« Tandis que l'Europe se coalise contre la France libre, une puissance africaine (Alger), plus loyale et fidèle, reconnaît la république et lui jure amitié. »
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Cette relation d'amitié a été entretenue pendant toute la période scabreuse qu'a vécue la France. Car du 25 mars au 26 septembre 1793, l'Europe se coalisait dans son ensemble contre elle. Son territoire a été envahi sur plusieurs points et son armée manquait cruellement de subsistance. Par ailleurs, le premier Directoire qui a succédé à la Convention, deux ans plus tard, n'a pas ramené la paix. Situation par ailleurs qui ne dépendait pas de sa seule volonté. La coalition, de son côté, n'a pas non plus affiché une quelconque volonté eu égard aux buts qu'elle s'était fixés. Il s'agissait, dans un premier temps, de sauver la civilisation européenne menacée par la Révolution française et, dans le second temps, de contraindre la France à renoncer à sa propagande. Pour y parvenir à cette fin, les Anglais avaient contribué activement au blocus afin que le peuple et l'armée français aient à manquer de tout. En plus du blocus, en 1793, la France était confrontée à une calamité: la disette dans plusieurs départements. Cette dernière avait rendu la situation intenable étant conjuguée aux attaques de la coalition, si l'on croit Georges Lefebvre, auteur de Révolution française: «La débâcle fut si brusque que la vie économique semble comme suspendue; les salaires, naturellement, ne purent suivre la hausse des prix et le resserrement du marché, par la réduction du pouvoir d'achat, alla jusqu'à provoquer l'arrêt de la production: les mines de Littry, par exemple, suspendirent l'exploitation.» Quant aux commerçants, ils ont simplement suspendu leur activité suite aux décisions du gouvernement de pratiquer «l'assignat», c'est-à-dire papier-monnaie dont la valeur était assignée sur les biens nationaux.
Cependant, la bouffée d'oxygène venait de l'alliée, la Régence d'Alger. En effet, le dey avait proposé au gouvernement français, pour l'achat du blé algérien, de lui prêter l'équivalent d'un million, sans intérêts. La maison qui s'était occupée de la vente appartenait à Bacri et Busnach. Ces juifs livournais établis à Alger détenaient, à eux seuls, la totalité ou peu s'en faut du commerce de la Régence. Ainsi, pendant sept ans, la maison Bacri-Busnach avait pourvu en céréales le Midi de la France et les armées engagées dans les campagnes d'Italie et d'Egypte. Toutefois, lorsque le premier Empire a succédé au second Directoire, les 9 et 1O novembre 1799 correspondant aux 18 et 19 brumaire an VIII, Napoléon n'avait pas, comme ceux qui l'avaient précédé, l'intention de rembourser la dette. Pire encore, c'était le début de la détérioration des relations entre les deux Etats. Bien qu'elle ait été sous l'autorité ottomane, la Régence répondait aux critères d'un Etat souverain, selon Benjamin Stora, auteur de «Histoire de l'Algérie coloniale». Thèse qu'il corrobore en écrivant: «souveraineté reconnue par la plupart des Etats européens et les Etats-Unis, qui avaient accrédité auprès du dey des agents diplomatiques permanents.»
Une décennie après le coup d'Etat perpétré par Napoléon, ce dernier a songé réellement conquérir l'Algérie. Le prétexte avancé était l'achat des comptoirs français par des Anglais, dans la région bônoise (actuelle Annaba), en avril 1808. Perçue comme une humiliation, cette affaire a failli déboucher, plus tôt que prévu, sur la colonisation de l'Algérie. Pour se venger, Napoléon a chargé son ministre de la Marine, dans son discours du 18 avril 1808, de préparer une expédition contre Alger. Henri Noguerès, auteur d'«Expédition d'Alger 1830» rapporte l'instruction de l'empereur: «Monsieur Decrès, méditez l'expédition d'Alger, tant sur le point de vue de mer que sous celui de la terre.» Suite à cette injonction, le ministre a aussitôt désigné Vincent-Yves Boutin, marin de profession. Le 9 mai, celui-ci s'embarquait sur le Requin, direction Alger, pour tâter le terrain. Dans un rapport envoyé à l'empereur, Boutin décrivait précisément l'itinéraire et la période propice pour une éventuelle expédition. Il notait en guise de plan, l'endroit où l'armée française devait opérer: «Reste donc l'espace entre Cap Caxime, Sidi Ferruch et au-dessus et c'est vraiment là qu'il faut opérer.» Les différentes guerres sous le premier Empire ont rendu cette entreprise irréalisable. En juin 1815, la bataille de Waterloo a mis un terme aux visions expansionnistes de Napoléon.
Le gouvernement de la Restauration a pris la suite de l'Empire. Bien que l'ordre et la paix soient retrouvés, Louis XVIII n'a guère manifesté de velléité en vue de régler la dette contractée 22 ans plus tôt. Quatre ans après l'intronisation de Charles X, d'après l'historien Olivier Le Cour Grandmaison: «La commission française, réunie en 1819, fit subir de sérieuses réductions aux factures de Bacri, en suite desquelles ce qui reste dû est fixé définitivement, d'accord avec Bacri et le dey, à une somme globale de 7 millions.» En outre, l'accord stipulait que, sur les 7 millions, on ôtait les sommes dues par Bacri à ses créanciers. Aubaine pour les créanciers de gonfler leurs factures. Du coup, la justice a été saisie pour déterminer la véracité des éléments présentés par chaque partie. En 1827, les tribunaux n'ont pas encore rendu leur verdict. Excédé par l'attente interminable, le dey Hussein a envoyé quatre lettres au roi des Français, Charles X. Selon Charles Robert Ageron: «C'est de ce contentieux qu'eut à débattre, avec le dey Hussein, Pierre Duval, consul général de France, mis en poste à Alger par Talleyrand, en dépit (ou en raison) de ses intrigues. Le 27 avril 1827, cet affairiste douteux est frappé d'un coup d'éventail par Hussein, puisqu'on en fera la cause première de l'expédition d'Alger.»
Par ailleurs, dès la fin de l'année 1827, le ministre de la Guerre, le comte Clermont-Tonnerre, a exposé au roi les bénéfices à tirer en occupant la Régence. Pour lui, une intervention militaire réussie «ferait une utile diversion à la fermentation politique de l'intérieur», note Ch. R. Ageron. En effet, le conflit intérieur pouvait, à tout moment, déboucher sur une guerre civile. Et le risque était maximal lorsque le roi Charles X a désigné le prince de Polignac pour diriger le gouvernement ultra. Parmi les buts fixés par De Polignac, il y avait l'obsession de renouer avec l'époque napoléonienne. Pour atteindre son objectif, De Polignac a misé, selon Benjamin Stora, sur «la recherche d'une brillante victoire extérieure, mais aussi le souci de juguler l'opposition intérieure en vue du rétablissement de la monarchie absolue dont rêvait Charles X.» En fait, tant que l'opposition intérieure ne menaçait pas directement le trône, Charles X n'avait pas intérêt à offrir aux libéraux une occasion de se manifester. Et en 1830, la confrontation frontale avec ces derniers était inéluctable. La raison est décrite par Ageron: «Le pays régal (90.000 électeurs sur 32 millions a envoyé en 1827, à la chambre des députés, une majorité (221 députés) qui refuse d'accorder sa confiance au ministère Polignac, ce qui aboutit à l'épreuve de force entre partisans de la monarchie parlementaire et ceux de la royauté de droit divin, emmenés par Charles X.»
Dans ces conditions, la conquête de la Régence constituait l'unique solution, pour le roi, pour maintenir la cohésion nationale. Charles X a présenté la conquête, dans son discours du 2 mars 1830, comme une décision visant à venger l'honneur de la nation tout entière. D'ailleurs, cette conquête a été présentée comme une expédition punitive. Et l'accent mis sur la nature de cette dernière classait de fait les Algériens dans le camp des méchants. Quant à la mission de civilisation et du combat contre la piraterie, ils n'étaient qu'une politique sournoise visant une seule finalité: vendre le projet de la conquête. Mais, pour que la première réussisse, ne fallait-il pas s'assurer d'emblée que les personnes envoyées soient plus civilisées que les autochtones ? Pour l'auteur des mythes fondateurs de l'Algérie française, Jean-François Guillaume, les personnes envoyées en Algérie n'étaient pas plus civilisées que les Algériens. Il ajoute: «Il ne faut pas croire qu'il y avait une grande distance au point de vue de la civilisation entre les paysans et les ouvriers français, qui ont formé la presque totalité des colons officiels à l'époque de la conquête, et les paysans arabes. La France tenait la tête en Europe par l'éclat des sciences, des lettres et des arts, mais cette magnifique culture était réservée aux hautes classes de la société.» Concernant la lutte contre le repaire de la piraterie, plusieurs historiens s'accordent à dire que cette activité, en 1830, était quasiment inexistante. Pour cause, une mission militaire anglaise avait endommagé la flotte du dey en 1812. Et depuis, le contrôle des mers était dominé par les Européens afin que le commerce triangulaire, appelée aussi la traite atlantique, puisse être davantage florissant. En effet, cette activité a connu son âge d'or au début du XIXe siècle. Celle-ci consistait à fournir les esclaves africains aux colonies américaines en échange des produits récoltés par les colons. Au XIXe siècle, les prix des esclaves ont atteint leur apogée. Hugh Thomas, dans la traite des Noirs, dresse un tableau exhaustif des prix pratiqués. En Sénégambie, par exemple, en 1440, un cheval valait de 25 à 30 esclaves. En 1847, à Lagos, le coût d'un captif était de 480 f et en 1851, le prix des esclaves du Mozambique était, selon le même auteur, d'environ 3 à 5 dollars. Depuis la quasi-disparition de la flotte du dey, les ports français n'arrêtaient pas de faire des va-et-vient pour chercher des esclaves, selon Raymond-Marin, auteur du commerce triangulaire colonial. Il note en guise de récapitulatif que: «De 1814 à 1849, ils [les ports français] envoyèrent 717 navires chercher des Noirs.»
Pour conclure, on peut dire que
l'addition des éléments cités précédemment a suscité une course
effrénée des Européens pour le contrôle de la Méditerranée. La France a
réussi à s'emparer du pays en devançant les autres concurrents. Pire
encore, la signature de l'acte de reddition, le 5 juillet 1830, a
constitué une épreuve terrible pour le peuple. Car la violence qui a
accompagné la pacification a failli l'anéantir totalement. Pendant 41
ans qu'a duré cette période, la démographie a connu une chute
vertigineuse, passant d'environ 3 millions en 1830 à 2.15O.000
habitants en 1871. Période que résume si bien Robert Louzon: «Quarante
ans de combats, de meurtres et de pillage, quarante ans pendant
lesquels, à chaque moment, telle région qu'on avait hier pacifiée se
soulevait à nouveau et devait être pacifiée à nouveau, à coups de
razzia et de massacres.» En somme, tel était l'acte fondateur de
l'Algérie française.
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par Ait Benali Boubekeur
30-07-2008
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