Le village Sahel à Bourkika : Tipasa, côté cour !
Sahel, un villagede près de 3000 âmes, distant de 5 km de la commune Bourkika, wilaya de Tipasa, cache sa misère loin des regards des usagers de la RN42, principal axe routier reliant Tipasa à Blida via El Affroun. La précarité, sous toutes ses facettes, semble, a priori, s’ériger dans cette bourgade en une amère constance au quotidien où se mêlent nombre de problèmes difficilement surmontables. La promiscuité, le chômage, le désert culturel et le manque de débouchés sont, selon un instituteur du village, les éléments essentiels du décor où évolue, et tente de survivre, une partie non négligeable des familles de cette contrée qui, paradoxalement, est généreusement gâtée par la nature.
En effet, pour rejoindre le village Sahel depuis Bourkika, il faut d’abord emprunter la RN42 en direction d’Ahmeur El Aïn. A moins de deux kilomètres de marche, une route secondaire, en direction du sud, séparant deux immenses champs fertiles où on cultive notamment la vigne, trace la voie vers le village en question. La chaussée semble en très bon état, ce qui laisse d’ailleurs aux automobilistes ainsi qu’aux visiteurs le loisir et le plaisir d’admirer, tranquillement et sans tracas, les fellahs travailler la terre. Une terre riche qui récompense généreusement ses laboureurs. «La Mitidja est notre mère nourricière.
On la cajole, on prend soin d’elle. Si un jour on la délaissait, elle nous punirait. La Mitidja est la plus belle terre au monde», dira Mohamed, un paysan quinquagénaire qui a volontiers consacré toute sa vie au travail de la terre. De ces champs, on aperçoit un peu au loin les tentacules de Sahel étendues sur une colline peu élevée. Avant d’y parvenir, et sur la droite de la route, un château d’eau, dont les parois sont peintes en blanc et en bleu, indique l’existence d’un centre d’habitation. A l’entrée du village, des maisons plus au moins récentes bordent le chemin carrossable.
L’ENVERS DU DÉCOR
Au fur et à mesure qu’on gagne le centre, le décor ambiant se résume sommairement à des tableaux austères que façonnent, de chaque bordure de l’artère principale, deux rangées de maisons construites à l’identique, avec peine, des dizaines de masures construites à l’aide de matériaux rudimentaires qui rappellent étrangement et à bien des degrés les quartiers bidonvilles. Au centre du village, lieu de rencontre des habitants, quelques échoppes, un kiosque à tabacs, une épicerie et une cafétéria assurent au lieu un semblant d’animation. La mosquée, impeccablement entretenue, évite, selon certains citoyens d’ici, aux fidèles de parcourir des kilomètres pour accomplir la prière.
C’est à proximité de cet endroit qu’on a rencontré Rabah, un jeune du village Sahel, qui s’est proposé pour servir de guide à travers les dédales des quartiers de son village natal. «Les maisons qui jouxtent la rue principale forment, en effet, une cité, dont la construction date des années 1970. Le reste des quartiers proches, se trouvant derrière la cité, sont en majorité d’anciennes bâtisses, continuellement modifiées et consolidées par leurs occupants afin qu’elles ne tombent pas en ruine», observe Rabah. En réalité, les travaux de consolidation dont parle notre guide n’ont rien de spécifique, au mieux, ils se limitent, selon un autre habitant, au rafistolage des toits pour éviter l’infiltration des eaux pluviales ou à remplacer une tôle rouillée de la clôture pour assurer l’intimité intérieure.
LES TAUDIS N’ARRIVENT PLUS À ABRITER TOUT LE MONDE
Les ruelles s’enfonçant dans les entrailles des quartiers de Sahel, du moins ceux visités, sont, pour la plupart des cas, non bitumées, encore moins bétonnées. Exception de quelques demeures construites véritablement en dur, le reste, s’apparente plus à des gourbis. On peut deviner aisément la précarité des familles qui y vivent. En effet, la partie externe des murs des masures est tapissée d’une mixture de couleur de la glaise à base de bouse. Selon Rabah, cette couche assure une isolation et une température normale pour les pièces internes. En plus des vieilles tuiles qui font office de toit, les habitants ont souvent recours à l’utilisation de tôles métalliques et autres bâches pour renforcer leur étanchéité. Si l’on croit les voisins de Rabah, leurs taudis n’arrivent plus à abriter tout le monde. « Cela peut paraître impossible, voire inimaginable, mais à Sahel, dans certaines maisons cohabitent deux, trois, voire quatre, familles. C’est dire la promiscuité qui nous étouffe », peste-t-il. « Ce n’est pas tout, reprend Rabah, des maisons d’un autre quartier du village se trouvent en danger permanant. Des lignes électriques de haute tension (30.000 volts) passent juste au-dessus de ces maisons ». En parlant d’électricité justement, on remarque sur les poteaux électriques en ciment qui jalonnent le quartier de Rabah des inscriptions indiquant qu’ils sont installés ici depuis 1959 !
NAISSANCE PAR FORCEPS DU DOUAR
Ce n’est pas le seul vestige qui demeure à Sahel de l’ère coloniale, une construction, pourvue d’une tourelle de forme rectangulaire, a abrité une caserne de militaires français. « Ce ne sont pas les quelques poteaux électriques ou l’ancienne caserne qui date d’avant l’indépendance, c’est le Sahel en entier qui garde les stigmates de la présence coloniale », confie Guendouz M’hamed, 63 ans, un habitant du village. Selon son récit, Sahel était à l’origine un centre de regroupement créé par l’occupant français le 1er juin 1957. « A cette date, la révolution bouclait sa troisième année, les combats entre les moudjahidine et la force coloniale faisaient rage. Devant la volonté inébranlable des Algériens à recouvrer leur indépendance, les Français ont, dans leur sauvagerie aveugle, regroupé les familles et Aârchs dans des centres de regroupement. C’est dans cet esprit d’oppression qu’est né le Sahel », raconte-t-il. Et d’ajouter : « c’est nous, les familles déplacées, que les Français ont obligé de construire le village, sa clôture et sa caserne. Si ma mémoire est bonne, il y avait à cette époque à peu près 350 maisons. Après l’indépendance Sahel existe encore avec ses souvenirs amers et son présent difficile». Avant le découpage administratif de 1984, le village dépendait de la commune de Oued Djer. «Certes, des efforts ont été déployés depuis ou avant le découpage administratif de 1984 pour améliorer le cadre de vie et partant désenclaver Sahel. Seulement, notre vécu parle de lui-même. La crise de logement se pose toujours avec acuité, compte tenu du facteur démographique. Le chômage touche au moins un membre des familles de Sahel. Pour résumer et devant le manque de débouchés notables, la précarité sociale est une réalité qu’on ne peut cacher facilement ici », soulève amèrement un père de famille, rencontré au sein du siège de l’association sportive du village.
1994, L’ANNÉE DE L’EXODE FORCÉ
Comme dans nombre de localités rurales plus ou moins isolées, le village de Sahel a vu, durant la décennie rouge, ses enfants le quitter. Se sinistre épisode plonge nos interlocuteurs dans des souvenirs qu’ils ne veulent en aucun cas revivre. « La peur, la suspicion et la psychose avaient atteint leur paroxysme.
Ce qui a poussé la majorité des habitants à fuir le village en novembre 1994 c’est un attentat terroriste effroyable qui a ciblé un de nos voisins. En effet, presque 90% des familles ont pris le chemin de l’exode. Elles ont trouvé refuge chez des proches. Certaines à Cherchell, Bourkika ville et même à Blida. Moins d’une année après, toutes les familles ont regagné, à la faveur du renforcement de la sécurité, leurs maisons. Toutefois, la vigilance était toujours de mise jusqu’à ce que la paix soit progressivement rétablie, notamment avec la concorde civile et la charte pour la paix », dira un instituteur. Si Sahel s’est débarrassé, depuis, du spectre de l’insécurité, il traîne encore un lourd fardeau, celui-ci d’ordre social particulièrement.
« La crise de logement, le chômage ainsi que le déficit en matière de structures culturelles et de loisirs sont, outre le fait qu’ils sont des maux interdépendants, le corollaire d’un problème qu’on n’a pas pu surmonter depuis l’indépendance. En effet, la nature juridique de la majorité du foncier sur lequel est bâti Sahel empêche tout dynamique de développement et partant l’amélioration du cadre de vie des habitants. Le périmètre urbain du village appartient à des privés. La création même du village était un fait accompli décidé par les forces coloniales pour entasser les familles qui vivaient un peu partout sur la plaine environnante », explique Rabah. Cette situation inextricable, dira un autre, a généré, non seulement des litiges entre habitants et propriétaires, dont le dénouement est entre les mains de la justice, mais aussi un blocage sur le plan de développement.
« Même si des logements ont été distribués et des aides pour la construction accordées à des familles d’ici, on souffre toujours de la promiscuité qui est devenue source de clivage et de désarroi. Même cas de figure pour l’emploi. Les opportunités se font de plus en plus rares, en dépit du fait que nous sommes toujours attachés à la terre », avoue, impuissant, un jeune qui tient à souligner que malgré l’étroitesse de la marge de manœuvre dont disposent les pouvoirs publics pour réaliser des projets de développement, compte tenu de la configuration juridique du foncier, il n’en demeure pas moins qu’il y a un travail palpable qui a été réalisé.
TOUT N’EST PAS NOIR
«L’agriculture, à titre d’exemple, peut à elle seule résorber le problème du chômage dont souffrent nos enfants, pour peu que des moyens leur soient donnés», remarque un homme d’un certain âge. « Ce qu’il faut savoir, c’est qu’avant le début de la décennie rouge, un nombre important de familles de Sahel vivait de l’agriculture. Mais dès le début des années 1990, les choses ont changé. Les agriculteurs ont délaissé la terre. Maintenant avec le rétablissement de la paix, ce n’est pas la volonté qui manque, ce sont les moyens qui font défaut pour qu’on se réconcilie à nouveau avec notre mère nourricière (la terre) », précisera M’hamed Guendouz.
Et d’ajouter : « Le manque de moyens pour cultiver la terre est dû essentiellement à l’incapacité financière dont souffrent les habitants. Le handicap pécuniaire empêche également des familles d’ici, pour ainsi dire, à lutter à armes égales contre la promiscuité.
On souhaite que la situation s’améliore, d’autant plus que des actions ont été prévues par les autorités dans ce sens, particulièrement dans le cadre du PPDRI (Projet de proximité de développement rural intégré). Ce dispositif fait germer un véritable espoir chez notre jeunesse. D’ailleurs, des candidat ont déposé un dossier pour en bénéficier dès cette année normalement ». Voulant conclure avec une note d’espoir, l’instituteur a tenu à dire qu’à Sahel tout n’est pas noir.
Chaque année, une dizaine, en moyenne, de candidats obtiennent leur baccalauréat. Parmi la population, on compte des docteurs, des enseignants universitaires même à l’étranger, des ingénieurs et des cadres. « Ce sont notre fierté», souligne-t-il. Autre fait encourageant à Sahel : en plus de l’existence d’une annexe d’état-civil et d’un dispensaire, on n’y trouve également une grande école primaire avec 23 classes pédagogiques qui a bénéficié d’une opération de réaménagement ainsi qu’un CEM. Aussi, le club de football local créé en 2006, évoluant en division préhonneur, compte, malgré les difficultés rencontrées, 125 sociétaires, des petites catégories jusqu’aux seniors. « En plus de la pratique du sport, notre association sportive est devenue un abri pour notre jeunesse afin qu’elle ne verse pas dans la délinquance », confiera Houari Aziz, le président du club qui fait également office
d’entraîneur et éducateur.
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