Alain Gresh : ancien rédacteur en chef du Monde diplomatique, fondateur des journaux en ligne Orient XXI et Afrique XXI, spécialiste du Proche-Orient. Rony Brauman : ancien président de Médecins Sans Frontières, enseigne au Humanitarian and Conflict Response Institute (HCRI), chroniqueur à Alternatives Economiques.
Le documentaire de Roland Nurier, Yallah Gaza, sort en salles le mercredi 8 novembre. De nombreux témoignages et des images rares de ce bout de territoire racontent le quotidien de ses habitants. Avant le 7 octobre.
Yallah Gaza (en avant Gaza) a été tourné en 2022. Le réalisateur, ne pouvant se rendre à Gaza, a confié la partie gazaouie du tournage de son film à des opérateurs palestiniens, assurant lui-même la réalisation des séquences tournées en Israël et en France. Que nous donne à voir le film de cette prison à ciel ouvert ? Des enfants qui jouent dans les rues avec des jouets de fortune ; des jeunes dansant le dabké au milieu des ruines de la ville ; de jeunes footballeuses qui tapent fièrement dans un ballon, quand, dans l’équipe des garçons, certains n’ont plus qu’une jambe pour jouer. Deux vieux amis, l’un musulman, l’autre chrétien qui se rend à la messe du vendredi soir. Un pêcheur contraint de pêcher sous la menace de la marine israélienne. Un paysan dont les champs sont régulièrement arrosés de pesticides par des avions israéliens. Et ce vieux grand-père qui raconte à ses petites-filles la Nakba. Mais aussi des enseignants, des étudiants, des assistantes sociales. Des étals et des marchés achalandés, des embouteillages dans les rues de Gaza City. Des images rarement vues, loin d’une vision uniforme de cette prison à ciel ouvert.
Gaza filmé dans toutes ses composantes
Yallah Gaza raconte le quotidien des Gazaouis soumis à un blocus féroce qui n’est jamais venu à bout de cette « résilience légendaire », des soldats israéliens tirant sur des manifestants en visant systématiquement les jambes, un territoire où « il n’y a pas de frontières, mais des checkpoints ». À Gaza, « le simple fait d’exister, c’est résister » entend-on dans le film. Si Gaza est victime du blocus israélien, Gaza souffre, Gaza danse, Gaza étudie, Gaza travaille, Gaza joue. Gaza vit.
Depuis le 7 octobre et les crimes perpétrés par le Hamas, puis les raids aveugles opérés depuis un mois par l’armée israélienne contre la population gazaouie, difficile de voir ce film comme on l’aurait regardé avant. Gaza était une prison à ciel ouvert. Elle est en passe de devenir un cimetière à ciel ouvert.
Les opérateurs palestiniens ont filmé Gaza dans toutes ses composantes. Le film donne la parole à la société civile, y compris à un dirigeant politique du Hamas, ce qui n’est pas simple à entendre et à accepter aujourd’hui. Ce sera la seule allusion au pouvoir politique à Gaza et on se demande bien pourquoi. Censure ? Autocensure ? Il faudra attendre des paroles extérieures à Gaza, celles de militants israéliens pour la paix, d’observateurs étrangers pour que la question du pouvoir politique à Gaza soit abordée.
Puissant, bouleversant, dérangeant parfois
Le réalisateur Roland Nuriez donne la parole à des militants israéliens qui dénoncent les colonisations, à un ancien militaire qui a refusé de bombarder Gaza lors de l’opération « Plomb durci ». À des historiens (Jean-Pierre Filiu, professeur à Sciences-Po), des journalistes (Sylvain Cypel d’Orient XXI), des avocats (Gilles Devers), un chirurgien français qui opère à Gaza (Christophe Oberlin) ou encore au cinéaste Ken Loach. Et on comprend que le pouvoir fondamentaliste et autoritaire du Hamas, comme l’instrumentalisation cynique et meurtrière du pouvoir israélien (Hamas contre Fatah) finissent par rendre définitivement impossible toute perspective de paix.
Yallah Gaza est un film puissant, bouleversant, dérangeant parfois. Un film qui rend hommage au peuple gazaoui, à son courage. Que peuvent engendrer la politique suicidaire du gouvernement israélien, le blocus de la bande de Gaza depuis 2007, la stratégie meurtrière du Hamas ? Que sont devenus ces hommes, ces femmes et ces enfants filmés il y a à peine un an ? Sont-ils encore vivants ? Sont-ils blessés ? Ont-ils pu quitter Gaza ? Sont-ils morts ? Nous reviennent en mémoire les mots de Mahmoud Darwich : « Nous
souffrons d’un mal incurable qu’on appelle l’espoir. »
SOURCE : Filmer la vie à Gaza - L'Humanité (humanite.fr)
GWENAËLLE LENOIR > 25 NOVEMBRE 2023
Jamais un média populaire et indépendant, qui n’est détenu ni par de riches oligarques ni par l’Etat, n’avait arraché le droit d’être diffusé à la TV ! Nous si !
Jamais un média populaire et indépendant, qui n’est détenu ni par de riches oligarques ni par l’Etat, n’avait arraché le droit d’être diffusé à la TV ! Nous si !
Par micheldandelot1 dans Accueil le 26 Novembre 2023 à 11:07
Petite fille attendant avec sa famille que l'Egypte veuille bien ouvrir le poste-frontière de Rafah, au sud du territoire assiégé - Photo : Mohammed Saber
a bande de Gaza n’a pas connu de répit depuis les années 1950. Coincée entre Israël et l’Egypte, soumise à une succession de guerres et d’occupations... comment cette petite partie de la Palestine parvient-elle à survivre depuis tant d'années ? En 2006, la mise en place d’un blocus israélien pour se protéger du Hamas aggrave encore la situation. Les conséquences économiques sont catastrophiques pour les habitants : chômage, dépendance à l’aide internationale, difficultés pour se faire soigner et, surtout, une impossibilité de maintenir les infrastructures vitales régulièrement détruites par les guerres. Après les attaques du Hamas du 7 octobre 2023, une guerre sans précédent s’abat sur les 2 millions de Gazaouis. Un désastre qui s’ajoute à la situation humanitaire catastrophique dans laquelle ils se trouvaient déjà, depuis plusieurs décennies.
Plus de 2 000 Palestiniens sont enfermés dans les prisons israéliennes sous ce régime de détention arbitraire, qui permet à l’État hébreu d’emprisonner sans inculpation ni procès. Un chiffre en forte hausse depuis les attaques du 7 octobre. Certains de ces prisonniers devraient faire partie de l’échange avec les otages israéliens.
irBir Zeit, Deir Ghassaneh, Jérusalem-Est et Ramallah (Cisjordanie occupée).– « Mon père est communiste, mais le tribunal l’a accusé d’être un militant du Hamas ! » Omar Assaffi, 73 ans, ancien militant du Front démocratique pour la libération de la Palestine, mouvement classé à l’extrême gauche, a été arrêté par l’armée israélienne à son domicile le 24 octobre, à 4 h 30 du matin.
C’est sa fille, Lama Assaffi, la quarantaine, qui raconte. Elle vit dans le même immeuble que ses parents à Ramallah, et a tout vu et entendu. « J’ai été réveillée par des cris. Les soldats ont défoncé la porte d’entrée, ont isolé ma mère dans une chambre. Puis ils ont menotté mon père, lui ont bandé les yeux et l’ont emmené, dit à Mediapart cette conseillère académique à l’université de Bir Zeit. Il a été condamné à six mois de prison sous le régime de la détention administrative. »
La détention administrative, massivement utilisée par l’État hébreu depuis plusieurs décennies, permet aux autorités israéliennes de détenir des prisonniers palestiniens sans inculpation ni procès, dans l’arbitraire le plus total. Elles peuvent prononcer à l’égard des Palestiniennes et Palestiniens considérés comme « détenus relevant de la sécurité nationale » une peine de prison allant jusqu’à six mois et, surtout, renouvelable indéfiniment : il suffit qu’Israël estime que la personne concernée « envisage d’enfreindre la loi à l’avenir », explique l’ONG B’Tselem sur son site internet. Les personnes ainsi détenues ne savent ainsi pas pour quels faits exactement elles ont été arrêtées.
Dans le cadre de l’accord entre Israël et le Hamas, entré en vigueur jeudi matin, 150 prisonniers et prisonnières, mineurs et femmes, devraient être libéré·es, dont certain·es sont actuellement en détention administrative.
Depuis le 7 octobre et le début de la guerre, le nombre de ces prisonniers est en forte hausse. Selon l’association palestinienne de soutien aux prisonniers et de défense des droits humains Addameer, 2 070 personnes sont aujourd’hui emprisonnées sous ce régime, soit près d’un tiers du nombre total de prisonniers politiques qui s’élèverait à plus 7 000. Ils et elles étaient 1 319 avant le 7 octobre, selon un rapport d’Amnesty International. Plus largement, selon la commission chargée des prisonniers de l’Autorité palestinienne, le nombre d’arrestations, tous régimes de détention confondus, s’élève à 3 130 depuis le 7 octobre.
L’ONG estime que la détention administrative est utilisée « systématiquement » comme « moyen de persécuter les Palestiniens et Palestiniennes ». 40 % des hommes palestiniens connaissent la prison israélienne à un moment ou un autre de leur vie. La grande majorité pour des activités ou des liens avec des partis politiques ou des associations militantes.
Les « pouvoirs presque illimités » du ministère de la sécurité israélien
C’est la neuvième fois qu’Omar Assaffi est arrêté par les forces israéliennes, dont six sous le régime de la détention administrative. De la fin des années 1980 à son avant-dernière arrestation en 1995, la vie de ce militant et celle de sa famille ont été rythmées par cette forme de détention arbitraire. « Je revis tous les traumatismes de mon enfance, raconte Lama. Quand j’étais enfant, j’attendais avec impatience la libération de mon père. Mais à quatre reprises, sa détention administrative a été renouvelée. Et à chaque fois, j’avais le cœur brisé. »
Lama se rappelle les tristes fêtes de fin d’année scolaire sans son père et les journées harassantes de voyage en bus pour rejoindre la prison centrale de Hébron. Aujourd’hui, Omar Assaffi est à la prison d’Ofer, en périphérie de Jérusalem-Est. Mais Lama n’est plus autorisée à lui rendre visite.
Un « état d’urgence dans les prisons » a été renouvelé le 31 octobre par les autorités israéliennes pour une durée d’un mois. Selon Amnesty International, il donne des « pouvoirs presque illimités » au ministère de la sécurité nationale israélien lui permettant, entre autres, « de priver de visites de leur famille et de leurs avocat·es les détenu·es condamnés, de maintenir les détenu·es dans des cellules surpeuplées, de les priver d’exercice extérieur et d’imposer des sanctions collectives cruelles comme des coupures d’eau et d’électricité », ouvrant la voie à des traitements « inhumains ». Ce ministère est actuellement dirigé par Itamar Ben Gvir, membre du parti d’extrême droite Force juive.
« J’ai entendu beaucoup de choses sur la torture et la violence en prison, ça m’a beaucoup inquiétée,souffle Lama. Mon père est malade, il a des problèmes cardiaques, il doit prendre sept médicaments par jour pour que son cœur fonctionne. » Selon le président de la commission chargée des prisonniers au sein de l’Autorité palestinienne, interrogé par l’agence Reuters, quatre prisonniers palestiniens sont décédés dans les prisons israéliennes ces dernières semaines. Au moins deux d’entre eux étaient en détention administrative, selon la chaîne Al Jazeera.
Pendant 17 jours, Lama et sa famille n’ont eu aucune nouvelle d’Omar. Jusqu’à ce que son avocat obtienne enfin un droit de visite. « Mon père a confié à l’avocat qu’on ne lui donne pas les bons médicaments et qu’il a des douleurs intenses à la poitrine,s’étouffe Lama dans un sanglot. Je le connais bien, je sais que s’il le dit, c’est que c’est grave. »
Omar Assaffi a pourtant coupé les ponts avec le Front démocratique pour la libération de la Palestine en 2006. « Il est resté impliqué dans la vie politique, il a fait partie notamment du syndicat des professeurs quand il enseignait à l’université,raconte Lama. Depuis le 7 octobre, il manifestait contre la guerre, contre l’Autorité palestinienne qui condamne la résistance [du Hamas – ndlr]. Il a aussi participé à des rassemblements en marge des visites de certains chefs d’État. Il a été arrêté juste avant la venue d’Emmanuel Macron. »
« La détention administrative, c’est inhumain,lâche Lama. Mon père me manque. J’ai toujours été très proche de lui. C’est une personne si gentille. Il m’appelait toujours pour savoir quels fruits m’apporter du marché, il allait chercher ses petits-enfants à l’école quand je ne pouvais pas, il m’aidait à payer les frais de scolarité. Et tous les matins, il m’appelait pour m’inviter à prendre le thé. Je n’ai pas bu de thé depuis son arrestation. Je l’attends. »
La détention administrative, de père en fils
Fadia Barghouti vit dans le village de Deir Ghassaneh, au nord de Ramallah. Son mari, Mahmoud Barghouti, 57 ans, a été arrêté en septembre 2022. Il a alors été condamné à six mois de détention administrative. Une condamnation renouvelée deux fois depuis. « Normalement, il aurait dû sortir en janvier 2024, explique Fadia Barghouti. Mais si la guerre continue, il ne sera pas libéré. »
Mahmoud Barghouti est un militant politique du Hamas. Fadia Barghouti se souvient encore de la date exacte de la première détention administrative de son mari : « C’était le 14 décembre 1993, pendant notre première année de mariage. Il a été arrêté avec d’autres membres du Hamas le jour du lancement officiel du parti. J’étais enceinte de ma première fille. »
Mahmoud Barghouti est libéré en avril 1994, après quatre mois de détention administrative. Les arrestations s’enchaînent : « En 1997, il nous a quittés pour trois ans alors que mes premiers enfants, Haneen et Amar, n’avaient qu’un et trois ans. Quand Bassel est né, il a été arrêté. Quand Bilal est né aussi. Yaffa, le fils de Haneen, notre petit-fils, a 13 mois aujourd’hui et Mahmoud ne le connaît pas. À tous les âges, de l’enfance à l’âge adulte, mes enfants ont vu leur père être arrêté. »
Fadia Barghouti, ancienne professeure d’anglais de 50 ans, l’assure : son mari est un simple militant politique. Il n’a jamais été condamné pour des actions violentes, et n’a jamais fait partie de la branche armée du Hamas. « Mahmoud est comptable, il travaille pour l’Autorité palestinienne à Ramallah. Il se rendait au bureau tous les jours, comme n’importe quel employé,raconte-t-elle. Il a été élu, une fois, en 2004, au conseil municipal de notre village. Ici, les gens le connaissent pour ça et pour ses nombreuses arrestations, mais c’est tout. »
Le 23 octobre, Bassel, 22 ans, l’avant-dernier de la fratrie Bargh ti, a été lui aussi arrêté par l’armée israélienne. « À l’époque, les soldats frappaient à la porte, attendaient au moins que les femmes aient le temps de se couvrir. Cette fois, on a seulement entendu leurs cris et le bruit du verre de la porte qui se brise,se rappelle Fadia. Quand Bassel est descendu, ils l’ont attrapé, l’ont frappé et mis au sol. Ensuite, ils ont retourné chaque pièce de la maison, ils ont tout détruit. J’ai mis une semaine à tout remettre en place. »
Sur un mur du salon, au rez-de-chaussée de la grande maison, un poster grandeur nature de Mahmoud Barghouti. « Un soldat a décroché violemment le poster, l’a piétiné et m’a dit : “Ton mari est mort. Le Hamas est mort.” » Selon sa mère, Bassel est alors menotté, ses yeux bandés. Puis il est escorté à l’extérieur.
Quelques heures plus tard, Fadia tombe sur une photo de son fils assis sur un lit dans une maison qu’elle ne reconnaît pas, accompagné d’autres hommes arrêtés le même jour dans la région. Selon elle, cette photo a été publiée sur Facebook par le capitaine de l’armée présent lors de l’arrestation de son fils. Deux jours avant notre rencontre, Fadia a appris que son fils avait écopé de six mois de détention administrative.
Bassel Barghouti étudie l’ingénierie informatique à l’université de Bir Zeit. « C’est un étudiant tranquille, dit sa mère. Il est proche du Rassemblement islamique, un syndicat d’étudiants à l’université, qu’Israël considère comme la branche étudiante du Hamas. Ce syndicat a gagné les dernières élections étudiantes, certes. Mais Bassel n’était pas candidat et n’a pas été élu. »
Fadia, elle, a été candidate aux élections législatives de 2021 annulées trois semaines avant le scrutin et reportées sine die par l’Autorité palestinienne. Elle faisait campagne sur la liste affiliée au Hamas. C’était sa première expérience en politique. D’où son discours acéré : « Ça fait plus de 75 ans que personne ne nous écoute, nous, Palestiniens. Personne n’a pensé qu’il fallait régler ce problème, personne n’a pensé à prendre en compte le fait que nous étions torturés, humiliés, tués. Personne. La seule chose qui a changé la donne, c’est le 7 octobre. »
En tant qu’avocat, on ne peut rien faire face à la détention administrative.
Fadi Qawasmeh, avocat palestinien
Il fait nuit noire aux abords de la prison d’Ofer quand Fadi Qawasmeh sort du tribunal qui se trouve dans le complexe militaire qui entoure cette prison connue pour abriter les prisonniers en attente d’un jugement sur leur détention administrative. Pendant neuf heures d’affilée, cet avocat d’une cinquantaine d’années a défendu des Palestiniens arrêtés depuis le 7 octobre. « J’ai tellement de clients que j’en oublie leur nom. Ça ne m’est jamais arrivé, d’habitude je connais mes dossiers par cœur,raconte-t-il. Leurs familles m’appellent, me demandent des nouvelles, et je ne sais même pas de qui on me parle. »
Depuis quelques années, Fadi Qawasmeh ne prenait plus de nouveaux dossiers de détention administrative. Mais face au nombre d’arrestations, qui explose depuis le 7 octobre, il n’a pas eu d’autre choix que de s’y remettre.
« Le choc que les Israéliens ont subi est tel que la façon dont ils nous traitent, nous, les avocats, ainsi que les prisonniers, est totalement inédite,explique-t-il. Les relations entre avocats, procureurs et juges sont très tendues. C’est beaucoup plus difficile qu’avant, les dossiers sont plus complexes, les juges sont plus durs. Notre capacité à réellement aider nos clients a énormément baissé. »
Sans inculpation ni réel procès, le rôle des avocats des prisonniers sous détention administrative est très minime. « En termes de procédure, en tant qu’avocat, on ne peut rien faire puisque toute l’inculpation est basée sur des informations classées secrètes auxquelles nous n’avons pas accès,raconte Fadi Qawasmeh. Je me suis rappelé pourquoi j’avais arrêté les dossiers de détention administrative : parce que cette frustration m’épuise. »
Les clients de Fadi Qawasmeh sont majoritairement des personnes qui ont, dans leur passé plus ou moins récent, eu des liens avec le Hamas. Pour l’avocat, cette utilisation massive de la détention administrative s’explique simplement : « C’est une punition collective pour ce qui s’est passé le 7 octobre. Pour les forces de sécurité israéliennes, si tu as été de près ou de loin lié au Hamas, tu représentes un danger, même si tu n’as rien fait depuis des années. »
Dans un moment de tension extrême, où les familles sont bannies des parloirs, les avocats, même s’ils sont eux aussi tenus à distance des prisonniers, peuvent obtenir des droits de visite. « Je ne fais pas ça parce que je crois que mon talent d’avocat fera la différence, confie l’avocat. Je le fais pour que les prisonniers aient un contact avec l’extérieur, pour leur passer des messages de leurs familles, je le fais pour l’humain. »
À Deir Ghassaneh, Fadia Barghouti n’a aucune nouvelle de son fils depuis son arrestation. Mais elle a appris récemment que son mari avait été transféré dans une autre prison, à six heures de route de chez elle. « Je n’ai aucun espoir,souffle-t-elle. Mon mari et mon fils sont en prison parce qu’Israël a décidé de punir tous les Palestiniens sans exception. Depuis l’arrestation de mon fils, je dors avec un sac de vêtements de rechange à côté de mon lit, au cas où ils viennent me chercher aussi. »
La plupart des importations d'armes d'Israël proviennent des États-Unis. Maintenant, Biden se précipite encore plus sur les armes. À quoi ressemble l'envoi par les États-Unis d'armes à Israël « au rythme de la guerre ».
Depuis que la Russie a envahi l'Ukraine en février 2022, les États-Unis ont augmenté leur aide militaire, auparavant minime, à ce pays, pour atteindre un montant sans précédent de 46,7 milliards de dollars. L'Ukraine domine les autres principaux bénéficiaires dans les graphiques à barres de l'aide américaine à la sécurité pour 2022 et 2023. Les États-Unis y envoient tellement de munitions que cela a apparemment mis à rude épreuve les usines américaines et conduit à un effort pangouvernemental pour relancer les chaînes d'approvisionnement militaires.
Les États-Unis accélèrent également les transferts d'armes vers Israël en réponse aux attaques du Hamas du 7 octobre qui ont tué 1 200 personnes et entraîné l'enlèvement de plus de 200 personnes. Le mois dernier, le président Joe Biden a annoncé depuis le Bureau Ovale qu'il chercherait « un programme de soutien sans précédent ». pour la défense d'Israël » de 14,3 milliards de dollars. « Nous augmentons notre aide militaire supplémentaire », a-t-il ajouté.
Mais même si l'Ukraine n'a jamais été un bénéficiaire traditionnel d'une aide militaire massive, le soutien le plus récent des États-Unis à l'armée israélienne s'appuie sur une longue pratique bipartite américaine. Israël a reçu environ 3 milliards de dollars par an, ajustés à l'inflation, au cours des 50 dernières années, et est le plus grand bénéficiaire historique de l'aide à la sécurité américaine.
L'administration Obama a annoncé en 2016 le plus grand programme d'aide à la sécurité jamais accordé au pays, promettant 38 milliards de dollars pour Israël au cours de la prochaine décennie. Le soutien américain a permis à Israël de conserver son avantage militaire qualitatif sur les pays arabes voisins en disposant de systèmes d'armes plus avancés, ce que le Congrès a inscrit dans la loi en 2008.
Israël ne serait pas en mesure de mener cette guerre sans les États-Unis, qui, au fil du temps, ont fourni à Israël environ 80 % des importations d'armes du pays. Israël les utilise dans le cadre de son opération militaire à grande échelle qui a jusqu'à présent tué plus de 11 000 Palestiniens et détruit des hôpitaux et des infrastructures civiles. Même si ce sont les Forces de défense israéliennes qui sont responsables des meurtres, l'ampleur de l'aide américaine soulève de sérieuses questions quant à la culpabilité américaine. « Fournir des armes qui contribueraient sciemment et de manière significative à des attaques illégales peut rendre ceux qui les fournissent complices de crimes de guerre », a déclaré Human Rights Watch. Les armes exactement que les États-Unis envoient pour répondre aux demandes d'Israël depuis le 7 octobre ont été jusqu'à présent gardées secrètes contrairement à la manière dont les États-Unis rendent publiques les armes qu'ils livrent à l'Ukraine. Mais Bloomberg a publié cette semaine un document divulgué du Pentagone montrant que les États-Unis ont livré 2 000 missiles Hellfire pouvant être lancés depuis des hélicoptères Apache, ainsi qu'une série d'autres mortiers et munitions, dont « 36 000 cartouches de canon de 30 mm, 1 800 des cartouches demandées ». Munitions anti-bunker M141 et au moins 3 500 appareils de vision nocturne.
Cette année, les budgets militaires du monde entier ont atteint des sommets sans précédent. Ces dernières années, Israël a développé ses exportations d'armes. Il importe également d'importantes armes du Royaume-Uni, d'Italie, du Canada et d'Allemagne, mais 92 % de ce qu'Israël obtient vient des États-Unis. Comme l'écrivait récemment le chercheur William Hartung dans The Nation, « l'arsenal israélien et son industrie d'armement sont en grande partie fabriqués et financés par les États-Unis ».
Pourquoi l'équipe de Biden est si efficace pour acheminer des armes vers Israël
L'administration Biden possède une solide compréhension des systèmes d'armes et des activités qui les sous-tendent. Alors que n'importe quelle administration américaine dominante, républicaine ou démocrate, serait susceptible d'accélérer les commandes d'armes à Israël, cette administration est particulièrement qualifiée pour le faire, en mettant à profit ses succès dans le transfert d'armes en Ukraine et son expérience en matière de conseil aux fabricants d'armes.
Au cours de la deuxième année de sa présidence, les ventes d'armes de Biden ont dépassé celles du président Donald Trump, qui avait lui-même déjà supervisé une forte augmentation.
La Chambre a voté en faveur d'une nouvelle assistance militaire à Israël mais a supprimé la composante aide à l'Ukraine, de sorte que le Sénat ne l'adoptera probablement pas. Entre-temps, l'administration Biden s'est montrée efficace et discrète en matière de transferts, utilisant des outils créatifs pour relancer les livraisons à Israël qui incluent des ventes commerciales directes des fabricants d'armes (ce qui signifie que les États-Unis ne financent pas les achats mais autorisent les fabricants d'armes américains à à vendre à Israël), des véhicules de financement gouvernementaux qui ne nécessitent pas l'approbation du Congrès et l'accélération des commandes passées avant octobre.
Les stocks destinés à l'usage américain sont également détournés vers Israël. Comme l'a dit un haut responsable du Pentagone, « accélérer l'assistance sécuritaire » à Israël a été la tâche numéro un.
Le secrétaire à la Défense Lloyd Austin est un ancien membre du conseil d'administration de Raytheon, le principal entrepreneur militaire qui coproduit les récepteurs Iron Dome avec la société israélienne Rafael Advanced Defense Systems. RTX, comme Raytheon a été renommé, est l'un des fournisseurs les plus importants en Israël.
Austin et de nombreux autres hauts fonctionnaires nommés au Pentagone apportent une vaste expérience de travail pour Austin a dû se récuser des relations du ministère de la Défense avec Raytheon le poids que ces nominations apportent montre le sérieux avec lequel l'administration Biden prend la base industrielle de défense.
Comme Austin l'a déclaré au Sénat : « Nous apportons une aide à la sécurité à Israël à la vitesse d'une guerre ». Le secrétaire d'État Antony Blinken a cofondé WestExec Advisors en 2017, qui a travaillé pour des entrepreneurs militaires, de nouvelles startups de technologie militaire et des entreprises israéliennes. Blinken, pour sa part, a conseillé l'entrepreneur de défense Boeing, selon ses informations financières. Le mois dernier, Boeing a précipité le transfert de 1 000 bombes intelligentes et de 1 800 kits de bombes à guidage GPS vers Israël.
Une grande partie de l'équipe qui a travaillé pour qu'Israël obtienne le paquet Obama de 38 milliards de dollars sur 10 ans montre la voie. Parmi les autres responsables clés du Département d'État, citons Daniel Shapiro, qui a également travaillé pour le fabricant israélien de logiciels espions NSO Group lorsqu'il n'était pas au gouvernement. Les dirigeants du renseignement apportent eux aussi une vaste expérience. Avril Haines, directrice du Bureau du renseignement national, a travaillé comme conseillère auprès de la centrale informatique Palantir, qui est un fervent partisan d'Israël et qui fournit apparemment des technologies de pointe à l'armée israélienne.
Le fondement des relations entre les industries de défense des États-Unis, d'Israël et de leurs autres partenaires dans la région est également utile. Par exemple, lorsque les plus grandes entreprises mondiales de l'aérospatiale et de la défense se sont réunies au salon aéronautique de Dubaï cette semaine, les entreprises et les responsables de la défense israéliens ont fait profil bas mais les grosses transactions ont continué. Prenez le triangle États-Unis-Israël-EAU, qui profite à chaque pays. Boeing, une société américaine, a signé un contrat d'avion de ligne de 52 milliards de dollars avec un transporteur des Émirats arabes unis. En marge du salon, les hommes d'affaires ont discuté de « l'impact de la demande d'équipements découlant des conflits à Gaza » et des « relations étroites entre les États-Unis et les Émirats arabes unis ». alignement sur le conflit Israël-Gaza », selon le Conseil d'affaires États-Unis-EAU. Dans le même temps, la filiale émiratie d'Elbit Systems vend pour 53 millions de dollars de technologie militaire aux Émirats arabes unis.
Les États-Unis ont fait la promotion des longues listes d'armes qu'ils envoient à l'Ukraine, en publiant des fiches et des décomptes très détaillés. Mais comme l'a noté Ken Klippenstein de l'Intercept, l'administration Biden a gardé secrète la liste des armes qu'elle envoie à Israël. L'administration a également « demandé l'autorisation d'approuver unilatéralement et globalement la future vente d'équipements et d'armes militaires comme des missiles balistiques et des munitions d'artillerie à Israël sans en informer le Congrès », selon le groupe de surveillance Women for Weapons Trade Transparency.
Cela supprimerait un mécanisme clé de surveillance de la part des législateurs et de contrôle du public.
Qui s'inquiète des armes destinées à Israël ?
Beaucoup de ces armes sont désormais utilisées à Gaza, avec des conséquences humanitaires catastrophiques. Cela a conduit les Nations Unies, le président français Emmanuel Macron et un certain nombre d'organisations internationales à appeler à un cessez-le-feu immédiat. Human Rights Watch a demandé des enquêtes sur les crimes de guerre suite au bombardement israélien du système de santé. « L'accent est mis sur les dégâts et non sur la précision », a déclaré le mois dernier le porte-parole de l'armée israélienne, le contre-amiral Daniel Hagari. Ces bombardements massifs et le bilan des morts ont incité le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme à déclarer jeudi que « le meurtre de tant de civils ne peut être considéré comme un dommage collatéral ».
Dans ce contexte, certains militants protestent contre l'aide militaire américaine à Israël et appellent à un cessez-le-feu. Un groupe appelé Palestine Action a organisé des actions aux États-Unis et au Royaume-Uni dans les installations d'Elbit Systems, un entrepreneur militaire israélien. Environ 150 manifestants ont manifesté contre Raytheon Technologies à El Segundo, en Californie, pour son commerce d'armes avec Israël.
Josh Paul, un ancien haut responsable du Département d'État supervisant les ventes d'armes qui a démissionné en signe de protestation le mois dernier, a déclaré sans détour qu'Israël violait le droit international. « À mon avis, Israël commet actuellement des crimes de guerre dans ses actions à Gaza », a-t-il déclaré. « Et ce n'est pas seulement mon opinion. J'ai en fait entendu des responsables de l'ensemble du gouvernement, y compris des élus de très haut niveau, qui partagent cette opinion mais ne sont pas disposés à l'exprimer en public.
Cela pourrait préparer Israël à une collision avec l'administration Biden
En février 2022, Biden a renforcé la composante droits de l'homme des transferts d'armes américains.
L'administration a mis un nouvel accent sur les droits de l'homme dans la politique de transfert d'armes conventionnelles qui a ajouté des garanties pour « accroître l'importance de la protection des civils ». La politique restreint spécifiquement le transfert d'armes qui sont « plus susceptibles qu'improbables » d'être utilisées dans des atrocités, notamment des violations de la Convention de Genève ou du droit international humanitaire.
L'administration Biden pourrait « violer sa propre politique conventionnelle de transfert d'armes » en envoyant des armes à Israël, comme l'a récemment déclaré Seth Binder du Projet sur la démocratie au Moyen-Orient à Jacobin.
Mais les hauts responsables de Biden insistent sur le fait que l'administration respecte ses engagements. Mais les hauts responsables de Biden insistent sur le fait que l'administration respecte ses engagements. But senior Biden officials insist the administration is following through on its commitments.
Mais les hauts responsables de Biden insistent sur le fait que l'administration tient ses engagements.
But senior Biden officials insist the administration is keeping its commitments.
« Tous nos transferts d'armes, y compris les transferts d'armes vers Israël, reposent sur la proposition fondamentale selon laquelle elles seront utilisées conformément au droit des conflits armés », a déclaré le mois dernier Jake Sullivan, le conseiller à la sécurité nationale. « Il n'y a ici aucune exception ni aucune différence par rapport à nos autres transferts d'armes. » L'administration fait régulièrement comprendre à Israël l'importance du droit humanitaire, selon lequel « les civils innocents doivent être pris en compte dans toute opération », selon la porte-parole du Pentagone, Sabrina Singh.
Certaines des préoccupations concernent spécifiquement les types d'armes livrées par les États-Unis. Le document obtenu par Bloomberg montre que les États-Unis envoient à Israël 57 000 obus de 155 mm utilisés dans les canons d'artillerie. Un groupe d'organisations d'aide humanitaire et d'experts en sécurité avait envoyé une lettre au secrétaire à la Défense plus tôt dans la semaine, exhortant l'administration Biden à ne pas envoyer ces obus en Israël, affirmant qu'ils étaient « intrinsèquement aveugles » et « avaient un rayon d'erreur élevé, souvent ». atterrir à 25 mètres de la cible prévue », ce qui serait particulièrement destructeur dans un endroit aussi densément peuplé que Gaza.
Alors que le commerce des armes s'accélère et que la surveillance des opérations israéliennes s'intensifie, la raison du renforcement de la composante droits de l'homme de la politique de transfert d'armes semble plus pertinente que jamais. « Il n'est pas dans l'intérêt national des États-Unis de s'engager dans des transferts d'armes lorsque nous estimons qu'elles sont susceptibles d'être utilisées dans des violations des droits de l'homme », a déclaré en mars Christopher Le Mon, un haut responsable du Département d'État. « Cela ne fait pas progresser nos intérêts nationaux, cela ne fait pas progresser notre sécurité nationale. »
*Article publié sur le site américain Vox spécialisé dans les enquêtes de fond
par Jonathan Guyer (Article Traduit Par Mourad Benachenhou)
Le gouvernement israélien a approuvé un accord prévoyant à partir de jeudi matin la libération d’otages enlevés le 7 octobre par le Hamas et une trêve dans la bande de Gaza en échange de la libération de 150 prisonniers palestiniens. Le cessez-le-feu devrait durer au moins quatre jours, mais ne permettra pas de résoudre la catastrophe humanitaire dans l’enclave, avertissent les ONG.
LesLes termes sont différents : Israël évoque une « pause » et « un répit » ; le Hamas parle d’une «trêve ». Mais, après 47 jours d’offensive israélienne à Gaza déclenchée par l’attaque sanglante du mouvement islamiste le 7 octobre, qui s’est traduite par un lourd bilan parmi la population civile de l’enclave, un cessez-le-feu de quatre jours à partir de jeudi matin et la prochaine libération d’une partie des otages aux mains du mouvement islamiste font naître une petite lueur d’espoir.
Israël et le Hamas ont accepté un accord à l’issue de négociations menées sous l’égide du Qatar, de l’Égypte et des États-Unis. Il prévoit, à partir de jeudi matin, la libération de 50 otages détenus par le mouvement islamiste depuis le 7 octobre – des femmes et des enfants –, en échange d’une suspension de quatre jours des opérations militaires dans la bande de Gaza et de la libération de 150 prisonnières et prisonniers palestiniens.
Il a donc fallu des semaines de négociations dans les coulisses pour obtenir ce résultat avec un point culminant : une rencontre à Doha le 9 novembre des chefs des services de renseignement américains et israéliens, William Burns et David Barnea, avec le premier ministre qatari Mohammed bin Abdulrahman ben Jassim al-Thani.
Selon un responsable de l’administration américaine cité par Le Monde, les États-Unis ont eu, dès les premiers jours, « des contacts quotidiens, voire heure par heure, entre responsables de haut niveau, avec le Qatar, l’Égypte et Israël au sujet des otages ». « Nous avons eu aussi une équipe sur le terrain travaillant à différentes périodes pour corroborer de façon indépendante certaines informations que nous recueillions par d’autres sources », a-t-il expliqué au quotidien français.
Si tous les détails ne sont pas encore connus – on ignore encore celles et ceux qui vont être concerné·es par cet échange –, le cessez-le-feu temporaire est censé entrer en vigueur à partir de jeudi 10 heures (9 heures, heure française). « La libération de dix otages supplémentaires se traduira par un jour de répit supplémentaire », souligne le gouvernement israélien dans un communiqué qui n’évoque pas la libération de prisonniers palestiniens.
Le ministère de la justice israélien a cependant publié mercredi matin la liste des 300 prisonniers palestiniens candidats à la libération dans le cadre de l’accord. Cette publication ouvre une période de 24 heures pendant laquelle le public peut exprimer son opposition à l’accord et déposer un recours auprès de la Haute Cour. Cette dernière n’a jamais fait obstacle aux précédents échanges.
elon un responsable états-unien cité par le quotidien israélien Haaretz, « l’accord a finalement été structuré de manière à encourager la libération de plus de 50 otages ». Pour lui, il « est destiné dans la première phase aux femmes et aux enfants, mais avec l’espoir d’autres libérations. L’objectif est clairement de ramener tous les otages auprès de leurs familles ».
Quelque 236 personnes ont été enlevées le 7 octobre, mais toutes ne sont pas aux mains du Hamas, certaines étant retenues notamment par une autre organisation palestinienne, le Jihad islamique. Depuis, la riposte israélienne a fait 14 128 morts du côté palestinien dans la bande de Gaza, selon les chiffres communiqués par le gouvernement du Hamas. Parmi les morts recensés à ce jour figurent 5 840 enfants, toujours selon le Hamas.
Pour le chercheur à Sciences Po-Paris Étienne Dignat, qui travaille sur les enjeux éthico-politiques des négociations d’otages, l’accord est « une excellente nouvelle » : « Il montre que les canaux de négociation fonctionnent, que le Qatar est bel et bien un acteur majeur de la médiation dans ce conflit. Il montre aussi que cela fonctionne entre les branches politique et militaire du Hamas. »
D’un point de vue sécuritaire, la configuration n’est pas la même pour l’État hébreu que la négociation qui a conduit, en échange de 1 027 prisonnières et prisonniers palestiniens, à la libération en 2011 du soldat israélien Gilad Shalit, capturé par un commando palestinien cinq ans plus tôt, estime l’auteur du livre La Rançon de la terreur. Gouverner le marché des otages (Presses universitaires de France, 2023).
« Contrairement à 2011, où parmi les prisonniers libérés, figuraient des personnalités telles que le chef du Hamas à Gaza Yahya Sinouar [qui est aujourd’hui l’ennemi numéro un d’Israël, l’un des cerveaux de l’attaque du 7 octobre 2023 – ndlr], ce deal n’est pas risqué. Les cinquante otages, qui vont retrouver leurs familles, portent une symbolique très forte car ce sont des femmes et des enfants. En échange, les Israéliens vont libérer aussi des femmes et des enfants, des personnes qui ne sont pas dangereuses. »
Pour Étienne Dignat, cet accord sert chaque camp. Quelques jours après une marche de grande ampleur des familles des otages de Tel-Aviv à Jérusalem, il permet au premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou, plus que fragilisé, de « valider a posteriori son narratif » : « tout à la fois envahir la bande de Gaza, mener une opération militaire pour “éliminer” le Hamas et obtenir des libérations d’otages par la négociation ».
Quant au mouvement islamiste palestinien, affaibli après quarante-sept jours de combats et de bombardements d’une intensité inédite par l’armée israélienne, il « sort d’une position de passivité pour montrer à la population qu’il est capable d’obtenir la libération de prisonniers palestiniens, que le Hamas considère comme des otages aux mains d’Israël, et d’asseoir son leadership face à l’Autorité palestinienne ».
Le processus n’a pas été facile et Benyamin Nétanyahou, critiqué pour sa responsabilité dans l’affront subi le 7 octobre, n’a emporté l’adhésion de son cabinet qu’à l’issue d’une réunion tendue.
Nous n’arrêterons pas la guerre après le cessez-le-feu.
Benyamin Nétanyahou, premier ministre israélien
Au bout de six heures d’échanges, trente-cinq ministres l’ont finalement approuvé mercredi matin aux aurores. Trois s’y sont opposés, tous membres du parti d’extrême droite Otzma Yehudit. Le chef de la formation, le ministre de la sécurité nationale Itamar Ben Gvir, a fustigé un accord « immoral et [qui] fait le jeu du Hamas ». « L’organisation veut du carburant, des terroristes libérés et une interruption de l’activité de Tsahal en échange », a-t-il dit, jugeant qu’« Israël commet les mêmes erreurs que par le passé en ne maintenant pas une pression militaire constante sur le Hamas ».
Benyamin Nétanyahou s’est défendu de vouloir mettre un terme à la campagne militaire menée à Gaza. « Nous n’arrêterons pas la guerre après le cessez-le-feu, a-t-il dit. Il est absurde de laisser entendre que nous arrêterons la guerre après le cessez-le-feu pour rendre les otages. Je tiens à le dire clairement : nous sommes en guerre et nous poursuivrons la guerre jusqu’à ce que nous ayons atteint tous nos objectifs : éliminer le Hamas, rendre tous les otages et les disparus, et garantir qu’il n’y aura pas de menace pour Israël à Gaza. »
Le ministre Benny Gantz a affirmé, selon Haaretz, que les grandes lignes de l’accord « sont difficiles et douloureuses d’un point de vue humain, mais que c’est le bon accord ».
Le président Isaac Herzog a estimé, dans un communiqué envoyé à la presse, que les « réserves » étaient « compréhensibles, douloureuses et difficiles », mais que, « compte tenu des circonstances », il appuyait l’accord obtenu par le gouvernement. « Il s’agit d’un devoir moral et éthique qui exprime correctement la valeur juive et israélienne d’assurer la liberté des personnes retenues en captivité, avec l’espoir qu’il s’agira de la première étape vers le retour de tous les otages dans leur pays. »
Les otages ne seront pas libérés en une seule fois, mais seront confiés par petits groupes au Comité international de la Croix-Rouge. Selon les médias israéliens, six hôpitaux sont prêts à les recevoir en Israël et ils et elles seront séparé·es des autres patient·es et tenu·es à bonne distance des médias.
Le Hamas a salué mercredi l’accord de « trêve humanitaire » approuvé par Israël. « Les dispositions de cet accord ont été formulées conformément à la vision de la résistance et de la détermination qui visent à servir notre peuple et à renforcer sa ténacité face à l’agression », a indiqué le Hamas dans un communiqué. « Nous confirmons que nos mains resteront sur la détente et que nos bataillons triomphants resteront aux aguets », a-t-il averti.
Le président palestinien, Mahmoud Abbas, s’est aussi félicité, appelant à des solutions plus larges au long conflit israélo-palestinien. L’administration de Mahmoud Abbas, basée en Cisjordanie occupée, « apprécie l’effort [de médiation] qatari-égyptien » et souhaite une trêve prolongée avec Israël. Abbas, très contesté en Cisjordanie, souhaite également « la mise en œuvre d’une solution politique basée sur la légitimité internationale », selon un message publié sur les médias sociaux par Hussein al-Sheikh, un conseiller palestinien de haut rang.
Les États-Unis, la France, la Russie ou la Chine saluent l’accord
Allié de Washington, le Qatar, qui abrite aussi le bureau politique du Hamas dans ses palaces, montre à nouveau sa capacité à s’imposer sur la scène diplomatique comme un médiateur clé avec les régimes les plus durs comme les talibans en Afghanistan et tous ceux auxquels l’Occident ne veut pas serrer la main comme ici le Hamas. L’émirat du golfe, qui avait déjà obtenu la libération de quatre otages – deux Américaines, le 20 octobre, et deux Israéliennes, le 23 octobre – a confirmé mercredi l’accord, parlant lui aussi de « trêve humanitaire » à Gaza.
« Le Qatar annonce le succès de ses efforts de médiation entrepris conjointement avec l’Égypte et les États-Unis qui ont abouti à un accord pour une trêve humanitaire », s’est félicité le ministère des affaires étrangères de l’émirat. « Le début de cette trêve sera annoncé dans les prochaines 24 heures et durera quatre jours, avec possibilité de prolongation », a-t-il ajouté sur X (ex-Twitter).
Le président des États-Unis, Joe Biden, s’est dit « extraordinairement satisfait » de la libération prochaine d’otages. « Je suis extraordinairement satisfait [du fait] que plusieurs de ces âmes courageuses […] seront réunies avec leurs familles une fois que cet accord sera pleinement mis en œuvre. »
Les États-Unis s’attendent à ce que « plus de 50 » otages soient libérés par le Hamas, avait indiqué dans la nuit un haut responsable de la Maison Blanche. « Il y aura maintenant une trêve de plusieurs jours, [le Hamas] aura la capacité d’identifier des femmes et des enfants supplémentaires. Nous nous attendons donc à ce qu’il y en ait plus de 50 », a déclaré le haut responsable américain à la presse. L’accord annoncé inclut trois ressortissantes américaines, toujours selon une source états-unienne.
Paris espère qu’il y aura des Français·es parmi les otages qui vont être libérés. « Nous l’espérons et nous y travaillons », a dit Catherine Colonna sur France Inter, soulignant qu’elle restait prudente car « il faut que chacune des parties tienne la part de contrat ». La ministre a également salué « tout particulièrement le travail du Qatar » pour son rôle de médiateur.
« Moscou salue l’accord entre Israël et le Hamas pour une trêve humanitaire de quatre jours », a de son côté déclaré la porte-parole du ministère des affaires étrangères russe, Maria Zakharova, citée par les agences de presse russes, en rappelant que « c’est exactement à quoi la Russie a appelé dès le début de l’escalade du conflit ».
« Nous saluons l’accord de cessez-le-feu temporaire entre les parties concernées », a commenté devant la presse une porte-parole de la diplomatie chinoise, Mao Ning. La Chine espère que la trêve « permettra d’apaiser la crise humanitaire, contribuera à la désescalade et réduira les tensions », a ajouté la porte-parole, soulignant que Pékin appelle « depuis le début du conflit » à un « cessez-le-feu ».
Sur X, le secrétaire général des Nations unies António Guterres a jugé que c’était « un pas important dans la bonne direction, même s’il reste encore beaucoup à faire ». « Les Nations unies mobiliseront toutes leurs capacités pour soutenir la mise en œuvre de l’accord et maximiser son impact positif sur la situation humanitaire à Gaza », a-t-il ajouté.
L’enjeu de la catastrophe humanitaire
Dans un communiqué, l’ONG Human Rights Watch a rappelé, par la voix d’Omar Shakir, directeur de recherche sur Israël et la Palestine au sein de l’organisation, que « la prise d’otages est un crime de guerre, et le Hamas et les autres groupes armés palestiniens doivent tous les libérer immédiatement ». Mais, ajoute l’ONG, « bloquer l’acheminement de l’aide vitale et du carburant jusqu’à la libération des otages est un crime de guerre qui met en danger la vie de 2,2 millions de personnes. Les êtres humains ne sont pas une monnaie d’échange. Cessez-le-feu ou pas, les attaques illégales doivent cesser ».
En effet, au-delà de la libération des otages de part et d’autre, reste un enjeu de taille : la catastrophe humanitaire dans la bande de Gaza où la riposte israélienne a provoqué des destructions massives, fait 14 128 morts, dont 5 840 enfants, des milliers de blessé·es, selon les chiffres communiqués par le gouvernement du Hamas, assortie d’un siège complet de l’enclave.
La communauté internationale doit faire pression pour que cette trêve se transforme en un cessez-le-feu total et permanent.
Louis-Nicolas Jandeaux, responsable plaidoyer humanitaire d’Oxfam France
La trêve de quatre jours qui entrera en vigueur jeudi est insuffisante au regard de l’ampleur des besoins et des destructions pour les ONG internationales qui opèrent déjà très difficilement dans l’enclave palestinienne et qui continuent d’appeler en vain à « un cessez-le-feu immédiat».
« Cette pause humanitaire dans les bombardements incessants menés à Gaza offre un peu de répit aux populations civiles et pour acheminer de l’aide humanitaire, mais pas plus, réagit le responsable plaidoyer humanitaire d’Oxfam France, Louis-Nicolas Jandeaux. Elle ne nous permettra aucunement d’inscrire l’aide humanitaire dans la durée. Il n’y a pas de pause assez longue, ni de couloirs assez larges, ni d’autres options d’acheminement de l’aide assez créatives pour soulager la souffrance de plus de 2 millions de personnes, qui survivent dans une ville partiellement détruite, dans laquelle tant de vies innocentes ont été sacrifiées. »
« La communauté internationale doit faire pression pour que cette trêve se transforme en un cessez-le-feu total et permanent, garantissant la libre circulation de l’aide humanitaire à travers Israël et l’Égypte, y compris l’approvisionnement en carburant, qui est d’une importance vitale pour Gaza, poursuit l’humanitaire. Ce cessez-le-feu doit amorcer un processus de paix qui s’attaque au cœur du conflit : mettre fin à l’occupation militaire prolongée du territoire palestinien par Israël et au blocus de Gaza, tout en garantissant la libération de tous les otages. »
Mossad : Est-ce que je fais partie des otages que le Hamas s’apprête à libérer ?
Hamas : Non. Certainement pas toi parce qu’on sait mais tu ne sais pas qu’on sait que tu es la femme d’un membre influent du Mossad, donc au service secret du gland Israël.
Mossad : Israël ne cèdera à aucun chantage quelque soit l’otage.
Hamas : quand tu parles d’otage, c’est de toi ou de moi que tu parles ? Je ne suis ta gardienne qu’en apparence… parce qu’au fond c’est moi qui suis prisonnière, prisonnière de ma prisonnière.
Mossad : entre nous deux il n’y a point de point commun, nous n’avons même pas le même Dieu : je suis l’otage d’une bande de sauvages. Désolée pour cet arrêt sur image.
Hamas : mon petit doigt ré-appuie sur play pour m’entendre dire sans jeu de mots : que de nous deux, c’est toi la plaie Israël. Même si les deux, on veut la mort de l’une ou de l’autre, toi, tu le fais sans le dire et moi je le dis sans le faire.
Mossad : on va devoir vous sortir de l’histoire une bonne fois pour toutes… Alors que le judaïsme ne cesse de nous faire faire des bonds en avant, l’islamisme, lui ne cesse de vous faire faire des bonds en arrière…. Nous promettons le paradis pour le genre humain, vous lui promettez l’enfer.
Hamas : le paradis ne vous appartient pas. Vous l’avez volé et on va vous le reprendre de gré ou de force, un jour ou l’autre, pour réparer cette injustice et vous faire payer votre supplice.
Mossad : je vais te le dire plus élégamment : Israël est un vrai projet. Alors que la Palestine n’est qu’un rejet, rejet d’Israël par des êtres primitifs qui sont toujours à la recherche d’un calife.
Hamas : je suis à l’endroit, tu es à l’envers. Je dis que la Palestine va de la mer à la rivière. Et toi, tu dis qu’Israël va de la rivière à la mer. C’est ce renversement que nous finirons par renverser… parce que nous sommes et nous serons de plus en plus nombreux.
Mossad : vous n’êtes que des imbéciles malheureux.
Hamas : c’est déjà mieux que vos imbéciles heureux qui ont beau avoir toute la planète avec eux, ils vont perdre leur bras de fer avec Dieu…
Mossad : on ne fera jamais, jamais bon ménage avec des animaux sauvages.
Hamas : A moins que nous cessions d’être les otages de nos otages.
Mossad : Israël fera encore une fois semblant de cesser le feu jusqu’à ce que vous cessiez de faire semblant de croire en Dieu.
Hamas : Agenouille-toi pauvre imbécile et écoute Dieu. Il a créé un Occident fort puis il y a mis une faiblesse ta faiblesse, toute ta faiblesse. Ensuite il a créé un Orient faible, puis il y a mis une force, ma force, toute ma force.
La liste des victimes s’allonge chaque jour, à Gaza et aussi en Cisjordanie. Certes l’inhumanité des actes à caractère terroriste commis par le Hamas permet à Israël traumatisé dans son existence même d’invoquer la légitime défense. Mais cette notion, qui suppose une riposte proportionnée, n’autorise nullement le recours à une violence elle-même inhumaine dictée par une vengeance aveugle.
La liste des victimes, parmi lesquelles des enfants, des femmes et des vieillards, s’allonge inexorablement chaque jour, à Gaza et aussi en Cisjordanie.
Certes l’inhumanité des actes à caractère terroriste commis par le Hamas permet à Israël traumatisé dans son existence même d’invoquer la légitime défense. Mais cette notion, qui suppose une riposte proportionnée, n’autorise nullement le recours à une violence elle-même inhumaine dictée par une vengeance aveugle.
Les bombardements à Gaza – « un déluge de fer, de feu, de sang » selon le journal Le Monde – frappent indistinctement les populations civiles, entraînant la mort de milliers d’innocents ; les hôpitaux ne peuvent plus fonctionner ; les infrastructures nécessaires à la vie quotidienne sont massivement détruites ; et malgré un début d’aide au compte-gouttes, les habitants demeurent privés d’eau, d’électricité, de carburant, de nourriture, de médicaments.
La situation humanitaire est d’autant plus catastrophique que les organisations internationales sont entravées dans leur capacité d’apporter aide et secours. La tragédie gazaouie ne doit pas en outre occulter l’aggravation des tensions en Cisjordanie où la violence des colons, appuyés par l’armée d’occupation israélienne, a déjà provoqué la mort d’au moins deux cents Palestiniens, sans compter la multiplication des arrestations et internements arbitraires dont ceux-ci sont victimes.
La priorité absolue est de mettre un terme à cette accumulation d’horreurs insoutenables. Il est impératif de persister à réclamer sans relâche et avec une détermination accrue l’application pure et simple du droit humanitaire international supposant : la libération immédiate de tous les otages détenus par le Hamas, un cessez-le-feu avec la fin des bombardements et du déplacement forcé de la population, la protection de tous les civils en Israël, à Gaza, en Cisjordanie, la mise en place d’un corridor humanitaire largement ouvert pour les déplacements de personnes et le passage de tous les produits de première nécessité, la levée intégrale du blocus de Gaza.
D’ores et déjà, il y a lieu aussi, comme cela s’est fait rapidement en Ukraine, d’exiger que les responsables des atrocités commises soient poursuivis en justice. L’impunité ne saurait continuer à prévaloir dans cette région du monde. La Cour pénale internationale (CPI), compétente pour juger les crimes de guerre voire les crimes contre l’humanité imputables à chacune des deux parties, est saisie de plusieurs plaintes déposées, et le Procureur Monsieur Karim Khan a affiché avec force son engagement en affirmant qu’au milieu de la fureur des règles d’humanité s’appliquent qui ne peuvent être transgressées.
Au-delà de l’urgence à obtenir la fin des hostilités, c’est dès maintenant le processus d’une paix future qu’il convient d’essayer de relancer. Le fondement doit en être le respect du droit international. Israël n’obtiendra jamais au mépris de ce droit et par le seul recours à la force la sécurité qui lui est due à l’intérieur d’un État aux frontières sûres et garanties.
La violence des uns continuera d’engendrer la violence des autres. Ce sont bien plutôt les résolutions des Nations unies qui doivent enfin être appliquées, avec notamment l’arrêt de la colonisation et le retrait par Israël des territoires occupés. Afin d’y parvenir, compte tenu du caractère illusoire d’une paix négociée entre les seuls protagonistes du conflit eux-mêmes, il est indispensable de voir intervenir la communauté internationale.
L’ONU semble commencer à sortir de son impuissance avec d’abord le vote d’une résolution de l’assemblée générale exigeant une trêve humanitaire, puis une décision du Conseil de Sécurité allant enfin dans le même sens, et aussi la volonté manifestée par le Secrétaire général António Guterres de peser sur les protagonistes en leur rappelant qu’ « aucune partie à un conflit armé ne peut se considérer au-dessus du droit international ».
L’Union européenne dispose également de divers moyens de pression pour enrayer une surenchère meurtrière. Toutefois, chacun sait que la puissance déterminante pour contraindre Israël à abandonner la seule logique de la force et à retrouver le chemin de la négociation demeure les Etats-Unis dont le président paraît infléchir ses prises de position initiales d’un soutien inconditionnel à Israël.
C’est cette même position unilatérale qu’a affichée dans un premier temps le président français, qui a ensuite multiplié les maladresses pour finalement rendre sa politique illisible et se trouver discrédité sur la scène internationale. Une telle absence de cohérence et d’équilibre s’est avérée d’autant plus dommageable que le conflit au Proche-Orient a, comme à chaque escalade de la violence, des répercussions sérieuses à l’intérieur même du territoire français sur lequel se trouvent la plus importante communauté juive après les États-Unis ainsi qu’une nombreuse population arabo-musulmane.
Tout doit être mis en œuvre pour apaiser et non exacerber les tensions.
À l’échelle internationale, cela suppose que la France fasse enfin entendre une voix claire et forte pour condamner sans sélectivité tous les crimes de masse commis, et en exiger la cessation, de même que de toutes les violations du droit international. La meilleure garantie pour l’existence et la sécurité d’Israël passe par la reconnaissance de droits équivalents pour les Palestiniens à disposer d’un État avec la cessation de l’occupation des territoires colonisés.
À l’intérieur de notre pays, cette même recherche de pacification suppose pour les autorités françaises de combattre avec une fermeté égale toutes les formes d’antisémitisme et de racisme, toutes les discriminations et tous les fauteurs de haine. C’est dans ce contexte que la LDH, prônant le dialogue, soutient et initie toutes actions et manifestations tendant à l’union et non à la division, en revendiquant le respect de droits équivalents pour les Israéliens et les Palestiniens, pour les Juifs et les Arabes.
P comment il se fait que 15 millions environ de Juifs à travers le monde mettent à genoux 1 milliard environ de musulmans. à travers le monde ?
"Quand annoncera-t-on la mort des Arabes ?"
1 J'essaie, depuis l'enfance, de dessiner ces pays Qu'on appelle-allégoriquement-les pays des Arabes Pays qui me pardonneraient si je brisais le verre de la lune... Qui me remercieraient si j'écrivais un poème d'amour Et qui me permettraient d'exercer l'amour Aussi librement que les moineaux sur les arbres... J'essaie de dessiner des pays... Qui m'apprendraient à toujours vivre au diapason de l'amour Ainsi, j'étendrai pour toi, l'été, la cape de mon amour Et je presserai ta robe, l'hiver, quand il se mettra à pleuvoir...
2 J'essaie de dessiner des pays... Avec un Parlement de jasmin... Avec un peuple aussi délicat que le jasmin... Où les colombes sommeillent au dessus de ma tête Et où les minarets dans mes yeux versent leurs larmes J'essaie de dessiner des pays intimes avec ma poésie Et qui ne se placent pas entre moi et mes rêveries Et où les soldats ne se pavanent pas sur mon front J'essaie de dessiner des pays... Qui me récompensent quand j'écris une poésie Et qui me pardonnent quand déborde le fleuve de ma folie...
3 J'essaie de dessiner une cité d'amour Libérée de toutes inhibitions... Et où la féminité n'est pas égorgée... ni nul corps opprimé
4 J'ai parcouru le Sud... J'ai parcouru le Nord... Mais en vain... Car le café de tous les cafés a le même arôme... Et toutes les femmes-une fois dénudées Sentent le même parfum... Et tous les hommes de la tribu ne mastiquent point ce qu'ils mangent Et dévorent les femmes une à la seconde
5 J'essaie depuis le commencement... De ne ressembler à personne... Disant non pour toujours à tout discours en boîte de conserve Et rejetant l'adoration de toute idole...
6 J'essaie de brûler tous les textes qui m'habillent Certains poèmes sont pour moi une tombe Et certaines langues linceul. Je pris rendez-vous avec la dernière femme Mais j'arrivai bien après l'heure.
7 J'essaie de renier mon vocabulaire De renier la malédiction du "Mubtada" et du "Khabar" De me débarrasser de ma poussière et me laver le visage à l'eau de pluie... J'essaie de démissionner de l'autorité du sable... Adieu Koraich... Adieu Kouleib... Adieu Mudar...
8 J'essaie de dessiner ces pays Qu'on appelle-allégoriquement- les pays des Arabes, Où mon lit est solidement attaché, Et où ma tête est bien ancrée, Pour que je puisse différencier entre les pays et les vaisseaux... Mais... ils m'ont pris ma boîte de dessin, M'interdisent de peindre le visage de mon pays...;
9 J'essaie depuis l'enfance D'ouvrir un espace en jasmin. J'ai ouvert la première auberge d'amour... dans l'histoire des Arabes... Pour accueillir les amoureux... Et j'ai mis fin à toutes les guerres d'antan entre les hommes.et les femmes, Entre les colombes... et ceux qui égorgent les colombes... Entre le marbre... et ceux qui écorchent la blancheur du marbre... Mais... ils ont fermé mon auberge... Disant que l'amour est indigne de l'Histoire des Arabes De la pureté des Arabes... De l'héritage des Arabes... Quelle aberration!!
10 J'essaie de concevoir la configuration de la patrie ? De reprendre ma place dans le ventre de ma mère, Et de nager à contre courant du temps, Et de voler figues, amandes, et pêches, Et de courir après les bateaux comme les oiseaux J'essaie d'imaginer le jardin de l'Eden? Et les potentialités de séjour entre les rivières d'onyx? Et les rivières de lait... Quand me réveillant... je découvris la futilité de mes rêves. Il n'y avait pas de lune dans le ciel de Jéricho... Ni de poisson dans les eaux de l'Euphrate... Ni de café à Aden...
11 J'essaie par la poésie... de saisir l'impossible... Et de planter des palmiers... Mais dans mon pays, ils rasent les cheveux des palmiers... J'essaie de faire entendre plus haut le hennissement des chevaux; Mais les gens de la cité méprisent le hennissement !!
12 J'essaie, Madame, de vous aimer... En dehors de tous les rituels... En dehors de tous textes. En dehors de tous lois et de tous systèmes. J'essaie, Madame, de vous aimer... Dans n'importe quel exil où je vais... Afin de sentir, quand je vous étreins, que je serre entre mes bras le terreau de mon pays.
13 J'essaie -depuis mon enfance- de lire tout livre traitant des prophètes des Arabes, Des sages des Arabes... des poètes des Arabes... Mais je ne vois que des poèmes léchant les bottes du Khalife pour une poignée de riz... et cinquante dirhams... Quelle horreur!! Et je ne vois que des tribus qui ne font pas la différence entre la chair des femmes... Et les dates mûres... Quelle horreur!! Je ne vois que des journaux qui ôtent leurs vêtements intimes... Devant tout président venant de l'inconnu.. Devant tout colonel marchant sur le cadavre du peuple... Devant tout usurier entassant entre ses mains des montagnes d'or... Quelle horreur!!
14 Moi, depuis cinquante ans J'observe la situation des Arabes. Ils tonnent sans faire pleuvoir... Ils entrent dans les guerres sans s'en sortir... Ils mâchent et rabâchent la peau de l'éloquence Sans en rien digérer.
15 Moi, depuis cinquante ans J'essaie de dessiner ces pays Qu'on appelle-allégoriquement- les pays des Arabes, Tantôt couleur de sang, Tantôt couleur de colère. Mon dessin achevé, je me demandai : Et si un jour on annonce la mort des Arabes... Dans quel cimetière seront-ils enterrés? Et qui les pleurera? Eux qui n'ont pas de filles... Eux qui n'ont pas de garçons... Et il n'y a pas là de chagrin Et il n'y a là personne pour porter le deuil!!
16 J'essaie depuis que j'ai commencé à écrire ma poésie De mesurer la distance entre mes ancêtres les Arabes et moi-même. J'ai vu des armées... et point d'armées... J'ai vu des conquêtes et point de conquêtes... J'ai suivi toutes les guerres sur la télé... Avec des morts sur la télé... Avec des blessés sur la télé... Et avec des victoires émanant de Dieu... sur la télé...
17 Oh mon pays, ils ont fait de toi un feuilleton d'horreur Dont nous suivons les épisodes chaque soir Comment te verrions-nous s'ils nous coupent le courant??
18 Moi, après cinquante ans, J'essaie d'enregistrer ce que j'ai vu... J'ai vu des peuples croyant que les agents de renseignements Sont ordonnés par Dieu... comme la migraine... comme le rhume... Comme la lèpre... comme la gale... J'ai vu l'arabisme mis à l'encan des antiquités, Mais je n'ai point vu d'Arabes !!
Nizar Qabbani
Nizar Qabbani
On nous accuse de terrorisme Si nous prenons la défense D’une rose, d’une femme Et d’un infaillible poème D’une patrie qui n’a plus Ni eau ni air Ni tente ni chamelle Ni même de café noir. On nous accuse de terrorisme Si nous avons le courage de défendre La chevelure noire de Balqis Les lèvres de Maysoun … Hind, Daâd Ou Loubna et Rabab Et une pluie de khôl noir Tombant de leurs cils comme une inspiration ! Vous ne trouverez pas chez moi De poème secret… De langage secret Ni de livre secret enfermé derrière portes closes Et je ne garde pas de poème Arpentant les rues, voilé par un hijab. On nous accuse de terrorisme Quand nous écrivons sur les dépouilles de notre patrie Foulée, démembrée, déchiquetée Aux moignons dispersés Une patrie cherchant son nom Et un peuple innommé Une patrie qui a perdu ses anciens grands poèmes À l’exception de ceux de Khansa Une patrie qui a perdu sa liberté rouge, bleue ou jaune Une patrie qui nous interdit D’acheter un journal D’écouter les informations Une patrie où les oiseaux sont interdits de pépiement Une patrie Dont les écrivains écrivent Sur le vent, par peur. Une patrie À l’image de notre poésie Faite de mots abandonnés Hors du temps Importés Avec une face et une langue étrangères… Sans début Ni fin Sans lien avec son peuple ou son pays Impasse de l’humanité Une patrie Allant aux négociations de paix Sans dignité Nu-pieds Et sans aucune dignité Une patrie Où les hommes pris de peur se sont pissé dessus Et où seules restent les femmes !
Ce qui se passe à l'heure actuelle en Cisjordanie est absolument scandaleux. En réalité, ce que les colons sont en train de faire, c'est un nettoyage ethnique", Gérard Araud, ancien ambassadeur de France en Israël était l'invité de Un œil sur le monde...
Pour l’historien, spécialiste de la Palestine, professeur au collège de France, « l’effondrement des conditions sanitaires et l’absence de ravitaillement à destination des populations concernées peuvent indiquer que l’on est sur la voie d’un processus de destruction de masse » dans la bande de Gaza.
l’historienL’historien et universitaire Henry Laurens est l’un des plus grands spécialistes du Moyen-Orient. Professeur au Collège de France où il est titulaire de la chaire d’histoire contemporaine du monde arabe, il a mis la question palestinienne au cœur de son travail. Il est l’auteur de très nombreux livres dont cinq tomes sans équivalent publiés entre 1999 et 2015, consacrés à La question de Palestine (Fayard).
Dans un entretien à Mediapart, il éclaire de sa connaissance l’exceptionnalité du conflit israélo-palestinien et le « corps à corps que même l’émotion n’arrive pas à séparer » dans lesquels les deux peuples sont pris depuis des décennies. Il dit son pessimisme quant à la résolution du conflit qui peut durer « des siècles » : « Vous ne pouvez espérer de sortie possible que par une décolonisation, mais à horizon immédiat, cette décolonisation n’est pas faisable. Dans les années 1990, elle l’était. Il y avait 30 000 colons. Aujourd’hui, ils sont 500 000 dont quelques dizaines de milliers qui sont des colons ultrareligieux et armés. »
Plus d’une vingtaine de rapporteurs de l’organisation des Nations unies (ONU) s’inquiètent d’« un génocide en cours » à Gaza. Est-ce que vous employez ce terme ?
Il y a deux sens au terme de « génocide ». Il y a le génocide tel que défini par l’avocat polonais Raphael Lemkin en 1948, la seule définition juridique existante, aujourd’hui intégrée au protocole de Rome créant la CPI [Cour pénale internationale – ndlr]. Lemkin a été obligé, pour que ce soit voté par les Soviétiques et par le bloc de l’Est, d’éliminer les causes politiques du génocide – massacrer des gens dans le but de détruire une classe sociale –, parce qu’il aurait fallu reconnaître le massacre des koulaks par les Soviétiques.
La définition de Lemkin implique que ceux qui commettent un génocide appartiennent à un autre peuple que celui des victimes. D’où le problème aussi qu’on a eu avec le Cambodge, qu’on ne pouvait pas appeler un génocide parce que c’étaient des Cambodgiens qui avaient tué des Cambodgiens. Là, on est dans une définition étroite. C’était le prix à payer pour obtenir un accord entre les deux Blocs dans le contexte du début de la guerre froide.
Vous avez ensuite une définition plus large du terme, celui d’une destruction massive et intentionnelle de populations quelles qu’en soient les motivations.
Il existe donc deux choses distinctes : la première, ce sont les actes, et la seconde, c’est l’intention qui est derrière ces actes. Ainsi le tribunal international pour l’ex-Yougoslavie a posé la différence entre les nettoyages ethniques dont la motivation n’est pas génocidaire parce que l’extermination n’était pas recherchée, même si le nombre de victimes était important, et les actes de génocide comme celui de Srebrenica, où l’intention était claire.
On voit ainsi que le nombre de victimes est secondaire. Pour Srebrenica, il est de l’ordre de 8 000 personnes.
L’inconvénient de cette logique judiciaire est de conduire à une casuistique de l’intentionnalité, ce qui ne change rien pour les victimes.
Au moment où nous parlons, le nombre de victimes dans la bande de Gaza est supérieur à celui de Srebrenica. On a, semble-t-il, dépassé la proportion de 0,5 % de la population totale. Si on compare avec la France, cela donnerait 350 000 morts.
Le discours israélien évoque des victimes collatérales et des boucliers humains. Mais de nombreux responsables israéliens tiennent des discours qui peuvent être qualifiés de génocidaires. L’effondrement des conditions sanitaires et l’absence même de ravitaillement à destination des populations concernées peuvent indiquer que l’on est sur la voie d’un processus de destruction de masse avec des controverses à n’en plus finir sur les intentionnalités.
La solution à deux États n’est plus possible.
La crainte d’une seconde « Nakba » (catastrophe), en référence à l’exil massif et forcé à l’issue de la guerre israélo-arabe de 1948, hante les Palestiniens. Peut-on faire le parallèle avec cette période ?
La Nakba peut être considérée comme un nettoyage ethnique, en particulier dans les régions autour de l’actuelle bande de Gaza où l’intentionnalité d’expulsion est certaine. Des responsables israéliens appellent aujourd’hui à une expulsion de masse. C’est d’ailleurs pour cela que l’Égypte et la Jordanie ont fermé leurs frontières.
Dans l’affaire actuelle, les démons du passé hantent les acteurs. Les juifs voient dans le 7 octobre une réitération de la Shoah et les Palestiniens dans les événements suivants celle de la Nakba.
Faut-il craindre une annexion de la bande de Gaza par Israël avec des militaires mais aussi des colons ?
En fait, personne ne connaît la suite des événements. On ne voit personne de volontaire pour prendre la gestion de la bande de Gaza. Certains responsables israéliens parlent de « dénazification » et il y a une dimension de vengeance dans les actes israéliens actuels. Mais les vengeances n’engendrent que des cycles permanents de violence.
Quelle est votre analyse des atrocités commises le 7 octobre 2023 par le Hamas ?
Elles constituent un changement considérable, parce que la position de l’État d’Israël est profondément modifiée au moins sur deux plans : premièrement, le pays a subi une invasion pour quelques heures de son territoire, ce qui n’est pas arrivé depuis sa création ; deuxièmement, le 7 octobre marque l’échec du projet sioniste tel qu’il a été institué après la Seconde Guerre mondiale, un endroit dans le monde où les juifs seraient en position de sécurité. Aujourd’hui, non seulement l’État d’Israël est en danger, mais il met en danger les diasporas qui, dans le monde occidental, se trouvent menacées ou, en tout cas, éprouvent un sentiment de peur.
Le dernier tome de votre série consacrée à « La question de Palestine » (Fayard) était intitulé « La paix impossible » et courait sur la période 1982-2001. Vous étiez déjà très pessimiste quant à la résolution de ce conflit, mais aussi concernant l’avenir de la région, comme si elle était condamnée à demeurer cette poudrière. Est-ce que vous êtes encore plus pessimiste aujourd’hui ? Ou est-ce que le conflit israélo-palestinien vous apparaît soluble, et si oui, quelle issue apercevez-vous ?
La réelle solution théorique serait d’arriver à un système de gestion commune et équitable de l’ensemble du territoire. Mais un État unitaire est difficile à concevoir puisque les deux peuples ont maintenant plus d’un siècle d’affrontements.
Qu’en est-il de la solution à deux États, dont le principe a été adopté en 1947 par l’ONU, après la fin du mandat britannique ? Est-elle possible ?
La solution à deux États n’est plus possible dès lors que vous avez 500 000 colons, dont quelques dizaines de milliers qui sont des colons ultrareligieux et armés. Vous avez une violence quotidienne en Cisjordanie. La sécurité des colons ne peut se fonder que sur l’insécurité des Palestiniens. Et l’insécurité des Palestiniens provoque la violence qui engendre l’insécurité des colons.
C’est un cercle vicieux et vous ne pouvez espérer de sortie possible que par une décolonisation, mais à horizon immédiat, cette décolonisation n’est pas faisable. Dans les années 1990, elle l’était. Il y avait 30 000 colons. On pouvait, sans trop de dégâts, faire une décolonisation de la Cisjordanie et de la bande de Gaza.
Aujourd’hui, nous sommes dans une position de domination, et cette solution peut prendre des siècles parce qu’il y a l’exceptionnalité juive qui crée une exceptionnalité israélienne qui elle-même crée une exceptionnalité palestinienne. C’est-à-dire que sans être péjoratif, les Palestiniens deviennent des juifs bis.
Qu’entendez-vous par là ?
Nous sommes depuis le 7 octobre devant un grand nombre de victimes. Mais ces dernières années, nous en avons eu bien plus en Irak, en Syrie, au Soudan et en Éthiopie. Cela n’a pas provoqué l’émoi mondial que nous connaissons aujourd’hui. L’émotion a été suscitée parce que les victimes étaient juives, puis elle s’est déplacée sur les victimes palestiniennes. Les deux peuples sont dans un corps à corps que même l’émotion n’arrive pas à séparer.
Les années 1990 ont été marquées par les accords d’Oslo en 1993. Relèvent-ils du mirage aujourd’hui ?
Non, on pouvait gérer une décolonisation. Mais déjà à la fin des accords d’Oslo, il n’y a pas eu décolonisation mais doublement de la colonisation sous le gouvernement socialiste et ensuite sous le premier gouvernement Nétanyahou. Ce sont l’occupation, la colonisation, qui ont amené l’échec des processus. Il n’existe pas d’occupation, de colonisation pacifique et démocratique.
Aujourd’hui, c’est infiniment plus difficile à l’aune de la violence, des passions, des derniers événements, des chocs identitaires, de la haine tout simplement. Qui plus est, depuis une trentaine d’années, vous avez une évolution commune vers une vision religieuse et extrémiste, aussi bien chez les juifs que chez les Palestiniens.
La Palestine fonctionne en jeu à somme nulle, le progrès de l’un se fait au détriment de l’autre.
Vous voulez dire que le conflit territorial est devenu un conflit religieux ?
Il a toujours été religieux. Dès l’origine, le mouvement sioniste ne pouvait fonctionner qu’en utilisant des références religieuses, même si ses patrons étaient laïcs. La blague de l’époque disait que les sionistes ne croyaient pas en Dieu mais croyaient que Dieu leur avait promis la Terre promise.
Le projet sioniste, même s’il se présentait comme un mouvement de sauvetage du peuple juif, ne pouvait fonctionner qu’en manipulant les affects. Il était de nature religieuse puisqu’il renvoyait à la Terre sainte. Vous avez une myriade d’endroits qui sont des symboles religieux, mais qui sont aussi des symboles nationaux, aussi bien pour les juifs que pour les musulmans : l’esplanade des Mosquées, le tombeau des Patriarches, le mur des Lamentations. Et puis il y a les gens qui se sentent mandatés par Dieu.
De même, les musulmans ont cherché des alliés en jouant sur la solidarité islamique. Dès les années 1930, la défense de la mosquée Al-Aqsa est devenue un thème fédérateur.
Pourquoi est-il devenu difficile d’invoquer une lecture coloniale du conflit depuis les massacres du Hamas du 7 octobre ?
Le sionisme est à l’origine un corps étranger dans la région. Pour arriver à ses fins, il a eu besoin d’un soutien européen avant 1914, puis britannique et finalement américain. Israël s’est posé comme citadelle de l’Occident dans la région et conserve le discours colonial de la supériorité civilisatrice et démocratique. Cet anachronisme est douloureusement ressenti par les autres parties prenantes.
Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, les responsables sionistes n’hésitaient pas à se comparer à la colonisation britannique en Afrique noire avec la nécessité de mater les protestations indigènes.
La Palestine fonctionne en jeu à somme nulle, le progrès de l’un se fait au détriment de l’autre. La constitution de l’État juif impliquait un « transfert » de la population arabe à l’extérieur, terme poli pour « expulsion ». La confiscation des terres détenues par les Arabes en est le corollaire. Les régions où ont eu lieu les atrocités du 7 octobre étaient peuplées d’Arabes qui ont été expulsés en 1948-1950.
Dire cela, c’est se faire accuser de trouver des excuses au terrorisme. Dès que vous essayez de donner des éléments de compréhension, vous vous confrontez à l’accusation : « Comprendre, c’est excuser. » Il faut bien admettre que le Hamas dans la bande de Gaza recrute majoritairement chez les descendants des expulsés. Cela ne veut pas dire approuver ce qui s’est passé.
Le slogan « From the river to the sea, Palestine will be free » (« De la rivière à la mer, la Palestine sera libre ») utilisé par les soutiens de la Palestine fait polémique. Est-ce vouloir rayer de la carte Israël ou une revendication légitime d’un État palestinien ?
Il a été utilisé par les deux parties et dans le même sens. Les mouvements sionistes, en particulier la droite sioniste, ont toujours dit que cette terre devait être juive et israélienne au moins jusqu’au fleuve. Le parti de l’ancêtre du Likoud voulait même annexer l’ensemble de la Jordanie.
Chez certains Palestiniens, on a une vision soft qui consiste à dire que « si nous réclamons un État palestinien réunissant la bande de Gaza et la Cisjordanie, nous considérons l’ensemble de la terre comme la Palestine historique, comme partie de notre histoire, mais nous ne la revendiquons pas dans sa totalité ».
Israël depuis sa fondation n’a pas de frontières définies internationalement. Il a toujours revendiqué la totalité de la Palestine mandataire, voire plus. Il a ainsi rejeté l’avis de la Cour internationale de justice qui faisait des lignes d’armistice de 1949 ses frontières permanentes.
Cette indétermination se retrouve de l’autre côté. La libération de la Palestine renvoie à la totalité du territoire. D’autres exigeaient la carte du plan de partage de 1947. Pour l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), faire l’État palestinien sur les territoires occupés en 1968 était la concession ultime.
Les Arabes en général ont reçu sans grand problème les réfugiés arméniens durant la Grande Guerre et les années suivantes. Ces Arméniens ont pu conserver l’essentiel de leur culture. Mais il n’y avait pas de question politique. Il n’était pas question de créer un État arménien au Levant.
Dès le départ, les Arabes de Palestine ont vu dans le projet sioniste une menace de dépossession et d’expulsion. On ne peut pas dire qu’ils ont eu tort…
Le meilleur moyen de contrer le Hamas est d’offrir aux Palestiniens une vraie perspective politique et non de bonnes paroles et quelques aides économiques qui sont des emplâtres sur des jambes de bois.
Le mouvement islamiste palestinien, le Hamas, classé terroriste par l’Union européenne et les États-Unis, est aujourd’hui le principal acteur de la guerre avec Israël…
Définir l’ennemi comme terroriste, c’est le placer hors la loi. Bien des épisodes de décolonisation ont vu des « terroristes » devenir du jour au lendemain des interlocuteurs valables.
Bien sûr, il existe des actes terroristes et les atrocités du 7 octobre le sont. Mais c’est plus une méthodologie qu’une idéologie. C’est une forme de guerre qui s’en prend aux civils selon les définitions les plus courantes. Jamais un terroriste ne s’est défini comme tel. Il se voit comme un combattant légitime et généralement son but est d’être considéré comme tel. Avec l’État islamique et le 7 octobre, on se trouve clairement devant un usage volontaire de la cruauté.
La rhétorique habituelle est de dire que l’on fait la guerre à un régime politique et non à un peuple. Mais si on n’offre pas une perspective politique à ce peuple, il a le sentiment que c’est lui que l’on a mis hors la loi. Il le voit bien quand on dit « les Israéliens ont le droit de se défendre », mais apparemment pas quand il s’agit de Palestiniens.
D’aucuns expliquent qu’Israël a favorisé l’ascension du Hamas pour qu’un vrai État palestinien indépendant ne voie jamais le jour au détriment de l’autorité palestinienne qui n’administre aujourd’hui plus que la Cisjordanie. Est-ce que le Hamas est le meilleur ennemi des Palestiniens ?
Incontestablement,les Israéliens ont favorisé les Frères musulmans de la bande de Gaza dans les années 1970 et 1980 pour contrer les activités du Fatah. De même, après 2007, ils voulaient faire du Hamas un sous-traitant chargé de la bande de Gaza, comme l’Autorité palestinienne l’est pour la Cisjordanie.
Le meilleur moyen de contrer le Hamas est d’offrir aux Palestiniens une vraie perspective politique et non de bonnes paroles et quelques aides économiques qui sont des emplâtres sur des jambes de bois.
Quel peut être l’avenir de l’Autorité palestinienne, aujourd’hui déconsidérée ? Et du Fatah, le parti du président Mahmoud Abbas, pressé par la base de renouer avec la lutte armée et le Hamas ?
Le seul acquis de l’Autorité palestinienne, ou plus précisément de l’OLP, c’est sa légitimité diplomatique. Sur le terrain, elle est perçue comme un sous-traitant de l’occupation israélienne incapable de contrer un régime d’occupation de plus en plus dur. Elle est dans l’incapacité de protéger ses administrés. Le risque majeur pour elle est tout simplement de s’effondrer.
Le Hamas appelle les Palestiniens de Cisjordanie à se soulever. Un soulèvement généralisé des Palestiniens peut-il advenir ?
En Cisjordanie, on a surtout de petits groupes de jeunes armés totalement désorganisés. Mais la violence et la répression sont devenues quotidiennes et les violences permanentes. À l’extérieur, l’Occident apparaît complice de l’occupation et de la répression israéliennes. L’Iran, la Chine et la Russie en profitent.
Ben Gourion disait que la victoire du sionisme était d’avoir transformé la question juive en problème arabe. Les derniers événements semblent montrer que le problème arabe est en train de redevenir une question juive.
Le premier tome de votre monumentale « Question de Palestine » s’ouvre sur 1799, lorsque l’armée de Napoléon Bonaparte entre en Palestine, il court jusqu’en 1922. Avec cette accroche : l’invention de la Terre sainte. En quoi cette année est-elle fondatrice ?
En 1799, l’armée de Bonaparte parcourt le littoral palestinien jusqu’à Tyr. En Europe, certains y voient la possibilité de créer un État juif en Palestine. Mais l’ouverture de la Terre sainte aux Occidentaux est aussi l’occasion d’une lutte d’influences entre puissances chrétiennes.
Dans le tome 4, « Le rameau d’olivier et le fusil du combattant » (1967-1982), vous revenez sur ce qui a été un conflit israélo-arabe, puis un conflit israélo-palestinien. Est-ce que cela peut le redevenir ?
Jusqu’en 1948, c’est un conflit israélo-palestinien avant tout. En 1948, cela devient un conflit israélo-arabe avec une dimension palestinienne. À partir de la fin des années 1970, la dimension palestinienne redevient essentielle.
Ben Gourion disait que la victoire du sionisme était d’avoir transformé la question juive en problème arabe. Les derniers événements semblent montrer que le problème arabe est en train de redevenir une question juive.
Le rôle des États-Unis a toujours été déterminant dans ce conflit. Que nous dit leur position aujourd’hui ?
La question de Palestine est en même temps une question intérieure pour les pays occidentaux du fait de l’histoire de la Shoah et de la colonisation. Il s’y ajoute aux États-Unis une dimension religieuse du fait du biblisme protestant et du « pionniérisme ». Les Palestiniens leur semblent être quelque part entre les Indiens et les Mexicains…
La « République impériale » vient encore de montrer son impressionnante capacité de projection militaire dans la région, mais aussi son incapacité à obtenir un règlement politique satisfaisant.
Pourquoi ce conflit déclenche-t-il autant de passions et clive-t-il autant dans le monde entier, où comme en France, le président appelle à « ne pas importer le conflit » ?
C’est un conflit gorgé d’histoire. La Terre sainte est celle des trois religions monothéistes. Le conflit lui-même porte avec lui la mémoire de la Shoah et de la colonisation, d’où l’extraordinaire position d’exceptionnalité des acteurs.
Vous avez écrit cinq tomes sur la question de Palestine. Après l’ultime « La Paix impossible », quel pourrait être le sixième ?
Peut-être le retour de la question juive, mais c’est loin d’être une perspective encourageante
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