Voyage à la frontière de la Thaïlande, du Laos et de la Birmanie.
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A l’aube, dans la brume chaude de mars, le train entre en gare de Chiang Mai, ville du nord de la Thaïlande. J’étais parti la veille à 19h de la gare Hua Lamphong de Bangkok pour faire d’une traite les 760 km, en first class sleeping pour un modique billet de 1400 bahts, environ 30 euros.
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Cette gare située dans le quartier chinois de Bangkok, labyrinthe fantastique de ruelles aux enseignes de néon hautes comme des murailles, illuminant un incessant mouvement de marchandises où les échoppes et les restaurants débordent sur les trottoirs : on n’y meurt ni de soif, ni de faim, ni d’ennui. A la gare aussi, même spectacle saisissant : imposante bâtisse traversée de mille voyageurs courant vers leur train et d’autres assis, sagement, dans l’attente du départ. Je vois ceux qui parlent dans leur portable, ceux qui achètent des vivres, des livres, des journaux, des fleurs. Il y a aussi une boutique d’herboriste et un salon de massage des pieds. Pas un clochard qui dorme dans un coin. La gare de Bangkok est du genre nickel. Trois guichets : first, second, third class... et trois types de trains : rapid, special expess et special express diesel car. C’est ce dernier qui va le plus vite et dessert la région nord. Je ne faisais qu’une escale à Chiang Mai, pour reprendre un bus pour Chiang Rai, à environ trois heures de route encore plus au nord, vers les rives du Mékong, à la frontière de la Thaïlande, du Laos et de la Birmanie. Je pars vers le Triangle d’Or. Chaleur torride dès le matin. Je passe devant une rangée d’hôtels, pompes à dollars pour touristes sur l’avenue qui descend vers la station d’autobus. Devant la station, un énorme supermarché, un Carrefour... Les voyageurs attendent debout devant une rangée de cars de marque nippone. A la caisse, une dame fardée me tend un billet « round trip », aller-retour pour Chiang Rai pour 300 bahts. Dans la station, des marchandises sont étalées un peu partout. Le bus fonce sur l’autoroute. Toute cette région du nord de la Thaïlade donne le sentiment d’être en plein boum, en mutation de l’agriculture à l’industrie et au tourisme. Des constructions partout. On construit des immeubles, des hôtels, des maisons, des garages, des shopping centers. Vaste politique pour faire oublier que cette région était un sanctuaire de trafiquants, un vaste espace de frontières sans contrôle. Dès le départ, le bus prend de plein fouet une grosse averse. On prend ensuite après l’autoroute une route de montagne, entourée par la jungle. Vues spectaculaires, alors que le bus surchargé grimpe lentement vers Mae Salong et Mae Sai, sur la frontière avec la Birmanie, à l’extrême nord de la Thaïlande. C’est ici le Triangle d’or ! Mais la seconde escale, c’est Chiang Rai, la Cité des rois. Chiang Rai enfin ! Belle cité sur la rivière Kok. Au Wing Inn Hôtel, je dépose mon sac sous le grand ventilateur d’une chambre aux murs de couleur beige. En face de l’hôtel, une boutique de douceurs et de fruits : papayes, ananas, melons... C’est parfait pour un petit ravitaillement. Chiang Rai, c’est loin du chaos automobile de Bangkok. Des pick-up, des mobylettes, des rickshaws font quelques pointes de vitesse. Sans plus. Un vieux très charmant, employé de l’hôtel, m’indique le chemin du marché. Tenue safran, pieds nus, crâne rasé, un jeune bonze solitaire et silencieux prie dans un temple minuscule près de la station d’essence, près du marché. Foule matinale. Il faudrait un expert de l’Onu (en population) pour distinguer ici les Chinois, les Tibétains, les Thais, les Laotiens, les Birmans... La foule s’agglutine, se croise, se parle et se comprend (en pantomime !).
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Cartes postales
C’est ça que j’ai rêvé de voir à Chiang Rai. J’ai toujours rêvé de voir ces régions montagneuses, de la forêt vierge et du fleuve Mékong : le Triangle d’Or ! Me voici enfin sur les rives de la Kok River, gros affluent du Mékong. Je repars d’ici vers Chiang Sean, Mae Salong et Mai Sae, là où le Mékong accueille les voyageurs qui, de toute vraisemblance, chercheront à le traverser pour aller au Laos ou en Birmanie... Le Mékong est l’un des fleuves les plus longs du monde. Ici, les Thaïs disent le Mae Khong, c’est-à-dire la mère de tous les fleuves. En Chine, le fleuve s’appelle Lang Cang, le fleuve turbulent. C’est son plus long parcours. Le Mékong prend sa source dans le Tibet oriental, sur les hauteurs de l’Himalaya. Il traverse six pays. La Chine, le territoire du Yunnan où Mao avait son quartier général et d’où est partie la révolution. Ensuite, la Birmanie, le Laos, la Thaïlande, le Cambodge et le Vietnam avant d’aller se jeter, après 5000 km dans le South China Sea. Sur les collines de Chiang Sean, on voit le Laos de l’autre côté du fleuve. A Chiang Sean, des streets bazars à tous les coins de rue, les touristes commencent à affluer et de nouveaux hôtels sortent de terre. Cela me rappelle Kanchanaburi, près du célèbre pont de la Rivière Kwaï. Entre Chiang Sean et la petite ville de Mae Sai, je suis au cœur du Triangle d’Or. Les seigneurs de guerre thaïs, chinois, birmans, laotiens faisaient régner un ordre sans aucune loi. Ici aussi, il y avait la « lost army », l’armée perdue de Chine : en 1949, après la victoire de Mao, la 93e armée du Kuomintang, qui opérait dans le Yunnan, a été coupée des troupes de Tchang Kaï-Chek qui faisaient retraite vers Taïwan. Cette lost army est restée à Chiang Sean pour cultiver des champs de pavot et faire du trafic d’opium. Des années plus tard, le gouvernement thaï a fini par accepter les soldats chinois comme citoyens thaïs. Entretemps, la région a cessé d’être inscrite dans le registre (sinistre) de productrice d’opium. C’est aujourd’hui l’Afghanistan et les taliban qui produisent de l’opium à un rythme soutenu. A Chiang Sean, une ONG thaïe a ouvert un musée, The Hall of opium, pour dire l’histoire de la culture du pavot et les stratagèmes des trafiquants pour passer l’opium à travers les frontières. Le grand mérite de l’abandon de l’opium en Thaïlande revient au roi Bhumibol Adulyadej qui règne depuis 1950. C’est lui qui a réussi à sensibiliser les paysans à cultiver, en remplacement du riz du tabac, du tournesol, du café... Le Triangle d’Or produisait 70% de l’opium dans les années 1970-1980. Aujourd’hui, selon l’Onu, à peine 5%. L’opium est toujours lié à une occupation coloniale sauf peut-être pour ce qui concerne la Thaïlande, pays jamais colonisé. Au Laos, c’est l’armée française qui a encouragé la production de l’opium et qui tire du trafic un très grand profit économique, commercial et politique. Comme au XIXe siècle, quand l’armée britannique a déclenché la guerre de l’opium en Chine. Dès 1856, avec l’aide des Français, les Anglais ont introduit l’opium en Chine, forcé les Chinois à en consommer et, en échange leur soutiraient des lingots d’or et des quantités de pierres précieuses. Sont-ils vrais les colliers de jade vendus au marché de Mae Sai, bourgade plus au nord encore, sur le Mékong ? Pas sûr. Des masses de marchandises s’étalent ici, sacs de riz, étoffes de toutes les couleurs, soieries de Thaïlande et de Chine, vanneries, objets d’artisanat en bois sculpté, cigarettes de Birmanie roulées à la main, épaisses comme des cigares... Un pont mène d’ici en Birmanie de l’autre côté du fleuve. Un tampon sur le passeport contre quelques dollars aux douaniers birmans et on se retrouve pour quelques heures (seulement) dans la ville frontière de Tachilek. Les choses sont quasiment identiques des deux côtés du pont. Sauf la tenue des soldats qui déambulent tranquillement, la crosse en l’air, ou celle des gamins qui, sur un stade à l’écart de la petite ville, disputent un match de foot. Les mêmes vrais ou faux colliers de jade dans les boutiques pour touristes au milieu de mille pacotilles. Cette contrée du Triangle d’Or est peuplée de minorités ethniques à une époque toutes insoumises à tous les pouvoirs officiels. Dans cet extrême nord du royaume de Thaïlande, les Méos, les Karens et les Akhas, avec le passage du temps, se sont peu à peu rapprochés de l’administration de Bangkok.
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Beau rivage
Contrairement à la minorité musulmane du Sud, toujours en conflit avec le gouvernement. Basés de l’autre côté des rives du Mékong en Birmanie, les Shans et les Karens ne semblent pas cautionner le gouvernement militaire de Rangoon. Cela dit, dans leur vie quotidienne et dans les villages les plus reculés du Triangle d’Or, on voit apparaître tous les signes de la modernité : mobylettes japonaises, téléphones portables, dvd dans les boutiques, musique de jazz... Je reprends la route vers Chiang Mai pour essayer de rattraper le train de nuit de Bangkok. Le bus fait halte devant une belle maison de thé chinoise. J’achète du nougat et des dattes dans une épicerie voisine. Le bus repart avec ses vélos sur le toit. Bientôt Chiang Mai se dessine à l’horizon. Sur le quai de la gare, un gamin lançait son cerf-volant. Je laisse derrière moi le Mékong et les vues splendides de ses rives où tous les soirs je voyais la lumière dorée du soleil couchant
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7-4-08
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