Moudjahid, ancien membre du MALG
L’opérateur radio qui aimait le chiffre….
« A chaque époque son histoire. La mienne était celle de la gloire. Il faut la garder en mémoire »
Ali Guerraz
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Appelé au service, Boualem rejoint le corps des parachutistes et suit l’entraînement militaire intensif qui caractérise cette spécialité. Rien ne vaut la guerre pour révéler le caractère des gens et surtout les périodes de grand danger où à tout moment la mort peut frapper. Boualem fut l’un des premiers à parler dans les médias, à la télé, à la radio et dans les journaux de l’expérience des services de transmission durant la guerre
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Il est parti comme il a vécu, avec honneur et dignité. Sur l’épitaphe on peut lire : « C’est quand l’arbre se couche qu’on mesure sa grandeur ». Dans l’éloge funèbre, son compagnon de route, Hassani Abdelkrim (El Ghouti), n’a pas tari d’éloges sur celui qui s’est sacrifié corps et âme pour que l’Algérie retrouve son indépendance. « Il avait l’âme d’un moudjahid et il l’a gardée jusqu’à son dernier souffle. Le regard embué de larmes, l’orateur évoquera les grandes qualités du défunt qui n’hésitait pas à aller au charbon au mépris des périls. C’était un homme de cœur et de conviction. » En cette matinée printanière au carré des Martyrs, il y avait la famille Dekar, les amis du défunt et ses compagnons de lutte pour se recueillir sur sa tombe, un an après sa disparition. « Ali » l’Allemand, un ancien de l’ALN, parlera de Guerraz comme d’un grand frère qui l’a protégé. Ce ressortissant allemand évoquera la grande sensibilité du disparu qui aimait son pays à l’infini. Aussi, il racontera ce fait anodin, mais très significatif, lorsque Guerraz, lors d’une cérémonie au cimetière allemand d’Alger, ne put retenir ses larmes quand des officiers allemands hissèrent le drapeau algérien. Gheris vécut ce moment avec une fierté indescriptible, témoigne l’ancien membre de l’ALN. Homme de l’ombre, Guerraz comme ses collègues du MALG ? Dans un fascicule, il raconte son itinéraire dont il retrace fidèlement les péripéties. Aux lycéens qui s’affairaient devant l’établissement qui porte son nom à Kouba, j’avais demandé des informations sur Dekar Boualem. La réponse fut brève mais unanime, « C’est un chahid. », alors qu’il suffit de lire la plaque commémorative qui lui est consacrée à l’entrée du lycée pour en savoir plus ! Le jour où l’établissement a été baptisé de son nom, coïncidait avec les terribles attentats qui avaient secoué Alger l’année dernière. Ce qui fit que la cérémonie passa presque inaperçue. Guerraz par Dekar Boualem, suivons le pour mieux le connaître.
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Déserteur de l’armée française
« C’est au numéro 60 de la rue des Mimosas, El Mouradia, ce quartier d’Alger appelé autrefois La Redoute, que je vis le jour au printemps de l’année 1934, plus précisément le 25 avril. Mon père, Moussa, et ma mère, Hadda Bounaâma, étaient originaires de Harbil, commune de Guenzet dans la région de Sétif. Ils donnèrent la vie à quatre filles et sept garçons. Durant la guerre de libération, deux de ces derniers se retrouvèrent en prison et trois autres au maquis (2 à la Wilaya IV et 1 à la Wilaya I). Alors que les circonstances, comme je me propose de le raconter, me conduiront vers les djebels de l’Oranie en Wilaya V, zone 2, mon frère, Dekar El Hadi, connaîtra ceux des Aurès-Némemchas et tombera au champ d’honneur dans la Wilaya I. Mes parents conservèrent en permanence leurs liens avec le terroir. Militant du Parti du peuple algérien (PPA) puis du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD) qui lui succéda, mon père en fut l’animateur aux élections de 1947 à Harbil. C’était l’époque où les gens, venant du douar, convaincus de la notoriété de mon père, demandaient la rue ‘’Ammi Moussa’’ au lieu des Mimosas. Dès la fin de l’école primaire (1948), je m’engageais dans les Scouts musulmans algériens (SMA), et en 1950 j’entrais comme étudiant à la Médersa libre de La Redoute (El Mouradia). A 19 ans, je militais au MTLD (1952). La crise qui éclata dans le Mouvement m’ébranla comme la plupart de mes compagnons. Heureusement, au milieu de l’année 1954, je suis recruté comme ‘’militant de réserve’’ d’une organisation clandestine des neutralistes. Les responsables que je connus alors étaient : Derriche Elias, Debbih Chérif et Bouhara Salah. Je venais d’avoir 20 ans. La première tâche que l’on me confia et que j’accomplis avec enthousiasme fut le recensement et la collecte de renseignements concernant une soixantaine de maisons de la rue des Mimosas. Le 13 janvier 1955, Salah Bouhara me chargea du contrôle d’un groupe de fidaïs. Ils étaient 3 (ou 4) et il s’agissait pour moi de surveiller discrètement leurs actions et de les contacter individuellement. Un numéro de matricule m’est attribué ; je crois me souvenir que c’était le 3076 ! Quelques mois plus tard, je reçus une convocation des autorités françaises (juin 1955) pour effectuer le service militaire. J’étais appelé à me présenter le 15 juin dans une caserne d’Alger. D’emblée, je songe à rejoindre le maquis. j’avise mon responsable direct Salah Bouahara. A ma grande surprise, sa réaction est à l’opposé de la mienne. Pour lui, non seulement je dois répondre à l’appel, mais aussi profiter de cet enrôlement dans l’armée française pour me consacrer, d’une part, à l’étude du maniement des armes et toutes les techniques utiles au combat et, d’autre part, à poursuivre mon travail politique auprès des appelés algériens afin d’organiser, le moment venu, une désertion en masse. ‘’La révolution va durer plus longtemps que ton service militaire’’, ajouta-t-il. « Ces paroles devaient résonner dans ma mémoire durant des années. » Stationnés à Agardir au Maroc dans un bataillon de l’armée coloniale, Guerraz avec 17 soldats déserteront en avril 1956 pour rejoindre l’Armée de libération marocaine, en attendant de contacter des responsables du FLN et de l’ALN au Maroc (Wilaya 5). En mai et juin, il se retrouve au sud de Tindouf, où il s’emploie à l’instruction militaire des djounoud et au fonctionnement des transmissions. En juin 1956, il est contacté par Mansour Boudaoud, chargé par Boussouf de recruter les Algériens désireux de rejoindre les rangs de l’ALN. « Ali » était particulièrement intéressé par les transmissions avec trois autres qui avaient aussi des qualifications dans ce domaine, en l’occurrence Hassani (Ghouti) Dib Boumediène (Abdelmoumen) et Sedar Snoussi (Si Moussa).
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Courage à toute épreuve
En août 1956, il est parmi ceux qui ont contribué à la sortie de la première promotion de 26 stagiaires. En septembre de la même année, il est désigné chef de poste et affecté à la zone 2. Après 11 mois au maquis, il a été désigné pour tenir la station radio de Nador, puis la station radio Saout El Djazaïr, située à la frontière ouest. en février 1958, il est affecté au premier centre d’écoute de l’Est, au Kef, en Tunisie, puis il est désigné au niveau de la station centrale de Radio Tunis en janvier 1959. Trois ??? après, il se retrouve à la station de Tripoli (Libye). En décembre 1959, il est désigné pour représenter le MALG, en participant à l’organisation matérielle du GPRA. En décembre 1960, il est responsable du chiffre pour le Moyen-Orient. En juillet 1962, il retourne en Algérie dans l’avion qui a ramené les membres du GPRA. Il est responsable à l’Office national du tourisme puis à la présidence de la République jusqu’à sa mise à la retraite en 1970 pour raison de santé. Ali Guerraz a été président de la Fédération algérienne de tir aux armes sportives, chasse et olympique de 1981 à 1989. Il a été membre de la Fédération internationale de tir aux armes sportives et de chasse. En 1990, il est vice-président du MALG et membre du conseil national de l’ONM.
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Les héros ne meurent jamais
Pour M. Lemkami, moudjahid et compagnon de lutte du défunt : « Boualem est un homme très généreux, dévoué, volontaire qui veillait à ce que ses amis ne manquent de rien. C’est un homme courageux qui n’hésitait pas à braver le danger pour accomplir ses missions. Je sais qu’avec ses amis, Mourad Benachenhou et Maâkel Ahmed, ils formaient un trio de choc. J’ai le souvenir qu’il a participé à un accrochage terrible avec les fusilleurs marins français, où il y avait dans la compagnie un certain Jacques Chirac. » Mme Lemkami, moudjahida, qui a connu Ali Guerraz dans le maquis, dira : « Le défunt était très fier des moudjahidate. Il encourageait les femmes à occuper des places à leur mesure au sein de la société. C’était un homme de progrès. » Pour son épouse, Lise, d’origine anglaise : « Ces dernières années, mon mari ne pensait qu’à la révolution. Il s’intéressait beaucoup à l’écriture de l’histoire. Il voulait absolument que les jeunes générations s’imprègnent des mêmes valeurs et des mêmes principes que leurs aînés. » Lise et Boualem se sont connus à Genève en 1962. « Il est venu se soigner dans cette ville juste après l’indépendance et Dieu sait qu’il a gardé des séquelles de la guerre. Boussouf l’a envoyé ici. Cela lui a permis de ne pas vivre le mic mac d’Alger à cette période. Mais je peux dire que Boualem se sentait abandonné. Moi, je travaillais à l’époque à l’OMS. Je suis venue en vacances en 1963 à Alger pour voir l’Algérie avant de m’engager. Le pays m’a plu et j’exerçais au PNUD d’Alger. En juin 1964, on convole en justes noces à Londres. Depuis on ne s’est plus quittés. On constituait un couple complice. On s’entendait très bien. » Son ami Mourad Benachenhou, ancien officier supérieur de l’ALN et ancien ministre qui a eu à côtoyer le défunt dira : « Dans toutes les occasions où nous eûmes à affronter l’ennemi sous une forme ou une autre, je ne vis jamais Boualem perdre son sang froid ou sa verve typiquement algéroise. Il donna la preuve de son héroïsme à plusieurs reprises. Boualem était, en plus de son courage à toute épreuve, un homme très sociable qui respirait la sympathie. » M. Benachenhou se réfère à une phrase du prix Nobel Najib Mahfouz qui résume l’histoire du monde : « Les révolutions, fait-il dire à un de ses héros, sont lancées par des fous, accomplies par des héros, mais ce sont des lâches qui en héritent. Boualem appartient aussi bien à la première catégorie qu’à la seconde » Tout son itinéraire est là.
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Parcours
Dekkar Boualem, dit Ali Guerraz, est né le 25 avril 1934 à El Mouradia (ex-La Redoute) dans une nombreuse famille de révolutionnaires. Kechef au sein des SMA, nourri à l’école du nationalisme, Boualem sera sensibilisé très tôt à la cause nationale. Bien avant le déclenchement de la lutte de libération, il était déjà prêt à en découdre. Mobilisé dans le contingent français, il désertera avec un groupe de soldats pour rejoindre le maquis. Dans un fascicule Récit d’un opérateur radio au maquis, Boualem, qui se faisait appeler Ali Guerrraz, a détaillé tout son parcours où la bravoure le dispute au courage. Au MALG, Guerrraz sera apprécié pour ses qualités, dont un dévouement à toute épreuve. Il gardera la même détermination et la même fougue jusqu’à son dernier souffle. Il s’est éteint le 23 mai 2007 à Alger.
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Hamid Tahri
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