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«Voir l'Occident et mourir». Tel pourrait être le titre d'un film. Pas un
film de fiction, mais tiré des mésaventures des jeunes Algériens et Africains
qui, contre vents et marées, ne rêvent que d'Occident, même au prix de leur
vie.
Il serait indigeste et nauséabond de revenir sur ces images macabres de jeunes dont certains n'auront jamais de sépulture, parce que, même refoulés par les vagues et ignorés des requins saturés de chair humaine, ils seront livrés aux charognards. Ni l'Occident humaniste et généreux ni l'Afrique hospitalière et respectueuse des morts n'aura d'égards pour eux. Pour l'Occident en tout cas, si l'Histoire peut parfois se répéter, il n'est pas question d'accepter l'histoire de cette colonisation à rebours. Si hier, de même dans une certaine mesure aujourd'hui, les colons n'ont pas eu besoin du moindre papier pour débarquer en Afrique, il n'en est pas de même pour les Africains en partance pour l'Occident.
Non content d'ériger des «murs de Berlin» et des barbelés pour verrouiller ses frontières et contenir cette vague déferlante et menaçante, l'Occident s'est doté d'arsenaux juridico-administratifs pour endiguer ce flux migratoire. Si, tant bien que mal, il a réussi à décourager et limiter les vocations à l'immigration à partir des côtes marocaines, l'appel du grand large s'est déporté sur les côtes mauritaniennes et algériennes.
Mais au-delà des accusations mutuelles, n'y a-t-il pas lieu que chacun fasse son examen de conscience afin de trouver des remèdes au phénomène migratoire ? Plutôt que de voir dans le comportement actuel des dirigeants occidentaux, l'expression d'une négrophobie ou d'une afrophobie, les gouvernements africains auraient intérêt à reconnaître leurs propres torts.
On le voit aujourd'hui. Face à cette tragédie, l'Afrique consentante accepte d'offrir son sol pour l'érection d'enclos de lamentations, de véritables points de triage, qui rappellent cette tristement célèbre île de Gorée, en vue de parquer dans des conditions humiliantes, des candidats à l'immigration. L'argument simpliste qui consiste à accuser la colonisation de tous les maux dont souffre actuellement l'Afrique empêche toute analyse froide et objective. Il ne s'agit pas d'innocenter l'Occident car, de toute évidence, sa prédation sur l'Afrique a laissé des séquelles indélébiles sur le terrain. Et si aujourd'hui on parle de réparation, ce n'est que justice à rendre. Malheureusement, aucun Africain n'a réussi, jusqu'à ce jour, à comptabiliser de tels dégâts. C'est ainsi qu'on parle aujourd'hui, plus de réparation morale que matérielle ou financière.
Sur ce point, même si les initiatives sont individuelles, certains pays occidentaux reconnaissent aujourd'hui que la traite négrière et la colonisation ont été des crimes contre l'humanité. La dernière reculade de la France à propos des bienfaits de la colonisation constitue une avancée en matière de devoir de mémoire.
Sans le crier sur tous les toits, l'Occident, à travers son aide à l'Afrique, estime avoir rempli son contrat avec l'Afrique et continue à le faire. Même si on peut épiloguer sur la manière dont cette aide est octroyée, on ne peut nier que depuis les indépendances, les pays européens, parmi lesquels certains n'ont pas de passé colonial, ont déversé des montagnes d'argent sur l'Afrique en vue de financer son développement. Aujourd'hui, le bilan de cette intervention semble mitigé. Non seulement elle n'a pas atteint sa finalité (la fin de l'aide), mais également on voit difficilement son impact sur le terrain en termes de réduction de la pauvreté, un thème à la mode aujourd'hui. Le seul reproche qu'on pourrait faire à l'Occident, c'est d'avoir mis tous ces paquets d'argent entre les mains de dirigeants cupides, plus soucieux de leur propre développement que des légitimes aspirations du plus grand nombre laissé sur le quai du progrès.
Certains dirigeants africains, insensibles à la clameur de leurs citoyens, se sont transformés en coffres-forts ambulants avec l'argent de l'aide, des sous provenant du portefeuille du contribuable occidental qui exige de ses dirigeants des comptes. De sorte que l'Occident, à force de pomper son argent, se trouve aujourd'hui à bout de souffle.
En plus, il doit faire face à ses propres urgences socio-économiques. On ne saurait demander, par exemple à la France, qui n'a pas encore fini d'exorciser la crise des banlieues et qui vient d'engager un bras de fer avec les étudiants à propos du fameux CPE (Contrat première embauche) d'être plus royaliste que les Africains en ouvrant ses frontières à cette horde, la plupart sans qualification, pour exercer un travail dans un pays où les postes d'emploi sont de plus en plus automatisés. Aujourd'hui, les problèmes soulevés par l'immigration clandestine doivent dépasser les sentiments et être conçus en termes d'offre et de demande. En effet, l'Occident n'a plus rien à proposer à nos citoyens qui n'ont pas toujours les qualifications requises pour prétendre à un emploi. D'ailleurs, l'Afrique ne donne pas le bon exemple de libre circulation des personnes et des biens. On ne saurait compter le nombre d'expulsions dont ont été victimes des Africains en Afrique. L'Afrique ne devrait pas être fière de voir ses enfants mourir à ses portes. Elle doit cesser de pointer un doigt accusateur sur les Européens. Elle doit faire son mea-culpa et réfléchir sur ses propres stratégies d'éradication de ce phénomène dégradant. Ce ne serait certainement pas à coups de discours et de larmes (de crocodile ?), mais en s'engageant dans des politiques de réinsertion qui ne discriminent personne. Quand on imagine que les sommes épargnées dans la douleur par ces candidats à l'immigration pour entreprendre ces voyages et qui se terminent la plupart du temps par la mort pourraient servir à monter de petits projets sur place, on mesure la profondeur du manque d'inspiration de nos dirigeants, sclérosés par la routine.
Quoi qu'il en soit, l'Afrique doit craindre l'effet boomerang. Le jour où l'Occident parviendra à endiguer complètement le mouvement de ces affamés, leur reflux sera source de déstabilisation pour les pays africains.
Mais, en même temps, il ne faut pas perdre de vue que ce sont autant de compétences qui sont vidées du continent, et que l'argent envoyé de l'extérieur ne peut nullement compenser la perte de ressources humaines, généralement les plus dynamiques. Il est donc impératif pour les Etats africains de créer des ministères, peu importe leur appellation, chargés de gérer spécifiquement les questions d'immigration tant sur le continent que vers l'Occident.
L'Afrique, à défaut de devenir l'eldorado européen auquel rêvent les
milliers de candidats à l'exil, doit offrir un minimum de possibilités aux
jeunes pleins d'ambition et porteurs de projets viables. Visiblement, même ce
minimum vital est introuvable. Par la faute de dirigeants qui, pour la
majorité, ont érigé leurs Etats en véritables repaires de népotisme et de
clientélisme, où ne peuvent s'exprimer les esprits libres et indépendants. Il
faudra donc s'attendre encore longtemps à vivre avec effroi et humiliation ces
sacrifices humains aux dieux de la mer, par la grâce de dirigeants
irresponsables et d'une jeunesse lasse de ne rien voir venir.
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par Ali Bouhafs
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Une seule ambition les dévore. Un seul objectif les
obnubile et ils ne vivent que pour le jour où ils pourront quitter les
trottoirs défoncés de cette Algérie, si peu hospitalière. Ils sont originaires
de différents points géographiques disséminés sur la carte de la misère
nationale. Ils sont prêts à tout laisser tomber, même si parfois, ce tout veut
dire simplement rien. Ils n'ont d'autres que leur vie à sacrifier sur l'autel
du chant des sirènes et des mirages de gratte-ciel. Par mer, terre ou
chevauchant la fumée d'un joint de mauvaise qualité, ils traversent les
distances et débarquent sur l'autre rive. Celle de l'espoir de refaire, ou de
commencer, pour la plupart d'entre eux, leur vie. Ils sont des milliers,
toujours plus nombreux, à s'entasser, serrés comme des sardines mortes, sur des
cercueils flottants, à vouloir tenter l'aventure et la mort. Partir, par tous
les moyens, pour échapper à la médiocrité ambiante, aux sentiments d'exclusion,
au taudis familial, aux cages d'escaliers, à la hogra et au mépris d'une classe
dirigeante en total décalage avec les réalités de la rue. Jouant à cache-cache
avec les uniformes et bravant la mort à chaque tentative d'embarquement, ils
s'inscrivent dans une logique de suicide semi-collectif non déclarée.
Frontières terrestres, cargos du monde, ils s'accrochent aux plus petits
détails, font et refont la traversée, mille fois, avant de jeter un dernier
coup d'oeil à la famille. A la mère. La suite... devant le tribunal, ou dans un
linceul, prostré dans les caniveaux d'une rue malfamée d'ailleurs. Pour ceux à
qui la chance sourit, une petite place au soleil, gravé au fond de leur
algérianité cet anonymat pesant. Une tête levée vers les étoiles mornes de
l'exil et une nostalgie à abattre des montagnes. Pour les autres, une bouteille
postale jetée à la mer en guise de testament, une eau noire et salée pour tout
suaire et les larmes d'une mère éplorée pour compagnon de mort. Au fond de la
Méditerranée, ils écoutent le refrain de Renaud qui chantait que la mer l'a
pris lui et que la mer est dégueulasse parce que les poissons s'y procréent
dedans et que les Algériens y crèvent dedans. Par temps de tempête, des marins
ont juré avoir entendu des voix s'échapper des profondeurs marines qui
chantaient Kassaman.
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par Ayoub El Mehdi
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