Cette notice est rédigée à partir d’entretiens avec Marcel Yanelli, sa famille et ses proches
En cette fin d’année 2005, Marcel Yanelli a 67 ans. Il se décide à franchir le pas de la publication de ses carnets écrits en 1960 et 1961, durant les quatorze mois passés en Algérie, dans un commando de chasse : « Au vu et au su de tout le monde, j’écrivais sur des petits carnets, pendant les opérations ou après… Ces écrits, ainsi que les quelque 200 photos prises là-bas, sont restés longtemps dans un coin de mon bureau. Seuls, les plus proches de ma famille les avaient lus ». Vers la fin de l’année 1999, quelques pages paraissent dans un ouvrage édité par l’Amicale des vétérans du PCF intitulé La lutte des communistes de Côte d’Or contre les guerres coloniales, Indochine, Algérie, Vietnam. Des adaptations scéniques sont également produites. En 2002, il commence à « intégrer ses écrits dans son ordinateur ». « Ce ne fut pas aisé car mes notes étaient très serrées et fines et je dus avoir recours à une loupe… Pas aisé aussi car l’adulte que je suis devenu était parfois tenté de gommer ou de modifier les aspects naïfs, excessifs, ultra-sensibles ou trop intimes de mes écrits de l’époque. Ce que je me résolus à ne pas faire ».
À la question, « Pourquoi ces écrits sortent-ils seulement maintenant ? » Marcel Yanelli pense que les choses doivent venir en leur temps, celui du mûrissement par exemple… « Ou encore celui du sentiment aigu de la précarité du temps, surtout pour les gens de mon âge qui ont vécu cette période… Celui, également, du travail de mémoire, de réparation que la France n’a pas voulu effectuer ».
« Une vie riche de passions, d’engagement militant. Riche de certitudes aussi nombreuses que les doutes et remises en cause »
Fils d’immigré, né à Épinac, en Saône-et-Loire, « car les émigrés italiens et polonais des années 1920-1930 étaient utilisés pour les métiers les plus durs et à Épinac aussi il y avait des mines ». Il a sept frères et sœurs, les deux aînés sont nés en Italie. « Nous avons vécu dans la pauvreté, mais nous avons été élevés dans la dignité, dans le respect des autres, de leur différence ».
À l’âge de 15 ans, il est « éjecté » du circuit scolaire. Apprenti monteur en chauffage, il obtient un certificat d’aptitude professionnelle à 18 ans. « C’est par beaucoup d’efforts personnels que j’ai dû compenser mes manques de connaissances générales, et je sais que celles qui ne sont pas
« Je suis un passionné de la vie. J’étais contre cette guerre faite à tout un peuple »
D’autres ont préféré déserter. Pour lui, il n’en a pas été question : « Appelé en Algérie, je n’y suis pas allé pour faire la guerre mais pour gagner mes compatriotes à la conscience que cette guerre n’avait rien à voir avec les intérêts de la France. Le moment était venu pour moi, comme pour d’autres jeunes communistes ou chrétiens, non de refuser de partir, mais de me retrouver avec les gars du contingent - les appelés - pour faire mon travail de militant de la paix en Algérie. Cette dernière ne pouvait survenir que si les appelés aussi comprenaient les véritables enjeux de la pacification ». Et puis la stratégie du parti a changé. Il va parler, discuter sans relâche, dénoncer les manipulations. « Par exemple : opération en hélicoptère. Arrivée sur un camp de nomades, sur les hauts plateaux. Dans le fracas des hélices il fallait sauter sur le sol, des coups de feu partout. De quoi être effrayé : fouillez, détruisez tout ! La peur n’aidant pas à la sérénité, les gars s’exécutaient… Mais pour apprendre plus tard que les coups de feu en question venaient exclusivement des officiers et sous-officiers… Oui mais le mal était fait et, pour ne pas avouer sa peur, il fallait justifier les destructions comme un mal nécessaire ».
« Je souhaite que mon témoignage écrit à vif, en situation, il y a quelque 44-45 ans, contribue à ce que le voile se lève sur cette guerre ».
La torture. Il cite Hervé Bourges : « Le crime commis dans un camp n’excuse pas le crime commis dans l’autre camp. Mais le crime commis dans mon camp, moi, j’en suis responsable ». Les traumatismes causés par cette guerre sont gravés dans la mémoire, et le temps ne soigne pas les traumatismes : « Ce sont les mots qui soignent et seulement les mots ! Faire ce travail n’est pas réveiller de vieilles culpabilités… C’est, au contraire, leur régler leur compte, c’est permettre de “faire la paix”, individuellement et au niveau de la société elle-même. C’est permettre à ceux de ma génération qui sont encore en vie de transmettre leur histoire à leurs enfants, de ne plus porter des fautes et des crimes qu’ils n’ont pas à porter ».
L’intégralité des « carnets d’Algérie de Marcel Yanelli », accompagnés de nombreuses photos et commentaires, peut être lue sur : <http://perso.wanadoo.fr/marcel.yanelli>.
"J’ai mal à l’Algérie de mes vingt ans", nouveau livre témoignage sur une guerre perdue d’avance
PARIS - Un nouvel ouvrage sur la guerre de libération, édité par l’Harmattan, vient s’ajouter aux nombreux témoignages d’appelés du contingent français réprouvant le combat contre un peuple qui luttait pour son indépendance.
"J’ai mal à l’Algérie de mes vingt ans. Carnets d’un appelé, 1960-1961" (253 pages) est la compilation des notes, des impressions écrites au jour le jour pendant 14 mois par un jeune homme de 22 ans, Marcel Yanelli, "tourmenté" par la guerre qui était à son épilogue avec les négociations entre le Gouvernement Provisoire de la République algérienne (GPRA) et le gouvernement français.
L’auteur place ses témoignages dans le cadre du travail de mémoire de cette guerre "que l’on a longtemps appelée hypocritement ‘opérations de maintien de l’ordre’".
"Je pense que les choses doivent venir en leur temps, celui du mûrissement par exemple... Ou encore celui du sentiment aigu de la précarité du temps, surtout pour les gens de mon âge qui ont vécu cette période... Celui, également, du travail de mémoire, d’histoire de réparation que la France n’a pas voulu effectuer...", explique-t-il.
Car, pour lui, il est impossible, du côté des Français, d’oublier ses soldats "morts pour rien en Algérie".
"Pour rien, car cette guerre était perdue d’avance, car on ne peut rien faire quand tout un peuple est debout ! Comment ignorer ces centaines de milliers d’Algériens et Algériennes morts pour que leur pays devienne indépendant", s’est-il demandé.
Loin de constituer un lot de révélations sur le déroulement de cette "sale guerre", l’ouvrage de Marcel Yanelli tente de montrer qu’en parallèle à cette guerre, une autre guerre secrète était menée par les militants de la paix envoyés à dessein combattre en Algérie.
"Je n'y suis pas allé pour faire la guerre mais pour gagner mes compatriotes à la conscience que cette guerre n'avait rien à voir avec les intérêts de la France", explique-t-il, ajoutant que "le moment était venu pour moi, comme pour d'autres jeunes communistes ou chrétiens, non de refuser de partir, mais de me retrouver avec les gars du contingent (les appelés) pour faire mon travail de militant de la paix en Algérie".
Affecté en opérationnel (dans un commando de chasse), Marcel Yanelli, né en 1938 dans une famille de 8 enfants, de parents émigrés italiens, ne reste pas cependant coupé de ce qui se passe autour de cette guerre. En suivant le procès des membres du "réseau Jeanson" et prenant connaissance de l’appel des 121, il écrit que "ces deux choses soulignent le drame d’un peuple tiraillé par le devoir, par l’esprit de justice. Le caractère de cette guerre est mis à jour".
Ce qui le met dans un questionnement existentialiste: "Les milieux littéraires agissent. N’est-ce pas le moment pour accentuer notre mouvement? Et moi ? Que faire ? Rester ici ?"
Il relate les atrocités et les crimes des soldats (les viols, la torture et les vols), qu’il dénigre mais ne peut rien faire. "J’exprime ma rancœur, mon indignation. Ils ne me comprennent pas, justifient la torture (…)", relève-t-il.
Marcel Yanelli revient dans son ouvrage sur la loi de 2005 qui soulignait "le rôle positif de la présence française dans les colonies".
"Et double honte ou colère quand une majorité de députés de l’Assemblée nationale ose voter en 2005, une loi insistant sur (le rôle positif de la présence française dans les colonies), une loi qui impose un mensonge officiel sur des crimes, sur des massacres allant parfois jusqu’au génocide, sur l’esclavage, sur le racisme hérité de ce passé", s’indigne-t-il.
Regards croisés sur la guerre d'Algérie Version Juillet 2020
un témoignage de Marie-Louise (son épouse décédée le 12 juin 2020) sur le drame de Charonne en février 1962.
http://www.micheldandelot1.com/
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