Il y a 48 ans,
Le temps historique et le temps politique
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Il y a de cela 48 ans, au mitan d’une guerre sans nom, qu’il a portée aux limites extrêmesde laviolence et de l’horreur, de Gaulle préconisait un référendum d’autodétermination afin queles Algériens se prononcent sur leur avenir. L’ambiguïté de sa politique algérienne a suscité la méfiance légitime du FLN et la colère indescriptible des ultrapartisans de « l’Algérie française ».
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Certains historiens écrivent, à propos de l’invasion de l’Algérie au lendemain de 1830, que « maîtresse d’Alger à peu de frais (400 morts et 2000 blessés environ), la France se trouve désormais confrontée à un problème qu’elle va devoir affronter durant plus de 130 ans : que faire de l’Algérie ? » (1) Ainsi, pour Napoléon III, c’est « un boulet que la France doit assimiler au royaume d’en face » (2). Plus proche, de Gaulle aussi cultivait peu de sympathie à l’égard de l’Algérie, des colons et des Algériens. S’il n’avouait pas, publiquement bien sûr, ses ressentiments, ce pays et ses habitants autochtones ou européens avaient la particularité de l’agacer. Les uns, enfants gâtés, auxquels la métropole ne refusait rien, étaient pétainistes au départ puis lui ont préféré le général Henri Giraud, évadé de Königstein (Allemagne) en 1942. Ce dernier devait prendre, avec le soutien des Américains, la tête des Forces françaises de l’Afrique du Nord, au lendemain du débarquement des alliés, en novembre de la même année. De Gaulle a dû user de ruses de sioux pour l’évincer de la coprésidence du Comité français de libération nationale (CFLN), en novembre 1943. Quant aux Algériens de souche, il les tenait dans un glacial mépris. La hargne cruelle mise en mai 1945, pour, disait-il, dans un message adressé au général gouverneur Yves Châtaigneau, réaffirmer « la volonté de la France victorieuse de ne laisser porter aucune atteinte à la souveraineté française en Algérie », est suffisamment éloquente dans sa tragédie pour traduire ses sentiments réels à notre endroit. En homme d’Etat entièrement voué à la France qu’il plaçait au-dessus de tout, à laquelle il s’identifiait presque, habile autant que madré, instruit d’exemples, il a louvoyé avec intelligence et perspicacité, parmi les plus grands et les plus puissants politiciens du XXe siècle. Malgré l’hostilité ouverte de l’Américain F. D. Roosevelt et la méfiance du Britannique W. Churchill, il finira par s’imposer comme partenaire incontournable, avec pour seule « division », comme dirait Staline, son talent. En Algérie, ce prince de l’équivoque, hormis la forfaiture génocidaire des journées de mai 1945, qui se sont déroulées alors que ses troupes, à l’exclusion des soldats « indigènes » et lui ouvrant le cortège, défilaient sur l’avenue des Champs Elysées dans Paris libéré, il a porté la guerre après 1958 à son summum de violence. Jusqu’au bout, il aura barré le conflit par un discours et une politique polymorphiques allant du célèbre et amphigourique : « Je vous ai compris ! », jusqu’à la non moins vasouillarde, dans son esprit s’entend, « Algérie algérienne ». Il n’a eu de cesse, en effet, d’ouvrir pistes et impasses donnant une impression d’une improvisation mousseuse dont lui seul tenait les clés du mystère. Rhéteur de légende, ses messages à fragmentation envoyaient l’opinion vers de multiples destinations sans issues. La confiance aveugle dont il bénéficiait auprès du peuple Français, son aura dans le monde se chargeaient des défectuosités et de la légitimation des écarts de conduite des affaires. Ses mémorables conférences de presse étaient de véritables shows politico-médiatiques empreints de bonhomie où journalistes et observateurs s’esclaffaient des mots d’esprit et d’un à-propos qu’il maniait à merveille ou des réponses lapidaires qu’il apportait aux questions les plus douloureuses quand d’aventure elles étaient posées. On ne parlait pas du sort du peuple algérien mais du devenir de l’Algérie française. Bref, on parlait politique, jamais de guerre. Il est vrai que ce ne sera qu’en 1999 que l’Etat français reconnaîtra qu’il s’agissait d’autre chose que d’« événements » ou d’« opérations de services d’ordre ». Des manifs quoi ! Cette propension à dire une chose et son contraire, à manier avec un art consommé le discours à double entente, a escamoté les aspects les plus tragiques du conflit. Il a proprement anesthésié l’opinion. Rares étaient les voix qui s’élevaient pour braver son césarisme, s’indigner et encore moins s’insurger contre le drame insensé qui se déroulait en Algérie. Pourtant, de Gaulle, plus que tout autre de ses compatriotes, était convaincu de l’inéluctabilité de l’indépendance de l’Algérie. Bien de ses intimes rapportent des propos qui corroborent que cet homme connaissait le sens de l’histoire.
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Du côté des ultras
Réagissant au texte du Manifeste du Peuple algérien, que lui avait adressé Ferhat Abbas en 1943, document qui faisait référence à « une autonomie interne », il confiait au député socialiste du Rhône (1936-1940), André Philip, du CFLN d’Alger : « Tout cela finira par l’indépendance ». Une année plus tard, sans aller à perdre-pied, il se hasardera un peu plus loin avec l’ordonnance du 7 mars 1944 dans laquelle il rafraîchit le projet de loi Blum-Violette de 1936, pour offrir aux élites, autrement dit les « béni-oui-oui », passés par le hasard de leur naissance, sur les bancs d’une école, la nationalité française, « sans renonciation à leur statut personnel ». Il attifait ces friandises politiques d’un abonnissement de la représentation indigène dans les assemblées locales. Sans doute, fallait-il mettre cette prodigalité civique sur le compte de l’euphorie qui a précédé la victoire des alliés et l’esprit de la fourberie de Brazzaville. Cette condescendante générosité était toute théorique, puisque tout est resté au niveau du papier. Une année plus tard, ce fut le carnage de Mai 45. Deux années après, le libérateur de la France se rangeait nûment du côté des ultras en Algérie. En 1947, dans la discussion sur le statut de l’Algérie, le voilà qui rechausse ses brodequins de général de la coloniale, et se prononce en faveur du « maintien absolu de la souveraineté française et pour l’équilibre des communautés impliquant la parité et la pureté des collèges électoraux ». Comme dit l’adage populaire « Chami, chami-Baghdadi, Baghdadi ». Oubliés Monte Cassino, le débarquement de Provence, les dizaines de milliers d’indigènes tombés pour… la France. Effacés les blablabla de la conférence de Brazzaville où il déclarait que le devoir national consiste à aider les peuples de l’empire « à s’élever au niveau où ils seraient capables de participer à la gestion de leurs propres affaires ». De tout cela, de Gaulle en fera litière. Mieux, au mois de mai 1951, chef du RPF, il viendra à Alger pour passer un pacte électoral avec les ultra. Du bouillonnement patriotique et nationaliste en Algérie, il n’en aura cure. Les colères montantes de l’Afrique du Nord ne l’émeuvent point outre mesure. La France est le centre du monde, sa réhabilitation dans la cour des grands est sa préoccupation première, même si, éloigné des affaires, il échafaudera plans et projets car en vérité, l’animal politique qu’il était ne s’est jamais tenu à plus d’un carré de marelle du pouvoir. Avec la mort de Staline, la tenue du 20e congrès du Parti communiste de l’Union soviétique (PCUS) et l’arrivée de Nikita Sergheïevitch Khroutchev à la tête de l’URSS, lequel instruira un procès en règle de la politique de son prédécesseur, de Gaulle changera son fusil d’épaule. La personnalité faussement débonnaire du nouveau leader du bloc de l’Est favorise ce que l’on appellera la « détente ». Le spectre de la troisième guerre mondiale s’éloigne, l’homme du 18 juin sent le vent tourner. Guy Pervillé, professeur d’histoire à l’université de Toulouse-le-Mirail, écrit à ce propos que cette reconfiguration des relations internationales « entraîne dès 1953 une révision générale de la politique gaullienne, jusque-là fondée sur la nécessité de conserver l’union française pour affronter la troisième guerre mondiale. » Dès février 1955, alors que Jacques Soustelle prend ses fonctions de gouverneur général de l’Algérie, Edmond Michelet (3) s’entend déclarer : « L’Algérie est perdue. L’Algérie sera indépendante ». En avril, Jean Amrouche (4) reçoit la même réponse : « L’Algérie sera émancipée. Ce sera long (...). Vous aurez beaucoup à souffrir. Quant à moi, je ne parlerai que le jour où je serai en situation de faire ce que j’aurais dit ». Le 18 mai, Louis Terrenoire (5) entend la même confidence : « Nous sommes en présence d’un mouvement général dans le monde, d’une vague qui emporte tous les peuples vers l’émancipation. Il y a des imbéciles qui ne veulent pas le comprendre ; ce n’est pas la peine de leur en parler. Mais il est certain que, si nous voulons nous maintenir en Afrique du Nord, il nous faut accomplir des choses énormes, spectaculaires et créer les conditions d’une nouvelle association. Or, ce n’est pas ce régime qui peut le faire. Moi-même, je ne serai pas sûr de réussir ... mais bien sûr, je tenterai la chose ». Dans sa conférence de presse du 30 juin, le général préconise l’association définie comme un « rien de nature fédérale entre Etats », et demande l’intégration de l’Algérie « dans une communauté plus large que la France ». Mais de Gaulle semble être déjà passé à autre chose, il nourrit de grands projets pour l’Europe. Mais alors pourquoi n’avoir pas abrégé la guerre et les souffrances des siens, comme celles du peuple algérien ? Parce que, disait-il, « un pays vaincu n’a pas de voix sur le plan européen ». En fait, de Gaulle s’était persuadé qu’une victoire militaire était nécessaire, voire indispensable, pour affirmer aux yeux de ses alliés la puissance retrouvée de la France, dans un monde en mutation. Il fallait rendre confiance à une armée déconfite en juin 1940, mortifiée à Diên Biên Phû en 1953, humiliée à Suez en 1956, aphone au Maroc et en Tunisie et tenue en échec depuis Novembre 1954 en Algérie, par de farouches maquisards qui manquaient de tout, sauf de détermination.
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Qu’est-ce que le 13 mai ?
Quant à l’issue politique volontairement dissociée de la militaire, si l’honneur guerrier est sauf, elle prendra la forme d’une indépendance octroyée. L’auteur n’en apparaîtra que « plus sage » aux yeux d’un monde où le FLN algérien marque des points et suscite la sympathie, voire l’admiration de nations entières. De Gaulle en était conscient. Il s’agissait, pour lui, désormais, de faire oublier le désastre de ses prédécesseurs en s’engageant dans la pire des solutions : organiser et arracher une victoire sur le terrain quel que soit le coût humain et matériel. De plus, une victoire sur le terrain militaire allait, pensait-il, contraindre le FLN à négocier en position de faiblesse et sans doute était-il convaincu que les responsables du GPRA allaient accepter un plan de partage ou une partition comme cela s’était fait au Vietnam avec les accords de Genève. La France avait besoin pour ses objectifs de grandeur économique de la nouvelle Algérie utile : le Sahara. Alors que s’installe un climat international qui tend vers l’apaisement et que la décompression sensible au niveau des blocs rend propice la relance économique européenne, subventionnée et revivifiée par le plan Marshall de reconstruction de 1948, de nouvelles perspectives jaillissent à Hassi Messaoud. Le Sahara acquiert subitement un intérêt considérable. Une dépêche datée d’Alger du 15 mai 1956 va en effet tournebouler les paramètres de la guerre et de toute la question algérienne. Un communiqué technique de la SN REPAL (Société nationale de recherches de pétrole en Algérie) annonçait : « La sonde du puits MDI, foré sur le permis d’Oued Mya, au lieu-dit Hassi Messaoud, à 75 km de Ouargla, a rencontré le toit de grès imprégné d’huile à 3300 m et traversé la couche sur 140 m ». Les premières gerbes d’or noir jailliront le 26 juin de la même année. De Gaulle fait de fréquentes visites en Algérie. Il pérégrine un peu partout, particulièrement au Sahara, il lâche par-ci une boutade, administre par-là une griffure acérée sur le dos des politiciens « tergiversatiles » de la quatrième République qu’il tient pour responsables de la débâcle annoncée et de l’abandon de l’Algérie et du Sahara. Réflexions qui ne manquent pas de ravir les ultras. Mais il prend soin d’envoyer d’autres signaux dans d’autres directions, particulièrement celles que la presse qualifiera de proches des positions de Mendès France. C’est ainsi que l’irascible Alain de Sérigny, directeur de l’Echo d’Alger, porte-voix des gros colons et agitateur de la plèbe de Bab El Oued, et Habib Bourguiba, père de l’indépendance tunisienne, proche des dirigeants de la Révolution algérienne, souhaitent presque simultanément, chacun de son côté, l’arbitrage du général de Gaulle ! C’est dire l’ambiguïté de celui qui, à la faveur d’une indescriptible kermesse, le 13 mai 1958, va prendre les destinées de la France, de l’Algérie et de la guerre.
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Avec lui, elle sera terrible.
Qu’est-ce que le 1.3 mai ? Dans un quelconque pays d’Amérique latine, on appellerait ça un putsch ; en Afrique, un coup d’Etat. Mais ce coup de force de l’armée en Algérie a été interprété par les Français d’ici et de métropole comme une résurrection. La gauche française, disqualifiée par sa politique désastreuse, gesticulera pour la forme, au fond soulagée de refiler le bébé et l’eau du bain au fils prodige. Elle a bien sûr dénoncé le golpe d’Alger. Ce dernier a vitement été entériné par le président de la République René Coty lequel « a décidé » d’appeler au timon l’homme qu’il a qualifié de « plus illustre des Français ». « Le 29 mai à 20h45, c’est l’instant historique, Charles de Gaulle sort de l’Elysée, après 1heure 20 minutes de tête-à-tête, il vient de dire oui à René Coty », écrit tout ému, comme au sortir d’un mariage, l’hebdomadaire Paris Match. Le 1er juin, il prend les commandes comme dernier président du conseil de la quatrième République. Il demande et obtient de la chambre les pleins pouvoirs pour six mois. Voici l’homme du 18 juin 1940 devenu l’homme du 13 mai 1958. Le 4 juin, de Gaulle vient à Alger pour remercier comme il se doit les généraux séditieux, d’abord Jacques Massu auquel s’alliera Raoul Salan, et tous les zélateurs de l’Algérie française qui feront partie du Comité de salut public dont « l’étudiant professionnel », gestapiste assassin Pierre Lagaillarde (voir El Watan du 31 octobre 2006) entre autres, qui avaient pris d’assaut et mis à sac le Palais du gouvernement général. Du balcon de cet édifice qui avait été érigé pour le centenaire de la colonisation et qui comme par hasard a vu de haut une forme proche de la fameuse croix de Lorraine, symbole du gaullisme, il lance son fameux : « Je vous ai compris »… Il dit qu’il « sait ce qui s’est passé ici » et même qu’« il voit le chemin que vous avez voulu prendre ». Ce « vous » énigmatique, c’est tout le monde en même temps. Ce sont tous les chalands qui se sont précipités sur le forum (baptisé après l’indépendance « Esplanade de l’Afrique » et depuis, devenu parking gouvernemental), ce sont aussi les absents, ceux d’en face, dira-t-il plus tard, puisqu’il s’adressait aussi, selon lui, aux maquisards de l’ALN. Maquisards auxquels il proposera plus tard « la paix des braves » contre un bouchon de carafe. Lui qui disait qu’« il nous faut accomplir des choses énormes, spectaculaires et créer les conditions d’une nouvelle association », va enfin « tenter la chose » même si, comme il le subodorait, il n’était « pas sûr de réussir ». Son action sera à la fois une intensification de la guerre et une tentative de séduction sociopolitique.
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Le plan de construction
A la veille de la déflagration de novembre 1954, la situation des Algériens n’intéressait ni les gouvernants de Paris et encore moins les hobereaux d’Algérie. Pour la petite histoire, en 1930, la Métropole avait accordé un budget d’un milliard de francs pour les festivités du centenaire de la conquête et les colons ont rejeté 150 millions de francs qui étaient destinés aux nécessiteux ! Aussitôt mesurée l’étendue de l’insurrection et l’irréversibilité de son caractère, c’est la panique dans les milieux politiques. Il faut faire quelque chose ! Il y eut le « plan Mitterrand ». Il s’articulait surtout autour d’aménagements politiques tendant à faire figurer les indigènes dans la représentation locale. Il reprenait en somme l’ordonnance gaullienne du 7 mars 1944. Le ministre de l’Intérieur du gouvernement socialiste de Mendès France qui avait déclaré à Batna que la seule négociation avec les rebelles c’est la guerre, a concocté dans la hâte qu’imposait la situation quelques réformettes. Elles étaient destinées à « modifier les rapports entre la puissance coloniale et ses colonies dans la continuité de la souveraineté française dans les colonies — ou du moins de la souveraineté extérieure c’est-à-dire, la responsabilité de la défense et de la politique extérieure dans les protectorats et colonies — de telle manière que les populations colonisées acceptent la domination de la France » (6). Lui succédant, Jacques Soustelle, désigné comme gouverneur général, proposait en 1955 une copie du plan Mitterrand agrémentée de quelques brimborions sur le plan de l’agriculture vivrière traditionnelle. « Dans le domaine du développement industriel, le plan ne prévoyait que l’abaissement du prix de l’énergie en Algérie. » (7) Puis vint de Gaulle et son plan de Constantine. Le 3 octobre 1958, il s’engageait dans la capitale de l’est, à améliorer substantiellement le niveau de vie des Algériens. « Le plan prévoyait d’atteindre en l’espace de cinq ans le niveau d’industrialisation visé par les perspectives décennales en dix ans ». Ces perspectives avaient été projetées par le plan Soustelle et visaient « sur dix ans le développement d’une industrie intégrée… qui prévoyait de dépasser la situation ‘’insulaire’’ des exploitations algériennes, dépendantes des fournisseurs de la métropole par l’installation de nouvelles exploitations, ce qui conduirait à un tissus industriel par la formation de chaînes de production. La demande des exploitations industrielles et de leurs employés entraîneraient ainsi la constitution d’un marché algérien » (8). Pour conséquent qu’il fut pour l’époque, le plan de Constantine l’était. « Il fut le plus ambitieux pour le développement d’un pays sous-développé par une métropole capitaliste… la contribution financière publique de la France au développement de l’Algérie devait atteindre 1 milliard de francs par an, c’est-à-dire plus de 10% du PIB algérien de l’époque », hors coût de certaines dépenses comme l’éducation (9). Ce plan destiné à discréditer l’argumentaire du mouvement insurrectionnel qui en était à sa quatrième année et dont la réalisation avait été confiée au délégué général Paul Delouvrier, n’a pas connu de grands succès dans sa réalisation et n’a donc pas obtenu les résultats politiques attendus. En revanche, il était accompagné de son corollaire meurtrier, son jumeau militaire : le plan Challe. Improprement attribué au général éponyme, nommé nouveau commandant en chef des forces armées en Algérie, par de Gaulle, ce dispositif exterminateur avait été élaboré par le général Salan, mais n’avait pas reçu les crédits colossaux nécessaires à sa mise en œuvre. De Gaulle se chargera de débloquer le financement de cette entreprise du diable. Pour la première fois, constatent les historiens, les Français disposaient d’un chef qui avait un plan. L’année 1959 sera une année terrible pour l’ALN. Près de 2 500 000 personnes seront parquées dans des camps de concentration pour empêcher tout contact entre les djounoud et les populations. La volonté d’asphyxier les maquisards s’est accrue par le renforcement de la Ligne Morice et la création de barrages de la mort. Le contingent s’est vu renforcé par « les troupes des réserves générales », des unités d’élite, constituées de militaires professionnels et pour partie par des harkis qui connaissaient parfaitement le terrain et qui ont été chargées des basses besognes contre leurs frères. Des opérations de harcèlement seront montées pour frapper fort et occuper le terrain. Tous les Algériens ont encore en mémoire les sinistres opérations « courroie », « couronne », « pierres précieuses », « jumelles », « Ariège »… Un rouleau compresseur qui évoluait méthodiquement d’Ouest en Est sapant tout sur son passage. Malgré les pertes considérables, l’ALN s’est adaptée tant au niveau organisationnel que stratégique et tactique. L’armée de libération a en effet éclaté les faylaq (bataillons) de 300 hommes et plus en unités mobiles et qui évitaient les batailles ou les longs accrochages qui tournaient en faveur de l’armée française qui faisait intervenir l’aviation qui déversait des tonnes de bombes et surtout de napalm qui décimaient les hommes et anéantissaient la nature. Face à cette armada suréquipée, les petites compagnies de l’ALN poursuivront avec, certes moins d’intensité, mais toujours avec efficacité, le harcèlement contre une armée d’environ un demi-million d’hommes aidés efficacement par l’Otan. En 1959, les maquis avaient été sérieusement ébranlés. L’armée française tenait ce qu’elle croyait être une victoire militaire. Mais la cause algérienne n’en était que plus retentissante dans le monde.
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La réponse du fln
En tournée en Algérie, de Gaulle, qui avait fait adopter une année auparavant, le 28 septembre 1958, par référendum, la Constitution qui commençait la cinquième République, proclamait le 31 août « moi vivant jamais le drapeau du FLN ne flottera sur l’Algérie ! » Si le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) et le FLN d’une façon générale ne se faisaient pas d’illusions, rien ne pouvait de toutes les façons les dévier de leur objectif. De Gaulle cherchait une troisième voie. Il espérait la trouver avec la proposition des contacts locaux pensant que les maquis, qui étaient épuisés physiquement, l’étaient aussi politiquement. Mais malgré tous les efforts de son armée et l’acharnement de ses officiers, le plan Challe n’a pas réduit l’ALN. Sur le terrain, c’est un gouffre sans fond qui s’est creusé avec l’intensification de la répression. Le plan de Constantine, qui aurait dû contrebalancer les effets néfastes et dévastateurs du plan Challe, n’a pas obtenu les résultats escomptés. Par ailleurs, les familles des soldats en métropole ne comptent plus les cercueils de zinc qui rapatrient les corps des enfants de l’Ardèche ou de la Haute-Loire morts pour une cause qu’ils ignorent, dans un pays qu’ils ignorent. Le prestige de la France s’émousse, ses alliés doutent des valeurs profondes de ce pays qui se militarisait inexorablement. « L’idéologie des droits de l’homme en France est née avec la guerre d’Algérie », souligne fort pertinemment l’historien Benjamin Stora. Ses militants de plus en plus nombreux, qui se comptent parmi les intellectuels les plus influents, se mobilisent. La double pression internationale et intérieure pousse de Gaulle à s’interroger sur l’issue de la guerre qu’il ne contrôle plus comme il le présumait. Aussi, au risque de perdre son âme et celle de la France, tout comme les Britanniques ont fini par lâcher « les Indes », fleuron de l’empire, de Gaulle se résignera le 16 septembre 1959 à proposer l’autodétermination à la population algérienne et « offre le choix de l’association ou de la sécession ». La réponse du FLN viendra le 28 septembre, par la voix de Ferhat Abbas président du GPRA qui prend acte et donne son accord de principe mais refuse les conditions telles qu’énoncées, notamment celle qui consiste à soumettre la décision à un référendum préalable qui consultera les Français sur la question. Mais la guerre totale que de Gaulle avait engagée contre le peuple algérien durera encore trois longues années lugubres avec leur macabre cortège.
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Notes et sources :
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1 - Pierre Vallaud, La guerre d’Algérie Tome 1. 1830-1958. Ed. Acropole 2005.
2 - Id.
3 - Edmond Michelet (1899-1970). Ministre des Armées de de Gaulle nov.
1945-janv. 1946/Sénateur et vice-président du conseil en 1958.
4- Jean El Mouhoub Amrouche (Ighil Ali fév.1906-Paris avr. 1962).
Ecrivain, essayiste, poète, journaliste algérien. Directeur de la revue
littéraire L’Arche. Renvoyé de Radio France. Il ne cessera de plaider
la cause nationale sur les ondes de la radio suisse Lausanne et Genève
de 1958 à 1961.
5 - Louis Terrenoire (1908-1992). Homme politique et journaliste
français auteur de nombreux ouvrages sur de Gaulle notamment De Gaulle
et l’Algérie (Fayard 1964).
6 - Hartmut Elsenhans La guerre d’Algérie 1954-1962, Publisud 1999. p. 597
7 - id. p.598
8 - id.
9 - id.
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