L’ARMÉE D’AMAZONES ET DE GUERRIERS DU ROI DU DAHOMEY BÉHANZIN, 1890. © WIKIMEDIA COMMONS
Tueries, mises à sac, incendies… L’armée nationale ne recule devant rien pour imposer sa loi. Et briser les farouches résistances.
Pacifier. Imposer la pax colonia . C’est l’ambition de la IIIe République (1870-1940), période où l’empire colonial français connaît son plus grand essor. Un essor « civilisationnel » qui se fait essentiellement par la force. La conquête de l’Algérie en offre les premiers exemples. La guerre qui y est menée par les généraux français est sans pitié et la dimension raciale du conflit, très présente ; on ne combat pas ici des Européens et l’adversaire est donc réduit à un statut inférieur. On décrit alors la conquête coloniale comme une nouvelle croisade et, dans une lettre de 1851, le général de Saint-Arnaud donne le ton : « Depuis le col franchi le 11, jusqu’à Djidjelli où je suis arrivé le 16, je me suis battu presque tous les jours, de cinq heures du matin jusqu’à sept heures du soir ; j’ai laissé sur mon passage un vaste incendie. Tous les villages, environ deux cents, ont été brûlés, tous les jardins saccagés, les oliviers coupés. »
L’idéal de civilisation est parfois imposé par les ruses les plus abjectes. Déjà en 1763, les Britanniques avaient décimé des populations indiennes en leur fournissant des couvertures infestées par la variole. En Nouvelle-Calédonie, nous raconte un élève de l’anthropologue Leenhardt durant les années 1930, le colon français « a tué le Kanak d’une manière astucieuse. Il lui a dit : “Bois, car l’absinthe est bonne.” Et le Kanak ignorait que c’était pour le tuer. Il a égaré les chefs et pris leurs terres. » A l’époque, ces pratiques ne suscitent aucune objection : « Si dans ces immenses contrées où règnent le fanatisme et le brigandage, la France apportait – fût-ce au prix de verser le sang – la paix, le commerce, la tolérance, qui pourrait parler d’un usage illégitime de la force ? » clame le catalogue de l’Exposition coloniale internationale de 1931.
Une armée composée de délinquants et criminels
Sur place, « aux colonies », les soldats qui imposent la civilisation sont pour la plupart des proscrits et des réprouvés, expulsés de métropole car tenus pour dangereux. Le gouvernement français utilise en effet l’armée des colonies pour éloigner les éléments perturbateurs : délinquants, criminels, mais aussi individus considérés comme révolutionnaires. Les « Bat d’Af », les bataillons d’infanterie légère d’Afrique, sont composés de militaires condamnés à des peines correctionnelles par la justice militaire. Dans sa chanson A Biribi, Aristide Bruant évoque en 1891 ces « mauvaises têtes » envoyées en Afrique pour y être matées… et mater les indigènes. « A Biribi, c’est là qu’on crève / de soif et d’faim / C’est là qu’i faut marner sans trêve / Jusqu’à la fin !… / Le soir, on pense à la famille, / Sous le gourbi… / On pleure encor’ quand on roupille », énonce la complainte. Conséquences de ce « casting » ? La douceur n’est pas de mise avec les indigènes. Au Tonkin, comme le raconte l’écrivain Pierre Loti en 1885, ces derniers sont des hommes « d’une grande laideur, étiques, dépenaillés, misérables, à peine armés de lances et de fusils rouillés, coiffés d’abat-jour blancs. Ils n’avaient pas l’air d’ennemis bien sérieux. On les avait presque tués là sur place, au milieu de leur effarement, à coups de baïonnettes. »
Abd el-Kader, le roi Béhanzin du Dahomey, Samory Touré : de puissants adversaires
Parfois, les adversaires donnent du fil à retordre et leur lutte s’incarne dans une personnalité hors du commun. C’est évidemment Abd el-Kader, qui dirige un soulèvement en 1839 contre l’occupation de l’Algérie, organisant ce que le général Bugeaud va appeler « une Vendée musulmane » ! Il faut attendre 1847 pour que les Français viennent à bout de ce grand combattant.
Plus tard et plus au sud, le roi Béhanzin du Dahomey (Bénin) défend farouchement ses terres avec notamment sa garde rapprochée d’amazones, des combattantes qui manient le fusil et excitent l’imagination des Français.
C’est enfin Samory Touré, qui tient la Guinée et une partie du Niger et qui résiste aux Français, usant de la politique de la terre brûlée et tendant des embuscades meurtrières aux conquérants. Capturé en 1898, il meurt deux ans plus tard. Ironie de l’histoire, en 1960, c’est son arrière-petit-fils, Sekou Touré, qui deviendra président de la Guinée, seul pays africain à voter pour une indépendance immédiate en 1958 et à refuser le maintien de son pays dans la Communauté française. C’est qu’en Guinée comme ailleurs, on n’a pas oublié que l’inclusion dans l’empire français s’est faite dans le sang. « La conquête d’un pays de race inférieure par une race supérieure qui s’y établit pour le gouverner n’a rien de choquant », écrivait le philosophe Ernest Renan en 1871. Projet impérial fondé sur l’idée de l’inégalité des races et imposé par la force, si le colonialisme a eu des aspects positifs, c’est bien malgré lui.
https://www.caminteresse.fr/histoire/colonies-francaises-simposer-par-la-force-11133161/
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