...au Congrès américain
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Qui est Keith Ellison ?
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Agé de 42 ans ; converti à
l'Islam à l'âge de 19 ans, Keith Ellison est père, mari, avocat et
législateur. Originaire de Detroit, dans l'Etat de Michigan, il a reçu
un diplôme de doctorat d'état en 1990. Sa femme Kim est professeur de
mathématiques. Ils ont vécu à Minneapolis Northside pendant les
dix-sept dernières années. Ils ont quatre enfants âgés de 17, 15, 10 et
9 ans.
Le nom de Keith Ellison se fait de plus en plus
connaître au fil des jours, sur la scène politique américaine. Non
seulement pour le fait qu'il soit le premier représentant musulman élu
au Congrès américain, mais aussi par ses réactions à tous ceux qui ont
cherché à l'attaquer à cause de sa foi musulmane. Il a toujours su
comment s'élever au dessus des niveaux de ceux qui ont fait des
commentaires déplacés à son sujet. Mais ce nom devient de plus en plus
synonyme de sagesse politique ; malgré son jeune âge, il s'est fait une
réputation de preneur de positions qui se veulent motivées par son
amour à sa patrie et non pas par ses affiliations politiques ou
religieuses.
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L’histoire de cet échange
avec Keith Ellison, le représentant au Congrès américain a commencé
avec un message rendu public, par son bureau, dans lequel il parle du
mois de Ramadan, des activités des Musulmans pendant ce mois. C’est un
message qui sort de l’ordinaire des messages publics des représentants
du Congrès américain. Voici une partie de ce message :
Un message de Keith (représentant de l’Etat de Minnesota au congrès)» : “Ramadan Mubarak ! Heureux ramadan !
Pour les Musulmans autour du monde, le mois béni de ramadan va
commencer. Ce mois représente un temps particulièrement spécial pour
les Musulmans du monde entier. Ramadan est un moment de prière, de
lecture du Coran, de réflexion, de charité et de jeûne. C’est le nom du
neuvième mois du calendrier islamique. Ce mois est autant spécial pour
les Musulmans que c’est pendant ce mois que le Coran a été révélé.
Durant ce mois les Musulmans s’abstiennent de manger, boire, fumer… Les
Musulmans s’abstiennent également de tout acte de violence, colère,
envie, bavardage, et tous autres sentiments ou activités qui troublent
la pureté de l’âme… Je souhaite à chacun ramadan Mubarak !”.
Ce message a conduit à faire la connaissance de cet homme, de ses positions, ses aspirations.
Nous faisons part à nos lecteurs d’un échange, qui a eu lieu avec cette
personnalité fort impressionnante, calme, d’un charisme hors pair et
dont le futur sur la scène politique américaine s’avère très prometteur.
Commençons par l’Irak : quelle approche préconisez-vous pour mettre fin à ce qui se passe dans ce pays ?
Eh bien, ma position est simple, il faut qu’on retire nos troupes
immédiatement. J’ai été contre la guerre avant qu’elle ne commence,
quand elle a commencé, et je suis le seul représentant au sein de la
branche législative qui demande un retrait immédiat de nos troupes. Il
se trouve qu’actuellement presque tout le monde, quelle que soit sa
position dans le spectre politique, qu’il soit libéral ou conservateur,
convient que la politique des USA en Irak est un échec catastrophique.
C’est clairement la plus grande gaffe dans la politique étrangère des
USA depuis la guerre du Vietnam. Les voix des électeurs résonnent à
travers le pays dans le but d’exiger un changement. Certains réclament
plus de troupes, d’autres plus d’argent. Quant à moi, à mon sens, la
politique responsable et saine exige le début immédiat du retrait de
nos troupes.
En fait, j’ai appris depuis mon plus jeune âge, à travers mon père,
que: «Quand on se rend compte qu’on est dans un trou, il faut arrêter
de creuser.»
Comment justifiez-vous un retrait immédiat de 160.000 soldats?
Il y a plusieurs raisons pour lesquelles le retrait immédiat est la seule alternative.
La plus importante est que la présence de nos militaires est en fait le
plus grand empêchement à la paix. Si l’Administration actuelle est
sérieuse à propos de la paix en Irak, alors elle doit immédiatement
cesser la construction de bases permanentes, remettre la gérance de
toutes ressources naturelles irakiennes aux Irakiens et permettre au
peuple irakien de choisir son propre avenir.
Tant que les USA resteront une présence militaire en Irak, notre
crédibilité sera endommagée, notre capacité de répondre à d’autres
crises ailleurs dans le monde diminuée, et notre sens de moralité mis
en question.
Qu’est-ce que vous proposez, alors, comme solution ?
Une fois que nous nous serons désengagés militairement, nous pourrons
alors nous réengager diplomatiquement. Nos amis et alliés à travers le
monde, qui nous ont tourné le dos à cause de notre approche militaire
unilatérale, peuvent apporter du nouveau dans l’enceinte diplomatique
multilatérale. Les discussions légitimes peuvent alors commencer sur la
façon de traiter la crise que nous avons créée. La seule manière
d’apporter une paix durable en Irak est d’aider ses forces politiques.
Ceci ne peut aucunement être fait par un pays solitaire et jamais en
ayant recours à la force.
C’est seulement grâce aux efforts diplomatiques concertés de toutes les
nations intéressées, que l’on pourra faire de l’Irak un pays stable,
paisible et prospère.
Tandis que nos chefs politiques se tournent les pouces en contemplant
les sondages et les tendances au sein des USA, les gens continuent à
mourir par centaines en Irak.
Ceux qui disent que le début du retrait immédiat n’est pas une option
valable ne comprennent pas que le retrait en lui-même ne représente que
le commencement d’une nouvelle stratégie qui cherche à calmer la
violence par des moyens plus paisibles. Plutôt que de contrarier le
peuple irakien avec nos militaires, nous devrions amener toutes les
factions à négocier d’une manière significative.
Nous passons par une étape dans l’histoire humaine où les buts ne
justifient plus les moyens, mais plutôt où les moyens et les buts sont
intimement liés et unis. Une paix qui se veut vraie et durable est le
produit d’une approche avec une branche d’olivier, pas avec une épée.
Comment percevez-vous la paix entre la Palestine et Israël ?
Je crois vraiment que la notion de paix dans le monde entier devrait
être le principe de base des Etats-Unis. Par conséquent, travailler à
une paix durable au Moyen-Orient devrait être l’un des engagements
diplomatiques les plus soutenus par les Etats-Unis. Une telle paix est
nécessaire pour les Israéliens ainsi que pour les Palestiniens, et je
soutiens de tout coeur les mouvements de paix en Israël et dans toute
la région.
L’approche préconisée par la feuille de route pour la paix fournit
actuellement le meilleur cadre pour réaliser une solution et un
règlement durable, qui est celui de deux Etats. Le mouvement Hamas
représente le plus grand obstacle sur ce chemin. Tant que ce mouvement
ne dénoncera pas le terrorisme, et ne reconnaîtra pas le droit absolu
de l’Etat d’Israël d’exister, alors il ne pourra pas être considéré
comme une partie prenante et légitime dans ce processus de paix.
Voyez-vous, le terrorisme est le plus grand obstacle à la paix. En ce
moment l’Autorité palestinienne a démantelé des infrastructures de
terroristes à Gaza et en Cisjordanie. Les Etats-Unis ne peuvent
soutenir aucun gouvernement qui pardonne ou encourage le terrorisme.
Cependant, les besoins humanitaires des Palestiniens ne peuvent pas
être négligés, et les Etats-Unis devraient respecter ces besoins.
L’obligation d’aider les Palestiniens est également une nécessité
politique.
Je crois que les Etats-Unis devraient continuer à s’engager pour
stimuler et favoriser la paix entre Israël et les Palestiniens. La
meilleure chance pour cette paix durable peut être réalisée par des
négociations directes entre Israël et ses voisins, tout en ayant les
Etats-Unis comme catalyseur entre eux. C’est seulement avec un Etat
palestinien démocratique à côté d’un Israël en sécurité que la paix
dans la région entière sera assurée.
La question de l’environnement n’est plus une affaire aléatoire,
quelles étapes doivent être prises pour éviter la destruction de notre
cadre de vie avant qu’il ne soit trop tard ?
L’environnement doit être le filtre à travers lequel nous regardons presque chaque question politique.
« Je ne soutiendrai aucun effort qui fournira à des investisseurs de
Wall Street un gain financier à court terme aux dépens de la
dégradation écologique à long terme.
Nous devons essayer d’obtenir l’indépendance énergétique en
encourageant davantage l’utilisation des énergies renouvelables. Il
n’est pas trop tard pour renverser la tendance de ce réchauffement
climatique. En dépit des confirmations quotidiennes du réchauffement,
l’Administration actuelle continue de nier qu’il existe. Je crois que
c’est le plus grand problème environnemental auquel on doit faire face,
aux USA et dans le monde aujourd’hui.
Nous devons réduire les émissions des automobiles en gaz à effets de
serre. Nous devons augmenter les normes d’efficacité de carburant pour
toutes les automobiles. Je crois également que nous devons punir les
entreprises qui choisissent de ne pas nettoyer leur propre pollution. «
Le lobby des grandes sociétés ne devrait pas dicter la politique
environnementale américaine »
Parlons de votre expérience, en tant que Musulman au Congrès américain
et de votre réaction aux remarques mal placées et insensées de certains
journalistes et hommes politiques.
Le jour où j’ai recherché l’approbation démocratique, c’était la
première question : « N’êtes-vous pas musulman ?»-« Vous serez le
premier dans le Congrès si vous gagnez ? »-« Vous prêterez serment sur
le Coran ? »-«Vous vous opposez au terrorisme ? ». Mais bien qu’on
m’ait posé quelques questions indiscrètes, réitérées et parfois même
idiotes sur ma foi, l’acceptation a été bonne. D’abord, un nombre assez
réduit de conversations tournent autour de la religion. Il y a eu des
journées entières où j’étais invité à parler au nom de 1,3 milliard de
Musulmans dans le monde. Mais l’essentiel est que j’ai pu poursuivre
mon travail au nom de mes électeurs. J’ai été efficace sur des
questions telles que la paix qui mettrait un terme à la guerre en Irak,
la justice sociale, et la durabilité environnementale. Mes collègues
ont été tolérants et acceptent le fait que je sois musulman. Je n’ai
pas eu une rencontre tête-à-tête désagréable avec un membre du Congrès
qui se rapporte à la religion. Les différents responsables dans
l’Administration Bush ont été larges d’esprit et m’acceptent comme
étant musulman. J’ai accompagné le Speaker Pelosi pendant son voyage au
Moyen-Orient, et je n’oublierai jamais la réception qu’elle a reçue de
la part des femmes qui sont venues en grand nombre près de la mosquée
des Omayyades à Damas, juste pour lui serrer la main ou pour prendre
une photo. Naturellement, il y a eu quelques problèmes ; par exemple,
il m’a été rapporté qu’un lieutenant de police de Minneapolis a fait
des commentaires me traitant de terroriste. Les commentaires furent
rejetés par le maire et le chef de la police.
Un commentateur de télévision m’a demandé de lui prouver que je ne
travaillais pas avec des « ennemis ». Un autre commentateur
conservateur était d’avis que je devrais être empêché de siéger au
Congrès si je jurais pour confirmer la Constitution des États-Unis sur
le Coran.
Naturellement, il n’y a plus d’exemples de ce genre, mais ces incidents
prouvent mon point de vue principal: il y a lieu d’espérer. J’ai gagné
l’élection. J’accomplis beaucoup de progrès sur plusieurs points
d’ordre. Je continue à être inspiré par le courage des personnes qui
prennent des positions en faveur de la paix, l’égalité et la justice
sociale. Des amis et connaissances musulmans me racontent comment ils
ouvrent des entreprises, envoient leurs enfants à l’Université ou
prospèrent d’une manière ou d’une autre. Cela représente la base même,
pour qu’un jour, une certaine jeune personne musulmane intelligente me
dise, au sujet de ses propres ambitions politiques : « Vous pouvez bien
avoir été le premier, mais je vais accéder au Congrès aussi.»
Au sein de la société civile américaine et du processus politique
démocratique, ceci ne devrait pas être surprenant. Récemment, dans un
sondage conduit aux USA, 71% des Musulmans américains déclaraient qu’il
est possible de réussir dans leur vie sociale à condition de travailler
dur, alors que seulement 64% des Américains en moyenne ont indiqué le
même niveau de confiance. Pour les Américains musulmans, les Etats-Unis
c’est la terre qui permet de prospérer.
Au bout du compte, quoi qu’il advienne, les Musulmans américains
représentent un capital pour le pays et non pas une menace. Les
soupçons injustes ne servent pas l’intérêt national et n’honorent pas
notre réputation acquise au fil des siècles, quand il s’agit des Droits
de l’Homme.
Je ne suis pas en position de parler au nom de chaque Musulman, mais je
demeure très confiant, pour ce qui est du futur des Musulmans
d’Amérique. Après tout, qui dit Amérique dit: liberté de pratique
religieuse, de tolérance, d’inclusion et de justice
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Samir Maktouf
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