Mais il est une récente réforme constitutionnelle qui s’est illustrée par un ridicule particulièrement pathétique. Il s’agit de la nouvelle constitution algérienne qui s’est imposée au peuple voisin frère au moyen d’un référendum au taux participatif insignifiant (23,7% !). Pis, au sein de ce taux si chétif, pas moins de 33% de votants ont rejeté le texte proposé ; cela ramène, en fin de compte, le taux des votants par « oui » à environ 16% du corps électoral algérien ! La population a ainsi boudé les urnes dans des proportions jamais atteintes depuis l’indépendance, en 1962.

Examinons en premier lieu la forme avant de faire une lecture du fond de ce texte.

La genèse du projet constitutionnel elle-même est grevée d’une multitude de faiblesses conjoncturelles. C’est au cœur de la « révolution silmiya », d’un Hirak inédit dans l’histoire contemporaine de l’Algérie, et à l’issue de la neutralisation manu militari d’un président chroniquement agonisant, que le pouvoir militaire, le seul et unique qui compte depuis 1962, fut acculé à proposer une issue constitutionnelle. Et cela a impacté le texte lui-même où l’on constate la constitutionnalisation franche et expresse du Hirak qui en a fait ni plus ni moins la raison de son élaboration. La constitution gaulliste de 1958, bien qu’élaborée au cœur de la guerre d’Algérie, s’est-elle souciée de constitutionnaliser les tourments sanglants de cette guerre ? Même la constitution marocaine de 2011, qui ne peut prétendre à l’absence de failles, n’est pas tombée dans ce travers circonstanciel alors qu’elle faisait réplique au Mouvement du 20 février dans cette atmosphère apocalyptique créée par l’hivernal « Printemps arabe » !

Une constitution paranoïaque

Outre le Hirak, plusieurs références à des faits historiques plus ou moins récents, plusieurs clins d’œil manifestes à des pulsions de type paranoïaque jalonnent cette Loi voulue suprême sans jamais atteindre les hauteurs dignes d’une Nation sereine et irréversiblement apaisée. Au point que même le funeste réservoir de caciques que fut et qu’est toujours le FLN y est cité plus d’une fois et, par conséquent, dûment constitutionnalisé à son tour.

Quant à l’armée, celle-là même que toutes les nations ayant choisi la voie démocratique désignent par le qualificatif caractéristique de « Muette », elle si présente et si prééminente dans la nouvelle constitution qu’on se demande si tous les articles voués aux libertés et aux droits n’y sont pas purement et simplement superflus. Même en cas de déclaration de guerre, l’armée peut faire celle-ci en cas d’agression effective ou même « imminente », précise l’article 100. L’appréciation de cette imminence reste donc élastique et sujette à toutes les extrapolations. D’autant que la nouvelle loi suprême constitutionnalise la projection des forces armées algériennes sur des scènes de combats étrangères. En effet, selon les termes de l’article 91, et pour la première fois depuis l’indépendance de 1962, la Loi fondamentale algérienne se réfère expressément à « l’envoi d’unités de l’armée nationale populaire à l’étranger ». Ce genre d’actions militaires ne dérange point en soi, puisque nombre de pays du Nord ou du Sud ont recours à cet outil de souveraineté, mais c’est le dogme de l’armée algérienne exclusivement casanière dont se targuaient tant les galonnés d’Alger qui est ici définitivement abandonné. Les visées hégémoniques de la Camarilla algérienne n’est sûrement pas loin.

Outre le fait qu’elle y est placée au rang de première des institutions du régime, parce que « digne héritière de l’Armée de Libération Nationale, l’Armée Nationale Populaire assume ses missions constitutionnelles ». Elle est ainsi consacrée dans son statut de « véritable pouvoir dirigeant » du pays. La soldatesque ne lâche donc rien du véritable pouvoir dont elle se fut accaparée dès la veille de l’indépendance ! Circulez, il n’y a rien de nouveau !

Quant au fond, le pire de cette posture constitutionnelle quasi paranoïaque nous est livré dans les conditions pour le moins verrouillées de l’éligibilité du président de la république tels que déclinées par l’article 87.

Il y est stipulé, en effet, ceci :

« Pour être éligible à la Présidence de la République, le candidat doit :

 

– ne pas avoir acquis une nationalité étrangère ;

– jouir uniquement de la nationalité algérienne d’origine et attester de la nationalité algérienne d’origine du père et de la mère ;

– être de confession musulmane ;

– avoir quarante (40) ans révolus au jour de l’élection ;

 

– jouir de la plénitude de ses droits civils et politiques ;

– attester de la nationalité algérienne d’origine unique du conjoint ;

– justifier d’une résidence permanente exclusive en Algérie durant un minimum de dix (10) années précédant le dépôt de la candidature ;

– justifier de la participation à la Révolution du 1er novembre 1954 pour les candidats nés avant juillet 1942 ;

– justifier de la non implication des parents du candidat né après juillet 1942, dans des actes hostiles à la Révolution du 1er novembre 1954 ;

– produire la déclaration publique du patrimoine mobilier et immobilier, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Algérie.

D’autres conditions sont prescrites par la loi organique ».

Chacun appréciera le degré d’exclusionnisme et d’exclusivisme des conditions d’éligibilité à la magistrature suprême algérienne.

En vérité, jamais constitution n’aura été moins imaginative ni plus circonstancielle.

Le régime garde donc intactes ses fondamentaux oligarchiques et collectivistes. Même le commerce extérieur, universellement considéré comme l’arme majeure de la compétitivité économique d’une nation éprise de prospérité, est soumis au verrouillage oligarchique.

L’Article23 impose ainsi le fait proprement surréaliste que « l’organisation du commerce extérieur relève de la compétence de l’Etat » en ajoutant : « La loi détermine les conditions d’exercice et de contrôle du commerce extérieur ». Même le régime cubain s’est débarrassé d’une telle « fausse fierté ». On se croirait plutôt au pays de Kim Jong-un !

Consécration du népotisme par le verrouillage économique

Et c’est avec un tel recroquevillement dogmatique que la Nomenklatura militaire d’Alger ose prétendre, dans l’article 32, que « L’Algérie est solidaire de tous les peuples qui luttent pour la libération politique et économique, pour le droit à l’autodétermination et contre toute discrimination raciale ». Libérer économiquement les peuples – rien que ça ! –  alors qu’on n’a pas encore daigné libérer sa propre économie à l’ère de la mondialisation, quel contresens !

Hélas, l’eût-elle véritablement voulue, la Nomenklatura d’Alger ne pourrait libérer une économie plombée par la gabegie, le pillage et, surtout, les passe-droits. A titre d’exemple, aller jusqu’à constitutionnaliser les passe-droits octroyés, près de soixante longues années après l’indépendance, aux sempiternels « Moujahidine », et ce au détriment des nouvelles générations sans horizon, ne relève-t-il pas d’un acharnement psychotique à pérenniser les libéralités avec l’impératif égalitaire énoncé dans ce même texte ?

Sinon, que signifie le 3ème alinéa de l’article 80 par lequel non seulement « l’Etat garantit le respect des symboles de la Révolution, la mémoire des chouhada », ce qui est en soi louable, mais garantit également « la dignité de leurs ayants droit et des moudjahidine ». Chacun sait ce que la carte de « Moujahid » procure en termes de prébendes, de rentes, de dérogations, de licences diverses et variées. Pour une Camarilla qui passe son temps à vilipender les turpitudes du Makhzen, les passe-droits sont bel et bien inscrits dans une constitution sensée, disait Gaïd Salah, « purger le pays de ses pratiques démoniaques et le débarrasser d’une ère marquée par la gabegie et le pillage des deniers de la nation »

Non, loin de mettre fin au collectivisme, au népotisme et au pillage systémique de l’Algérie, la nouvelle constitution, sous le chatoyant emballage de beaux principes généraux, n’a fait que consacrer les fondamentaux d’un régime où les politiques sont réduits au statut de larbins de la soldatesque et où, plus que jamais, le dernier mot quant au devenir algérien revient toujours à ceux qui ont abandonné leurs casernes pour le gouvernail d’un bateau désespérément ivre ! Dommage…le peuple algérien frère ne méritait pas une telle mauvaise et ridicule plaisanterie !