Je suis un enfant de Gaza Un enfant des tunnels Pas un enfant de la lumière J'ai du plomb durci dans les oreilles Pas le droit d'avoir un cahier Pas le droit d'avoir un crayon Des fois je regarde la télé Fêtes foraines chevaux de bois Enfants glissant dans les toboggans Moi je ne connais pas c'est pas grave à Gaza La science-fiction c'est pas du cinéma En mer les rodéos des navires de guerre Equipages prêts à l'abordage Les monstres d'acier chenilles géantes Font auto-tamponneuse au milieu des vergers Les tanks écrabouillent les maisons Projettent en l'air divans et petits lits d'enfant A l'affût de leurs proies les drones visent et piquent Juchés dans leurs tourelles les chevaliers du nouvel âge Mitraillent mitraillent tout sur leur passage C'est la nuit en plein jour Les explosions des feux d'artifice meurtriers Tout au long de la nuit Le vivant et le non vivant Les hommes les plantes Les bêtes les oiseaux et les cailloux Rien ne bouge mille lieux à la ronde Pluie de bombes, bombes au phosphore Bombes à fragmentation Cela a commencé le 27 décembre 2008 A onze heures trente du matin Cela s'est terminé le 18 janvier 2009 A 19 heures trente du soir Des vagues de 14 mètres l'une après l'autre L'une après l'autre Un tremblement de terre magnitude neuf Nuit et jour par terre, mer et ciel Par terre, mer et ciel Nuit et jour nuit et jour Les bombes déchirent le ciel Déchirent les corps Bombes à fragmentation qui explosent En milliers de fragments de quelques millimètres Bombes au phosphore qui brûlent Comme une mèche de saindoux La flamme fait Pischt et laisse des moignons Des moignons jamais vus Comme les chevaliers du nouvel âge La vie de l'un d'entre eux dit-on Vaut plus que la vie de cent enfants de Gaza Cela a commencé le 27 décembre 2008 11 heures trente du matin Cela s'est terminé le 18 janvier 2009 19 heures trente du soir Fukushima à Gaza L'enfer sur terre Pas de secours pas de télé Celui-là qui se pavane sur toutes les tribunes du monde Est venu caché dans la tourelle Il a tout vu et il a dit Comme ils sont bons comme ils sont gentils Les Martiens des temps nouveaux Je suis un enfant de Gaza Jadis terre de haute civilisation Jadis avant que la beauté du monde Ne meure à Gaza Avant le temps des Martiens Aujourd'hui une planète hors orbite Une planète sans nom Car l'enfer sur terre n'a pas de nom Un million six cent mille Hommes femmes et enfants Pris au piège comme des rats Obligés de passer par les tunnels Pour accéder à la vie belle La vie qui vaut la peine d'être vécue La vie sans barbelés et navires de guerre Sans drones et sans Martiens Gaza une bande de sable brûlée par le soleil Dix kilomètres sur quarante Quelques centimètres au-dessus de la mer Comme il faisait bon autrefois Se baigner manger des pastèques et se promener Avant de partir ils ont tout cassé Les bêtes même ne peuvent plus boire l'eau des puits Pas de cave pas de colline Pas de pont d'aéroport Juste des tunnels et le « Couloir de Philadelphie » Quatorze kilomètres au sud de Gaza Désolation extrême Là-bas aux Etats-Unis dans les prisons A très haute sécurité les condamnés à mort Empruntent le couloir du même nom Après avoir fumé leur dernière cigarette Reçu la bénédiction du prêtre Pour aller s'asseoir sur la chaise électrique Et dire bye bye à cette terre Je suis un enfant de Gaza Pas un enfant de la lumière Des fois je m'assieds au bord de lamer Et je m'envole vers Fukushima J'ai fait un dessin pour les enfants de Fukushima Je leur dis vous n'êtes pas seuls Je sais je sais tout Je sais l'horreur le cataclysme Les camps ensevelis sous les décombres Le plomb durci dans les oreilles Les cris les hurlements les bombes les sirènes La dévastation la terre polluée l'eau contaminée Pour des milliards d'années Je sais tout j'ai tout vu Je vous embrasse Moi enfant de Gaza
Dédié aux enfants de Gaza et de Fukushima Olivia Elias, 26 février 2013.
Brave peuple qui ne fléchit point devant l'adversité.
Gaza garde l'espoir au creux de son corps.
Le sang des innocents montent vers le Très-Haut pour demander justice.
Le cri de tes enfants résonnent dans l'air comme le son de l'angélus.
Le monde entier voit leurs yeux innocents remplis de peur et de stupeur.
Mais, nonobstant la puissance de feu, les blessures et les destructions,
Tu résistes avec héroïsme et continues de te battre au nom de la Justice.
Justice, Justice, Justice !
Tu as un Amour indéfectible pour la Justice, une force incommensurable qu'aucune arme ne saurait briser.
Dans les décombres fumants de cette bande de Terre,
Ta résilience extraordinaire brille comme un phare dans les ténèbres.
Si ton sort dépendait des opinions publiques, les trois quarts de la Terre voteraient pour toi, Ô Gaza !
Les larmes d'indignation et de douleur sont essuyées par la solidarité d'un monde qui aspire au meilleur.
Les mots que je t'offre ne peuvent pas guérir tes ulcères,
Cependant, je te fais une promesse : tu verras Jérusalem descendre du Ciel comme une épouse.
Sa traîne n'est pas maculée de sang.
Le monde élève une voix inaudible, parasitée par le bruit des canons, des avions, des chars et des mensonges, cela n'empêchera pas de dénoncer l'injustice, l'abomination des hommes au coeur mauvais.
Ni d'oeuvrer pour un avenir rempli de paix et de fraternité.
Gaza, Ô Gaza !
Tes souffrances ne sont pas oubliées,
Nous prions pour que ta Liberté soit retrouvée,
Que tes enfants puissent vivre sans peur ni oppression,
Et que brille enfin l'horizon de la compassion, la Justice.
Que le soleil brille dans ton coeur et que tes larmes deviennent sourires,
Que ta vie reprenne enfin son cours et son éclat,
Gaza, nous n'avons rien à t'offrir à part nos prières, mais nous t'envoyons un océan d'Amour et tout notre soutien spirituel,
Que nos prières montent vers le Très-Haut comme de l'encens,
Alors que le tribunal administratif se penche mercredi sur la résiliation du contrat d’association entre l’État et le lycée lillois, Mediacités révèle le déroulé de la commission consultative réunie par le préfet pour valider cette décision. Une réunion sous haute tension.
LilleLille (Nord).– Le 10 décembre 2023, le lycée privé musulman Averroès de Lille, sous contrat d’association avec l’État depuis 2008, apprenait qu’il perdait son agrément. Une décision contestée devant le tribunal administratif, qui examine cette requête ce mercredi 24 janvier.
La perte de l’agrément de l’État, rarissime, avait été décidée le 7 décembre par le désormais ex‐préfet du Nord Georges‐François Leclerc, et validée le 27 novembre par la « commission de concertation pour l’enseignement privé ». Cette entité composée d’élus locaux, de représentants de l’État ainsi que de représentants de l’enseignement privé, se réunissait alors pour la toute première fois.
Ce jour‐là, les membres de ladite commission ont voté par 16 voix pour, 0 contre et 9 abstentions en faveur de la résiliation du contrat d’association entre l’État et le lycée Averroès, ce qui signifie la fin de tout financement public pour l’établissement, donc sa mort programmée. Une décision que le préfet dit justifiée par des « faits graves ». Les deux heures et demie d’échanges de cette réunion révèlent pourtant d’importants biais et un dossier aux nombreuses fragilités.
Notre partenaire Mediacités a reconstitué le déroulé de cette audience à huis clos. Les éléments inédits que nous portons à la connaissance du public décrivent une commission qui n’aura eu de « concertation » que le nom, et qui s’assimile davantage à une chambre d’enregistrement afin d’entériner les positions radicales du préfet… mais aussi du président de la Région, Xavier Bertrand (Les Républicains, LR), qui s’y est invité pour l’occasion. Le tout dans une ambiance houleuse, sans respect du contradictoire et avec des arguments parfois énoncés au mépris des faits.
Il est 14 h 30, ce jeudi 27 novembre, à la préfecture du Nord. Le directeur du lycée Averroès, Éric D
ufour, le président de l’association en charge de l’établissement, Mohammed Damak, et le directeur financier, Makhlouf Mamèche, prennent place au côté de leurs avocats, Paul Jablonski et Joseph Breham, pour une rencontre qu’ils ne pouvaient pas imaginer aussi éprouvante.
À l’initiative de cette réunion, le préfet Georges‐François Leclerc préside les débats. Il ouvre la séance en citant les deux aspects qui doivent, selon lui, amener la commission à acter la résiliation du contrat d’association. À l’appui d’un rapport de la chambre régionale des comptes, il fait état d’un« financement potentiellement frauduleux et en tout état de cause non traçable sous la forme de prêts non remboursés ». Second grief énoncé en ouverture de la séance : le contenu du cours facultatif d’éthique musulmane qui contreviendrait selon lui « assez gravement aux principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ».
À peine a‑t‐il achevé son propos introductif que, déjà, le ton monte entre le préfet et Joseph Breham, l’un des deux avocats de l’association Averroès qui trépigne de répondre. « Qui êtes vous, monsieur ? interroge le préfet. Sachez que seul le directeur d’établissement ainsi que le président de l’association feront l’objet de mes questions. C’est mon privilège, c’est moi qui préside cette réunion. »« J’ai bien compris, monsieur le préfet, que la démocratie et la libre parole ne sont pas vos amours parfaits », rétorque Me Breham. Ambiance.
Un rapport confidentiel de la chambre régionale des comptes
À la suite de cette première passe d’armes, et durant près d’une heure, deux collaborateurs du préfet − Christophe Borgus, son directeur de cabinet, et Nicolas Gaillard, le secrétaire général − feront état de divers dysfonctionnements imputés à l’établissement. Un à un, ils restitueront les éléments du rapport de saisine du préfet, dont Mediapart a déjà pointé les erreurs et omissions.
La préfecture dit suspecter des prêts non remboursés provenant des mosquées de Lille‐Sud, situées à quelques centaines de mètres du lycée, et de Villeneuve-d’Ascq, dont le recteur était jusqu’à récemment professeur de mathématiques au sein du lycée Averroès. Le président de l’association réfute cette accusation avec force : « Il n’y a pas d’abandon définitif de créance, il y a abandon avec retour à meilleure fortune. »
Le préfet persiste en citant le rapport adressé par la chambre régionale des comptes au parquet de Lille… Un rapport confidentiel qui n’a pas été communiqué aux dirigeants d’Averroès. À nouveau, les esprits s’échauffent. « Vous affirmez qu’il existe un rapport et vous ne le prouvez pas, ni à nous, ni aux membres de la commission, en contradiction du principe du contradictoire », s’emporte Me Breham. « Parce que bien évidemment, je l’ai inventé ? C’est ça que vous sous‐entendez ? », rétorque le préfet. « En tous les cas, vous ne nous le fournissez pas », réplique l’avocat d’Averroès, très remonté.
Georges‐François Leclerc justifie la confidentialité du rapport : il s’agirait de documents classifiés dans le cadre d’un signalement à la justice par les magistrats de la chambre régionale des comptes. « On peut parler d’abus de confiance ou de fraude, insiste le préfet. Mais ce n’est pas à moi de le dire. »
Deux vidéos sorties du chapeau
Déjà en difficulté pour répondre sur le fond à ces éléments tirés d’un rapport dont ils n’ont pas eu connaissance, les représentants d’Averroès assistent ensuite, médusés, à la projection d’une vidéo de Sofiane Meziani, ex‐professeur d’éthique musulmane au lycée Averroès. Pris au dépourvu devant cet élément sorti du chapeau, Me Paul Jablonski décide de filmer l’écran. La diffusion est interrompue, et l’avocat sommé de supprimer son enregistrement.
Le ton monte à nouveau. « Je n’ai pas eu connaissance de cette vidéo, pouvez‐vous me garantir qu’elle me sera transmise ?, demande Paul Jablonski. Et je n’ai davantage eu connaissance du règlement intérieur de cette commission. J’aimerais juste avoir avoir la référence du texte qui m’interdit de filmer. — On vous la donnera après, réplique le préfet. Pouvez‐vous me certifier que vous n’avez pas enregistré les débats de cette commission ? — J’enregistre les débats de cette commission », concède l’avocat qui est directement sommé de supprimer la bande sous peine de poursuites judiciaires.
Accusation basée sur un rapport confidentiel, refus de laisser les avocats s’exprimer, découverte d’éléments nouveaux en pleine audience… La réunion n’a débuté que depuis une demi‐heure et déjà les deux avocats d’Averroès, habitués des prétoires et du respect du contradictoire, peinent à garder leur sang-froid devant ce qui s’annonce devoir être une parodie de concertation. Pour ne rien améliorer, le secrétaire général de la préfecture, Nicolas Gaillard, récidive et diffuse une seconde vidéo datée de 2014 concernant cette fois Mohamed Karrat, recteur de la mosquée de Villeneuve-d’Ascq et ex‐professeur de mathématiques au lycée Averroès.
Les dirigeants d’Averroès ne sont pas au bout de leurs surprises. Alors que le calme n’est pas encore tout à fait revenu, le préfet annonce qu’il va donner lecture d’une note d’inspection du collège Averroès qu’il dit avoir reçue… la veille. En plus de son rapport officiel, un inspecteur d’académie − dont le préfet n’a pas souhaité communiquer l’identité − lui aurait réservé l’exclusivité d’une note complémentaire.
Il ne s’agit pas là d’une nouvelle inspection, mais bien d’informations absentes du rapport initial et dont le fonctionnaire aurait réservé la primeur au préfet. Le document est inédit. Les partisans d’Averroès en ignorent tout, hormis des extraits cités par le préfet dans son rapport de saisine.
« Environ 80 % des jeunes filles étaient voilées, indique le rapport. Les vêtements longs sont de rigueur, y compris pour les filles non voilées. Les jeunes filles en pantalon portent des hauts suffisamment amples de manière à couvrir leurs formes. Les professeures sont en grande majorité voilées, les hommes quant à eux ont majoritairement une tabaâ sur le front, signe d’une pratique intensive [de la prière − ndlr]. » Le préfet s’interrompt pour commenter : « Pour l’instant, rien n’est illégal, mais quand même… »
Le haut fonctionnaire poursuit la lecture : « Les livres classés en rubrique religion traitent uniquement de l’islam dans sa version frériste. » Avant de citer parmi les auteurs de ces ouvrages Hassan Iquioussen, le prédicateur expulsé de France − par le même préfet Leclerc − pour incitation à la haine fin 2022.
Pour les avocats d’Averroès, les limites sont dépassées. « Tous les éléments cités, notamment les vidéos diffusées ou les rapports d’inspection, nous ne les avons pas eus, s’indigne Paul Jablonski. C’est vraiment problématique ! »« Le principe du contradictoire ce n’est pas simplement la possibilité de répondre, c’est l’obligation de connaître ce que l’on vous reproche, embraye Me Joseph Breham. Toute l’accusation se fonde sur deux rapports que vous n’avez pas, que je n’ai pas, qu’aucun membre de cette commission n’a. »
Accusations de dissimulation
La note du fameux inspecteur est au vitriol et troublante. Elle détaille que les filles et les garçons ne sont pas mélangés lorsqu’ils sont au centre de documentation et d’information (CDI). Plus loin, il est mentionné qu’il n’y a pas d’instruments dans la salle de classe de musique du collège. Toutefois, aucun autre rapport n’exprime de tels griefs. « Tous les éléments que vous citez ont la même musique de fond : c’est le pire du salafisme à Averroès !, tonne Me Breham à l’attention des membres de la commission, c’est ça qu’on veut vous insinuer ! »
Pour justifier la divergence entre la note confidentielle et les précédents rapports, le secrétaire général de la préfecture avance une explication : il y aurait, selon lui, une différence entre les contrôles pédagogiques annoncés préalablement et les contrôles inopinés. La note citée par le préfet indique en effet que « s’agissant du fonds documentaire physique, l’impression visuelle donnait à penser que plusieurs livres avaient été retirés, plusieurs étagères étant anormalement vides. »
Après cette longue et mouvementée présentation qui aura duré près d’une heure, la rectrice Valérie Cabuil prend brièvement la parole. Visiblement mal à l’aise, elle juge bon de glisser une remarque à décharge : « La majeure partie des inspections individuelles menées auprès des professeurs d’Averroès n’ont pas permis de déceler de problématiques particulières. » Elle ne prendra quasiment plus la parole par la suite.
C’est alors au tour de Xavier Bertrand de monter au créneau pour un plaidoyer. Le président de la région Hauts‐de‐France se félicite de s’être montré méfiant, dès 2019, à l’égard d’Averroès. Une méfiance qui conduira la région Hauts‐de‐France à ne plus verser le forfait d’externat au lycée, ce qui lui vaudra plusieurs condamnations. « Je pense avoir agi comme un lanceur d’alerte, dit pourtant Xavier Bertrand. Quand je vois le début de cette réunion, je me dis que cela en valait la peine. »
Ce n’est qu’une heure quinze après le début de la rencontre que les dirigeants du lycée Averroès peuvent enfin se défendre lors d’une phase officielle de « contradictoire ». Et le préfet de préciser, en leur donnant la parole, qu’ils ne devront pas être trop longs.
Mohammed Damak, le président de l’association, dit vouloir « exposer ce qui est la réalité du lycée » et fustige l’attention sélective du préfet. Il déplore un rapport de saisine préfectoral à plusieurs reprises « hors sujet » car il évoque des rapports concernant le collège Averroès (hors contrat) et non le lycée dont il est question ce jour.
Mohammed Damak pointe également les omissions du préfet qui a notamment passé sous silence le rapport de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGÉSR) de juin 2020 et qu’Averroès a fini par obtenir une semaine à peine avant la réunion de la commission.
Cette même inspection, à l’origine du rapport accablant sur le lycée Stanislas publié récemment par Mediapart, écrivait que « rien dans les constats faits par la mission, en particulier autour des documents de préparation des cours remis par les enseignants, ne permet de penser que les pratiques enseignantes divergent des objectifs et principes fixés et ne respectent pas les valeurs de la République. »
Le directeur d’Averroès, Éric Dufour, complète les propos de son président et se dit « saisi d’effroi » devant le sombre portrait qui est fait de son établissement. Il rappelle notamment le recueillement spontané des élèves au lendemain des attentats de janvier 2015, ainsi que des minutes de silence en mémoire des victimes du terrorisme islamiste qui ne font, selon lui, jamais l’objet de contestation au sein de l’établissement.
Quand Xavier Bertrand donne consigne de vote
Alors que Paul Jablonski s’apprête à détailler ses réponses sur les accusations de financements illégaux, le préfet indique qu’il ne lui accordera pas plus de quelques minutes. C’est à ce moment qu’un nouveau dérapage se produit.
Après plus de deux heures d’audience, l’avocat laisse échapper le fond de sa pensée. Il s’appuie sur un courrier de félicitations à Averroès, daté de 2018 et rédigé de la main de Manoëlle Martin, ex‐vice‐présidente du conseil régional en charge des lycées et membre de la commission de concertation. Et enchaîne : « Il n’y avait à cette époque que l’extrême droite qui était opposée au projet, et malheureusement aujourd’hui cette position de l’extrême droite se diffuse à d’autres personnes. »
« Vous faites allusion à qui ? », bondit le préfet. « À vous, monsieur le préfet, à M. Bertrand aussi et à la position de la région en général », répond l’avocat. « Il se peut que vous ayez à répondre de ce que vous venez de dire, menace Xavier Bertrand. Ce n’est pas parce qu’on est avocat qu’on est autorisé à diffamer. »
Après plus de deux heures quinze d’échanges houleux et d’interruptions multiples, les membres la commission sont invités à prendre la parole. Sur vingt-cinq membres, un seul saisit la perche, le maire de Grande‐Synthe, Martial Beyaert (Parti socialiste, PS), qui tient à faire part de ses doutes : « Pourquoi ce dossier nous parvient aujourd’hui ? Je suis gêné de constater que des faits reprochés remontent souvent à 2014, 2015 ou 2016. Et qu’arrivera-t-il au lycée Averroès si la convention s’arrête ? Il y a quand même huit cents élèves concernés, lycée et collège confondus. »
Xavier Bertrand embraye alors. Son but ? mettre un terme aux doutes. Son propos prend les allures d’un réquisitoire final : « Pour qu’il y ait un contrat d’association, il faut être en confiance. Or, pour moi, il n’est plus possible de faire confiance à Averroès. On peut financer l’enseignement libre mais uniquement pour des lycées qui sont vraiment républicains. C’est la raison pour laquelle les membres qui représentent le conseil régional voteront contre la poursuite de ce contrat d’association. »
Ainsi s’achève la commission consultative dite « de concertation pour l’enseignement privé ». Aucun membre de la commission ne reprendra la parole après l’intervention de Xavier Bertrand. In extremis, le directeur d’Averroès, Éric Dufour, insistera pour dire qu’il n’y a « aucune porosité entre l’association Averroès et les enseignements qui sont dispensés » et qu’il s’en porte garant. Le préfet remerciera « infiniment monsieur le ministre » (Xavier Bertrand) pour sa déclaration. Et la commission passera au vote, à main levée. Le résultat est sans appel (16 voix pour le retrait de l’agrément, 0 contre et 9 abstentions). Mais, désormais, on sait dans quelles circonstances il a été obtenu.
Des Algériens témoignent être retenus longuement à l’aéroport lorsqu’ils voyagent, voire interdits de quitter le pays, sans savoir exactement ce qui leur est reproché
Abderrazak Makri, ex-président du Mouvement de la société pour la paix (MSP) et candidat potentiel à la présidentielle 2024, a été empêché de quitter l’Algérie pour se rendre à des rencontres du Forum de Kuala Lumpur dont il est président (Ryad Kramdi/AFP)
« Je suis interdit de voyager en dehors du pays. » Dans un long post publié sur son mur Facebook le 30 novembre, Abderrazak Makri révélait publiquement avoir été empêché, deux jours auparavant, de se rendre au Qatar et en Malaisie.
L’ancien président du Mouvement de la société pour la paix (MSP, islamiste), président du Forum de Kuala Lumpur, un groupe de personnalités politiques islamistes dont font partie le président turc Recep Tayyip Erdoğan et l’ancien Premier ministre de Malaisie Mahathir Mohamad, n’a pas pu se rendre à Doha (Qatar) et en Malaisie pour y retrouver des personnalités et assister à « des rencontres de soutien à la cause palestinienne ».
Abderrazak Makri est également candidat potentiel à l’élection présidentielle algérienne qui se tiendra en décembre 2024.
Selon l’avocat Abdelghani Badi, « des centaines d’activistes, de journalistes, d’hommes d’affaires et de politiques sont frappés d’une interdiction de quitter le territoire national [ISTN], sans aucune décision de justice » (Ryad Kramdi/AFP)
Dans son exposé, il explique avoir « raté » plusieurs rendez-vous à caus
e de cette interdiction « qui n’a pas été justifiée » par les responsables, malgré ses multiples contacts avec des personnalités « haut placées », et assure ne faire l’objet d’aucune « poursuite judiciaire ».
Contacté par Middle East Eye le 15 janvier, son entourage affirme que l’homme politique est « toujours en train d’essayer de comprendre » les motivations de cette décision.
S’il est l’une des plus connues des personnalités politiques algériennes, Abderrazak Makri n’est pas le seul à être empêché de quitter le territoire national.
Refoulée à la frontière tunisienne
Comme lui, « des centaines d’activistes, de journalistes, d’hommes d’affaires et de politiques sont frappés d’une interdiction de quitter le territoire national [ISTN], sans aucune décision de justice », selon Abdelghani Badi, avocat de dizaines d’anciens activistes du hirak, le mouvement populaire qui a poussé l’ancien président Abdelaziz Bouteflika à la démission en 2019.
C’est le cas de Marzoug Touati. Ce jeune trentenaire originaire de Béjaïa (Kabylie), qui gère aujourd’hui un site d’informations dédié essentiellement aux atteintes aux libertés, elhogra.com, a découvert fortuitement, en 2022, qu’il ne pouvait pas quitter le pays.
Algérie : après les associations et les partis politiques, les syndicats dénoncent une « volonté de restreindre leurs libertés »
« Je me suis rendu dans un commissariat de la ville pour une affaire banale. J’ai appris que j’étais interdit de quitter le pays », raconte-t-il à MEE. Mais à ce moment-là, il ne savait pas que cette interdiction, temporaire dans la loi puisqu’elle est en principe limitée à trois mois renouvelables une fois, allait s’éterniser.
L’article 36-bis, alinéa 2 du code de procédure pénale peut prolonger cette interdiction au-delà des délais fixés initialement, « lorsque le justiciable est soupçonné de détournement d’argent public ou de faits liés au terrorisme », explique à MEE maître Badi.
« Étant donné que je n’ai aucun lien avec la gestion des deniers publics, il est possible qu’une enquête soit ouverte contre moi pour des faits de ‘’terrorisme’’. Mais je ne suis sûr de rien parce que je n’ai reçu aucune notification », se désole Marzoug Touati, emprisonné à plusieurs reprises pour « intelligence avec une puissance étrangère » en 2018, puis « outrage à corps constitués » et « diffusion de fausses informations » en 2022.
Même en ayant purgé toutes les peines prononcées contre lui, il ne peut toujours pas voyager.
C’est justement de cela que se plaint Wafia. Cette gérante d’une agence de voyage a été refoulée, la veille du Nouvel An, de la frontière algéro-tunisienne alors qu’elle devait accompagner un groupe de touristes qui se rendaient en Tunisie pour y passer le réveillon.
« J’ai découvert que j’étais interdite de quitter le territoire national », raconte-t-elle dans une vidéo postée sur les réseaux sociaux. Pourtant, officiellement, elle n’a jamais été notifiée d’une ISTN. Les policiers lui ont juste donné l’information, sans autre explication.
« Mes avocats m’ont confirmé qu’aucune plainte n’avait été ouverte contre moi », insiste-t-elle en précisant que si, ces derniers mois, elle a été interpellée à plusieurs reprises pour des publications sur les réseaux sociaux, elle a toujours été relâchée sans poursuites. Ses vidéos postées après les incendies meurtriers de l’été 2023 à Toudja (Béjaïa) avaient été très partagées.
Dans certains cas, l’interdiction de quitter le pays se poursuit plusieurs mois après la sortie de prison de la personne condamnée.
Le journaliste et directeur régional de Reporters sans frontières (RSF), Khaled Drareni, en sait quelque chose. Libéré en février 2021 après un an derrière les barreaux, il n’a réussi à sortir du pays qu’en juin 2023.
Il a dénoncé, via Twitter, l’ISTN qui l’empêchait de voyager : « La loi dispose qu’une ISTN a une durée de trois mois, renouvelable une fois. Prise à mon encontre en mars 2020, elle continue d’être appliquée en mai 2023. »
L’intervention des autorités lui a permis de quitter le pays quelques semaines plus tard. Depuis, il est libre de ses mouvements. Ce n’est pas le cas d’autres personnalités, journalistes ou hommes d’affaires, qui refusent de s’exprimer publiquement sur la question par crainte de représailles.
Trois listes
Selon les informations recueillies par MEE, les autorités, pour décider ou non de laisser passer quelqu’un, se baseraient sur trois listes.
La première concerne les personnes frappées d’ITSN et regroupe tant les individus qui ont fait l’objet de poursuites judiciaires que ceux, nombreux, qui auraient émis à un moment ou à un autre des critiques envers les autorités ou seraient actifs au sein de l’opposition.
La deuxième serait une liste de personnes frappées de sanctions administratives, qui ne sont pas forcément interdites de quitter le pays mais qui sont souvent refoulées aux frontières sans explication.
La troisième rassemblerait une liste d’anciens militaires, hommes d’affaires et journalistes désignés par le terme « signalés » qui ne sont pas empêchés de voyager. Mais à la sortie comme à l’arrivée, ils passent un long moment au guichet de la Police aux frontières (PAF) chargée de vérifier que les documents sont en règle.
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Cette incertitude a des conséquences. Certains Algériens, notamment dans la diaspora, ne veulent pas rentrer dans leur pays, dissuadés par des faits ou des rumeurs.
C’est le cas d’Ahviv Mekdem. Ce militant proche des milieux séparatistes kabyles – le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie, MAK, est considéré comme « terroriste » par les autorités – a peur de venir en Algérie et d’être interpellé par les forces de sécurité. Il n’a pas pu assister à l’enterrement de sa mère, décédée le 30 décembre.
« Je suis triste parce que ma mère est partie, je suis triste parce que je ne l’ai pas vue depuis des lustres, je suis triste parce qu’en allant la voir, je me retrouverais, comme beaucoup parmi vous, en prison. Je trouve cela injuste », a-t-il écrit sur sa page Facebook.
Une autre activiste, sans couleur politique particulière, raconte aussi sa crainte de voyager pour rendre visite à son père gravement malade. Des témoignages entendus auprès de ses proches font peser des doutes sur sa sécurité. « Pourtant, je n’ai rien à voir avec le MAK », assure-t-elle.
« Un ami est rentré au pays normalement. Mais il a été vite interpellé et privé de son passeport. Il a laissé derrière lui famille et travail. Neuf mois plus tard, les autorités lui ont rendu son passeport et l’ont laissé voyager. Mais il avait perdu beaucoup de choses entre-temps. »
L’ex-président du RCD, Saïd Sadi, n’est pas rentré en Algérie depuis 2019. Selon son entourage, il serait mentionné sur l’une des trois listes que surveillent les autorités aux frontières (Farouk Batiche/AFP)
Parmi les Algériens de la diaspora qui appréhendent de rentrer au pays, figurent des personnalités bien connues, comme Saïd Sadi, qui vit en France.
L’ancien président du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD, laïc) ne s’est pas exprimé publiquement sur la question, mais contrairement à ses habitudes, il n’est pas rentré en Algérie depuis 2019.
Selon son entourage, contacté par MEE, l’homme politique, également écrivain, est mentionné sur l’une des trois listes.
Jusqu’à présent, les autorités n’ont jamais abordé le sujet. Mais la rapporteuse des Nations unies pour les défenseurs des droits de l’homme Mary Lawlor a interpellé le gouvernement algérien sur le sujet lors de sa visite en Algérie en décembre.
Dans son rapport préliminaire rendu public le 5 décembre, elle note : « Plusieurs défenseurs des droits de l’homme m’ont informée qu’ils n’étaient pas autorisés à voyager et qu’ils n’avaient reçu aucune notification officielle d’un tel ordre. Ils n’ont découvert qu’ils étaient interdits de voyager que lorsqu’ils ont tenté de quitter le pays. »
Elle a recommandé au gouvernement algérien d’abolir « l’utilisation des ISTN pour limiter les déplacements des défenseurs des droits de l’homme à l’étranger ».
Si l’ISTN existe dans le droit algérien depuis longtemps, son utilisation s’est généralisée depuis la fin du hirak.
Par Correspondant de MEE à ALGER, Algérie
Published date: Mardi 23 janvier 2024 - 07:50 | Last update:1 day 7 hours ago
Dans un sud algérien malmené par la désertification, la concurrence entre éleveurs de moutons devient plus intense. Alors que la nourriture des animaux est en partie gérée par l’État et souvent détournée par la corruption, le gouvernement permet aux grands propriétaires d’accaparer les steppes et parfois de les clôturer. Conséquence : les prix s’envolent et les éleveurs modestes s’estiment lésés.
Élevage de moutons dans la wilaya de Khenchela en Algérie, le 1er juillet 2014
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En Algérie, la viande de mouton est devenue hors de prix pour de nombreux ménages. Selon l’office national des statistiques, en 20 ans son prix a quintuplé, passant de 500 à 2 500 dinars algériens (DA) le kilo (environ 17 euros) soit 10 % du salaire minimum. La consommation est tirée par l’augmentation de la population qui croît en moyenne d’un million par an. La région frontalière avec le sud marocain est souvent appelée le pays du mouton. Avec 25 millions d’hectares de parcours steppiques, elle représente à elle seule 4 fois les superficies cultivées du pays et compte à peine 200 000 habitants. Mais la pluviométrie y est réduite et les sols arides. Dans ce milieu hostile, la seule forme d’exploitation a de tout temps été le nomadisme pastoral, aujourd’hui bouleversé par les politiques publiques.
Dans l’élevage traditionnel, les troupeaux se déplacent en quête de nourriture. Mais dans les années 1970, le camion s’est imposé sur les pistes pour le transport des animaux, des tentes, de l’eau et de l’orge, un complément alimentaire pour le bétail. Cette mobilité nouvelle des troupeaux a facilité la diversification des stratégies face à des ressources fourragères aléatoires. Grâce au camion, les gros éleveurs peuvent déplacer leurs troupeaux d’une wilaya (ou département) à l’autre. Les plus modestes se contentent de déplacements pédestres dans les communes voisines voire, pour les plus démunis, aux alentours de leur bergerie, surexploitant ainsi leurs maigres pâturages. En octobre dernier, la chaîne d’information algérienne Ennahar TV témoignait qu’à El Bayadh, dans un paysage rocailleux, les brebis erraient d’un buisson desséché à un autre. En moins de 40 ans, la végétation du sud oranais a régressé de 50 à 80 %.
PRESSION ACCRUE SUR LES PÂTURAGES
À la fin des années 1980, la multiplication des tracteurs a encouragé la culture de l’orge dans les dayat, des dépressions steppiques où la terre est plus fertile. Depuis 1968, les surfaces dédiées à l’orge ont ainsi doublé. Ailleurs, l’extension des labours se traduit par l’élimination des touffes d’alfa et d’armoise. Pour faire face aux périodes de soudure, à partir des années 1970, les pouvoirs publics ont importé l’orge vendue à des prix subventionnés aux éleveurs. 570 000 tonnes importées en 2022 n’ont permis aux éleveurs de recevoir que 300 grammes d’orge par brebis. La distribution s’effectue à partir d’un recensement officiel souvent détourné avec des attestations frauduleuses. Face aux protestations des éleveurs floués, un nouveau recensement a révélé que le cheptel comprenait 19 millions de têtes et non 29, comme estimé auparavant.
Loin de soulager les pâturages, ces ventes d’orge ont favorisé un surpâturage des parcours, début d’un processus de désertification. Les opérations de réhabilitation lancées dès 1983 par le Haut Commissariat au développement de la steppe (HCDS) ont permis la mise en pause de trois millions d’hectares et la plantation d’arbustes fourragers sur 300 000 hectares. Prisés par les éleveurs, les mahmiyat, des parcours protégés, leur sont aujourd’hui loués de novembre à décembre, puis d’avril à juin. Un éleveur témoigne : « la location de 100 à 200 hectares de parcours nous revient entre 100 000 et 200 000 DA (entre 685 et 1370 euros). Quand les parcours sont fermés, tous les 10 à 15 jours, on dépense l’équivalent de ces sommes en orge ».
Les locations se font sous l’égide des collectivités locales qui perçoivent 70 % des recettes, le reste étant versé au Trésor public. Certaines mairies emploient jusqu’à 40 gardiens chargés de faire respecter les périodes de location des parcours. L’attribution des lots fait aujourd’hui l’objet d’une concurrence féroce entre éleveurs.
ENGRAISSEMENT DES AGNEAUX POUR L’AÏD
Face à la pression sur les parcours, les éleveurs se sont spécialisés. Aux naisseurs sont venus s’ajouter les engraisseurs. L’engraissement des agneaux vise les périodes religieuses comme le mois de ramadan ou l’Aïd. Le choix des animaux se porte alors sur ceux qui ont des cornes, une toison blanche, ou une plus grande hauteur au garrot. Les riches éleveurs achètent des agneaux quand les cours sont au plus bas alors que les naisseurs ne peuvent plus nourrir leur cheptel et décapitalisent pour acheter des fourrages. Période qu’ils résument par l’expression : « la brebis mange sa sœur ». Seuls les maquignons tirent leur épingle du jeu : « Les revendeurs s’en sortent mieux que nous. Ils prennent entre 10 000 et 15 000 DA (entre 68 et 103 euros) de bénéfice sur un seul mouton, alors qu’il nous arrive de vendre à perte », témoigne Mohamed, éleveur à Djelfa1.
Le déficit de fourrages pousse les engraisseurs à diversifier leurs approvisionnements : aliments concentrés industriels, orge, son, et même blé destiné à la fabrication de pain détourné frauduleusement. En deux ans, les prix ont augmenté en moyenne de 40 % et le quintal d’orge atteint 5 000 DA (34 euros), celui du son 7 000 DA (48 euros) et celui à base de soja plus de 10 000 DA (68 euros).
À la diversité des modes d’élevage s’ajoute une diversité d’éleveurs : chômeur dont le troupeau d’une trentaine de têtes assure l’essentiel du revenu, éleveur absentéiste (fonctionnaire, commerçant, profession libérale) confiant 300 brebis par berger rémunéré au prorata de 1/5 des naissances, ou gros éleveurs possédant jusqu’à 6 000 têtes. Les éleveurs absentéistes côtoient les investisseurs : commerçants ou entrepreneurs dotés d’importants moyens (motorisation, bergeries, terres de parcours). Ils ont souvent recours à des techniques modernes de production et à l’élevage intensif. Ces investisseurs n’hésitent pas à s’associer à des vétérinaires ou à des agronomes. Récemment à Tiaret, un investisseur a confié la direction de son exploitation à un jeune retraité autrefois directeur des Services agricoles de la wilaya.
PROPRIÉTÉ PRIVÉE FAVORISÉE
À l’appropriation des ressources fourragères s’ajoute l’appropriation de la terre favorisée par les politiques publiques, en particulier la loi relative à l’accession à la propriété foncière agricole de 1983, qui tend à remplacer les droits d’usage traditionnels par la propriété privée. « Les clôtures des terres mises en valeur, ou en attente d’une régularisation, se multiplient et peuvent bloquer le passage des troupeaux. Elles concernent parfois des zones épargnées par la mise en valeur, faisant ainsi valoir le fait accompli », écrit Mohamed Hadeid, co-auteur d’une étude sur le sujet2. À plusieurs reprises, des éleveurs ont dénoncé les restrictions qui leur interdisent l’accès aux parcours communautaires. En 2020, brandissant des touffes d’alfa et d’armoise arrachées après le passage de charrues, ils dénoncent face aux caméras d’Ennahar TV, le labour des terres de parcours : « Il n’y a plus de parcours pour nourrir les bêtes, on a recours à l’orge en grain qui est cher ». Les clôtures, souvent précédées d’une simple bande de terre labourée, interdisent le passage des troupeaux.
La loi relative à l’accession à la propriété foncière agricole a été suivie en 2000 du Plan national de développement agricole (PNDA) doté de plus de 500 millions de dollars, soit dix fois les montants alloués au cours des années 1990. Ce plan permet d’allouer aux investisseurs des subventions de l’ordre de 60 % pour l’acquisition de matériel d’irrigation, le forage de puits et l’aménagement de bassines. Ce coup de pouce renforce la concurrence sur la terre. Au trait de labour servant à marquer une limite de propriété, viennent s’ajouter des murets édifiés avec des pierres retirées du sol suite au défoncement par bulldozer du sol calcaire. Une opération indispensable pour planter oliviers et arbres fruitiers. À Djelfa, des Algérois ont acquis des terres et produisent aujourd’hui olives, pistaches, pommes, grenades et nectarines.
DÉVELOPPEMENT DES FORAGES ET DES BASSINES
À l’appropriation de la terre s’est ajoutée celle de l’eau, indispensable à l’arboriculture et au développement de la production de fourrages. Les subventions ont permis l’extension des fourrages irrigués. Jusqu’à 40 000 hectares dans la région de Msila, quinze ans après le lancement du PNDA. Il s’agit le plus souvent de fourrages cultivés par des éleveurs détenant des troupeaux de 200 à 400 têtes et produisant sur une vingtaine d’hectares de l’orge, de l’avoine ou de la luzerne. À El-Bayadh et Naâma, les surfaces irriguées sont passées de 3 000 hectares en 1984 à plus de 24 000 en 2008. D’abord cantonné à l’agriculture saharienne, le maïs fourrager a rapidement conquis les éleveurs. Il leur a permis d’accéder à une autonomie fourragère inespérée mais aussi à dégager des excédents dont la vente leur procure aujourd’hui une importante source de revenus, d’autant plus que l’eau des nappes est gratuite.
L’essor du maïs fourrage a été rendu possible grâce à la gratuité des terres et de l’eau mais aussi par une plus grande disponibilité en matériel agricole et d’irrigation. Pour les éleveurs, disposer de fourrages est une question de survie. À El Bayadh, selon un représentant syndical local, sur 1 300 éleveurs recensés ces cinq dernières années, un tiers ont cessé leur activité.
PRÉCARISATION FONCIÈRE DES ÉLEVEURS
Traditionnellement, l’utilisation des parcours steppiques mettait en compétition des tribus ou des familles élargies. L’accession à la propriété foncière a eu pour corolaire de la ramener au niveau des individus. Aujourd’hui, la multiplication des forages structure l’espace. Ce nouvel environnement technique associé à une demande croissante en produits agricoles et à un accès gratuit à la terre a attiré de nouveaux investisseurs. La compétition concerne non seulement les natifs mais également les investisseurs venus du nord du pays.
Les protagonistes se sont diversifiés et on assiste à une course pour l’appropriation des ressources naturelles relate Mohamed Hadeid : « Sur les plans spatial et fonctionnel, cette politique s’est soldée par un morcellement de la steppe en une multitude de propriétés privées dans une région où l’usage collectif des parcours est ancestral et a, toujours, caractérisé les sociétés pastorales locales »3. Loin d’Alger, les décisions des autorités font l’objet d’interprétations divergentes. « L’ambiguïté de l’aspect foncier et la crise du pastoralisme tendent à détourner l’opération de mise en valeur vers une appropriation progressive des terres pastorales », relèvent ces universitaires. Le plus souvent « Le statut de concessionnaire est de fait assimilé, par les bénéficiaires, à celui de propriétaire, la reprise des terres concédées par l’État, n’étant pas envisagée », comme l’indique une étude réalisée dans la région d’Aflou. On est passé d’un pastoralisme exclusif à des productions fourragères ou maraîchères ainsi qu’à une arboriculture fruitière et oléicole.
Ces mutations majeures ont conduit à une précarisation foncière des éleveurs associée à un sentiment d’insécurité juridique. Une situation que devraient méditer les autorités algériennes. En décembre 2010, dans la Tunisie voisine, le jeune marchand de légumes de Sidi Bouzid Mohamed Bouazizi qui s’est immolé faisait partie d’une famille tout juste dépossédée de ses terres.
Un Palestinien pleure sur la dépouille d’un enfant tué par une frappe israélienne sur l’hôpital al-Nasser à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, le 28 décembre 2023 (AFP)
Les Israéliens ciblent les Palestiniens qui tentent de venir en aide aux survivants bloqués sous les décombres ou de récupérer leurs morts, laissant les cadavres pourrir. Une stratégie systématique de la guerre génocidaire d’Israël.
Jamais dans mes cauchemars les plus fous je n’aurais imaginé courir après un chien errant pour récupérer la jambe d’un bébé dans sa gueule.
Au cours des trois dernières semaines, les forces israéliennes ont bombardé sans pitié mon quartier de Rimal, dans le nord de la bande de Gaza, détruisant massivement les immeubles d’habitation situés le long de la rue al-Galaa.
De nombreuses maisons voisines qui ont été prises pour cible étaient habitées et remplies de personnes qui avaient fui d’autres zones sous les bombardements pour se réfugier chez des proches.
De faibles voix sont parvenues des décombres. Il s’agissait des appels de deux enfants en bas âge et de leur mère désespérée
Je faisais partie d’un groupe de jeunes hommes qui se sont chargés de la pénible mission de sauvetage et de récupération. Nous avons fait de notre mieux pour extraire les survivants des énormes tas de décombres et nous avons tenté de dégager les corps des morts pour leur assurer un enterrement digne.
Nous étions cependant encerclés par des tireurs d’élite israéliens qui tirent sur tous ceux qui s’approchent des décombres, ce qui a coûté la vie à cinq hommes. Après quoi, la mission de recherche a été interrompue.
Mais très vite, de faibles voix sont parvenues des décombres. Il s’agissait des appels de deux enfants en bas âge et de leur mère désespérée. Malgré nos tentatives, nous n’avons pas pu atteindre les enfants pris au piège, qui ont fini par mourir sous les décombres.
Nous avons ensuite essayé de dégager leur mère, dévastée et blessée, pour lui permettre de respirer et lui donner tant bien que mal de l’eau pour boire et quelques dattes à manger pour qu’elle puisse rester en vie.
Corps en décomposition
Tout au long de ce calvaire, les forces israéliennes, dans leurs véhicules et engins blindés, tournaient autour de nous, nous assiégeant et nous refusant l’accès aux blessés et aux personnes prises au piège, tout en nous empêchant de quitter la zone. Nous avons été contraints de nous réfugier dans les maisons du voisinage.
À la suite des massifs bombardements aériens et de la destruction de notre quartier, les forces israéliennes ont lancé une invasion brutale, prenant d’assaut les quelques maisons encore debout, ciblant et arrêtant de nombreux jeunes et exécutant publiquement des personnes déplacées qui cherchaient un passage sûr pour fuir les bombardements.
Le groupe dans lequel je me trouvais s’est réfugié dans le quartier de la plage et est revenu quelques jours plus tard.
Je suis d’abord allé voir comment allait la mère, qui était encore ensevelie sous les décombres. Je l’ai appelée par son nom et j’ai rampé sous les murs de béton, mais le silence régnait. En creusant davantage, nous avons découvert qu’elle était décédée, ses bras enlaçant les corps minuscules de ses enfants.
Quelques jours après notre retour dans notre quartier, nous avons remarqué qu’une meute de chiens errants était venue s’abriter dans l’une des maisons bombardées à côté de chez nous. Toute la nuit, nous les avons entendus aboyer et hurler bruyamment, comme s’ils se disputaient quelque chose.
À la lueur du matin, j’ai trouvé la meute de chiens. J’ai été stupéfait de voir que l’un d’entre eux avait le pied d’un bébé dans sa gueule. Je l’ai poursuivi, j’ai retiré le pied et je l’ai enterré profondément dans le sol.
Jamais je n’aurais imaginé courir après des chiens qui dévorent les corps de mes voisins et de leurs enfants.
Nous avons continué à essayer d’éloigner les chiens de la zone pour reprendre notre recherche de survivants blessés et de martyrs ensevelis sous les immenses tas de décombres.
Mais même les membres des corps que nous avons trouvés avec les chiens avaient déjà subi une décomposition extrême. Leur peau s’était décomposée.
Les gens sont devenus des martyrs tandis que leurs corps se sont transformés en cadavres en décomposition.
Les forces israéliennes ont délibérément tué et menacé la vie des survivants qui effectuaient des opérations de secours et de récupération d’urgence.
Elles ont rendu impossible le sauvetage d’innombrables civils, en particulier d’enfants terrifiés, appelant une aide qui ne vient pas, jusqu’à ce que leurs voix fatiguées se taisent. Malgré les risques, de nombreux courageux ont volé à leur secours et y ont laissé leur vie.
La mort est partout
Le refus d’accès aux blessés et aux tués est systématique et constitue une stratégie de la guerre génocidaire d’Israël contre les Palestiniens.
Des témoins, notamment des survivants, des membres des familles et des journalistes de tous les quartiers densément peuplés de Gaza, ont indiqué que les forces israéliennes avaient intentionnellement tiré sur les équipes de secours, et même lors des enterrements, ou les avaient bombardées.
La destruction totale des zones résidentielles et les énormes tas de décombres que personne ne peut dégager ou même approcher provoquent une crise terrible. Un nombre ahurissant de cadavres sont en train de rapidement se décomposer, accentuant ce tableau de la mort.
À Gaza, on ne voit pas seulement la mort, on la sent, on la respire. On ressent la mort avec tous ses sens, puis on la respire, au sens premier du terme, avant de voir avec horreur et stupéfaction des chiens errants se régaler des fragments décomposés des corps de ceux que l’on connaissait et que l’on aimait.
Mon oncle Abu Yousef, qui vit dans le quartier de Yarmouk, m’a confirmé que de grandes meutes de chiens errants rôdent dans tous les quartiers, y compris dans ce qui était autrefois le marché animé et populaire de Yarmouk.
Dans les environs de ce quartier, plusieurs tours résidentielles et commerciales ont été lourdement bombardées et détruites, laissant des centaines de personnes ensevelies sous les décombres, où personne n’a pu accéder pour récupérer les corps pour un enterrement digne, ou un enterrement quel qu’il soit.
Les chiens, confrontés à la famine comme tous les habitants de Gaza, sentent les corps en décomposition, se faufilent dans les ruines et en ressortent avec des morceaux de corps dans la gueule.
Même après 100 jours de massacres sauvages d’hommes, de femmes et d’enfants palestiniens, le spectacle horrible de chiens errants en train de se repaître des corps des martyrs, violant ainsi le caractère sacré des morts et des vivants, reste extrêmement choquant.
Gaza est constamment sous siège, bombardement et occupation. Sa population reste la cible de la campagne génocidaire d’Israël. Dans toute la bande de Gaza, il règne une odeur de mort, de débris et de pourriture.
" Nous aurons bien dansé, n'est-ce pas ? Entre les fleurs et l'amour fou. Notre corps nous accompagnait dans les genêts. On se caressait sans s'en rendre compte. On aura fumé tout le tabac du monde. On respectait la lune et les étoiles. Le mystère des animaux. Ce fut une belle jeunesse, n'est-ce pas ? On s'embrassait dans la fraîcheur des églises. On sentait la sueur et le musc. On était nus devant les autres. Je voudrais que tu te souviennes. Je voudrais qu'on te souvienne. Tu appartiens aux plus beaux de mes murmures. A mon insatiable soif. Je t'aime comme une source au soleil. Je n'ai même plus besoin de te l'écrire....." Bruno Ruiz
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Née à Paris en 1952, Katy Ruiz Darasse vit à Toulouse depuis toujours. Masseurkinésithérapeute durant plus de quarante ans, particulièrement au centre de lutte contre le cancer de Toulouse, elle choisit à partir de 1985 de mener de front son activité professionnelle et sa passion pour la broderie au point de croix. Par ailleurs, à la même époque, elle s’intéresse à la civilisation et à la langue chinoise et obtiendra une licence de Chinois en 1986 à l’Université Toulouse II-Le Mirail, pratique qui nourrira en partie son inspiration. Depuis une vingtaine d’années, elle brode en moyenne six heures par jour, créant de ce fait une sorte d’ascèse qui transparaît dans ses créations dont les thématiques s’organisent autour du Temps, de l’Amour, de la Mémoire et de la Femme. Son œuvre est à voir mais pas à vendre. Elle est à la fois originale par la finalité tangible de ses représentations, et surtout par la durée exceptionnelle qu’implique leur réalisation solitaire. Ainsi, Katy Ruiz Darasse est l’une des rares créatrices en France à avoir hissé la pratique traditionnelle du point de croix au rang d’une discipline artistique à part entière.
.
Ma délicieuse ma dérive Ma délirante ma descente Mon indécente mon indécise Mon infidèle mon indigente
Ma lumineuse ma lunissante Ma lamineuse ma lisière Ma garde-robe ma gardienne Ma grenadine ma gavotte
Mon illuminée mon îlienne Mon inouïe mon iceberg Ma castagnette ma castillane Ma calibrante cavalière
Ma crinoline ma cravate Ma cataracte ma câline Mon nœud coulant ma nonchalance Mon numéro ma noce enfouie
Mon corps-à-cœur ma cajoleuse Ma caravane ma crinière Mon ivoire mon iris Mon hystérique mon histoire
Ma ravissante ma râleuse Ma rougissante ma roulière Ma juponnante ma jalouse Ma girouette mon jardin
Ma femme ma fille ma force Ma flèche ma flamme ma fleur Ma brune ma bruine ma branche Ma belle ma bulle ma barque
Kathy Ruiz Daras
" Nous aurons bien dansé, n'est-ce pas ? Entre les fleurs et l'amour fou. Notre corps nous accompagnait dans les genêts. On se caressait sans s'en rendre compte. On aura fumé tout le tabac du monde. On respectait la lune et les étoiles. Le mystère des animaux. Ce fut une belle jeunesse, n'est-ce pas ? On s'embrassait dans la fraîcheur des églises. On sentait la sueur et le musc. On était nus devant les autres. Je voudrais que tu te souviennes. Je voudrais qu'on te souvienne. Tu appartiens aux plus beaux de mes murmures. A mon insatiable soif. Je t'aime comme une source au soleil. Je n'ai même plus besoin de te l'écrire....." Bruno Ruiz
Née à Paris en 1952, Katy Ruiz Darasse vit à Toulouse depuis toujours. Masseurkinésithérapeute durant plus de quarante ans, particulièrement au centre de lutte contre le cancer de Toulouse, elle choisit à partir de 1985 de mener de front son activité professionnelle et sa passion pour la broderie au point de croix. Par ailleurs, à la même époque, elle s’intéresse à la civilisation et à la langue chinoise et obtiendra une licence de Chinois en 1986 à l’Université Toulouse II-Le Mirail, pratique qui nourrira en partie son inspiration. Depuis une vingtaine d’années, elle brode en moyenne six heures par jour, créant de ce fait une sorte d’ascèse qui transparaît dans ses créations dont les thématiques s’organisent autour du Temps, de l’Amour, de la Mémoire et de la Femme. Son œuvre est à voir mais pas à vendre. Elle est à la fois originale par la finalité tangible de ses représentations, et surtout par la durée exceptionnelle qu’implique leur réalisation solitaire. Ainsi, Katy Ruiz Darasse est l’une des rares créatrices en France à avoir hissé la pratique traditionnelle du point de croix au rang d’une discipline artistique à part entière.
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Ma délicieuse ma dérive Ma délirante ma descente Mon indécente mon indécise Mon infidèle mon indigente
Ma lumineuse ma lunissante Ma lamineuse ma lisière Ma garde-robe ma gardienne Ma grenadine ma gavotte
Mon illuminée mon îlienne Mon inouïe mon iceberg Ma castagnette ma castillane Ma calibrante cavalière
Ma crinoline ma cravate Ma cataracte ma câline Mon nœud coulant ma nonchalance Mon numéro ma noce enfouie
Mon corps-à-cœur ma cajoleuse Ma caravane ma crinière Mon ivoire mon iris Mon hystérique mon histoire
Ma ravissante ma râleuse Ma rougissante ma roulière Ma juponnante ma jalouse Ma girouette mon jardin
Ma femme ma fille ma force Ma flèche ma flamme ma fleur Ma brune ma bruine ma branche Ma belle ma bulle ma barque
Tiraillés entre une population majoritairement acquise à la cause palestinienne qui risque de basculer dans un islamisme aux aguets, et l’accord de normalisation signé en 2020 dont ils ne sont pas près de s’affranchir, les dirigeants marocains se réfugient dans un silence de plus en plus pesant.
Manifestation en solidarité avec Gaza, le 24 décembre 2023 à Rabat/AFP
Plus de quatre mois après le déclenchement de la guerre contre Gaza, la mobilisation anti-Israël n’a pas faibli au Maroc. Des milliers de personnes manifestent quasiment chaque week-end dans les grandes villes du pays, notamment à Rabat et Casablanca. Deux revendications dominent les slogans : la fin des massacres de la population gazaouie par l’armée israélienne et, surtout, la fin de la normalisation des relations diplomatiques entre le royaume chérifien et « l’État sioniste », comme le scandent les manifestants.
Commencé en décembre 2020, le processus de normalisation entre les deux États prend la forme d’une transaction tripartie : en contrepartie de la reconnaissance de la « marocanité » du Sahara occidental par l’ancien président américain Donald Trump, le royaume « normalisera » ses relations avec Israël. Une manœuvre habile puisqu’il s’agit de monnayer une « cause sacrée » pour la majorité des Marocains (l’affaire du Sahara occidental, considéré par le Maroc comme ses « provinces du sud ») par une autre « cause sacrée » (la question palestinienne).
Depuis, la coopération, notamment militaire, entre les deux pays est devenue officielle après avoir été longtemps officieuse, même si l’État hébreu tient à la cantonner aux armes défensives et légères. L’attaque d’envergure du Hamas au cœur d’Israël, le 7 octobre 2023, ne représente pas une rupture, mais un point de basculement qui affectera profondément la lune de miel israélo-marocaine, louangée tant par les Etats-Unis que par l’Union européenne.
MANOEUVRE POLITIQUE
Au cœur de ce processus, le Palais royal avait eu recours à un stratagème habile et machiavélique visant à porter le coup de grâce au Parti de la justice et du développement (PJD), le parti islamiste au gouvernement à l’époque, et dont la légitimité religieuse concurrençait celle du roi, le Commandeur des croyants. Ce dernier fait alors signer l’accord de normalisation non pas par le ministre des Affaires étrangères mais par le chef du gouvernement, l’islamiste Saad Dine Elotmani (2017-2021), en même temps secrétaire général du PJD. Les conséquences sur l’identité politique et l’image du parti sont désastreuses car la lutte contre la normalisation avec « l’entité sioniste » fait partie de l’ADN des partis islamistes. Laminé électoralement un an plus tard lors des législatives de 2021 où il obtient 12 sièges au Parlement du Maroc qui en compte 395, le PJD est aujourd’hui l’ombre de lui-même, une coquille vide.
Lors des rassemblements propalestiniens qui se déploient depuis le 7 octobre dans les artères principales des grandes villes, ni les dirigeants du PJD ni ses militants n’osent se montrer ou se mêler aux foules en colère. Et pour tenter de réparer ce que l’ancien secrétaire général avait détruit en signant le traité de normalisation, le nouveau dirigeant du PJD, Abdelilah Benkirane, un populiste lui aussi ancien chef du gouvernement (2011- 2016), multiplie désespérément les sorties médiatiques. « Oui, le PJD s’est trompé en signant la normalisation, nous l’admettons. Mais le parti n’a jamais été pour cette normalisation », déclare-t-il en sanglots, le 19 novembre 2023 devant un parterre de militants. Il va même jusqu’à offrir au leader du Hamas Khaled Mechaal, en visite au Maroc, une tribune dans laquelle le responsable palestinien, devant les militants, invite les Marocains « à s’adresser aux dirigeants du pays (…) pour rompre les relations, arrêter la normalisation et chasser l’ambassadeur » – ce qui suscite une colère noire de l’entourage royal qui y voit une « ingérence intolérable et un appel à peine déguisé au soulèvement »
Pour réhabiliter son parti, Abdelilah Benkirane ira même jusqu’à tenir des propos ouvertement antisémites : « Ils avaient des savants comme Einstein, mais ils ne voient pas loin. C’est pour cela que Dieu les a favorisés au début et maudit il y a 2 000 ans. Parce qu’en réalité, ils sont idiots. Leur idiotie leur fait croire que c’est la force qui résout le problème ». Mais ces tentatives n’ont pas d’effets marquants sur l’image de sa formation ni de ses dirigeants qui restent parmi les moins considérés sur la scène politique marocaine.
ORGANISATION À LA ROMAINE
Toutefois, l’absence du PJD va être vite comblée par l’autre composante de l’islamisme marocain : l’association Justice et bienfaisance (Al-Adl wa Al-Ihsan). Interdit mais toléré, ce mouvement, qui ne reconnaît pas le statut religieux du roi et conteste ses larges pouvoirs politiques, est très présent dans les manifestations propalestiniennes à travers la mobilisation, à Rabat et Casablanca notamment, de l’essentiel de ses sympathisants. Connu pour son organisation à la romaine, la discipline de ses membres et les moyens utilisés pour s’assurer un maximum de visibilité dans l’espace public, Justice et bienfaisance ne pouvait pas rater l’occasion du 7 octobre pour s’affirmer comme "l’unique choix islamiste possible", après le fiasco électoral et politique du PJD.
Très présents sur les réseaux sociaux, dès lors que les médias officiels leur sont fermés, les militants n’hésitent pas à utiliser la question palestinienne et celle de la normalisation comme des vecteurs de redéploiement pour rallier ne serait-ce que les déçus du PJD, mais aussi comme des leviers pour contester le régime monarchique et sa légitimité religieuse – le roi Mohammed VI étant à la fois Commandeur des croyants et président du Comité Al-Qods pour la Palestine.
SILENCE DE CATHÉDRALE
En ce qui concerne les autres partis politiques, le contraste reste très marqué avec la population qu’ils sont supposés, selon la Constitution, représenter et encadrer. Pour ces partis parfaitement domestiqués par la monarchie, la question palestinienne est devenue, depuis la signature de l’accord de normalisation, une ligne rouge à ne pas franchir, à l’exception du Parti socialiste unifié (PSU) et de la Voie démocratique travailliste (Al-Nahj Al-Dimokrati Al-Amili), deux organisations de gauche ultra-minoritaires.
Si certains osent, en y mettant beaucoup de gants, contester les attaques israéliennes contre Gaza et le nombre effrayant des victimes, ils évitent soigneusement de demander la fin de la normalisation. Cela se traduit sur le terrain par l’absence des partis politiques dans les manifestations propalestiniennes. S’agit-il d’une prudence stratégique et d’une volonté de leurs dirigeants de ne pas susciter l’ire du roi et de son entourage ? Aucune réponse. Un silence de cathédrale. Y compris, le 12 janvier 2024, au moment même où l’Afrique du Sud défend sa plainte pour génocide contre Israël devant la plus haute Cour de l’ONU, la Cour internationale de justice dont l’un des membres, le juriste Mohamed Bennouna, est Marocain. Au même moment, le Bureau de liaison, une délégation marocaine à Tel-Aviv, annonce la reprise de tous les services consulaires à partir du 22 janvier, après leur suspension, le 19 octobre 2023, lorsque le ministère des Affaires étrangères israélien avait décidé d’évacuer son bureau de liaison à Rabat en réponse à la forte mobilisation des Marocains.
Même silence du côté du Palais royal, à l’exception d’un communiqué laconique datant du 17 octobre, au lendemain du bombardement par l’armée israélienne de l’hôpital Al-Maamdani faisant plusieurs centaines de morts et de blessés palestiniens à Gaza : « Le Royaume du Maroc réitère son appel à ce que les civils soient protégés par toutes les parties et qu’ils ne soient pas pris pour cibles. Sa Majesté le roi Mohammed VI, que Dieu L’assiste, président du Comité Al-Qods, souligne l’urgence de fédérer les efforts de la communauté internationale pour mettre fin, au plus vite, aux hostilités, respecter le droit international humanitaire et œuvrer pour éviter que la région ne sombre dans une nouvelle escalade et de nouvelles tensions. »
Un silence qui sera doublé d’une absence physique du roi dès le 4 décembre. Le président du comité Al-Qods entame alors un long périple mi-officiel mi-privé qui le conduit d’abord aux Émirats arabes unis, où il est reçu en grande pompes par le Cheikh Mohammed ben Zayed fraichement investi, avant de s’envoler le 17 décembre vers les Seychelles, l’archipel africain aux 115 îles paradisiaques dans l’océan Indien. Le roi part ensuite pour Singapour, où il fête le Nouvel An, avant de finalement rentrer à Rabat le 11 janvier, jour de la signature du manifeste pour l’indépendance, célébré au Maroc.
L’universitaire Jérôme Heurtaux déplore le décalage entre les crimes commis dans la bande de Gaza et le « filet d’eau tiède » du débat français et européen. Une réaction est d’autant plus nécessaire, selon lui, que le gouvernement israélien s’abrite derrière des valeurs communes aux démocraties.
AprèsAprès100 jours de guerre dans la bande de Gaza, la dévastation de ce territoire et les souffrances de sa population ont atteint des niveaux paroxystiques. Plus de 24 000 personnes ont été tuées, des dizaines de milliers d’autres sont blessées ou portées disparues, et 1,9 million ont été déplacées dans des conditions humanitaires indignes. Au moins un immeuble sur deux a été endommagé ou détruit, l’insécurité alimentaire est généralisée, mais l’aide ne peut être distribuée qu’au compte-gouttes.
En France, et plus largement dans les pays occidentaux, le conflit est devenu un sujet d’actualité parmi d’autres, en dépit de développements judiciaires inédits, comme la poursuite d’Israël par l’Afrique du Sud devant la Cour de justice internationale. Rares sont les responsables politiques ou les grandes voix de la société civile à défendre clairement une stratégie de pressions et de sanctions à l’égard du gouvernement israélien.
Cette « gêne généralisée » est devenue insupportable à Jérôme Heurtaux, maître de conférences en science politique à l’université Paris-Dauphine. « Sans autre légitimité » que d’avoir été sensibilisé, par ses précédents objets de recherche, au « déni collectif des crimes commis », il analyse les causes et les conséquences, désastreuses pour l’idéal démocratique, du silence en cours.
Mediapart : Quelle que soit leur qualification juridique, la gravité des actes de l’armée israélienne n’est plus à démontrer. Pour vous, malgré les manifestations populaires de protestation, la parole publique en France n’est pas à la hauteur…
Jérôme Heurtaux : Il y a quand même des voix qui s’expriment. Mais certaines sont d’emblée disqualifiées par leur origine politique, comme c’est le cas pour les représentants de La France insoumise (LFI), sans cesse renvoyés à leur faute inaugurale du 7 octobre, lorsqu’ils se sont refusés pour la plupart à parler de « terrorisme ». D’autres, comme celles de l’universitaire Didier Fassin, auteur de plusieurs tribunes sur le sujet, ont fait l’objet de vives attaques.
Une gêne pesante a gagné les milieux politiques, médiatiques et académiques, globalement en phase avec la position timorée et inaudible des autorités françaises. Je suis frappé de l’autocensure qui règne parmi nombre de spécialistes de la région, certains étant échaudés du climat pesant qui règne à l’université. Dans la presse dominante et la majorité de la classe politique, on sent un souci de contrebalancer systématiquement ce qui se passe à Gaza par la fameuse évocation du droit d’Israël à se défendre.
Or, sur place, un seuil d’immoralité a été franchi, qui suscite chez moi comme chez beaucoup d’autres une indignation constante, redoublée par la discrétion ou le silence de personnes pourtant bien plus qualifiées que je ne le suis pour évoquer ce conflit. Dans le débat français, l’écart est immense entre le filet d’eau tiède qui s’y déverse et l’évidente infamie du crime commis à Gaza.
Comment expliquer l’espèce de passivité devant ces faits, malgré des manifestations de masse au plus fort des bombardements ?
Il y a bien sûr l’effroi paralysant produit par les attaques du Hamas et de ses alliés le 7 octobre. Je n’ai pas de difficulté à les qualifier de terroristes, mais je n’y vois pas une justification à l’absence d’opposition vigoureuse à ce qui se passe en représailles à Gaza.
En 2003, Jacques Chirac et Dominique de Villepin avaient refusé à juste titre de s’enrôler dans la guerre en Irak, même si celle-ci était en partie menée au nom de la cause antiterroriste, à la suite des attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis. Si l’on remonte dans le temps, plus personne n’oserait justifier le massacre de Sétif en Algérie, commis par l’armée française le 8 mai 1945 en représailles d’émeutes ayant causé la mort de colons, au nom du « droit à se défendre ».
Quelle que soit leur qualification historique ou juridique – crime de guerre, contre l’humanité, crime de génocide… –, les crimes commis aujourd’hui par les autorités israéliennes peuvent donc être dénoncés au nom d’une position morale, humaniste. Et l’humanisme n’est pas un antisémitisme ! De la même façon, on peut penser la légitimité de la résistance palestinienne à l’oppression coloniale, tout en condamnant et demandant justice pour les crimes commis par le Hamas le 7 octobre.
La paix, l’antiterrorisme et la démocratie sont [des valeurs] détournées pour couvrir des atteintes massives au droit international et humanitaire.
Si l’on en reste à une comptabilité macabre, le silence a souvent recouvert bien d’autres crimes, par exemple la guerre du Tigré en Éthiopie, le conflit le plus meurtrier de ce siècle. En quoi le « filet d’eau tiède » actuel est-il particulièrement navrant ?
Si l’on estime que le silence vaudrait complicité, alors il faudrait dénoncer toutes les horreurs de toutes les guerres actuelles, toutes les exactions connues ou supposées, toutes les abjections commises aux quatre coins du globe.
Cette tâche est évidemment impossible à l’échelle individuelle, mais elle est accomplie par une sorte d’heureuse – mais très imparfaite – division internationale du travail, entre victimes, citoyens, juristes, militants, journalistes, chercheurs et intellectuels. Les États, eux, réagissent en fonction de multiples paramètres. Il est évident qu’une partie significative des drames que connaît l’humanité sont cruellement ignorés par les opinions publiques et délaissés par les États et les organisations internationales.
Mais ce qui se passe aujourd’hui dans la bande de Gaza heurte de plein fouet, et de manière singulière, notre confort moral.
Premièrement pour des raisons historiques. L’existence d’Israël a dépendu de la communauté internationale et des Européens notamment. Depuis sa création, les Occidentaux, et notamment la France où vit la deuxième diaspora juive au monde, ont toujours été impliqués dans la région.
Deuxièmement pour des raisons plus contemporaines. L’action militaire israélienne en cours est faite au nom de valeurs que l’on partage : la paix, l’antiterrorisme et la démocratie. Or, celles-ci sont détournées pour couvrir des atteintes massives au droit international et humanitaire.
Comment se traduisent ces détournements ?
Prenons la paix. La guerre menée par Israël est présentée comme de la légitime défense. Mais que devient cette légitimité quand l’opération militaire défensive prend la forme d’une guerre punitive, quand la destruction méthodique de la bande de Gaza évoque Marioupol ou Grozny, et alors que les buts ultimes de la guerre ne sont connus de personne ? La population est foudroyée, soumise à un régime de terreur par la conjugaison de la loi du talion et de la loi du plus fort.
Prenons l’antiterrorisme. On sait quels effets de légitimation cette cause peut avoir dans les sociétés européennes, durement touchées par des attentats très meurtriers ces dernières années. Mais d’où vient cette méthode qui revient à lutter contre le terrorisme en tuant massivement des civils ? Comme l’a dit le député Jean-Louis Bourlanges, qui n’est pas connu pour son radicalisme d’extrême-gauche, la violence du Hamas est inexcusable « mais pas sans cause ». Il faut chercher à comprendre ces causes pour ne pas agir aveuglément.
Les démocraties qui soutiennent la vengeance israélienne ne font qu’affaiblir l’idée démocratique.
Prenons enfin la démocratie. Israël en est une sur le plan constitutionnel. Mais le statut démocratique ne justifie pas tout ce qui est fait en son nom, voire il oblige l’État qui le possède et s’en réclame. On a par ailleurs vu des démocraties se fourvoyer dans des conflits : la démocratie états-unienne plus d’une fois, la France en Algérie, etc. En fait, les démocraties qui soutiennent la vengeance israélienne ne font qu’affaiblir l’idée démocratique un peu partout dans le monde. Peut-on, en son nom, accepter que des enfants meurent en masse pour venger la mort d’autres enfants ?
La France ne soutient pas l’Afrique du Sud dans son action à la Cour de justice internationale (CJI) contre Israël, qu’elle accuse de « comportement génocidaire ». Que pensez-vous de cette position ?
Il est dommage que la France n’y soit pas favorable, et encore plus qu’elle n’ait pas été leader d’une telle action, alors qu’elle se prévaut d’être la patrie de la proclamation des droits de l’homme. La CJI est une institution internationale sans couleur politique, c’était une bonne arène à investir, au-delà de ce qu’on pense du gouvernement sud-africain.
À ce propos, j’ai été interpellé par les propos du nouveau ministre des affaires étrangères, Stéphane Séjourné, en réponse à Danièle Obono [députée LFI – ndlr] qui l’interrogeait sur le sujet. « Accuser l’État juif de génocide, c’est franchir un seuil moral », a-t-il dit. La genèse historique d’un État le mettrait donc au-dessus de tout soupçon, davantage que son action concrète. C’est plutôt cette conception qui me paraît relever d’une faute morale !
Le même a ajouté : « On ne peut exploiter la notion de génocide à des fins politiques. » Qu’il aille le dire à Benyamin Nétanyahou ! Le premier ministre israélien ne cesse de faire référence à la Shoah pour justifier sa guerre contre les Palestiniens.
À propos de l’Afrique du Sud, certains rappellent sa complaisance envers Omar el-Béchir, ancien dirigeant soudanais poursuivi pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et un possible génocide. Peut-on éviter l’invocation du droit à géométrie variable ?
L’événement de la CJI peut effectivement contribuer au retour du campisme. Mais la France, comme le fait d’ailleurs la Belgique, pourrait très bien soutenir cette initiative sans tomber dans le giron de la Chine et de la Russie. Il lui suffirait de se positionner selon les principes du droit humanitaire international.
Les pays européens ont d’ailleurs intérêt à nouer un dialogue sur des sujets spécifiques comme celui-ci avec des puissances du « Sud global ». Les occasions ne manquent pas mais ces occasions sont souvent manquées.
Il peut y avoir le sentiment que la clé se trouve de toute façon aux États-Unis. Les États européens et français ont-ils des moyens de pression ?
Certainement. Par exemple, il y aurait plusieurs milliers de soldats binationaux franco-israéliens et de Français volontaires engagés dans l’action militaire à Gaza. Je n’entends aucun débat sur la question, en France, là-dessus. Notre pays accueille l’été prochain les Jeux olympiques, de rares voix posent la question de la participation d’Israël en tant qu’État à la manifestation, mais le sujet ne monte pas.
La France n’a pas l’influence des États-Unis, mais elle entretient des coopérations de divers ordres avec Israël. Des sanctions sont donc possibles. Aujourd’hui, les autorités ne consentent à les évoquer qu’à propos des colons extrémistes de Cisjordanie.
Ce qui manque, c’est la volonté politique, tant à l’échelle nationale qu’à l’échelle européenne. Mon sentiment, c’est que les autorités font entendre la petite musique de la critique des excès de l’intervention militaire, s’expriment mollement quand on les pousse à le faire, affirment vouloir rechercher un cessez-le-feu tout en laissant l’armée israélienne continuer son action à Gaza.
Depuis 25 ans que je travaille sur la Pologne, je suis sensibilisé […] à tout ce qui peut alimenter le refus de savoir.
On sent une gêne généralisée : c’est elle qui m’incite à prendre la parole sans autre légitimité que celle d’un universitaire réagissant à partir de ses domaines de spécialité a priori éloignés du Moyen-Orient. Depuis 25 ans que je travaille sur la Pologne, je suis sensibilisé à l’histoire de la Shoah, aux dynamiques de négation de la participation de nombreux Polonais aux persécutions antisémites, à tout ce qui peut alimenter le refus de savoir.
Depuis douze ans que je travaille sur la Tunisie, je suis également sensibilisé aux exactions du régime de Ben Ali et à la question palestinienne, si importante aux yeux des Tunisiens. Je sais qu’une certaine complaisance à l’égard d’États coupables de dépassements peut alimenter un déni collectif des crimes commis. C’est pour ces raisons que je suis préoccupé par ce que subissent les Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie.
Après 62 ans de mariage, Aïcha et Mabrouk se séparent. Leur petite-fille, Lina Soualem, en tire un film émouvant sur les tiraillements identitaires, « Leur Algérie », que Mediapart diffuse à partir de ce samedi.
20 janvier 2024 à 12h20
LaLa grand-mère éclate de rire, pour esquiver les questions de sa petite-fille, et elle donne parfois l’impression de rire pour mieux masquer ses pleurs. Le grand-père, lui, se réfugie dans d’intenses silences difficiles à interpréter. Aïcha et Mabrouk sont arrivés ensemble d’Algérie pour emménager dans la ville de Thiers (Puy-de-Dôme), connue pour son musée de la coutellerie, il y a plus de soixante ans.
Ils viennent de se séparer, même si pour leur fils, le comédien Zinedine Soualem, manifestement dans le déni, ils ne sont pas vraiment séparés. Prenant prétexte de cette rupture, la petite-fille, Lina Soualem, réalise ici son premier long métrage, d’une immense tendresse. Leur Algérie revêt les atours du traditionnel film de famille (les albums photos qu’on feuillette, les extraits de films tremblés de fêtes tournés au caméscope, etc.), mais le film dit bien plus, sur les douleurs de l’exil, le legs de l’Algérie française, la condition ouvrière de générations d’immigré·es.
Lina Soualem a depuis réalisé un deuxième film, Bye bye Tibériade, tourné cette fois avec sa mère, la comédienne palestinienne Hiam Abbass, qui sortira en salles le 21 février, et dont Mediapart sera partenaire.
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Retrouvez d’autres documentaires à visionner sur Mediapart. Les films de notre partenaire Tënk sont là.
Le 13 janvier 2024, Jérôme Legavre, député LFI-Nupes et militant au POI, intervient au rassemblement « Palestine : Cessez-le feu immédiat ! Levée du blocus de Gaza ! » à Montfermeil (93 Seine-Saint-Denis).
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