice, ne sont pas des lieux ou
la justice est rendue, mais des instances politiques où le pouvoir juge
ses adversaires.
II- L’après octobre 1988
Quel
regard peut-on parler sur l’après octobre 1988 ? Je ne propose pas une
solution mais un élément de réflexion. Il faut avancer en regardant
devant vers l’avenir et laisser au temps le soin de découvrir toute la
vérité sur octobre 1988.
La meilleure façon de commémorer octobre
88, c’est d’attirer l’attention sur les tâches qui ne sont pas
accomplies par manque de direction ; pour certains le 5octobre a été
une vague, mais une fois que la marée s’est retirée, il n’est resté que
des pierres. L’action menée était en effet dispersée, n’a pas été plus
soucieuse de rigueur et de cohérence, mais a ouvert malgré ses
faiblesses un espace politique qui a profité au peuple. La politique
menée est ouverte sur le mouvement du temps, dispose d’une peine
liberté de conception, d’expression, et d’initiative, a obtenu des
résultats concrets et peut en espérer d’autres ;
Lorsque des jeunes
manifestent pour retrouver le chemin de la dignité et de la liberté,
luttent pour sortir le pays de l’arbitraire, de l’injustice et de la
corruption, c’est que rien n’est perdu et que l’espoir est permis ;
tout pouvoir a besoin d’être contesté ; il ne peut être que contesté de
l’extérieur et non transformé de l’intérieur.
Le pouvoir a compris
que la réforme de la société n’est possible que par la démocratisation,
d’où : la Constitution du 23 février 1989, la ratification des pactes
internationaux des droits de l’Homme de 1966, reconnaissance
d’associations à caractère politique (A.C.P) et d’associations
autonomes, la liberté de la presse.
Allons dire un jour que le pire est derrière nous, et que le meilleur est devant ?
Le
peuple algérien ne peut vivre dans la dignité, la justice et la
liberté, car il n’y’a pas de justice sans liberté, ni de liberté sans
justice, que s’il a acquis ses droits humains, qui sont l’un des rares
lieux privilégiés de rencontre des Algériens de tous bords, l’ultime
valeur à défendre.
La devise dans la voie du devoir nous rappelle
constamment, que les droits de l’Homme reviennent de loin en Algérie,
mais qu’ils ont encore un long chemin à parcourir, et qu’il faut être
plus sensible, plus motivé, plus déterminé à poursuivre la route à
faire, qu’au chemin parcouru.
.
.
Alger le 30 septembre 2008
Maître Ali Yahia Abdennour
.
.
.
.
.
.
Les commentaires récents