Le monarque républicain a pris une décision seul, il se retrouve maintenant seul. En son pouvoir souverain et sans partage, le roi avait joué la France en un coup de poker, il l'a fracassée. Il voulait une majorité absolue, il a pulvérisé son parti. Il voulait la stabilité institutionnelle de son pouvoir, il se retrouve face à un risque de désordre encore pire qu'il ne l'était auparavant.
La France est passée à côté du désastre, le parti fasciste n'a pas la majorité absolue tant espérée par lui. Mais je souhaiterais me prononcer avec un recul et une parole extérieurs à la liesse des partisans et électeurs qui se sont mis en barrage pour contrer la peste noire de l'histoire. La porte a été fermée, au loup mais il n'a pas fui, il est encore plus fort et attend son heure. Pourquoi un tel pessimisme, ou une réserve ? Car la joie qui s'exprime n'est en fait qu'un soulagement que le RN n'ait pas obtenu la majorité absolue. Cette joie n'a pas encore laissé place à la raison qui va lui remettre le regard sur la réalité. Regardons les résultats avec un esprit distancié et analysons le comment et le pourquoi un homme seul a tenté une telle folie. Il s'agira beaucoup plus de lui, dans cet article, car c'est l'homme qui dirigera la France pour encore trois ans.
Le Rassemblement National a perdu ?
Je n'ai peut-être pas compris l'arithmétique. Il avait 89 sièges, il en a maintenant 143. Curieuse défaite. Le camp présidentiel comptait 245 sièges, il se retrouve avec 156 sièges. Le Président a porté un coup fatal à ce qu'il restait encore de viable dans le parti qui l'avait porté au pouvoir. Le RN n'attendait que cela, c'est déjà un obstacle qui n'est plus sur son chemin pour la suite.
Quant au grand gagnant de ces élections, Le Nouveau Front Populaire compte désormais 174 sièges. Le NFP, ce n'est pas celui dont les membres s'écharpent, depuis des mois, avec des noms d'oiseaux et qui se sont mis d'accord en quatre jours avec des tas de bisous? Pourtant les longs gourdins cachés derrière leur dos sont visibles à un kilomètre. Un siècle de bagarre dans la gauche, les fameuses « deux gauches irréconciliables », et quatre jours pour une réconciliation, ce n'est pas un mariage précipité ?
Le dernier mariage que la gauche avait célébré datait du début du règne de Mitterrand en 1981. Il avait fini très rapidement par un divorce violent.
Le Président Macron a joué la France par un coup de poker, elle n'a pas été ruinée, a évité la catastrophe mais hypothéqué ses chances dans un avenir incertain.
Un décompte en sièges plus catastrophique que ce qu'il était avant la dissolution, il me faut beaucoup d'imagination pour qualifier le résultat de victoire.
Une déraison incompréhensible
Il n'avait prévenu personne si ce n'est informer la Présidente de l'Assemblée Nationale et le Président du Sénat comme l'impose la constitution. Ils n'avaient aucun pouvoir de bloquer sa décision. De plus il ne les avait avertis que très tardivement, à la vieille de sa décision. Puis la colère de la classe politique comme celle de la population s'était manifestée dès l'annonce d'une dissolution incomprise et dangereuse. Aucun espoir qu'elle ne cesse désormais, juste après la fête.
Emmanuel Macron avait pris acte des résultats catastrophiques des élections européennes. Il avait alors pensé que la nouvelle force du Rassemblement National allait décupler sa capacité de blocage. Mais comment cela se peut-il puisque l'élection européenne n'avait absolument aucun effet sur le nombre de sièges dans l'Assemblée nationale ?
Jupiter redescend de l'Olympe
L'image du dieu mythologique et son règne absolu est assez classique et nous pouvons la reprendre à bon compte. C'est d'ailleurs le Président Emmanuel Macron lui-même qui souhaitait être un « Président jupitérien » dans un entretien en 2016, accordé au magazine Challenges' au moment de sa conquête du pouvoir.
Ses deux prédécesseurs avaient eux aussi été poursuivis par une qualification qui collera à leur image. Nicolas Sarkozy avait été « l'hyper président », celui qui avait théorisé qu'il fallait « créer chaque jour un événement pour que chaque jour nécessite une intervention de la parole présidentielle ». Il était partout, se mêlant de tout et ne laissant aucun espace d'intervention à son gouvernement. C'est pourtant exactement ce que fera Emmanuel Macron.
Quant à François Hollande, il s'est qualifié lui-même de Président « normal » pour se démarquer de l'exubérance de son prédécesseur. Emmanuel Macron, son ministre de l'Economie, avait vécu une normalité du Président qui avait provoqué la fronde de ses partisans et le harcèlement des journalistes qui ont fini par l'étouffer (en amplifiant le rejet populaire à son égard) jusqu'à son abandon d'une nouvelle candidature. C'est la raison pour laquelle Emmanuel Macron avait estimé qu'il fallait éviter les deux écueils et redonner à la fonction la dignité de son rang. Il voulait restaurer l'horizontalité jupitérienne du pouvoir et prendre de la hauteur par rapport aux médias avec lesquels il souhaitait avoir « une saine distance ».
Il voulait se démarquer des deux autres Présidents mais il a créé une déclinaison commune en devenant un « hyper président anormal et rejeté ». Tout cela est démoli, Jupiter redescend de son Olympe.
Le syndrome du premier de la classe
La montée fulgurante d'un homme jeune et sa stupéfiante réussite, en si peu de temps, pour devenir Président de la République avait été jugée comme exceptionnelle. L'homme avait été salué dans son exploit et une route lui était désormais tracée.
Selon ses propres mots, il voulait « gouverner autrement », sortir du tunnel de la « vieille politique » et mettre fin aux blocages des partis politiques qu'il avait connus avec François Hollande face à la crise des « frondeurs » de son propre camp. Il voulait intégrer la France dans le mouvement mondial de la « Start-up nation », redonner à la France sa capacité à s'ouvrir au monde, à créer les conditions de sa modernité et sortir du traditionnel combat historique et stérile entre la gauche et la droite. Il voulait des « premiers de cordée », c'est-à-dire placer au sommet de la pyramide ceux qui ont la capacité de créer, d'innover et d'entraîner un « ruissellement vers le bas », c'est-à-dire au profit des autres. Il avait cru que c'était l'excellence qui gouvernait le monde. Il avait oublié que si cette dernière était indispensable par le dynamisme d'une jeunesse diplômée et la compétence de hauts cadres, il fallait un projet politique qui crée les conditions d'adhésion et d'entrainement d'une société. Il avait cru qu'un pays se gouvernait comme une entreprise.
Ni à droite ni à gauche, nulle part
Pour arriver à cet objectif ambitieux, Emmanuel Macron voulait écarter les corps intermédiaires et créer un centre puissant. Dans toutes ses déclarations, une expression qui va lui coller à la peau « en même temps ». Chaque décision se voulait être ni-ni, ni les vieilles lunes de droite ni celles de gauche. Il avait cru alors avoir trouvé ce territoire central si recherché et jamais réellement découvert, celui qui unit une société. Un fantasme de la politique française qui avait fait dire à François Mitterrand aux journalistes : « le centre est au fond du couloir, à droite ». Puis une autre fois, « curieux que ce centre qui vote à droite ».
Son projet de créer ce centre mythique fut alors d'affaiblir les deux partis de gouvernement qui alternaient au pouvoir depuis 1981, avec l'arrivée de François Mitterrand et de les attirer vers lui. Il avait réussi à débaucher un certain nombre de leurs cadres, séduits par ce jeune homme aux visions d'avenir. En fait, ils souhaitaient surtout quitter deux partis en déclin et prendre leur chance avec un nouveau souffle promis. Ainsi il a détruit les traditionnels partis républicains et de gouvernement. À gauche, le Parti Socialiste et à droite, Les Républicains, qui sont devenus des coquilles presque vides. Il devrait s'en mordre les doigts car ils auraient été ses chances actuelles d'une éventuelle coalition en sa faveur.
À s'acharner à détruire l'existant politique, il n'a créé ni le « ni-ni », ni le « gouverner autrement », ni construire un centre solide. Finalement, il est arrivé nulle part.
Le pouvoir et la solitude du Prince
Goethe affirmait que «la solitude est enfant du pouvoir » et Machiavel que « le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument» (Le Prince, 1513).
Bien entendu, pour Emmanuel Macron on doit écarter la corruption dans le sens de l'appropriation matérielle illégale mais retenir celle de l'esprit. Pour sa défense, on peut également dire que la lourde responsabilité et les décisions quotidiennes importantes pour gérer les affaires de l'Etat nous rapprochent d'une seconde affirmation de Goethe « toute production importante est l'enfant de la solitude ». On doit aussi écarter l'image du pouvoir isolé dans le Palais de l'Elysée. « La république est dans ses meubles » disait Mitterrand lorsqu'il avait reçu des chefs d'Etat, à Versailles. Tous les édifices prestigieux ont été la propriété de la noblesse de sang et d'argent, construits par le fruit du labeur et du talent du peuple. Installer les hommes du pouvoir républicain et leurs administrations dans ces palais est la marque de la magnificence de l'Etat, donc celle du peuple. Cependant, en sens contraire, on peut reprocher à tous les Présidents de la cinquième république d'avoir été envoutés par la puissance qui les isole davantage. Tous les intimes et compagnons qui ont permis au Prince d'accéder au pouvoir ont vécu avec le temps son éloignement progressif et un enfermement dans sa certitude d'être la source de développement et de la protection du pays.
Et maintenant, que peut la solitude ?
Une remarque préalable, cet article est rédigé avant qu'une décision soit prise par Emmanuel Macron. Qu'importe, d'une part il est peu probable que la décision soit prise demain et par ailleurs, cela permet d'analyser toutes les options possibles dans une telle situation. Une seconde dissolution ? La constitution ne le lui permet pas avant un an. La démission ? Emmanuel Macron a déclaré qu'il ne l'envisage pas. Et puis, ce serait donner les clés de la Présidence de la république à Marine le Pen, en considération du mode de scrutin.
Un gouvernement de techniciens ? Il le pourrait, comme ce fut le cas très souvent en Italie, mais ce n'est pas la culture politique française. Certains prétendent que la seule exception fut le Premier ministre Raymond Barre mais ils ont oublié que celui-ci avait des ancrages politiques et une expérience d'élu, maire de longue date de la ville de Lyon, troisième métropole de France. Si l'image du technicien lui était attribuée c'est parce qu'il fut un grand professeur d'économie (le plus grand disait-on à cette époque).
La recherche d'une coalition majoritaire qui lui serait favorable ? À constater l'effort immense pour la gauche de construire le Nouveau Front Populaire alors que les positions politiques de chacune des composantes sont aussi éloignées que les étoiles entre elles. La coalition ne tiendrait pas plus longtemps que les promesses du menteur. J'ai bien peur que la gauche ne s'enthousiasme trop tôt et s'éloigne du chemin de l'unité. Elle est loin d'être atteinte malgré cette soirée de victoire.
La nomination du leader du parti majoritaire ? L'usage le voudrait mais il n'est pas obligé. Il aurait donc le choix entre Bardella et Mélenchon ? Pour une victoire, j'en ai connu des plus stables et durables.
Nommer un Premier ministre en dehors des partis majoritaires ? Dès la première motion de censure, il serait balayé comme une feuille au vent d'automne. Utiliser tous les autres pouvoirs que lui confère la constitution ? Ils sont puissants mais le Président serait alors obligé de refuser tous les textes gouvernementaux ou du Rassemblement National.
Le blocage permanent est-il dans le rôle de la fonction et de l'intérêt de la France pendant une année, avant la prochaine dissolution ? En conclusion, donner les clés à un jeune premier de la classe qui n'avait aucun parcours politique (dans le sens du militantisme), aucun parti politique enraciné dans les territoires et aucun projet autre que celui du rêve chimérique de détruire l'existant, c'était assurément donner un gros jouet à un enfant gâté. Il l'a fracassé.
Quelle incidence sur la Cause palestinienne après le récent revirement de la position australienne, qui a décidé de ne plus reconnaître El Qods-Ouest comme la capitale d'Israël ? Si on sait l'exploiter, c'est un gain immense pour les Palestiniens, qui cherchent à renforcer leurs rangs suite à la « Déclaration d'Alger», et pour tous les amis de la Cause palestinienne. Quatre ans après la décision de l'ancien gouvernement australien de reconnaître El Qods Ouest comme capitale d'Israël, et annoncer dans ce sillage de transférer l'ambassade d'Australie de Tel-Aviv vers la ville Sainte, la ministre australienne des Affaires étrangères, Penny Wong, a rectifié la trajectoire de la politique extérieure de son pays, en déclarant, le 18 octobre dernier, que la question du statut d'El Qods devait être résolue dans le cadre de négociations de paix entre Israël et le peuple palestinien et «non dans le cadre de décisions unilatérales». Affirmant que l'Australie «ne soutiendra pas une approche qui compromet cette perspective», et que «l'ambassade d'Australie a toujours été, et reste, à Tel-Aviv». Cela explique globalement la nouvelle position de l'Australie à propos de cette reconnaissance, influencée par la même position de l'administration américaine, sous la conduite de Trump, mais qui n'a jamais fait l'unanimité au sein de la communauté australienne, et a provoqué d'énormes ennuis dans les relations avec l'Indonésie voisine, notamment sur le plan économique avec un gel temporaire des accords de libre échange entre les deux pays. Comme quoi les causes justes survivent toujours à l'arbitraire. Bien sûr, bien que la ministre australienne des Affaires étrangères a tenu à souligner que «cette décision n'est pas un signe d'hostilité à l'égard d'Israël», cela n'a pas manqué de provoquer le courroux d'Israël, qui a convoqué dans la journée même du 18 octobre l'ambassadeur australien. Alors que le ministre palestinien des Affaires civiles, Hussein al-Cheikh, de son côté, a salué la décision de l'Australie concernant El Qods et son appel en faveur de la solution à deux États et sa garantie selon laquelle la souveraineté future d'El Qods dépend d'une solution permanente basée sur la légitimité internationale. Mais, c'est sur le plan régional, arabe, surtout, où l'on s'attend à ce que cette décision australienne fasse ses effets. D'autant que le Sommet d'Alger, qui inscrit la Cause palestinienne au cœur de ses travaux, se prête parfaitement pour prendre des décisions fortes qui consacrent un soutien, sans faille, à la solution à deux Etats, avec El Qods comme capitale palestinienne. Et pourquoi pas l'inscrire comme préalable à toute «normalisation», comme c'était la devise à l'époque, et faire revenir sur leurs décisions les pays qui ont suivi cette voie ? On peut toujours rectifier des politiques qui ne cadrent pas avec les principes humains ou de la légalité internationale. L'Australie peut-elle être plus arabe dans ses positions sur ce registre que les pays arabes ?
Des fermiers des collines attaqués par les colons au sud de Hébron aux groupes armés du camp de Jénine faisant face aux raids nocturnes de l’armée israélienne, une nouvelle vague de la résistance cisjordanienne se forme.
Un manifestant palestinien affronte les forces de sécurité israéliennes lors d’une manifestation contre l’expropriation de terres palestiniennes par Israël dans le village de Kfar Qaddum en Cisjordanie occupée près de la colonie juive de Kedumim, le 7 octobre 2022 (AFP/Jaafar Ashtiyeh)
Le village de Letwani est au bout de la route. Littéralement. Derrière se trouve une route pour les colons, qui commence à Jérusalem et se termine dans les collines au sud de Hébron.
Devant se trouve Masafer Yatta, 30 km² décrétés zone de tir militaire par Israël dans les années 1980.
Les 2 500 habitants de Masafer Yatta sont impliqués dans des batailles rangées quotidiennes avec les colons et les soldats.
Le matin de mon arrivée à Letwani, j’aperçois Asharaf Mahmoud Amour (40 ans) regarder calmement une pile de parpaings. Il s’agit des restes de sa maison. Un bulldozer l’a rasée quelques heures plus tôt. À sa grande surprise, les soldats ont laissé la cabane sur la gauche et le poulailler sur la droite, tous deux faisant l’objet d’ordres de démolition.
« Je vais vous dire où on va dormir ce soir : avec les poules et les chèvres », dit-il.
« Tout ce qu’ils veulent, c’est nous faire partir. Détruire nos maisons, nous empêcher d’accéder aux champs, nous terrifier constamment avec les soldats et les colons tout autour, pénétrer chez nous, nous arrêter. Et nous savons ce qu’ils cherchent à faire ainsi, c’est nous chasser. C’est le défi que nous relevons », poursuit ce père de cinq enfants.
« Ils essaient de nous faire passer pour des terroristes face au monde. Qui sont les terroristes ? Nous essayons de rester chez nous. Ce sont eux qui nous terrorisent. Je resterai ici même si je dois dormir sous une pierre. »
Deux affiches se situent à quelques mètres de là sur le chemin de terre. Un premier panneau proclame « Soutien humanitaire aux Palestiniens menacés de transfert forcé en Cisjordanie » avec les logos de onze organismes d’aide humanitaire de l’Union européenne.
Cette expression de soutien international n’a pas dissuadé les colons, car dessus est affiché un portrait de Harum Abu Aram.
Le jeune homme de 26 ans est aujourd’hui paralysé dans un lit d’hôpital après avoir essayé de défendre sa parcelle rocailleuse.
Un autre agriculteur, Hafez Huraini, a eu la chance de s’en sortir avec les deux bras cassés.
Asharaf Mahmoud Amour inspecte les ruines de sa maison dans le village cisjordanien de Letwani (MEE/David Hearst)
Cinq colons masqués, armés de tuyaux en métal et accompagnés d’un soldat en repos qui tirait en l’air, ont attaqué Huraini alors qu’il s’occupait de sa terre. Ce dernier s’est défendu avec une houe.
Son fils Sami raconte : « Ils étaient cinq contre un quinquagénaire. Lorsque je suis arrivé à côté de mon père, son bras droit saignait et il tenait son bras gauche. D’autres villageois sont arrivés derrière moi, et d’autres colons et policiers sont arrivés. »
Les policiers ont alors annoncé qu’ils allaient arrêter le blessé.
« À ce moment-là, on s’est vraiment mis en colère. Les colons se tenaient devant l’ambulance. Nous avons mis mon père dedans. Les colons ont donné des coups de couteau dans les pneus de l’ambulance du Croissant-Rouge pour l’empêcher de partir », se rappelle Sami.
« L’armée a durci le ton et nous a chargés. Ils nous ont chassés des lieux. Puis ils ont transféré mon père dans une ambulance militaire. »
C’est ainsi qu’ont commencé dix jours de détention pour Hafez Huraini, la victime de l’attaque des colons.
Soupçonné d’avoir occasionné de graves blessures au colon qui l’a agressé, il a été transféré à la prison d’Ofer. Un tribunal militaire était prêt à le condamner à plus de douze ans de prison. Par miracle, l’affaire n’a pas tenu.
Une vidéo montrant l’intégralité de l’incident a été produite devant le tribunal. Le juge a critiqué la police pour avoir attendu plus d’une semaine pour interroger les colons.
« Les Israéliens transforment littéralement la Cisjordanie en réseau de réserves indigènes. Ils façonnent la géographie et la démographie de la Cisjordanie pour s’assurer d’établir une domination durable »
- Jamal Juma’a, activiste politique palestinien
L’avocat de Huraini, Riham Nasra, sous-entend que la manœuvre avait pour objectif de rendre les preuves inutilisables devant le tribunal. « Le complot fomenté contre Hafez Huraini a été discrédité à la minute même où une vidéo documentant son agression par des colons masqués et armés a été communiquée à la police et au public », a-t-il déclaré.
« Les dix jours de sa détention avaient pour unique but de dissimuler la vérité et de préserver la fable inventée par ses accusateurs. C’est pourquoi la police s’est abstenue d’enquêter sur ses agresseurs avec un avertissement pendant neuf jours, contaminant ainsi l’enquête dont elle est responsable. »
Néanmoins, la justice militaire n’en avait pas fini avec lui. En relâchant Huraini, le tribunal lui a ordonné de payer une caution de 10 000 shekels (2 800 dollars) et de rester loin de sa terre pendant 30 jours, dans l’attente de nouvelles investigations sur cet incident. Les colons qui ont perpétré cette attaque et le soldat en repos qui a tiré six balles en l’air sont ressortis libres.
Sami fait partie de cette nouvelle génération d’agriculteurs et activistes déterminés à résister aux prédations de l’État israélien sous toutes ses formes – colons, soldats, policiers et tribunaux.
Il a lancé le groupe Youth of Sumud. « Sumud » est un mot qui revient souvent dans les collines au sud de Hébron. Il signifie ténacité.
« Nous vivions dans une grotte lorsqu’ils nous ont chassés de notre village. Nous avions aménagé notre grotte, créé des murs, l’avions reliée à l’eau de notre village. L’occupant nous a fait payer le prix fort. J’ai eu les os brisés. La violence des colons est au plus haut », confie Sami.
Cette génération est différente : elle est assurée, déterminée, connectée à internet et elle parle couramment anglais.
« Israël s’attend à ce que les vieux meurent et que la jeunesse se résigne, mais c’est le contraire qui se produit », assure Sami.
« Nous n’attendons aucun ordre pour commencer la lutte. Nous n’avons aucun leader et nous n’appartenons à aucune faction. Nous commençons la lutte de notre propre chef. »
Sami est optimiste : « Quiconque dans cette situation envisagerait de partir, mais nous continuons à exister, à sourire, à montrer que nous sommes vivants, à montrer que nous n’abandonnons pas. Voilà ce qui rend notre peuple spécial, montrer que nous sommes incroyables. »
Jamal Juma’a, activiste palestinien de longue date, est plus pessimiste : « Les Israéliens transforment littéralement la Cisjordanie en réseau de réserves indigènes. Ils façonnent la géographie et la démographie de la Cisjordanie pour s’assurer d’établir une domination durable et la contrôler. »
Les colons ont aujourd’hui une emprise ferme sur la topographie de la Cisjordanie. Avant les accords d’Oslo, les colons devaient franchir la Ligne verte pour rejoindre Israël dans ses frontières de 1948 afin d’aller travailler. Aujourd’hui, ils disposent de dix-neuf zones industrielles (d’autres sont en construction) ainsi que de zones agricoles.
Avec des noms charmants tels que Porte du désert et Plantation de cerisiers, ils produisent de tout, du raisin au bétail.
Pour les fermiers indigènes sur cette terre, la vie est très différente. Les chemins de terre sont impraticables à cause des patrouilles militaires israéliennes.
Juma’a conclut : « On en revient aux grottes et aux ânes. »
Paralysie à Ramallah
Hani al-Masri est l’un des principaux journalistes et commentateurs politiques palestiniens.
Directeur général de Masarat, le centre palestinien de recherche politique et d’études stratégiques, Masri se considérait autrefois lui-même comme faisant partie du sérail du Fatah et confident du président Mahmoud Abbas.
Plus maintenant. « La dernière fois qu’il m’a vu, il s’est mis en colère avant même que j’aie eu une chance de parler », rapporte-t-il.
La cause de sa disgrâce est claire. Masri est devenu l’un des critiques les plus acerbes, mais également les mieux informés, d’Abbas.
« Il n’y a plus de leadership à Ramallah depuis longtemps. Au début, Abou Mazen [Abbas] s’est vanté d’obtenir plus d’Israël que Yasser Arafat parce qu’[Abbas] était modéré, contre la violence. Mais en réalité, son échec est encore plus grand que celui d’Arafat », estime Masri.
« Sa réponse à chaque échec a été “plus de négociations” mais le problème, c’est que les négociations n’intéressent pas Israël. Sans négociation, sa légitimité s’effondre, non seulement parce qu’il n’a pas de programme national mais parce que toutes les sources de sa légitimité se sont taries. »
Près de 30 ans après la signature des accords d’Oslo, le responsable de 87 ans préside au naufrage du proto-État palestinien.
« Israël s’attend à ce que les vieux meurent et que la jeunesse se résigne, mais c’est le contraire qui se produit »
- Sami Huraini, fondateur de Youth of Sumud
« Il n’y a pas de Fatah, pas d’OLP [Organisation de libération de la Palestine], pas d’élections, pas d’autorité, pas de société civile et pas de médias indépendants », énumère Masri.
Il n’est pas non plus surpris qu’Abbas ait désigné Hussein al-Sheikh comme son successeur. Celui-ci a été catapulté au poste clé de secrétaire général du comité exécutif de l’OLP au mois de mai.
Masri révèle pourquoi Abbas a choisi Sheikh. « On lui a demandé pourquoi il a choisi Sheikh et [Abbas] a répondu : “Parce qu’il est intelligent. J’ai demandé au comité central de choisir et ils n’ont pas su se mettre d’accord. Donc j’ai choisi parmi eux celui qui était intelligent.” »
Mais, lui a-t-on répondu, Sheikh n’est pas du tout populaire. « Je n’ai aucune popularité », aurait répliqué Abbas selon Masri.
Ce dernier est d’accord avec cette remarque franche. Selon les sondages d’opinion réalisés depuis plusieurs années, entre 60 % et 80 % des répondants veulent qu’Abbas démissionne.
Abbas n’a pas tout à fait tort à propos du comité central. Les poids lourds du Fatah – Nasser al-Qudwa (en exil), Jibril Rajoub, Mahmoud al-Aloul, Mohammed Dahlan (en exil) – mènent leurs propres combats.
Le Hamas, dont les dirigeants en Cisjordanie ont été décimés par les arrestations nocturnes, refuse de prendre part à la lutte de succession, comme les autres factions palestiniennes. Ils considèrent que cela relève exclusivement du Fatah.
Masri poursuit : « Je leur ai conseillé de travailler ensemble. Mais ils ne le font pas. Il y a une chose pour laquelle Abou Mazen est particulièrement doué. Il sait comment les diviser. Il a dit à un membre du comité central, “tu es mon successeur”. Chacun d’eux pense qu’il peut le faire. Il y a une expression en arabe : “lorsque tu n’as pas de cheval, selle un âne.” »
Reste à savoir si Sheikh correspond à la définition de l’âne. Sheikh pense mériter sa place au soleil, ayant fait son temps dans une geôle israélienne lui-même. Les autres n’en sont pas aussi convaincus.
Responsable des relations entre l’Autorité palestinienne (AP) et Israël, Hussein al-Sheikh s’est déjà vu décerner le titre suspect de « porte-parole de l’occupation ». La collaboration est un autre mot de plus en plus accolé à la coopération en matière de sécurité entre l’AP et les forces de sécurité israéliennes.
Il y a un accord non écrit entre lui et le chef de la sécurité de l’AP Majed Faraj, le seul autre responsable palestinien susceptible d’être considéré comme acceptable par Israël et Washington.
Malgré tout son pouvoir en tant que chef du service de sécurité préventive de l’AP, Faraj n’est pas parvenu à se faire élire au comité central de l’OLP.
Une enquête d’opinion menée en juin par le Centre palestinien pour la politique et les sondages a estimé la popularité de Sheikh à 3 % – avec une marge d’erreur de plus ou moins 3 %.
Masri poursuit : « Ils ont besoin l’un de l’autre. L’un est un canal pour Israël, l’autre un canal pour les États-Unis. Israël n’est pas encore prêt à mettre tous ses œufs dans le même panier. »
Toutefois, Sheikh est désireux d’apparaître sur le radar de Washington. Déjà, il agite le spectre de la dissolution de l’AP et la possibilité d’affrontement entre les clans armés rivaux du Fatah comme argument pour la persistance de l’AP.
« Si je devais démanteler l’AP, quelle serait l’alternative ? », déclarait-il au New York Times au mois de juillet.
« L’alternative est la violence, le chaos et les bains de sang », ajoutait-il. « Je sais les conséquences de cette décision. Je sais que les Palestiniens en paieraient le prix. »
Mais si Oslo est mort et l’AP moribonde, assurément la pratique consistant à élire uniquement des candidats dont la fonction première est de faciliter autant que possible l’occupation d’Israël est enterrée elle aussi.
Moustafa Barghouthi, leader et fondateur de l’Initiative nationale palestinienne et second derrière Abbas en 2005, le pense également.
« C’est une période très dangereuse et ceux qui pensent pouvoir imposer certaines personnes aux Palestiniens devront se montrer très prudents parce que ce qui reste de légitimité et de respect disparaîtra si nous n’avons pas de processus démocratique et de consensus parmi les Palestiniens », explique-t-il.
L’Autorité palestinienne est handicapée par trois crises : l’échec de son programme de construction d’un État ; une incapacité à présenter une stratégie alternative ; la création de divisions internes et la mort des élections.
« Ils ont tué le peu de processus démocratique que nous avions en annulant les élections », estime Barghouthi. « Ce faisant, ils ont fait disparaître le processus de participation, ils ont fait disparaître le droit du peuple à choisir ses dirigeants et ils ont totalement obstrué la voie pour la jeune génération. Comment un jeune en Palestine peut-il être influent en politique ? Comment ? »
La veille du jour où nous avons rencontré Masri, Naplouse était en flammes. Des affrontements armés avaient éclaté entre manifestants – beaucoup du Fatah – et les forces de sécurité de l’AP après l’arrestation d’un cadre du Hamas, Musab Shtayyeh, recherché par Israël.
Dans la fusillade, un quinquagénaire palestinien, Firas Yaish, a été tué et un autre homme grièvement blessé.
Des hommes armés ont visé le siège de l’AP pour manifester contre les politiques de l’autorité. Pour apaiser la ville, cette dernière a indiqué détenir Shtayyeh pour sa propre sécurité. Il est depuis en grève de la faim et l’AP lui a refusé par deux fois l’accès à son avocat.
« Sans le soutien d’Israël, l’AP s’effondrerait en quelques mois. Vous voyez ce qui s’est passé à Naplouse, tous les quartiers de Naplouse étaient en flammes, pas seulement la vieille ville mais tous les quartiers », insiste Masri.
Cela signifie que la majorité soutient les combattants qui sont contre l’Autorité palestinienne. Si l’AP revient sur sa promesse de libérer Shtayyeh et de le traiter comme une cause nationale, non comme un criminel, je pense que ce mouvement sera plus grand. »
Masri ajoute : « Notre problème est le suivant. Il nous faut changer, mais les conditions du changement ne sont pas réunies. Je redoute le scénario du chaos, pas le scénario du changement. »
Résistance dans le camp de Jénine
Les descentes nocturnes israéliennes se multiplient en Cisjordanie et tous les indicateurs de l’occupation sont à la hausse sous le gouvernement de coalition de Naftali Bennett et Yaïr Lapid.
Peace Now, le groupe de pression israélien qui plaide pour la solution à deux États, a comparé l’occupation sous cette coalition à celle de l’administration de Benyamin Netanyahou en matière de projets de colonies, d’appels d’offre, de début de construction, de nouveaux avant-postes, de démolitions, d’attaques de colons et de décès de Palestiniens.
Chacune de ces catégories est à la hausse. On constate une augmentation de 35 % des démolitions de maisons, une envolée de 62 % dans les lancements de construction, une hausse de 26 % des projets de nouveaux logements. La violence des colons a quant à elle bondi de 45 %.
Selon les données de l’ONU, au moins 85 Palestiniens ont été tués en Cisjordanie entre le début de l’année et le 11 septembre, contre une moyenne annuelle de 41 décès sous Netanyahou – et, en l’espace d’un mois, ce chiffre a franchi le cap de la centaine, plaçant 2022 sur la voie de l’année la plus meurtrière des violences en Cisjordanie en plus de dix ans.
L’image de modéré de Lapid sur la scène internationale dissimule une vague implacable de violence étatique contre les civils palestiniens.
Beaucoup meurent dans des fusillades, dont les circonstances exactes ne sont pas claires et qui ne font pas l’objet d’enquêtes indépendantes.
Récemment, deux jeunes Palestiniens ont été abattus et un autre blessé quand les forces israéliennes ont ouvert le feu sur un véhicule près du camp de réfugiés de Jalazone, au nord de Ramallah.
L’armée israélienne a dit avoir « neutralisé » deux « suspects », affirmant que ceux-ci avaient « tenté de mener une attaque à la voiture-bélier contre des soldats ». L’armée a précisé en avoir tué deux et en avoir blessé un troisième.
Les victimes étaient Basel Basbous et Khaled al-Dabbas, tous deux originaires du camp de Jalazone. Mais le comité des prisonniers de l’Autorité palestinienne a indiqué avoir visité un hôpital de Jérusalem où ses membres ont vu Basel Basbous, qui a été blessé et y est soigné.
Les autorités israéliennes ont depuis longtemps cessé de confirmer l’identité des victimes et des survivants, sans parler de rendre les corps des défunts à leur famille pour qu’ils soient inhumés.
Yehia Zubaidi a passé 16 ans en prison en Israël après avoir combattu lors de la seconde Intifada (MEE)
Yehia Zubaidi a appris que son frère Daoud était mort de ses blessures à l’hôpital de Haïfa dans les médias israéliens. Mais l’hôpital a refusé de rendre le corps.
Yehia Zubaidi a combattu lors de la seconde Intifada qui a commencé en l’an 2000 et a passé seize ans en prison entre 2002 et 2018. Son frère Zakaria était l’un des six prisonniers qui se sont évadés de la prison de Gilboa en septembre 2021, avant d’être tous repris.
Yehia l’assure : « Mes années en prison ne m’ont pas changé, mais je comprends bien mon ennemi. La prison ne nous a jamais stoppés. J’ai prénommé mon fils Osama, c’était le nom d’un de mes amis qui a été assassiné. Mon deuxième fils s’appelle Mohammed et le troisième Daoud comme mon frère. »
En effet, la résistance se transmet de génération en génération.
Shtayyeh, le cadre du Hamas arrêté à Naplouse, était proche d’Ibrahim Nabulsi, membre de l’aile armée du Fatah – les Brigades des martyrs d’al-Aqsa –, assassiné par les forces israéliennes en août.
Nabulsi, qui était encore adolescent, était le fils d’un officier des renseignements au sein de l’Autorité palestinienne.
« Ibrahim pourchassait [les soldats israéliens], ce n’était pas l’inverse. Dès qu’il entendait parler d’un raid de l’armée israélienne, il était le premier à y aller et à les affronter. C’était son destin. Loué soit Dieu », a-t-il déclaré.
Son fils de 18 ans a laissé un mot indiquant qu’il voulait que son corps soit couvert du drapeau palestinien, plutôt que du drapeau de sa faction.
Barghouthi estime que « c’est en soit un indicateur très important d’une nouvelle conscience qui se développe parmi les jeunes Palestiniens ».
Lubna al-Amouri a transformé sa maison en sanctuaire pour son défunt fils Jamil, jeune commandant du Jihad islamique dans le camp qui a été pris dans une embuscade alors qu’il se rendait au mariage d’un ami il y a un an.
En tentant de s’échapper, il a été abattu d’une balle dans le dos. Deux officiers de sécurité palestiniens ont été tués dans la fusillade. Elle ressent à la fois de la fierté vis-à-vis de son fils, salué comme un héros local, et le chagrin d’une mère.
« À l’école, Jamil avait hâte de faire partie de la résistance, mais je ne l’ai pas laissé faire. Je lui ai acheté une voiture et je l’ai fait travailler. Je voulais qu’il devienne chauffeur de taxi, mais il a vendu la voiture pour acheter une arme et a commencé seul, sans groupe derrière lui. Cela ne faisait pas six mois qu’il appartenait au Jihad quand il est mort », raconte-t-elle, les larmes aux yeux.
« C’était un bon garçon. Il donnait ce qu’il avait d’argent ou de nourriture à des familles plus pauvres. Il était en colère à cause des événements à Jérusalem, les incursions à al-Aqsa. Il a vu ce qui se passait en Cisjordanie et il ne pouvait pas s’empêcher de s’impliquer.
« Nous ne nous reposons jamais dans le camp. Nous nous entraidons les uns les autres. Personne dans le camp ne pense à l’avenir. J’ai deux autres garçons et ils ont vu ce qui est arrivé à leur frère, j’ai peur pour eux. Lorsque j’entends des tirs, tout le monde sort », poursuit-elle.
J’ai demandé à Zubaidi s’il pensait voir la fin de l’occupation de son vivant.
« Oui », a-t-il répliqué sans la moindre hésitation.
« L’occupation s’effondre. Année après année, c’est un échec. Nous sommes des combattants légitimes. Ils tentent de changer le pays parce que nous comprenons que nous avons des droits sur ce pays et que nous le possédons. »
Zubaidi désigne les bâtiments du camp de Jénine qui sont peints en jaune. Ils ont été reconstruits à partir des ruines de la bataille de Jénine en 2002, au cours de laquelle les forces israéliennes ont tracé leur chemin à travers le camp à coups de bulldozer. Entre 52 et 54 Palestiniens ainsi que 23 soldats israéliens ont été tués dans les combats.
Lubna al-Amouri et son mari Mahmoud se tiennent à côté d’une photographie de leur fils, Jamil (MEE)
Pendant notre entretien, nous sommes rejoints par un homme prénommé Mohammed qui se présente comme un survivant de la bataille.
Mohammed était un jeune garçon à l’époque et se trouvait ce jour-là chez lui avec sa mère et son père. Sa mère préparait du pain pour les combattants dans les rues dehors, se remémore-t-il. Il se rappelle une explosion puis un « brouillard » dans la pièce. Sa mère s’était effondrée par-dessus le pain, elle saignait. Elle oscillait entre conscience et inconscience.
Mohammed poursuit : « Je me suis endormi à côté d’elle. Nous avions appelé une ambulance mais les Israéliens l’avaient empêchée de passer. Au matin, j’ai vu mon père mettre un voile sur ma mère quand je me suis réveillé. Il m’a dit : “Elle dort et tu es désormais avec moi”. »
Mohammed confie avoir prénommé sa fille Maryam en l’honneur de sa mère.
Le camp de Jénine est à la fois libéré de l’AP, qui n’ose pas entrer, et de l’occupation israélienne. Il n’y a pas de colonie autour de Jénine, donc les factions palestiniennes armées font la loi.
Abu Ayman (pseudonyme) est le commandant du Jihad islamique dans le camp.
Il assure : « Toutes les factions à Jénine sont les mêmes. Aucune n’accepte ce qu’Abbas fait, mais nous n’accepterons pas un homme tel que Sheikh. Nous ne reconnaissons pas les élections ou le Parlement. »
« Nous sommes unis. Si nous sommes face à un problème, nous n’en parlons pas à l’AP pour qu’elle vienne nous aider. Nous avons tout ce dont nous avons besoin, même de l’argent.
« À l’intérieur du camp, on se respecte les uns les autres, même entre partis différents. Les gens ne peuvent pas vivre [sous l’occupation] pour toujours. La résistance perdurera. Nous vivons librement ici. C’est ce que désire chacun en Palestine. »
Néanmoins, le camp de Jénine paie le prix fort pour cette liberté relative. Chaque mois, il y a des raids sanglants. Quelques jours après notre rencontre, Abu Ayman a échappé de peu à une embuscade des forces de sécurité israéliennes dans une petite forêt près du camp.
« Je figure désormais sur la liste des personnes les plus recherchées par Israël », indique-t-il.
Zubaidi affirme : « Croire en notre dignité, c’est comme croire en Dieu. De quoi ai-je besoin dans la vie ? Je veux que mon fils se sente en sécurité. Qu’attendez-vous de ces gens ? Nous sommes face à l’oppression et ils veulent qu’on reste calmement dans nos maisons. À quoi vous attendez-vous ? »
Par
David Hearst
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CISJORDANIE, Palestine occupée
Published date: Dimanche 16 octobre 2022 - 07:12 | Last update:11 hours 58 mins ago
Des personnes en deuil assistent aux funérailles d’un jeune palestinien de 17 ans, tué par les forces israéliennes près de Ramallah en Cisjordanie occupée par Israël (Reuters)
Les troupes israéliennes ont tué deux Palestiniens à Jénine samedi, quelques heures après que deux adolescents aient été tués par balles lors d’incidents distincts en Cisjordanie occupée.
Mahmoud Assos, 18 ans, et Ahmed Daragma, 16 ans, ont été tués par des tirs israéliens lors d’un important raid de l’armée dans le camp de réfugiés de Jénine samedi matin, selon le ministère palestinien de la Santé.
Des véhicules blindés, des bulldozers, des hélicoptères militaires et des drones de combat auraient été déployés lors du raid.
Les combattants palestiniens ont riposté par des tirs à balles réelles, tandis que des habitants non armés ont également affronté des soldats israéliens avec des pierres.
Mahmoud Assos a reçu une balle dans le cou et Ahmed Daragma a été touché à la tête, selon le ministère palestinien de la Santé.
Au moins onze autres Palestiniens ont été blessés, dont trois sont toujours dans un état critique.
La montée en puissance des hommes armés de Jénine
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L’armée israélienne a déclaré qu’elle menait une opération d’arrestation lorsque « des engins explosifs, des cocktails Molotov et des coups de feu », ont été tirés sur des soldats qui ont riposté.
Un Palestinien a été arrêté, a ajouté l’armée. Des sources palestiniennes l’ont identifié comme étant Saleh Abu Zeneh.
Les médias locaux ont rapporté que les journalistes et les médecins palestiniens se sont vu refuser l’accès pendant le raid. L’agence de presse palestinienne Wafa a déclaré que les troupes israéliennes avaient tiré en direction d’un groupe de journalistes qui se cachaient dans les environs.
Des journalistes se mettent à l’abri lors d’un raid israélien sur Jénine en Cisjordanie occupée, le 8 octobre 2022 (AFP)
Deux autres mineurs ont été tués par les forces israéliennes vendredi soir.
Adel Ibrahim Daoud, 14 ans, a reçu une balle dans la tête près de la barrière de séparation israélienne à Qalqilya tandis que Mahdi Ladadweh, 17 ans, a été touché à la poitrine par des tirs de soldats au nord-ouest de Ramallah.
L’armée israélienne a déclaré avoir ouvert le feu après qu’une personne ait lancé des cocktails Molotov, en réponse à la mort de Daoud, selon le journal israélien Haaretz.
Plus de 50 Palestiniens ont été blessés par les forces israéliennes vendredi lors de diverses répressions de manifestations anti-occupation à travers la Cisjordanie, selon le Croissant-Rouge palestinien.
« Cela conduira à une explosion »
Ces derniers mois, les Palestiniens de Cisjordanie ont été confrontés à une violence croissante de la part des forces israéliennes, sans précédent depuis des années.
Les opérations quasi quotidiennes de raids et d’arrestations se sont multipliées dans tout le territoire palestinien occupé, qui, selon l’armée israélienne, visent à éradiquer une résurgence de la résistance armée palestinienne, en particulier dans les villes du nord de Naplouse et de Jénine.
« La poursuite de cette politique conduira à une explosion et à davantage de tensions et d’instabilité »
- Porte-parole de la présidence de l’Autorité palestinienne
Plus de 165 Palestiniens ont été tués par des tirs israéliens cette année, dont 51 dans la bande de Gaza et au moins 110 en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Le taux de mortalité suite à des attaques israéliennes est le plus élevé enregistré en Cisjordanie en une seule année depuis 2015.
Au moins deux soldats israéliens ont été tués par des tirs palestiniens depuis mai.
Le mouvement palestinien Hamas a déclaré que le raid de Jénine a démontré la faiblesse de l’armée israélienne face à « la résistance en Cisjordanie ».
« Il recourt donc à la mobilisation de machines militaires et d’hélicoptères pour arrêter une personne », a déclaré le Hamas, qui dirige la bande de Gaza, dans un communiqué.
Le porte-parole de la présidence de l’Autorité palestinienne, Nabil Abu Rudeineh, a condamné vendredi Israël pour ce qu’il a appelé des « exécutions sur le terrain ».
« La poursuite de cette politique conduira à une explosion et à davantage de tensions et d’instabilité », a averti Abu Rudeineh dans un communiqué.
Les forces sionistes ont accentué leur escalade dans les territoires palestiniens occupés où deux Palestiniens ont été tués lundi par les soldats de l'occupation, un meurtre vivement condamné par le gouvernement palestinien qui a déploré "le silence" et l'"indifférence" de la communauté internationale face à la poursuite de ces crimes odieux.
D'après le ministère palestinien de la Santé, les deux Palestiniens sont tombés en martyrs sous les balles des soldats de l'occupant près du camp de réfugiés d'Al-Jalazoun, situé juste à la sortie de Ramallah dans le centre de la Cisjordanie occupée.
Le gouvernement palestinien a réagi dans l'immédiat: le ministère des Affaires étrangères et des Expatriés a "condamné avec la plus grande fermeté le crime odieux d'exécution commis par les forces d'occupation sionistes, entraînant le meurtre de Basel Basbous et Khaled Anbar du camp d'Al-Jalazoun, et blessant Salama Raafat de la ville de Birzeit à l'aube d'aujourd'hui, lundi, alors qu'elles prenaient d'assaut la banlieue, près du camp d'Al-Jalazoun, au nord de Ramallah", rapporte l'agence de presse WAFA.
Pour le ministère, il s'agit d'un "crime de guerre et contre l'humanité" s’ajoutant aux crimes d'exécution sur le terrain commis par les forces d'occupation contre les Palestiniens. Il a tenu l'entité sioniste pour "pleinement et directement responsable de ce crime".
A cet effet, la diplomatie palestinienne a souligné que la communauté internationale "devrait avoir honte de son silence et de son indifférence face à l'effusion de sang et à la souffrance des Palestiniens et à l'injustice historique continue qui leur est infligée".
Pour sa part, le président du Conseil national palestinien Rawhi Fattouh a également tenu, dans un communiqué de presse, les autorités d'occupation "pleinement responsables de l'assassinat de sang-froid des deux jeunes Palestiniens, et réitéré que "le silence de la communauté internationale envers les crimes continus de l'occupation contre notre peuple l'encourage à persister à les commettre".
Plus de 160 martyrs palestiniens déplorés depuis janvier
L'assassinat ce lundi des deux jeunes Palestiniens est intervenu au lendemain de la publication par l'Assemblée nationale des familles des martyrs palestiniens d'un communiqué dans lequel elle indique que 165 Palestiniens sont tombés en martyrs depuis le début de l'année 2022, sous les balles de l'occupation.
Dans le communiqué, publié par WAFA, Mohammed Sbeihat, secrétaire général de l’Assemblée, précise que "le nombre de Palestiniens tués par balles (par les forces de l'entité sioniste) a connu une augmentation de 66% cette année par rapport à la même période de l'année dernière au cours de laquelle 99 Palestiniens sont tombés en martyrs, alors que 116 ont été tués au cours de l'année 2021".
Et de poursuivre que depuis le 3 octobre 2015 et jusqu'à ce jour, le nombre des martyrs palestiniens a atteint 1.127, dont 229 enfants et 71 femmes.
En plus des assassinats par balles, les forces de l'occupation poursuivent leur profanation des lieux saints en autorisant notamment aux colons d'envahir la Mosquée d'Al-Aqsa à Al-Qods occupée. L'occupation sioniste tente d’y empêcher les Palestiniens de pratiquer leur droit de culte alors que les colons sont autorisés à pratiquer librement leurs rituels talmudiques.
Dans ce contexte également, l'agence WAFA a rapporté lundi que des centaines de colons ont profané la mosquée al-Ibrahimi, située dans la vieille ville d'El Khalil, et tenu un concert dans ses cours, avec l'appui des forces d'occupation sionistes.
Depuis 1967, la mosquée al-Ibrahimi, comme tous les autres lieux saints musulmans en Palestine, est devenue une cible pour les forces d’occupation sionistes et les colons.
Par ailleurs, des dizaines de Palestiniens ont été asphyxiés dimanche par du gaz lacrymogène lancé par les forces sionistes lors d’affrontements à l’est de la ville de Naplouse, en Cisjordanie occupée.
Ainsi, la ministre palestinienne de la Santé, Mai Al-Kaileh, a exhorté la communauté internationale à intervenir pour protéger le peuple palestinien et la loi internationale, violée par l’entité sioniste.
Face à cette escalade dangereuse en Palestine, plusieurs pays et organisations ont interpellé récemment la communauté internationale pour intervenir en vue de mettre fin à ces agressions notamment contre la mosquée Al-Aqsa, parallèlement à une large condamnation du meurtre la semaine passée de l'enfant palestinien de 7 ans, Rayyan Suleiman, dans la ville de Teqoa en Cisjordanie occupée.
Dans ce sillage, le Coordonnateur spécial des Nations unies pour le processus de paix au Moyen-Orient, Tor Wennesland a appelé, jeudi dernier, à une enquête "immédiate et approfondie" sur la mort de Rayyan Suleiman.
De leur côté, les Etats-Unis et le Royaume-Uni se sont dit en faveur d'"une enquête approfondie et immédiate" sur les circonstances ayant entraîné la mort de cet enfant.
Selon les ministères palestiniens de la Santé et des Affaires étrangères, l'enfant est mort après être tombé d'un bâtiment alors qu'il était pourchassé par les forces d'occupation sionistes. (APS).
Près de trente ans après les accords d’Oslo, la solution à deux États n’a plus guère de chances de se concrétiser. Tandis que la bande de Gaza subit un implacable blocus, les difficultés des habitants de la Cisjordanie, soumis à des mesures ségrégatives, ne cessent de s’aggraver. Si la direction politique palestinienne est en plein désarroi, la population, elle, ne plie pas.
Rehaf Al-Batniji, Gaza, 2018-2021
«ÀJérusalem, [M. Joseph] Biden signe le certificat de décès des Palestiniens (1). » Sous ce titre, le journaliste israélien Gideon Levy tirait le principal enseignement de la visite du président américain au Proche-Orient en juillet 2022. Celui-ci, du bout des lèvres, avait soutenu la solution à deux États, mais « pas à court terme », précisait-il. Que se passera-t-il à ce moment-là ? « Les Israéliens le décideront-ils seuls ? Les colons retourneront-ils chez eux volontairement ? Quand leur nombre aura atteint un million au lieu de 700 000, seront-ils satisfaits ? » C’est une page qui se tourne, poursuivait l’éditorialiste de Haaretz, celle où les Palestiniens ont joué la carte de la modération et de l’Occident. Désormais, avec les nouvelles lois contre le mouvement Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS), et les définitions déformées de l’antisionisme qui tendent à l’assimiler à l’antisémitisme, les États-Unis et l’Europe sont perdus pour les Palestiniens, dont « le sort risque de ressembler à celui des peuples indigènes des États-Unis ».
Les Palestiniens seront-ils réduits à s’entasser dans des réserves de « Peaux-Rouges » et à danser le dabkeh pour quelques touristes en mal d’exotisme ? Jamais, depuis la guerre israélo-arabe de juin 1967, leur situation politique, diplomatique et sociale n’a semblé aussi désespérée. Les Palestiniens avaient déjà connu une traversée du désert après la création d’Israël en 1948, la liquidation de leurs directions politiques, l’expulsion de plusieurs centaines de milliers d’entre eux dispersés à travers les camps de réfugiés. Mais en 1967-1969, les organisations de fedayins avaient créé la surprise et occupé le vide laissé par la défaite des pays arabes ; une nouvelle génération prenait les armes et proclamait que la libération serait l’œuvre des Palestiniens eux-mêmes. La renaissance de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) avait signé le retour politique d’un peuple qu’Israël s’était promis d’effacer et avait permis à la Palestine de retrouver sa place sur la carte géopolitique. En quelques années, l’OLP s’implantait dans les camps de l’exil, notamment en Jordanie et au Liban, et dans les territoires palestiniens occupés de Cisjordanie, de Gaza et de Jérusalem-Est. Peu à peu, elle sera reconnue comme le « seul représentant du peuple palestinien », ce que confirmera l’intervention de Yasser Arafat devant l’Assemblée générale des Nations unies en 1974.
Ni les détournements d’avions apparus à la fin des années 1960, ni l’assassinat d’athlètes israéliens lors des Jeux olympiques de Munich (1972), ni les attentats contre des civils en Israël ne freinèrent cette ascension. Comme le reconnaissait Jérôme Lindon, directeur des Éditions de Minuit, créées pendant l’occupation de la France, farouche défenseur de l’indépendance algérienne : « Pourquoi observeraient-ils [les Palestiniens] les règles du jeu de la guerre moderne, édictées à leur propre avantage par les nations installées (2) ? » On commençait à comprendre, même en Europe, même au niveau officiel, que « terrorisme » n’était pas une maladie mais le symptôme d’un blocage politique. En 1975, le président de la République française Valéry Giscard d’Estaing acceptait l’ouverture d’un bureau de l’OLP à Paris.
L’idée que la libération est au bout du fusil s’estompa cependant peu à peu. Expulsée de Jordanie en 1970-1971, l’OLP le fut à nouveau du Liban en 1982. Si le siège de Beyrouth à l’été 1982 fit basculer une partie des opinions européennes en faveur des Palestiniens — elles vécurent en direct les bombardements aveugles de la capitale libanaise par les canons, les avions et les chars du général israélien Ariel Sharon, sans parler des massacres de Sabra et Chatila (16 au 18 septembre 1982) —, il marqua un coup fatal à l’option militaire. D’autant que les régimes arabes avaient renoncé à affronter Israël et que le plus puissant d’entre eux — l’Égypte — signa même avec lui une paix séparée en 1979. Les opérations armées ponctuelles perdaient d’autant plus de leur efficacité que les combattants de l’OLP étaient dispersés loin des frontières de la Palestine, entre la Tunisie et le Yémen. Mais l’OLP disposait de deux cartes : le soutien de son peuple qu’allait confirmer la première Intifada (1987-1993) et la prise de conscience internationale, notamment européenne, qu’aucune paix sans elle n’était possible, ce qu’avait affirmé la déclaration de Venise de la Communauté économique européenne en juin 1980, qui reconnaissait le droit des Palestiniens à l’autodétermination et la nécessité d’associer l’OLP à toute négociation au Proche-Orient.
La fin de la guerre froide et l’effondrement du « camp socialiste », l’optimisme créé par le règlement de différents conflits — de l’Afrique australe à l’Amérique centrale —, la fatigue de la société israélienne après des années d’Intifada, l’exaspération des opinions occidentales face à la répression des Palestiniens allaient aboutir aux accords d’Oslo du 13 septembre 1993 signés par Arafat et le premier ministre israélien Itzhak Rabin, sous l’égide du président américain William Clinton. On pourrait résumer ainsi leur philosophie : une autonomie palestinienne devant déboucher au bout d’une période transitoire de cinq ans sur la création d’un État palestinien. Abandonnant l’idée d’un État démocratique sur tout le territoire historique de la Palestine, où coexisteraient musulmans, juifs et chrétiens (3), l’OLP s’était ralliée, poussée par les Occidentaux, faut-il le rappeler, au projet de deux États vivant côte à côte.
Aucune « offre généreuse » israélienne lors des négociations de Camp David
Mais les accords d’Oslo n’étaient pas un contrat entre deux partenaires égaux en droits, ils représentaient un arrangement imposé par un occupant à un occupé, dans un rapport de forces très défavorable au second. Les textes étaient flous, ambigus, favorables à Israël — par exemple, ils ne prévoyaient aucun arrêt de la colonisation de terres qui devaient pourtant être rendues aux Palestiniens (4). Pourraient-ils, malgré tout, déclencher une dynamique de paix ?
Non, car l’occupant imposa, à chaque étape, son seul point de vue avec l’appui des États-Unis et la complaisance de l’Union européenne. Seule une faible proportion des obligations inscrites dans les textes furent appliquées : tous les prisonniers politiques palestiniens ne furent pas libérés, le port de Gaza ne fut pas construit, le « passage sûr » entre la Cisjordanie et Gaza fut entrouvert avec cinq ans de retard. Le premier ministre israélien Rabin proclamait qu’« aucune date n’est sacrée », la colonisation continua de plus belle. Tel-Aviv imposa un découpage kafkaïen de la Cisjordanie. Les délais accumulés useront la patience des Palestiniens et renforceront le Hamas, qui dénonçait la voie de la négociation choisie par Arafat… « La paix », qui aurait dû déboucher sur l’indépendance et la prospérité, véhiculait avant tout vexations et privations.
Quand, en juillet 2000, s’ouvrit le sommet de Camp David entre le premier ministre israélien Ehoud Barak, Arafat et le président Clinton, afin de résoudre les problèmes en suspens (frontière, réfugiés, avenir des colonies, Jérusalem), l’Autorité palestinienne ne contrôlait que des confettis éparpillés sur 40 % de la Cisjordanie. On sait, par les différents témoignages des protagonistes, qu’il n’y eut aucune « offre généreuse » israélienne durant ces négociations. Tel-Aviv voulait annexer au moins 10 % de la Cisjordanie et maintenir sa mainmise sur Jérusalem, garder le contrôle des frontières, sauvegarder l’essentiel de ses colonies (5). L’échec était inévitable, mais M. Barak prétendit qu’Arafat en était responsable. Une seconde Intifada, inévitable, éclata en septembre 2000, avec son lot de morts, de bombardements et d’attentats. Entre-temps, M. Barak avait réussi à convaincre l’opinion israélienne qu’il n’y avait plus d’interlocuteur pour la paix, qu’il avait dévoilé « le vrai visage d’Arafat » ; ce n’est pas pour rien que le vieux militant israélien de la paix Uri Avnery le qualifia de « criminel de paix ».
Rehaf Al-Batniji, Gaza, 2018-2021.
Même ceux qui n’attribuaient pas l’échec du « processus de paix » au seul Arafat avaient trouvé un coupable idéal : les « extrémistes des deux bords ». Mais c’est occulter le facteur décisif, le refus israélien, gouvernement comme opinion publique, de reconnaître l’Autre, le Palestinien, comme un égal. Le droit des Palestiniens à la dignité, à la liberté, à la sécurité et à l’indépendance a été systématiquement subordonné à celui des Israéliens. Cette mentalité coloniale remonte à l’origine du mouvement sioniste, ce que nombre d’Occidentaux refusent d’admettre, les polémiques nées au sujet de l’existence d’un apartheid en Israël en témoignent.
Le 19 juillet 2018, le Parlement israélien vote une nouvelle loi fondamentale, intitulée « Israël en tant qu’État-nation du peuple juif », dont l’article 1 précise : « L’exercice du droit à l’autodétermination nationale dans l’État d’Israël est réservé au peuple juif », un droit refusé donc aux Palestiniens ; un autre article stipule que « l’État considère le développement de la colonisation juive comme un objectif national et agira en vue d’encourager et de promouvoir ses initiatives et son renforcement » — ce qui signifie le droit de confisquer des terres, appartenant à des Palestiniens, qu’ils soient de Cisjordanie, de Jérusalem ou citoyens d’Israël. Ce texte entérine une situation d’apartheid que la Cour pénale internationale définit comme « un régime institutionnalisé d’oppression systématique et de domination d’un groupe racial sur tout autre groupe racial ». En 2021, l’organisation israélienne B’Tselem concluait à l’existence d’« un régime de suprématie juive entre le fleuve Jourdain et la Méditerranée ». Elle sera suivie par deux grandes organisations non gouvernementales (ONG) internationales, Human Rights Watch et Amnesty International. Célébrées en Occident quand elles dénoncent la Chine, le Venezuela ou la Russie, elles ont été vilipendées et accusées d’antisémitisme.
Au-delà des condamnations qui, en France, reflètent la dérive d’une grande partie de la classe politique en faveur d’Israël depuis les années 2000, pourquoi des gens bien intentionnés, sincères, parfois hostiles à l’occupation, ont du mal à accepter ce qui pourtant a été confirmé par une loi en Israël ? Mettant en avant les différences, réelles, entre l’Afrique du Sud et Israël, ils cherchent à « sauver » une certaine image d’Israël, sorte de « miracle », qui aurait permis le « droit au retour » des Juifs exilés depuis la destruction du Temple par les Romains.
Or l’histoire réelle, concrète, quotidienne du mouvement sioniste politique depuis sa création à la fin du XIXe siècle, en tenant compte des divergences profondes qui le traversaient, se confond avec le mouvement de conquête du monde par l’Occident, il en porte les stigmates. Au moment même où éclatait la guerre de 1967, l’orientaliste français Maxime Rodinson, lui-même de confession juive, écrivait en conclusion d’un article intitulé « Israël, fait colonial ? », publié dans la revue Les Temps modernes : « Je crois avoir démontré que la formation de l’État d’Israël sur la terre palestinienne est l’aboutissement d’un long processus qui s’insère parfaitement dans le grand mouvement d’expansion européo-américain des XIXe et XXe siècles pour peupler et dominer économiquement et politiquement les autres peuples. » À l’époque d’ailleurs, le fondateur du sionisme politique Theodor Herzl le revendiquait ouvertement, par exemple dans une lettre à Cecil Rhodes, l’un des conquérants britanniques de l’Afrique australe : « Mon programme est un programme colonial. »
Ce caractère colonial du mouvement sioniste a signifié, dès l’origine, une politique de « séparation », d’apartheid avant la lettre, entre les colons et les autochtones. Comme en Amérique du Nord, en Australie, en Afrique australe ou en Algérie, le colonialisme de peuplement a toujours considéré les habitants originels comme des occupants illégitimes, que l’on peut expulser, voire massacrer en toute bonne conscience, au nom de Dieu ou de la « civilisation ».
Quant au lien entre le « peuple juif » et la Terre sainte, qui ferait du colonialisme sioniste « un cas à part », Rodinson ironisait : « Je ne parlerai que pour mémoire des droits historiques sur la terre de Palestine qui seraient dévolus à tous les Juifs, ne faisant pas à mes lecteurs l’affront de les croire séduits par cet argument. » Comme le déclare joliment le chercheur israélien Ilan Pappé : « La plupart des sionistes ne croient pas en Dieu (6), mais ils croient qu’Il leur a donné la Palestine. » Ce que pensent nombre d’Occidentaux, même antireligieux. Pourtant quel tribunal pourrait admettre la Bible comme titre de propriété ?
À Chatila, au sud de Beyrouth, un cimetière de militants
Depuis le milieu des années 1960, le cimetière des martyrs de la révolution, non loin du camp de réfugiés de Chatila, accueille, sans distinction de religion, les dépouilles de figures nationales palestiniennes et de militants internationaux venus soutenir l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Visite guidée d’un lieu mal connu des Libanais eux-mêmes.
Le cimetière des martyrs de la révolution — c’est sa désignation officielle — est un îlot de Palestine au milieu du Liban, niché le long d’une autoroute conduisant à l’aéroport international de Beyrouth. Multiconfessionnel, le lieu ne requiert d’autre critère pour y être enterré que d’avoir milité pour la cause du peuple palestinien sans nécessairement y appartenir. L’endroit raconte ainsi de grandes histoires qui s’écrivent loin de chez elles. Reposent ici les hommes et les femmes d’une époque oubliée qui court de la seconde moitié des années 1960, avec l’établissement au Liban de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), jusqu’au retrait palestinien de Beyrouth à l’été 1982, à la suite de l’invasion israélienne du pays du Cèdre. L’OLP réclamait alors la libération de la Palestine, mais elle bâtissait aussi des institutions sociales, caritatives, militaires et artistiques en exil, mobilisant la population des camps de réfugiés. L’idéal de cette organisation était nationaliste, révolutionnaire et tiers-mondiste : elle tissait des liens avec la gauche libanaise en collaborant notamment avec le Parti communiste (PCL). Sa principale composante, le Fatah de Yasser Arafat (1929-2004), et la gauche palestinienne attiraient dans leurs rangs nombre de militants libanais, arabes et internationaux, parfois venus du Bangladesh, du Japon ou d’Amérique latine. Le département des affaires internationales du Fatah engageait alors le dialogue autour d’une seule « Palestine démocratique » regroupant juifs, chrétiens et musulmans (1), avec l’écrivain Jean-Paul Sartre, ou avec les dirigeants du Parti communiste italien Enrico Berlinguer (1922-1984) et Luigi Longo (1900-1980), comme le relate l’intellectuel palestinien Mounir Chafiq, un ancien cadre du centre de planification de l’OLP, dans ses Mémoires récemment parus (2).
Dépendante de l’organisation, la Fondation de soutien aux familles de martyrs et blessés palestiniens est créée en 1965. Elle loue alors un petit terrain à l’État libanais, non loin du camp de réfugiés de Chatila, pour y implanter un cimetière national palestinien. Une partie de la concession est détruite et sert de camp retranché aux Palestiniens lors de la guerre qui les oppose au mouvement chiite libanais Amal, soutenu par la Syrie, entre 1985 et 1987. À la fin de la guerre civile (1990), lors de la période de la reconstruction, le site est menacé par les projets de réaménagement de l’autoroute, et voit sa superficie réduite par les plans de réaménagement urbain. Ce cimetière n’est pas à confondre avec deux autres « territoires palestiniens de mémoire (3) » à Chatila : à l’entrée sud du camp, le mémorial (qui est aussi une fosse commune) des massacres de septembre 1982 commis par les milices chrétiennes alliées à Tel-Aviv lors de l’occupation israélienne de Beyrouth ; et la mosquée de Chatila, au centre du camp, où reposent près de cinq cents victimes des combats entre le Fatah et Amal. Au contraire de ceux-ci, le cimetière des martyrs de la révolution ne se trouve pas dans l’enceinte même du camp, mais sur son flanc est, le long de l’avenue Gamal-Abdel-Nasser.
Un saut dans le temps
Bordé par un axe routier pollué et souvent congestionné, le site est mal connu des Libanais. Caché par une déchetterie, des ateliers de ferraillage, quelques arbres et un point de contrôle de l’armée libanaise, il reste invisible aux conducteurs pressés traversant le rond-point de Chatila. À l’entrée, des drapeaux palestiniens et l’étendard jaune et blanc du Fatah surplombent les murs d’enceinte. Le visage d’Arafat recouvre un pan entier de pierres décrépi. En pénétrant dans l’endroit, sous une voûte de pins et de palmiers, l’atmosphère est soudain paisible. Le bourdonnement de l’autoroute qui longe la banlieue sud de Beyrouth s’estompe. Des allées de tombes basses sont alignées irrégulièrement. Des noms gravés en noir sur les pierres blanches, mais aussi des emblèmes de partis politiques palestiniens, se confondent avec les fêlures des tombes. Certaines, sales et à moitié éventrées, contrastent avec celles, bien blanches, nettoyées régulièrement. À côté des tombes, sur les troncs d’arbres et les murs ocre, des posters plastifiés de militants palestiniens, certains décolorés, d’autres aux couleurs vives. Sur les tombes, les familles des défunts ont parfois fiché des rameaux d’olivier dans des bouteilles ou des pots en plastique. La famille qui est chargée de l’entretien du site vit dans une maisonnette proche de l’entrée principale. On peut voir le père et ses deux enfants brûler des tas de branches et de feuilles mortes dans les allées blanches. La mère lance de grands seaux d’eau sur le sol et frotte avec son balai-brosse. L’aîné est souvent assis sur une chaise en plastique, se balançant sous les étendards du Fatah, le nez dans son portable, guettant du coin de l’œil les allées et venues. C’est à cette famille qu’il faut s’adresser si l’on cherche une tombe en particulier.
Parcourir les étroites allées du cimetière revient à faire un saut dans le temps. Ici reposent essentiellement les victimes d’attaques israéliennes ou de la guerre civile libanaise. Les tombes de Kamal Nasser, Kamal Adwan et Muhammad Youssef Al-Najjar, alignées, rappellent l’opération du Mossad du 9 avril 1973 à Beyrouth, exécutant dans un immeuble du quartier de Verdun ces trois figures majeures de la direction de l’OLP. Cet assassinat est une des scènes-clés du film Munich, réalisé par Steven Spielberg (2005) et qui fit l’objet de sévères critiques palestiniennes pour son manque de rigueur historique. Non loin de là, Ghassan Kanafani, porte-parole du Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP) et auteur de la nouvelle Des hommes dans le soleil, traduite en 1985 par le défunt chercheur français Michel Seurat (Actes Sud), est enterré près de sa nièce Lamis, tuée à ses côtés à l’âge de 17 ans lors d’un attentat commis par les services secrets israéliens, le 8 juillet 1972, à Beyrouth. Surnommé le « Prince rouge », Ali Hassan Salameh repose également dans ce cimetière : membre de la direction du Fatah, responsable des relations entre la centrale palestinienne de l’OLP et les services secrets américains, époux de la Libanaise Georgina Rizk — élue Miss Univers en 1971 —, il meurt dans l’explosion de sa voiture, un attentat commis par le Mossad, à Beyrouth, le 22 janvier 1979.
Au cimetière des martyrs de Chatila, Palestiniens, Arabes et « internationaux » se côtoient, sans distinction de religion. On y croise, tour à tour, en un singulier parcours politique et littéraire, le poète syrien Kamal Kheir Beik, membre du Parti social national syrien (PSNS), un des fondateurs de la mythique revue littéraire libanaise Al-Shi’ir (La Poésie), au côté du poète Adonis. Auteur d’une thèse de doctorat qui fit date sur « Le mouvement moderniste de la poésie arabe contemporaine », il est tué en novembre 1980 à Beyrouth. Balqis Al-Rawi, l’épouse et muse du poète syrien Nizar Qabbani, morte dans un attentat contre l’ambassade d’Irak au Liban, le 15 décembre 1981, repose à quelques mètres de l’entrée du cimetière.
La visite du site permet également un détour par l’Asie. Non plus sous la forme de tombes, mais de cénotaphes ou d’œuvres commémoratives : vides de tout corps, des plaques, à même le sol, rendent hommage à des militants de l’Armée rouge japonaise (ARJ). Yasuyuki Yasuda, Tsuyoshi Okudaira et M. Kozo Okamoto — ce dernier étant le seul encore en vie — ont mené, en mai 1972, une attaque armée à l’aéroport de Tel-Aviv (Lod) faisant près d’une vingtaine de morts. L’ARJ était alors liée au FPLP. Sa dissolution a été annoncée en 2001. Enfin, un autre cénotaphe, dédié à Kamal Mustafa Ali, rappelle l’engagement de nombreux activistes originaires du Bangladesh auprès des Palestiniens : militant du Front populaire - Commandement général (scission prosyrienne du FPLP), Mustafa Ali est mort au cours d’un assaut israélien sur le château de Beaufort, fameuse place stratégique du Liban sud, bâtie par les croisés au XIIe siècle et occupée par les Israéliens à partir de l’été 1982. Sa dépouille ne sera récupérée qu’en 2004 lors d’un échange de prisonniers entre le Hezbollah libanais et l’armée israélienne. Ses ossements sont alors rendus à sa famille.
Restent enfin les Européens. Ici, ils peuvent être membres de l’Armée républicaine irlandaise (IRA), mais aussi français. Françoise Kesteman est née le 2 mai 1950, à Nice. Pour désigner sa tombe, le gardien indique le fond du cimetière d’un mouvement de tête et dit : « Al fransiya » (la Française). Petite-fille d’anarcho-syndicalistes, fille de communistes, sa mère, Inès, lui transmet la mémoire des Brigades internationales de la guerre civile espagnole (1936-1939). Infirmière à Marseille, elle part une première fois au Liban en 1980 et y revient un an plus tard pour servir au sein du Croissant-Rouge palestinien. Elle s’installe dans le camp de réfugiés palestiniens de Rachidiyeh, à Tyr, au Liban sud, non loin de la frontière avec Israël. Après un retour en France en 1981, elle repart au Liban lors de l’invasion israélienne de l’été 1982. Elle passe par la Syrie, puis par Beyrouth, et rejoint Tyr. « La route du retour n’est que ravage », constate-t-elle dans son journal, dont des extraits sont regroupés dans Mourir pour la Palestine, publié en décembre 1985 aux éditions Favre. Dans ce livre, qui relate son parcours au Liban de janvier 1981 à septembre 1982, Françoise Kesteman raconte les dommages que les familles palestiniennes subissent depuis 1948, l’histoire des dispersions familiales et des disparitions. Elle décrit la vie quotidienne du camp de Rachidiyeh dans le contexte d’une guerre qui s’éternise, avec son lot de morts et de blessés. Ses mots durs s’apaisent en décrivant la douceur des amitiés et des tâches quotidiennes qui rythment les jours, inspirées d’un monde rural laissé en Palestine et transposé dans les camps. Elle y reçoit une formation au maniement des armes. Après un dernier passage par la France, elle plie à nouveau bagage en 1984. Le 23 septembre, elle embarque sur des Zodiac avec quatre combattants du Fatah pour mener une opération armée en Israël. Au large de la ville de Saïda, alors sous occupation, un premier affrontement se serait déroulé contre la marine israélienne et aurait contraint le commando à se réfugier sur la terre pour continuer le combat. À son issue, deux combattants sont capturés et trois sont tués, dont Françoise Kesteman. Elle avait 34 ans. Elle fut enterrée au cimetière des martyrs, selon son souhait, avec les honneurs militaires du Fatah, mais aussi religieux — elle s’était convertie à l’islam. Près de trois cents Palestiniens assisteront à ses funérailles.
Témoin d’une époque tiers-mondiste
Chaque année, des militants français viennent au Liban commémorer les massacres de Sabra et Chatila de septembre 1982 : rares sont ceux qui ont entendu parler de leur compatriote Françoise Kesteman. Aux côtés d’activistes propalestiniens venus des Amériques ou d’Asie, ils s’attardent en général sur la fosse commune qui jouxte l’ancienne ambassade du Koweït, à l’entrée du camp, et y déposent des gerbes de fleurs au son de cornemuses palestiniennes (4). Mais l’existence du cimetière des martyrs de la révolution, distant d’une centaine de mètres, leur est inconnue. Pourtant, les commémorations annuelles rythment encore la vie du lieu. Mais, alors que sa spécificité est d’être internationalisé, seuls les Palestiniens s’y attardent désormais. Il reste peu de places pour y enterrer les morts, et les vivants payent maintenant à prix d’or quelques mètres carrés pour leurs proches.
Le cimetière des martyrs de Chatila se meurt-il ? Témoin d’une époque tiers-mondiste et révolutionnaire que beaucoup disent enterrée, l’histoire du cimetière croise parfois l’actualité. En avril 2012, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), encore tout auréolée de son rôle dans la chute du président Zine El-Abidine Ben Ali (5), accueille solennellement, à l’aéroport de Tunis Carthage, en présence de l’armée tunisienne, la dépouille d’Umran Kilani Muqaddami, tombé au Liban sud le 26 avril 1988. Enterré au cimetière de Chatila, Muqaddami, engagé dans le FDLP, attendit vingt-quatre ans pour retourner en Tunisie — le régime de Ben Ali refusant jusque-là un hommage national à ce jeune homme originaire du bassin minier de Gafsa. Avril 2012, la révolution est passée par là, et la dépouille peut quitter le cimetière des martyrs pour revenir à Gafsa. En mai 2021, des Palestiniens au Liban manifestent près du cimetière en solidarité avec la bande de Gaza, alors sous les bombes israéliennes, et avec les habitants jérusalémites du quartier de Cheikh Jarrah — en proie à la colonisation. Et, le 30 mai 2022, une cérémonie organisée dans les allées du cimetière par le FPLP salue la libération de Mme Fusako Shigenobu. Fondatrice de l’Armée rouge japonaise, elle avait passé plusieurs années de clandestinité au Liban avant de rentrer, en 2000, au Japon, où elle fut incarcérée. Au cimetière des martyrs de Chatila, il arrive encore que la mort saisisse le vif.
Respectivement chercheur en science politique (Beyrouth) et cinéaste.
(1) Le Fatah, la révolution palestinienne et les juifs, présentation d’Alain Gresh, Libertalia-Orient XXI, Paris, 2021.
(2) Mounir Chafiq, Min-Jamar ila Jamar. Safahat min Dhikriyat Mounir Chafiq (« De la braise à la braise. Pages des souvenirs de Mounir Chafiq »), Centre d’études pour l’unité arabe, Beyrouth, 2021 (en arabe).
(3) Laleh Khalili, « Lieux de mémoire et de deuil. La commémoration palestinienne dans les camps de réfugiés au Liban », dans Nadine Picaudou, Territoires palestiniens de mémoire, Karthala-IFPO, Paris-Beyrouth, 2006.
(4) Lire Coline Houssais, « L’épopée militaire de la cornemuse », Le Monde diplomatique, novembre 2021.
(5) Lire Serge Halimi, « Soudain, la révolution », dans « Le défi tunisien », Manière de voir, n° 160, août-septembre 2018.
Mohamed Boudia est mort pour la cause palestinienne. D. R.
Mohamed Boudia, moudjahid, fondateur dès l’indépendance, de la revue culturelle Novembre et assassiné en 1973 par le Mossad, méritait un autre sort de la part de sa patrie que celui de l’indifférence. En organisant, en 1997, un hommage à ce héros à la Bibliothèque nationale d’Alger, 24 ans après sa tragique disparition, les éditions Marinoor avaient voulu faire connaître son parcours exceptionnel qui aurait dû faire la fierté de tout Algérien, mais aussi interpeller les autorités de notre pays pour que justice lui soit rendue en donnant son nom à un lieu de culture.
La même année, un numéro spécial de la revue Repères, sous le titre Militantisme éthique, lui avait été consacré en recueillant de nombreux témoignages et en reproduisant le premier numéro de cet organe de l’Union des écrivains. Dans son éditorial, Mohamed Boudia, dramaturge qui s’était investi pour confectionner un théâtre et d’autres lieux d’expression culturelle et de création artistique, écrivit : «L’indépendance de l’Algérie a restitué au peuple algérien non seulement sa liberté mais aussi son patrimoine intégral, en lui permettant d’accéder enfin à ce qu’est l’essence de toute civilisation : la culture.» Au sommaire de ce numéro figurent des noms prestigieux de la littérature et de la culture, tels que Malek Haddad, Jean Senac, Assia Djebar, Bachir Hadj-Ali, Ould Abderrahmane Kaki, Anna Greki, Abdelhamid Benzine, Georges Arnaud et Baya.
Les divergences d’opinion ne peuvent servir de prétexte à ostraciser et exclure les personnalités dont le passé glorieux et le prestige ont été acquis par leur engagement militant au service de la Révolution. Pour rendre justice à tous ces grands hommes qui font la fierté de notre histoire, notre devoir est de témoigner pour transmettre aux nouvelles générations, afin que l’oubli ne s’installe pas, et témoigner pour se souvenir, pour construire la mémoire au-delà des divergences, des opinions contraires à l’abri des manipulations, dans la sérénité.
Dans un souci de vérité et d’éthique, à ces grands hommes, qui ont contribué à enrichir notre patrimoine culturel et à nourrir par leur exemple un habitus sociétal progressiste et d’avant-garde qui a servi de modèle au tiers-monde et réveillé sa conscience, inscrivant notre pays dans l’histoire globale, la reconnaissance de la nation doit être due.
L’histoire, qui n’est jamais donnée a priori, se construira dans une culture d’appartenance et fera émerger des citoyens légitimement fiers de leur passé, enracinés dans une communauté de mémoire sans arrogance, débarrassée des scories du clanisme, ouverte à d’autres solidarités. Elle fera partager un système d’images, de références et de valeurs avec un courant de pensée, antidote à l’atrophie de la mémoire culturelle et barrière à toute forme de manipulation exogène.
Mohamed Boudia, martyr à l’âge de 41 ans de la lutte pour les causes justes dans le monde, nous a légué un message d’espoir et d’amour pour l’humanité tout entière, ainsi que celui de la solidarité des hommes et des peuples. C’est en entretenant la solidarité nationale que nous serons attentifs et disponibles pour l’autre partie du message, la solidarité avec les peuples.
En ce 60e anniversaire de l’indépendance, c’est rendre justice à Mohamed Boudia que de baptiser de son nom un lieu de culture, en reconnaissance de son rôle pendant la Guerre de libération nationale, à l’indépendance et en faveur des mouvements de libération.
Il est « profondément troublant que les autorités israéliennes n’aient pas ouvert d’enquête judiciaire » sur la mort de la journaliste palestino-américaine, a souligné la porte-parole du Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme.
Des Palestiniens rendent hommage à la journaliste d’Al Jazeera assassinée Shireen Abu Akleh dans la ville de Gaza, le 17 mai 2022 (AFP)
« Toutes les informations que nous avons recueillies – y compris de l’armée israélienne et du procureur général palestinien – corroborent le fait que les tirs qui ont tué Mme Abu Akleh et blessé son collègue Ali Sammoudi provenaient des forces de sécurité israéliennes et non de tirs indiscriminés de Palestiniens armés comme l’affirmaient initialement les autorités israéliennes », a déclaré Ravina Shamdasani, porte-parole du Haut-Commissariat, lors d’un point de presse à Genève.
« On a délibérément tenté de nous tuer » : un témoin oculaire raconte la mort de la journaliste d’Al Jazeera
« Nous n’avons trouvé aucune information suggérant qu’il y ait eu une quelconque activité de Palestiniens armés à proximité des journalistes », a souligné la porte-parole, estimant qu’il était « profondément troublant que les autorités israéliennes n’aient pas ouvert d’enquête judiciaire ».
La journaliste vedette de la chaîne Al Jazeera portait une veste pare-balles sur laquelle était inscrit le mot « PRESS » et un casque de protection lorsqu’elle a été atteinte d’une balle juste sous la coupe de son casque. Elle se trouvait aux abords du camp de réfugiés de Jénine, bastion des factions armées palestiniennes où les forces israéliennes menaient un raid.
« La Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, continue d’exhorter les autorités israéliennes à ouvrir une enquête pénale sur le meurtre de Mme Abu Akleh et sur tous les autres meurtres et blessures graves commis par les forces israéliennes en Cisjordanie et dans le cadre des opérations de maintien de l’ordre à Gaza. »
58 Palestiniens tués par les forces israéliennes en 2022
Selon le Haut-Commissariat, depuis le début de 2022, les forces de sécurité israéliennes ont tué 58 Palestiniens en Cisjordanie occupée, dont 13 enfants.
« Le droit international des droits de l’homme exige une enquête rapide, approfondie, transparente, indépendante et impartiale sur tout recours à la force entraînant la mort ou des blessures graves. Les auteurs doivent être tenus responsables », a souligné Ravina Shamdasani.
Mort de Shireen Abu Akleh : les vidéos et la géolocalisation réfutent les allégations israéliennes
« Conformément à notre méthodologie mondiale de surveillance des droits de l’homme, notre Bureau a inspecté du matériel photo, vidéo et audio, s’est rendu sur les lieux, a consulté des experts, a examiné les communications officielles et a interrogé des témoins », a souligné la porte-parole.
Les services de Mme Bachelet ont conclu que les journalistes avaient choisi une approche « les rendant visibles aux forces israéliennes déployées dans la rue ».
« Nos conclusions indiquent qu’aucun avertissement n’a été émis et qu’aucune fusillade n’avait lieu à ce moment et à cet endroit », a précisé la responsable, indiquant que les journalistes portaient des équipements de protection clairement marqués.
C’est à ce moment-là que plusieurs tirs au coup par coup et en provenance des forces israéliennes les ont visés, a-t-elle précisé.
La journaliste palestino-américaine Shireen Abu Akleh a été tuée le 11 mai par un tir des forces de défense israéliennes a conclu le Haut-commissariat de l'ONU aux droits de l'homme, a annoncé vendredi une porte-parole.
«La Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, Michelle Bachelet, continue d'exhorter les autorités israéliennes à ouvrir une enquête pénale sur le meurtre de Mme Abu Akleh et sur tous les autres meurtres et blessures graves commis par les forces israéliennes en Cisjordanie et dans le cadre des opérations de maintien de l'ordre à Gaza».
L’attaque brutale israélienne contre les funérailles de Shireen Abu Akleh était l’acte d’une puissance dénuée d’empathie et de stratégie – dont le seul moyen d’expression est la violence.
Les forces de sécurité israéliennes arrêtent un homme lors des funérailles de la reporter d’Al Jazeera Shireen Abu Akleh (Reuters)
n juin 2001 ont eu lieu les funérailles de Faisal al-Husseini, ministre de l’Autorité palestinienne (AP) pour les affaires de Jérusalem et cadre de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP).
Le cortège funèbre a démarré à la Mouqata’a à Ramallah et a progressé vers le check-point de Qalandiya pour rejoindre la mosquée al-Aqsa. Le cercueil était drapé d’un drapeau palestinien et des drapeaux palestiniens étaient agités tout au long de son dernier voyage à travers les rues de Jérusalem-Est occupée vers son lieu de repos à al-Aqsa.
C’était alors la seconde Intifada, les drapeaux palestiniens représentaient alors une organisation, l’OLP, déterminée à établir un État palestinien englobant la Cisjordanie, la bande de Gaza et Jérusalem-Est, aussi vite que possible.
Les proches et amis de Shireen Abu Akleh portent le cercueil de la journaliste assassinée lors de ses funérailles dans une église de Jérusalem (Reuters)
L’Israël de 2001 a réussi à gérer les drapeaux palestiniens. Comment se fait-il qu’aujourd’hui – quand brandir un drapeau palestinien est surtout une question d’identité (l’émergence d’un État palestinien dans un futur proche est hautement improbable et les menaces en matière de sécurité, bien que sérieuses, sont bien moins prégnantes que lors des jours sanglants de la seconde Intifada) –, la police israélienne estime nécessaire d’envoyer des policiers lourdement armés pour arracher le drapeau palestinien qui drape le cercueil de la journaliste Shireen Abu Akleh, tout en agressant violemment ceux qui accompagnent le cercueil au point de le faire quasiment tomber ?
Comment se fait-il qu’en 2001, Israël avait suffisamment confiance face aux drapeaux palestiniens agités dans les rues de sa « capitale éternelle » lors du cortège funèbre d’un cadre politique palestinien, mais qu’en 2022, un drapeau autour du cercueil d’une journaliste est considéré comme une menace pour l’existence d’Israël ?
Avant de tenter de répondre à cette question, il convient de s’arrêter sur le face-à-face entre la police anti-émeutes et les porteurs du cercueil et sur les images de violences assurément destinées à rester longtemps dans les médias et dans les mémoires.
Ces scènes ont donné la nausée non seulement aux millions de Palestiniens qui ont regardé le cortège en direct, mais aussi aux centaines de millions d’Arabes et d’autres à travers le monde également devant leurs écrans, ainsi qu’à de nombreux Israéliens juifs, dont beaucoup ne sont pas de la gauche radicale.
Un tabou antique
Le tabou interdisant de déshonorer les morts et l’obligation de disposer dignement du corps du défunt figurent parmi les plus anciennes coutumes humaines. Même en temps de guerre, les morts ont un sort à part.
Dans Antigone, Sophocle raconte les conséquences tragiques du refus du roi de Thèbes d’autoriser l’enterrement du frère d’Antigone, Polynice, mort après avoir pris les armes contre l’homme qui avait usurpé son trône.
Une société qui n’assume pas sa responsabilité d’honorer les morts, qu’il s’agisse des siens ou de ses ennemis, abandonne sa propre humanité
Le judaïsme lui aussi sanctifie ce processus. Dans le traité sur les « bénédictions » de la Mishnah, il est dit que les porteurs de cercueil « et leurs suppléants, et les suppléants des suppléants » sont exemptés de réciter le Shema, de porter les phylactères et « de tous les autres commandements dans la Torah » susceptibles d’interférer avec leurs devoirs en tant que porteurs de cercueil.
L’obligation de permettre l’inhumation de ses ennemis fait partie de toutes les conventions internationales sur les lois de la guerre. Une société qui n’assume pas sa responsabilité d’honorer les morts, qu’il s’agisse des siens ou de ses ennemis, renonce à un principe fondamental partagé par l’ensemble des humains et abandonne sa propre humanité.
Dans le conflit israélo-palestinien/israélo-arabe, on trouve des exemples d’atteinte à l’honneur des morts. Les deux camps en sont coupables : la mutilation des victimes du convoi des 35 en 1948, la crémation des corps des villageois à Deir Yassin, entre autres. Mais ce qui s’est passé vendredi dernier lorsque le cortège funèbre a quitté l’hôpital Saint-Joseph de Jérusalem menant Shireen Abu Akleh vers sa tombe pourrait se voir décerner sa propre catégorie.
Shireen Abu Akleh : assaut du cortège funéraire de la journaliste palestinienne par les forces israéliennes
L’agression violente de ses porteurs de cercueil ne s’est pas produite au cœur d’une bataille, mais bien longtemps après les faits. Shireen Abu Akleh n’était pas une combattante, même pas une figure politique, simplement une journaliste civile tuée alors qu’elle faisait son travail.
Et par-dessus tout : ceux qui se sont attaqués aux Palestiniens en deuil autour de son cercueil n’étaient pas des individus lambda agissant de leur propre chef, mais la police déployée par son commandant – ou, en d’autres termes, par l’État – avec pour mission de s’en prendre à la dignité de la défunte.
Peut-être est-ce la raison pour laquelle cet incident, certainement pas le plus violent ou le plus cruel dans l’histoire du conflit israélo-palestinien, a provoqué une réaction émotionnelle si puissante. Comme dans l’histoire d’Antigone et de ses frères, c’est le régime au pouvoir qui, la semaine dernière, a violé le tabou de l’atteinte à l’honneur des morts.
Ce qu’a fait cette police anti-émeute a été filmé, alors que les policiers impliqués et certainement leurs commandants savaient parfaitement que tous les Palestiniens regardaient cette scène, ce qui ne fait qu’empirer les choses.
Non pas parce que cela a représenté un désastre en matière de communication pour Israël ou parce que cela unit le peuple palestinien, bien que ces deux choses se soient produites, mais plutôt parce que cela amène insidieusement à penser que ces actes ont été perpétrés délibérément devant les caméras pour envoyer un message aux Palestiniens : à nos yeux, aux yeux d’Israël, rien de ce qui est sacré pour eux n’est sacré pour nous. Même le devoir antique d’honorer la dignité des défunts ne nous arrêtera pas – tant que ces défunts seront Palestiniens.
Cela revient à dire : observez et souvenez-vous.
Un Israël plus fort mais à quelle fin ?
L’Israël de 2022 est bien plus fort que l’Israël de 2001, naturellement par rapport aux Palestiniens. Israël est une puissance politique, militaire et économique, tandis que les Palestiniens sont pauvres et divisés et le soutien mondial en leur faveur s’est effondré.
Même les actions violentes des Palestiniens contre Israël ont énormément diminué. Lors de l’attentat terroriste du Dolphinarium de Tel Aviv le jour où Faisal al-Husseini a été enterré, plus de gens ont été tués que dans toutes les attaques terroristes de ces deux derniers mois.
Néanmoins, la conduite d’Israël lors du cortège funèbre exprime de la confusion et de l’insécurité, au point que même les drapeaux palestiniens qu’on voyait pointer des poches des participants du cortège ont été perçus comme une menace requérant une réaction.
Obsèques de Shireen Abu Akleh : des personnalités juives françaises condamnent la brutalité de la police israélienne
Au cours des vingt années qui ont suivi les funérailles de Husseini, Israël a totalement englouti les Palestiniens. Les colonies et avant-postes illégaux se sont étendus et multipliés et l’AP est passée d’instrument visant l’obtention d’un État indépendant à sous-traitant d’Israël en matière de sécurité.
En 2001, l’opinion publique israélienne était toujours consciente qu’il y avait une frontière entre eux et les Palestiniens, qui étaient de « l’autre côté ». Aujourd’hui, toute conscience de la ligne verte a quasiment disparu.
En 2001, il semblait logique que la conquête des villes palestiniennes, qu’Ariel Sharon a accomplie un an plus tard, mettrait un terme à la violence palestinienne ; il semblait logique que la situation sécuritaire se stabiliserait quand, quatre ans plus tard, Sharon aurait supervisé le retrait israélien de Gaza.
Aujourd’hui, les villes palestiniennes sont déjà sous occupation, personne n’a la moindre illusion quant au fait qu’une « grande campagne » à Jénine arrêtera le prochain loup solitaire palestinien, sans lien avec une quelconque organisation militaire, avant qu’il ne prenne une hache et n’assassine des civils à Elad ou ailleurs.
En outre, plus personne n’est assez naïf aujourd’hui pour croire qu’assassiner le leader du Hamas Yahya Sinwar améliorera la situation d’Israël de quelque manière que ce soit. Tout ce que peut faire un tel acte, c’est accomplir une vengeance, sans accomplir aucun autre but militaire ou politique.
Maintenir les Palestiniens dans les limbes
Israël n’a pas vraiment digéré le fait que les Palestiniens sont devenus un « problème interne », comme l’écrit Menachem Klein. D’un côté, la politique officielle du gouvernement dirigé par Naftali Bennett rejette toute négociation politique avec les Palestiniens, qu’importe ce qu’ils font. Benyamin Netanyahou disait « ils nous donnent quelque chose, ils n’obtiennent rien » mais Bennett rejette même cette formule.
De l’autre, il y a un consensus juif selon lequel conférer des droits de citoyenneté – ou même de séjour – aux Palestiniens, sous régime israélien, menacerait l’identité de l’État juif. Ce qu’Israël offre aux Palestiniens, c’est de rester dans les limbes, sans droits nationaux ou politiques.
Ces limbes renforcent en fait l’effacement de l’identité palestinienne – non seulement en tant que groupe, mais en tant qu’êtres humains ; cela exige l’effacement de leur humanité. Cela pourrait expliquer pourquoi le tabou sur l’atteinte à l’honneur des morts a été brisé lors du cortège funèbre d’Abu Akleh. Parce que, de la façon dont la police israélienne voit les choses, les Palestiniens sont moins que des humains et ne bénéficient pas des droits auxquels tout autre être humain a droit : un enterrement décent.
Le député Ahmad Tibi nous rappelle que le régime d’apartheid en Afrique du Sud avait envoyé la police retirer le drapeau de l’ANC du cercueil du jeune activiste assassiné Ashley Kriel en 1987, mais même alors, ils avaient laissé les porteurs de cercueil poursuivre leur chemin.
De la façon dont la police israélienne voit les choses, les Palestiniens sont moins que des humains et ne bénéficient pas des droits auxquels tout autre être humain a droit : un enterrement décent
Dans la tradition juive, lorsque quelqu’un déshonore le mort, il est puni même si le défunt a péché. « Même si un homme pèche, est condamné à mort par pendaison et pendu à un arbre – vous ne devez pas pendre son cadavre à l’arbre », mais plutôt l’enterrer (Deutéronome).
Les dieux grecs punissaient quiconque n’honorait pas les morts. Mais qu’elle que soit la récompense ou la punition, la conduite d’Israël dans l’affaire Shireen Abu Akleh montre une certaine faiblesse. Non pas qu’Israël ne soit pas fort – Israël est plus fort que jamais, comme on l’a noté précédemment – mais parce que cela indique que le pays est complètement à la dérive.
Israël n’a aucune idée de là où il veut amener le conflit avec les Palestiniens, que ce soit à long terme ou à court terme, et la seule chose qui lui reste, c’est exercer son pouvoir sans but défini. À Jénine ou à Jérusalem-Est.
Difficile de croire que quiconque au sein de la police israélienne de Jérusalem pense que si les Palestiniens des quartiers est de la ville ne brandissent pas des drapeaux palestiniens, cela signifie qu’ils renonceront à leur identité nationale et se résigneront à la domination d’Israël.
Même la « réussite » d’Israël lorsqu’il a fermé le consulat américain à Jérusalem-Est sans réouverture n’a pas rendu moins palestiniens les quartiers est de la ville. Mais Israël ne connaît tout simplement pas d’autres moyens de procéder que la violence et les tentatives pathétiques d’effacer l’identité palestinienne tout en présentant toutes les manifestations qui s’ensuivent comme du « terrorisme ».
Sept ans après que la police du régime d’apartheid en Afrique du Sud a enlevé le drapeau de l’ANC sur le cercueil de Kriel, Nelson Mandela a accédé à la présidence à Pretoria. Cela ne signifie pas que, dans sept ans, l’occupation israélienne cessera, mais cela nous rappelle qu’un excès de pouvoir ne garantit pas la victoire. Parfois, c’est même entièrement le contraire.
- Meron Rapoport, journaliste et écrivain israélien, a remporté le prix Naples de journalisme grâce à une enquête qu’il a réalisée sur le vol d’oliviers à leurs propriétaires palestiniens. Ancien directeur du service d’informations du journal Haaretz, il est aujourd’hui journaliste indépendant.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
Meron Rapoport
Jeudi 19 mai 2022 - 13:48 |
Meron Rapoport is an Israeli journalist and writer, winner of the Napoli International Prize for Journalism for an inquiry about the stealing of olive trees from their Palestinian owners. He is ex-head of the News Department in Haaertz, and now an independent journalist
Les forces israéliennes s’en sont prises à la procession funéraire de la journaliste assassinée au moment où les Palestiniens qui lui rendaient hommage quittaient l’hôpital pour rejoindre une église de la vieille ville.
Les forces israéliennes empêchent des Palestiniens endeuillés de porter le cercueil de la journaliste d’Al Jazeera Shireen Abu Akleh jusqu’à l’église, à Jérusalem, le 13 mai 2022 (AFP)
Les autorités israéliennes ont tiré des grenades assourdissantes et ont agressé des Palestiniens qui portaient le cercueil de la journaliste assassinée Shireen Abu Akleh à l’extérieur d’un hôpital de Jérusalem ce vendredi.
Des Palestiniens en deuil insistaient pour porter son cercueil sur leurs épaules entre l’hôpital Saint-Joseph et l’église catholique romaine de la vieille ville, avant de l’emmener vers son lieu d’inhumation, le cimetière du mont Sion.
Avant de pouvoir quitter l’enceinte de l’hôpital, les forces israéliennes les ont attaqués, les ont repoussés et ont fait irruption dans la cour.
Al Jazeera a saisi en direct le moment où les Palestiniens endeuillés ont presque laissé échapper le cercueil sous les assauts des forces israéliennes.
Quelques instants plus tard, les Israéliens les ont contraints à placer le cercueil dans une voiture et ne l’ont laissée quitter l’hôpital que sans procession. Des dizaines de personnes à l’hôpital voulaient rejoindre la procession et en ont été empêchées.
Lorsque le cercueil est finalement arrivé à l’église catholique romaine, des dizaines d’autres personnes attendaient d’assister au service funèbre de Shireen Abu Akleh.
Traduction : « Les forces israéliennes attaquent l’hôpital [Saint-Joseph] et les personnes en deuil alors qu’elles transportent le corps de Shireen Abu Akleh. »
Juste avant les funérailles, les forces israéliennes ont imposé un certain nombre de restrictions. Les Palestiniens y ont vu une tentative de perturber l’office et de limiter le nombre de personnes qui y assistent.
Les autorités israéliennes ont interdit les drapeaux palestiniens aux funérailles et interdit les posters et chants nationalistes.
Le frère de Shireen Abu Akleh a été interpelé jeudi soir, une initiative dénoncée par beaucoup comme une mesure visant à faire pression sur la famille et perturber les cérémonies de vendredi.
Selon des sources locales, les forces israéliennes ont fait irruption dans la maison d’Abu Akleh jeudi afin d’arracher un drapeau palestinien érigé en son honneur.
Depuis sa mort, les forces israéliennes maintiennent une lourde présence policière à Jérusalem. Malgré les restrictions et une vive répression, des milliers de Palestiniens se sont jurés de se rassembler pour le service funéraire et marcher au côté de son cercueil jusqu’à son inhumation aux côtés de ses parents.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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