Une étude intitulée « Les jeunes en Algérie » menée par la Fondation Friedrich-Ebert-Stiftung (FES) présente un aperçu de la situation socioéconomique de la jeunesse en Algérie bien peu flatteur. En effet, l’analyse, indique que près de la moitié des jeunes âgés de 16 à 30 ans (hommes et femmes) vivent dans la pauvreté et précarité en Algérie et l’augmentation est exponentielle.
« Les jeunes Algériens font face à de nombreuses vulnérabilités qui amènent des inégalités multidimensionnelles. La première des inégalités est celle de l’insertion sociale par le travail qui apparait comme une priorité politique en termes de mécanismes étatiques déployés, mais leur effectivité reste faible », nous dit l’étude. Et ce, par manque de postes de travail inhérent, à la structure rentière de l’économie algérienne et aux obstacles financiers et administratifs qui empêchent les jeunes en âge de travailler de se positionner en tant qu’acteurs économiques.
En 2021 l’Algérie, possédait un taux de chômage global peu éloquent de 14,54 % pour une durée moyenne de 26 mois avant de pouvoir atteindre un emploi formel. Concernant les jeunes âgés de 15 à 24 ans, le taux de chômage est de 26,9 %, malgré la mise en place de structures d’encadrement (Caisse Nationale de l’Assurance chômage (CNAC), Agence de Développement Social (ADS), Agence nationale de l’emploi (ANEM), etc. visant à combattre l’emploi informel qui fait vivoter nombre d’Algériens.
Les résultats de cette enquête de terrain révèlent que les jeunes Algériens perçoivent en moyenne 11 800 dinars algériens (75 euros) par mois de la part de leur famille, ce qui ne leur permet pas de vivre dignement dans un pays qui subit l’inflation et la cherté de la vie. 13 % épargnent pour les projets migratoires, alors que 43 % pour cas de besoin. Pratiquement la moitié des jeunes questionnés dépensent leur argent en l’habillement (48 %) suivi de la connexion internet avec 32 %.
D’autre part, il est dit que le cadre dans lequel la jeunesse a des possibilités de manœuvrer dans la sphère sociale et politique est « assez restreint, voire restrictif ». Plus de 80 % de ces jeunes vivent encore avec leurs parents dans le domicile familial parce qu’ils n’ont pas les opportunités de s’assumer. D’après l’enquête, les dépenses des jeunes vont en premier lieu vers l’habillement (48 pour cent), la connexion internet (32 pour cent), puis l’alimentation qui reste toutefois le poste de dépense budgétaire le plus important dans les trois premiers quintiles de richesse (ONS 2011).
A cela, il faut également relever les inégalités territorialesen Algérie créatrices d’inégalités intragénérationnelles. Ainsi, les jeunes des zones urbaines accèdent plus aux ressources que ceux dans le rural, des hauts plateaux ou du sud du pays où la pauvreté multidimensionnelle varie considérablement selon les régions. Celles du Nord-Centre et du Nord-Est sont confrontées à des niveaux de privation inférieurs à ceux du reste du pays, tandis que la région des Hauts Plateaux Centre est confrontée à un niveau de privation plus élevé (banque mondiale 2021).
Par ailleurs, malgré leurs divers potentiels, les jeunes Algériens sont « évincés de la sphère économique de par une faible intégration sur le marché du travail dans des conditions décentes » dit encore l’étude qui se base sur une analyse de données d’une enquête menée auprès de 1046 jeunes en 2021,
Un constat à cet égard, de la sociologue auteure de cette étude l’Algérienne Khadija Boussaïd (mars 2023), explique cela par, « la limitation de leurs libertés individuelles qui entame l’expression pure de leur identité, et, de ce fait, l’accroissement de leur vulnérabilité relationnelle ». Ils sont marginalisés matériellement par la non-accessibilité aux ressources qui leur permettraient de s’autonomiser en tant qu’adultes.
Au niveau politique, la crise de confiance creuse le fossé entre les jeunes et les autres générations. La jeunesse reste une catégorie vulnérabilisée qui cherche des espaces d’expression au-delà des difficultés qu’elle rencontre dans sa quotidienneté. Ces espaces peuvent être de l’ordre de l’informel, de la migration ou du repli communautaire, peut-on lire dans le rapport de Khadija Boussaid qui s’est avéré avoir fait, en une vingtaine de pages, tout le tour de la question.
Même le côté spirituel a été traité « plus de 60 % des jeunes déclarent vivre en suivant les principes de la religion et 41 % d’autres estiment que la religion a un rôle à jouer dans la vie publique ». Le désir de migration n’a pas été en reste. La moitié des jeunes enquêtés (51 %) désirent immigrer et en termes de destination, l’Europe reste un espace central du projet migratoire, suivie par le Canada et les USA, puis par les pays du Golfe. La volonté d’émigrer est aussi liée à la non-valorisation des potentiels créatifs et inventifs des jeunes, et ce, dans divers domaines, dit encore l’étude.
Mohamed Jaouad EL KANABImardi 18 avril 2023 - 10:45
La vague de violences xénophobes frappant les migrants subsahariens en Tunisie fait écho à d’autres raidissements ultranationalistes au Maroc et en Algérie. Les surenchères se nourrissent du jeu d’Etats cherchant à se consolider sous la bannière du souverainisme.
Des barrières métalliques bloquent la rue devant le siège du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) situé aux Berges du Lac, un quartier d’affaires huppé près de Tunis. Malgré la pluie, des enfants jouent entre les tentes et les abris de fortune. Une centaine de réfugiés et de migrants – hommes, femmes et enfants – campe là depuis plus d’un mois.
« Nous ne pouvons plus rester en Tunisie », déplore Mohamed Salah, un Soudanais de 35 ans à la voix posée. Détenteur du statut de réfugié délivré par le HCR – il a fui la répression au Darfour en 2018 –, M. Salah avait pu se poser à Tunis, où il avait trouvé à s’employer sur les chantiers de la ville.
Mais sa vie a basculé le 21 février, lorsque le président tunisien, Kaïs Saïed, s’est lancé dans une diatribe contre les « hordes de migrants clandestins », source, à ses yeux, « de violence, de crimes et d’actes inacceptables ».« Après la déclaration de Kaïs Saïed, c’est devenu infernal », grince M. Salah, qui a aussitôt perdu son travail et son logement. « Nous n’avons plus aucun futur ici », opine Mohamed Ali, un jeune Sierra-Léonais qui, lui aussi, se retrouve à la rue. Et espère, en campant devant le siège du HCR, que la communauté internationale voudra bien l’aider à regagner son pays.
L’infortune qui frappe Mohamed Salah et Mohamed Ali est un symptôme. L’indice d’un nouvel air du temps, celui des crispations identitaires et des raidissements xénophobes, ciblant les ennemis de l’extérieur et leurs « complices » intérieurs. Cette régression national-autoritaire saisit l’ensemble des pays du Maghreb, déclinaison nord-africaine des convulsions réactionnaires qui secouent bien d’autres régions du monde, dont l’Occident, en proie aux démangeaisons illibérales.
Le président tunisien, Kaïs Saïed, est l’illustration presque caricaturale de cette nouvelle séquence historique, qui referme la parenthèse pluraliste et chaotique, née des « printemps arabes » de 2011. L’affaire se noue à la charnière de manipulations d’Etats en quête de consolidation et de courants d’opinion sensibles à la résurgence du nationalisme, sur fond d’aspirations au conservatisme sociétal.
Vague d’agressions racistes en Tunisie
En Tunisie, la rencontre entre Kaïs Saïed, qui ne cesse d’agiter le spectre du « complot » (local et étranger) depuis son « coup de force » du 25 juillet 2021, à l’occasion duquel il s’est arrogé les pleins pouvoirs, et les idées xénophobes du groupusculaire Parti nationaliste tunisien (PNT) a été explosive. Le 21 février, le chef d’Etat tunisien a ouvert la boîte de Pandore des mauvais génies du racisme en associant ce qu’il appelle « leshordes de migrants clandestins » à une « entreprise criminelle ourdie à l’orée de ce siècle, pour changer la composition démographique de la Tunisie », à rebours de son « identité arabo-islamique ».
Dans les heures qui ont suivi sa saillie, les Africains subsahariens ont été la cible, à Tunis et dans d’autres villes, d’une vague d’agressions physiques et verbales, expulsés de leurs emplois et de leurs logements au motif de l’irrégularité de leur statut. Jamais la Tunisie n’avait été le théâtre d’une telle éruption de violence raciale. En réaction, les cercles progressistes opposés à la dérive autoritaire de Kaïs Saïed se sont organisés en un « front antifasciste ». Que le débat politique en Tunisie tourne désormais autour d’une nouvelle théorie conspirationniste, proche de celle du « grand remplacement » chère à Eric Zemmour – lequel s’est d’ailleurs fendu d’un tweet de soutien à Kaïs Saïed –, et d’une résistance antifasciste à lui opposer donne la mesure du chamboulement en cours dans ce berceau des révolutions de 2011.
Ces évolutions ne se limitent pas à la Tunisie. En Algérie et au Maroc, le champ politique voit également éclore, au-delà de la spécificité de chaque pays, des courants d’opinion relevant de nationalismes vindicatifs centrés sur la célébration de l’Etat, de l’armée et des valeurs traditionnelles, et stigmatisant comme « néocoloniale » toute influence libérale venant de l’étranger. L’hostilité visant des migrants subsahariens à la visibilité grandissante – verrouillage des frontières de la « forteresse Europe » oblige – travaille de la même manière les trois sociétés, même si la Tunisie se distingue comme le seul pays où la xénophobie a été validée au plus haut niveau de l’Etat.
En Algérie, le phénomène a pris la forme du courant dit « Badissia-novembria », qui s’était manifesté durant le Hirak, le soulèvement pacifique antirégime en 2019 et 2020. La formule a été forgée en associant la doctrine prônée par le cheikh Abdelhamid Ben Badis (1889-1940), le fondateur de l’Association des oulémas musulmans algériens, et la date du 1er novembre 1954, jour du déclenchement de la guerre d’indépendance. Elle désigne une forme de synthèse entre nationalisme et islamisme, parfois qualifiée de « national-islamisme », un courant qui existait de manière latente mais a gagné en visibilité à la faveur du Hirak. Clairement encouragé par le régime, il visait à allumer un contre-feu aux mots d’ordre de la rue contre l’emprise de l’armée sur le système politique (« Etat civil et non militaire », « Les généraux à la poubelle »).
Ses cibles de prédilection étaient les autonomistes kabyles, qualifiés de « zouaves », en référence à des supplétifs enrôlés dans l’armée coloniale, les « laïques extrémistes », les « francs-maçons » et autres « traîtres » complotant contre la patrie, etc. Cette rhétorique, principalement confinée aux réseaux sociaux, a pu rencontrer un certain écho dans les franges de la population les plus inquiètes de l’instabilité, de l’inconnu et des « ingérences étrangères » auxquels le Hirak risquait, à leurs yeux, d’exposer le pays. Des milliers d’Algériens se reconnaissant dans cette sensibilité avaient manifesté ostensiblement leur émotion lors des funérailles du chef d’état-major Gaïd Salah, décédé d’une attaque cardiaque le 23 décembre 2019.
Ce courant, que l’éditeur algérien Amar Ingrachen rattache à l’« extrême droite arabo-islamique », fait écho, à l’autre bout du spectre politique national, au durcissement identitaire du mouvement amazigh (berbère) à travers les positions du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie. « Il s’agit d’une extrême droite suprémaciste kabyle », qui évoque « le sang kabyle » et prétend que « les Kabyles seraient ontologiquement supérieurs aux autres Algériens », ajoute M. Ingrachen. La fuite en avant sécuritaire d’un régime ayant opté pour l’écrasement du Hirak n’est pas étrangère à cette évolution. « Les politiques répressives menées depuis deux ans ont encouragé ce repli et cette radicalisation de l’extrême droite kabyle », soutient M. Ingrachen.
Nostalgiques de l’empire marocain
De son côté, le Maroc a vu émerger sur les réseaux sociaux, à partir de 2017, le mouvement Moorish, se revendiquant sans complexe de la droite nationaliste. Nostalgiques de l’empire marocain, qui étendit sa suzeraineté sous différentes dynasties – à l’est, sur l’ensemble de l’Afrique du Nord ; au sud, en Mauritanie et au Mali ; au nord, en Andalousie –, ces activistes exaltent la « grandeur marocaine », tout en se livrant, à l’occasion, à des campagnes de cyberharcèlement contre les « traîtres » à la patrie. Leurs cibles favorites sont les intellectuels de gauche, les journalistes critiques du makhzen (palais), les militantes féministes, les défenseurs des droits des homosexuels et toute personne soupçonnée de mollesse vis-à-vis de l’Algérie rivale et des indépendantistes du Sahara occidental (Front Polisario).
Purement numérique à ses débuts, le courant Moorish a gagné en audience, au point de peser aujourd’hui sur le débat public. « Ses idées ultranationalistes s’étendent désormais bien au-delà de quelques conversations en ligne, observe la chercheuse Cristina Moreno Almeida, maîtresse de conférences à l’université Queen Mary de Londres, qui a enquêté sur le mouvement. On l’a vu lors du dernier Mondial de football, quand les pages Facebook Moorish ont réussi à populariser l’idée que les victoires marocaines sur le Portugal et l’Espagne relevaient d’une reconquête de l’Andalousie. »
Les médias généralistes ont fini par s’intéresser au phénomène. L’hebdomadaire Telquel a consacré un article à ce « nationalisme new age » luttant « contre le défaitisme et pour la préservation du patrimoine marocain » (17 février 2021). Le journal en ligne Médias24 s’est, lui, penché sur ce « mouvement nationaliste d’un nouveau genre » animé par « des chevaliers de l’identité marocaine » à « l’influence grandissante » (14 mars 2021).
Mouvement nostalgique d’un passé glorifié, le courant Moorish est aussi symptomatique de la porosité des droites nationalistes du Nord et du Sud dans une sorte de mondialisation idéologique. La graphie et l’esthétique de ses pages Facebook s’inspirent très clairement de l’univers visuel de l’alt-right américaine, notamment avec la reprise du mème « Pepe the Frog » affublé des couleurs marocaines. Le roi Hassan II (1929-1999), dont la figure est adulée par les Moorish, est pour sa part représenté arborant la casquette « MAGA » (« Make America great again ») à la Donald Trump, rebaptisée pour l’occasion « MMGA » (« Make Morocco great again »). Sous cet angle, le mouvement Moorish peut être appréhendé comme une « version marocaine » de la droite radicale internationale, relève Mme Moreno Almeida.
« La figure tutélaire de l’homme providentiel qui remet de l’ordre résonne très bien avec ces sociétés conservatrices et patriarcales » – Karima Dirèche (CNRS)
Faut-il voir dans ces diverses manifestations l’émergence d’une extrême droite au Maghreb ? Le terme fait débat chez les spécialistes de la région, en raison de son eurocentrisme difficilement transposable sur les réalités maghrébines.
« Le concept d’extrême droite est très lié à l’histoire politique de l’Europe, objecte Karima Dirèche, directrice de recherche au CNRS. Il s’agit plutôt de nationalismes exacerbés qui peuvent devenir ultra-exclusifs dans leur rejet de toute forme d’altérité. » Plus proche de la tradition régionale serait le modèle du raïs (« président ») ou du zaïm (« leader »), ces chefs charismatiques qui ont galvanisé les peuples, à l’image de l’Egyptien Nasser à la grande époque nationaliste arabe, dans les années 1950 et 1960.
« La figure tutélaire de l’homme providentiel qui remet de l’ordre et fait preuve d’autorité résonne très bien avec ces sociétés conservatrices et patriarcales », ajoute Karima Dirèche. Le président tunisien, Kaïs Saïed, s’inscrit clairement dans cette lignée. La vague populaire qui l’a porté lors de son « coup de force » de juillet 2021 exprimait avant tout l’aspiration à rétablir une sorte de « verticale du pouvoir » après la séquence dysfonctionnelle et instable de la transition démocratique post-2011.
L’« Etat profond » – les organes sécuritaires – n’est d’ailleurs jamais étranger à ces fièvres nationalistes, comme on a pu l’observer en Algérie avec l’agitation très téléguidée autour de Badissia-novembria. Le 13 juillet 2021, un article du journal El Watan établissait un lien direct entre ce courant et des hauts gradés à la faveur d’une procédure judiciaire. Ironie des règlements de comptes qui secouent rituellement le régime, Abdelhamid Ghriss, ex-secrétaire général du ministère de la défense nationale (2018-2021), avait été placé sous mandat de dépôt pour – outre des faits de corruption – avoir été un « acteur important » de la « guerre électronique » menée sous le label Badissia-novembria.
Rien de bien surprenant, puisque ce courant a « toujours nourri la sève du pouvoir algérien », assure l’éditeur Amar Ingrachen. L’Etat, ajoute-t-il, « sous-traite la gestion de la société à cette obédience arabo-islamique qui dicte sa loi dans tous les domaines, notamment la culture et l’éducation ». De la même manière, le cyberactivisme nationaliste des Moorish au Maroc s’inscrit dans un écosystème numérique très encadré par les organes sécuritaires.
Au-delà de la sphère virtuelle, cette centralité de l’Etat s’est consolidée dans les pays maghrébins à la faveur de la pandémie de Covid-19, qui a vulnérabilisé des pans entiers des sociétés. « Même s’il est considéré comme défaillant, l’Etat continue de concentrer les ressources, souligne Amel Boubekeur, sociologue à l’Ecole des hautes études en sciences sociales. Pour la majorité, il n’y a donc point de salut en dehors de l’allégeance à ceux qui le dirigent. » Une attitude plus opportuniste, voire cynique, qu’idéologique, mais qui renforce d’autant la capacité de ces Etats à imposer leur récit.
Dans ce contexte resurgit un discours anti-néocolonialiste ciblant particulièrement Paris, telle une réplique nord-africaine de la montée de l’hostilité à la France en Afrique subsaharienne. Dopée par les nouvelles réalités géopolitiques, en particulier l’émergence d’un « Sud global » élargissant ses partenariats à de nouveaux parrains non occidentaux – Chine, Russie, Turquie –, cette rhétorique trouve un écho croissant au sein des opinions publiques.
Poursuivre la « libération nationale »
Elle séduit en particulier une jeunesse appelant à parachever une décolonisation à ses yeux inaboutie et à forger une voie autochtone affranchie des sirènes occidentales. Kaïs Saïed ne cesse de chevaucher cette vague souverainiste, qui renvoie à sa propre formation idéologique, celle du nationalisme arabe. Ses discours sont truffés de dénonciations des « diktats étrangers », des « ingérences étrangères » et des « traîtres à la patrie », ainsi que de références totémiques à une lutte de « libération nationale » à poursuivre. Soit un rapport conflictuel avec l’Occident qu’avait récusé en son temps Habib Bourguiba, le « père » de l’indépendance tunisienne.
En Algérie, cette phraséologie reste plus classique, organiquement liée à la légitimité d’un régime né d’une sanglante guerre de libération contre la France. Elle a toutefois toujours été millimétrée pour épouser les cycles diplomatiques bilatéraux, cette alternance de crises et de retrouvailles qui se succèdent avec la régularité d’un métronome. Depuis l’éclatement du Hirak, qui a plongé le régime dans une frayeur quasi existentielle, elle connaît une nouvelle vigueur.
« On entend aujourd’hui les expressions d’un ultranationalisme qu’on n’avait même pas connu dans les années 1960, relève Karima Dirèche. Ce nationalisme est devenu mortifère, avec un discours sur le peuple algérien soudé autour de ses morts. » Paradoxalement, ce raidissement est un effet collatéral de la réconciliation souhaitée par Emmanuel Macron autour des récits sur la guerre d’Algérie, comme si tout apaisement sur le front mémoriel menaçait potentiellement la légitimité du régime.
Au Maroc, la montée d’une rhétorique antifrançaise est plus inédite au regard de la francophilie qui avait jusque-là caractérisé les élites politiques et intellectuelles du royaume chérifien. Elle n’en est pas moins virulente depuis que le makhzen a décidé, à partir de 2021, de faire plier Paris sur le dossier du Sahara occidental, c’est-à-dire de lui faire avaliser les revendications marocaines de souveraineté sur ce territoire disputé. « Le jeu diabolique de Paris », avait titré, en septembre 2022, Maroc Hebdo, proche du palais, en évoquant les résistances de M. Macron à entériner la position de Rabat.
La vague raciste qui a embrasé la Tunisie a illustré combien il est difficile pour le Maghreb de passer, en matière de migrations, de pays de « transit » à pays de « destination »
Outre le jeu des Etats, orfèvres dans l’art de canaliser les émotions patriotiques au service de leurs intérêts, les fièvres identitaires au Maghreb se nourrissent d’un paysage migratoire en mutation. Confrontée à la montée des populismes xénophobes sur son propre sol, l’Europe tend à se barricader en « forteresse ». A cette fin, elle sous-traite de plus en plus aux Etats de la rive sud de la Méditerranée – par le biais de la formation et du financement de leurs gardes-côtes – l’endiguement de la migration irrégulière au large de leur littoral.
L’effet est double. Pour la jeunesse maghrébine en proie au mal-être à domicile – chômage, inégalités, pesanteurs sociales –, c’est un horizon qui se ferme. « En dépit de leur talent et de leur potentiel, ces jeunes ne se sentent pas compter dans le monde, y avoir une influence, souligne la sociologue Amel Boubekeur. Pour toute une génération, il est plus sécurisant de s’accrocher aux discours sur le réenchantement de l’identité nationale. »
L’autre effet de cette migration entravée est de fixer en Afrique du Nord des dizaines de milliers de migrants et de réfugiés d’origine subsaharienne, candidats à l’exil en Europe. Bloqués dans leur périple, ces derniers sont de plus en plus visibles dans les grandes villes du Maroc, d’Algérie et de Tunisie, une présence nouvelle à cette échelle qui n’est pas sans attiser des tensions avec les autochtones. La vague raciste qui a embrasé dernièrement la Tunisie a illustré combien il est difficile pour le Maghreb de passer du statut de pays de « transit » à celui de pays de « destination ». « La récente crise en Tunisie est le résultat attendu de la fermeture de plus en plus efficace des frontières de l’Europe », souligne Hassen Boubakri, professeur de géographie et d’études des migrations à l’université de Sousse (Tunisie).
Une externalisation des frontières européennes vers les pays du Sud
Pays membres de l’Union européenne
Renforcement des frontières terrestres et maritimes
Point de passage fermé, en décembre 2022
Principales routes migratoires empruntées par les clandestins pour rejoindre l’Europe
Principales zones où des migrants ont disparu ou perdu la vie en traversant la mer, en 2022 et 2023
Sources : Consilium ; Reliefweb, Rhipto, UNHCR, OIM, Acled, Frontex, Euromesco, Infomigrants ; « Politique migratoire marocaine entre pressions européennes et chantage marocain » de Salaheddine Lemaizi, www.racines-aisbl.org, 2022 ; Le Monde
Infographie Le Monde : Nouhaïla Amari, Flavie Holzinger et Xemartin Laborde
Des migrants subsahariens dans dans un climat de plus en plus hostile
Façade littorale densément peuplée, principale zone d’arrivée des réfugiés subsahariens
Principaux pays d’origine des réfugiés et demandeurs d’asile enregistrés par l’UNHCR en 2022
Violences policières contre des migrants, depuis le 1er janvier 2022
Sources : Consilium ; Reliefweb, Rhipto, UNHCR, OIM, Acled, Frontex, Euromesco, Infomigrants ; « Politique migratoire marocaine entre pressions européennes et chantage marocain » de Salaheddine Lemaizi, www.racines-aisbl.org, 2022 ; Le Monde
Infographie Le Monde : Nouhaïla Amari, Flavie Holzinger et Xemartin Laborde
Techniquement, les structures d’accueil manquent. Et, culturellement, la cohabitation réveille des préjugés anti-Noirs puisant dans la mémoire des traites négrières en terre arabo-musulmane. En témoignent les qualificatifs péjoratifs toujours utilisés pour désigner les citoyens à la peau noire, notamment les termes abid ou wsif (« esclave »).
Les discours stigmatisants sont parfois relayés par certains officiels, tel Farouk Ksentini, président de la Commission nationale consultative des droits de l’homme en Algérie, qui avait déclaré, en décembre 2016, que la présence de ces migrants exposait la population « au risque de la propagation du sida ».
Au Maroc, les réseaux sociaux sont régulièrement le théâtre de poussées d’animosité contre les migrants d’Afrique subsaharienne, mais le verbe officiel est beaucoup plus policé. « Les autorités sont très prudentes, dit Karima Dirèche. Elles doivent prendre en considération la politique de soft power et de rayonnement du Maroc en direction de l’Afrique de l’Ouest. » Des trois pays maghrébins, le Maroc est celui dont la stratégie d’influence en Afrique – religieuse (formation des imams) ou économique (implantation de ses banques) – est en effet la plus volontariste. Une force de rappel face aux tentations xénophobes travaillant certaines franges de la population.
Penchants conspirationnistes de Saïed
La Tunisie offre l’exact contraire depuis l’installation, en 2021, du régime autocratique de Kaïs Saïed, dont les penchants conspirationnistes affaiblissent sévèrement la diplomatie du pays.
La manière dont le chef d’Etat a épousé les thèses sur la question migratoire d’un micro-parti identitaire, le Parti nationaliste tunisien, né en 2018, a stupéfié jusqu’aux plus blasés. Quand M. Saïed brandit, le 21 février, la menace d’« un plan criminel » visant à éloigner la Tunisie de ses racines arabo-islamiques par le biais d’un changement démographique, il s’inspire en effet d’un rapport du PNT sur « le projet de colonisation des Africains subsahariens en Tunisie »
Le fondateur du parti, Sofiane Ben Sghaïer, agent de contrôle qualité dans une usine pharmaceutique, avait commencé à s’intéresser au sujet en 2020, en pleine pandémie de Covid-19. Lui parvenaient alors de Sfax, ville portuaire d’où part l’essentiel des embarcations clandestines vers l’île italienne de Lampedusa, les échos d’un discours antimigrants de plus en plus agressif, accusant les ressortissants d’Afrique subsaharienne d’être à l’origine de l’essor de la criminalité locale. Ainsi se persuade-t-il rapidement de l’existence d’un complot visant à « coloniser » la Tunisie.
« Il y a des revendications publiques de ce projet de colonisation par des personnes se réclamant d’un “nationalisme noir” », explique-t-il au Monde. « Ils affirment que Carthage est à eux », ajoute-t-il en référence à des vidéos d’inconnus ou de militants noirs africains, qui d’ailleurs ne résident pas en Tunisie. L’originalité de cette construction est qu’elle se situe à la charnière de la xénophobie anti-Noirs et du nationalisme anti-européen.
La conviction de M. Ben Sghaïer est en effet que les Européens sont à l’origine de ce « projet », « comme ils l’ont fait en Palestine », avec la création d’un « foyer national juif » (proposée par Lord Balfour, ministre des affaires étrangères britannique, en novembre 1917).
Selon lui, les financements étrangers destinés aux ONG assistant les migrants subsahariens en Tunisie n’auraient d’autre objet que de « rendre la vie plus agréable aux migrants pour qu’ils aient envie de rester ». Cette idée a précisément été reprise par Kaïs Saïed quand il a fustigé, le 21 février, « certaines parties [qui] ont reçu de grosses sommes d’argent après 2011 » pour faciliter des flux migratoires. Là est la grande réussite du PNT, cénacle confidentiel dont les idées ont subitement enflammé le débat public par la grâce de l’adoubement présidentiel. « Notre but est atteint, se réjouit M. Ben Sghaïer. La cause est devenue un sujet dans l’opinion. »
Et qu’importent les dégâts diplomatiques, l’image de la Tunisie pulvérisée à travers le continent et au-delà. Mardi 11 avril, le camp de fortune des migrants et réfugiés devant le siège du HCR à Tunis a été démantelé manu militari par la police. Le Soudanais Mohamed Salah et le Sierra-Léonais Mohamed Ali ont disparu du trottoir des Berges du Lac. Le seul petit carré d’où ils pouvaient encore témoigner au monde de leur infortune dans une Tunisie devenue méconnaissable.
Par Karim Amrouche (Alger, correspondance), Frédéric Bobin et Monia Ben Hamadi (Tunis, correspondance)
Publié le 14 avril 2023 à 17h30, modifié hier à 01h06https://www.lemonde.fr/international/article/2023/04/14/le-maghreb-en-proie-aux-fievres-identitaires_6169556_3210.html....
La famille est le plus souvent présentée comme la cellule de base de la société algérienne, celle qui assure sa pérennité et son dynamisme. Beaucoup la voient immuable, à l’abri du temps et des changements. Le conservatisme social, la répression policière, l’autoritarisme politique, l’atonie économique cimenteraient le statu quo et interdiraient toute évolution en profondeur de l’institution familiale. Fatma Oussedik, professeure d’université, sociologue de profession et analyste confirmée, s’inscrit en faux contre cette vision fixiste et décrit avec finesse les ajustements qui s’opèrent en silence dans les familles algériennes après une enquête minutieuse sur le terrain auprès de familles urbaines d’Alger, d’Oran et d’Annaba.
LE PÈRE DÉPOUILLÉ DE SON AUTORITÉ TRADITIONNELLE
L’urbanisation a été spectaculaire, avant comme après l’indépendance en 1962. Quatre ans plus tard, 3,7 millions d’Algériens résidaient en ville. Ils seront près de 17 millions à la génération suivante en 1998 et plus de 30 millions aujourd’hui. L’explosion urbaine a tout changé. La « grande maison » de jadis censée accueillir les parents, les familles de fils mariés et les filles célibataires a été remplacée par le logement, un modèle emprunté à la France d’après-guerre, voire à la Suède, construit sur place par Bouygues, puis par des entreprises chinoises ou turques.
En quelques décennies, le logement « vertical » a disparu au profit du logement « horizontal » qui abrite les deux parents et leurs enfants. Le décor a changé et le mariage arrangé entre les parents des promis a été subtilement corrigé : ils ont toujours en apparence le pouvoir de décision, mais en réalité ils ne font que ratifier le choix des mères. Elles-mêmes négocient avec leurs enfants qui sont à l’origine de leur rencontre et souhaitent en commun s’unir. Le marché du mariage s’est libéré, le marché traditionnel a vécu au moins dans les mégavilles que compte l’Algérie. Au passage, cette révolution matrimoniale a fait une victime : le père de famille, dépouillé de sa traditionnelle autorité de pater familias,, omniprésent et omnipotent. Sa femme est discrètement devenue l’actrice principale, aidée en cela par le recul de l’âge du mariage des filles à la suite des progrès de leur scolarisation. « La fille avait pour seul destin de quitter la cellule familiale […]. Aujourd’hui la probabilité de contracter un mariage à un âge précoce s’est réduite […]. », écrit l’autrice. C’est « la remise en question du rôle, quasi exclusif, de "génitrice" que leur avait assigné la société ».
Comment se vit, notamment dans les milieux universitaires — il y a plus de deux millions d’étudiants et d’étudiantes en Algérie —, l’allongement du délai entre l’âge de la puberté et celui du mariage ? Certes, le mariage reste une aspiration universelle dans un pays où la population est toujours fortement attachée à la virginité des femmes, mais à 30-34 ans 18 à 20 % des femmes sont célibataires et les mères célibataires, un phénomène exceptionnel en 1988, se comptent désormais par milliers. Les filles sortent en masse du cocon familial qui n’est plus un horizon indépassable, épousent des garçons qui viennent d’autres régions d’Algérie et ont un taux de fécondité proche des standards européens, autant de ruptures avec un passé récent.
L’étranger n’est plus un rêve interdit, et un Algérien sur deux qui émigre est une femme. En 2018, une enquête auprès des écoles de formation d’ingénieurs révèle que sur 94 filles, 83 sont déterminées à partir, un taux comparable à celui des garçons (103 partants sur un effectif de 116) quitte à se débrouiller : candidates à l’émigration clandestine, la harga, mariages blancs, regroupement familial, visas touristiques ou d’études et autres, et à affirmer au passage un accès douloureux à l’individualisation, quitte à s’opposer à leurs proches.
DE L’AVANTAGE D’AVOIR « UN AMI PUISSANT »
Les familles déracinées par l’exode rural n’oublient pas d’où elles viennent. La généalogie fait recette dans un pays accablé d’histoire. Les Turcs, les Français, les Espagnols, les voisins de la rive européenne de la Méditerranée constituent autant de buttes-témoins qui permettent aux déracinés d’aujourd’hui de se repérer dans la continuité des temps. Si la mémoire n’est pas l’histoire, elle y aide fortement, mais toutes les familles ne réussissent pas également, victimes d’une économie dévitalisée faute d’accumulation sur place du capital depuis au moins un siècle. Celles qui y parviennent ont un avantage décisif, « un ami puissant » — titre du livre — qui leur assure un patronage indispensable dans une société dominée par un clientélisme sans limites. Il porte le plus souvent un képi.
L’embourgeoisement des élites islamistes en est un bon exemple. En une génération, leurs disciples ont troqué la mitraillette pour le tiroir-caisse. L’autrice note, non sans humour :
[…] Une petite bourgeoisie qui a voyagé, qui n’a plus l’Arabie saoudite comme horizon. Ils ont développé de grands centres commerciaux informels dans les grandes villes, ils ont des intérêts matériels sur les marchés informels d’El Eulma, de Jolie Vue à Alger. Ils ont créé des partis politiques devenant députés ou sénateurs à l’occasion d’élections négociées avec le pouvoir en place […] Leurs épouses conduisent, elles ont souvent fréquenté l’université. Ils craignent à présent des ruptures trop brutales […].
Ses thèses ne font certainement pas l’unanimité dans son pays, car une grande partie des Algériens défend une vision plus traditionnelle de leur société, au moins en public. Mais ce livre souligne sa distance avec le livre classique de Germaine Tillon Le harem et les cousins publié en 1966, qui décrivait des sociétés méditerranéennes figées où les filles, enfermées, étaient promises à leur cousin germain.
L’ouvrage, touffu et quelquefois confus, renferme une multitude d’observations, de réflexions et d’expériences sur un sujet qui n’attire pas la foule des écrivains. Édité par une jeune et courageuse maison d’édition algérienne, il exprime avec une grande liberté une vision originale de l’Algérie qui fait oublier ses prudences sur des sujets brûlants comme les pratiques religieuses ou la persistance de l’endogamie.
JEAN-PIERRE SERENI
Journaliste, ancien directeur du Nouvel Économiste et ex-rédacteur en chef de l’Express.
Il pleut énormément sur Alger. Les nuages crient leur frustration. Les bouches d’égout tentent désespérément de boire la fureur des oueds ressuscités. Très vite, les rues deviennent des chenaux de boue et les vieux immeubles ont les genoux tout tremblants. Alors, sans résistance, millimètre par millimètre, quartier après quartier, Alger abdique et se laisse envahir par un flux conquérant qui la transforme peu à peu en une Atlantide africaine, où se perdent, à jamais, les secrets d’une vie heureuse…
Sur l’autre rived’une méditerranée qui sépare, Lola, 12 ans, est assassinée par une Algérienne. Lola, l’enfant tout sourire, n’est plus. Elle a subi les pires sévices; lacérations, tortures, viole, démembrement et décapitation ?
Ce jour-là, la mort se déclinait sous un prénom bien de chez nous. Il est difficile, malgré la distance, de ne pas se sentir coupable, de ne pas porter la honte comme d’autres portent leur croix et la traîner, lourde, écrasante, du réveil au réveil, jusqu’au lit du sommeil impossible. Encore des Algériens, qu’on se dit ! Car avant cela, il y a eu les attentats de Paris, le Bataclan, le stade de France, Charlie Hebdo et tant d’autres atrocités.
Peut-on, dès lors, être Français sans se demander si, à lui seul, un nom arabe peut égorger une enfant ? Le bon sens voudrait qu’on s’arrête un peu pour se poser quelques questions franches entre congénères : qu’y a-t-il de si pourri en nous pour fabriquer autant de monstres jusqu’à en faire une industrie qui s’exporte ? Est-ce quatorze siècles d’une altérité niée, déshumanisée, du livre et de l’épée, d’une colonisation chronique, ou est-ce dix ans de terreur, à macérer en vase clos, presque convaincu que la place naturelle d’un cadavre décapité est sur un piquet et non dans une tombe ? Les poubelles piégées, les faux barrages sanglants, les corps mutilés, les villages passés à la hache et au couteau, les millions de victimes enterrés sous les décombres d’une réconciliation forcée, Bentelha, Romka et les moines de Tibhirines, sont autant de pistes à explorer. Est-ce tout cela qui a fait de l’Algérien un être plus violent que ce que peut produire le hasard du bigbang, ou est-ce, juste par malchance qu’on nous épingle régulièrement sur les premières pages du terrorisme, de la violence et de l’horreur ?
Le meurtre de Lola doit nous interroger sur cette barbarie qui nous habite, que nous produisons et transmettons comme une malformation congénitale. Sur cette inquiétante insensibilité à ne pouvoir exprimer des regrets sans essayer de se justifier !
L’humilité et le bon sens voudraient que l’on se pose toutes ces questions, pour être capable d’adopter, face aux drames, la juste attitude en tant qu’humain et non en tant que tribu. Par respect dû à la victime et aux siens, au peuple de France qui nous accueille par millions, il faut s’excuser et se taire. Surtout ne pas chercher à argumenter par la folie, la non-représentativité, la religion de paix et d’amour, les consignes contradictoires du prophète, le oui mais, Zidane ou la guerre d’Algérie. Tout cela n’a pas sa place dans les moments de sidération et douleur. C’est comme vouloir faire avaler des lames à quelqu’un qui saigne et qui a le gosier, la panse et les narines pleins de morceaux de verre tranchants ! Se taire et se garder une gêne à vouloir absolument justifier l’impensable. Et puis, s’excuser, beaucoup, comme on fait nos prières. Se repentir du meurtre de la petite Lola, et la pleurer sincèrement, la tête basse et en silence, en bénissant la honte, qui, enfin nous rend humains et désenfle, quelque peu, cette fierté aveugle et maladive qui nous habite et nous dévitalise…
Le gris du jour donne une mélancolie bienveillante à un monde que l’on croyait indifférent. On a presque envie de le remercier de peindre ainsi nos malheurs. Sous des cieux habituellement ensoleillés, où la chaleur et la lumière affichent un bien-être trompeur, la grisaille a le mérite d’effacer ce mirage folklorique de gaieté. Le gris est la couleur du réel et de la vérité. On se sent enfin compris face à tant de calamités qui nous ébranlent. Les larmes du ciel savent dire, mieux que quiconque, tous les regrets des Humains…
Hebib Khalilest journaliste indépendant algérien et contributeur pour plusieurs journaux notamment le Quotidien d’Oran, Le Matin d’Algérie et le Huffington Post Maghreb.
Pas en Algérie. L’Amour étant un luxe que ne se permettent que les gens riches de leurs libertés. Les évidences n’ont pas toujours la même force pour s’imposer partout. Les coutumes religieuses s’allient à la pauvreté et aux intérêts immédiats et forment un front de croyances qui combat les plus grandes valeurs universelles.
En Algérie, l’homme né roi, la femme servante. La femme veut épouser un roi pour qu’elle devienne reine, mais l’homme cherche une esclave pour rester éternellement roi. C’est là où commencent tous les malentendus. Et la guerre de conquête d’une couronne qui s’arrache au prix d’une lutte secrète, qui évolue en guerre in-vitro, et parfois, souvent, en émeutes extra-muros.
En Algérie, ce n’est pas l’homme qui enseigne ce qu’est une femme à son garçon. Tout ce que l’enfant connaît des femmes, ou presque, lui vient des autres femmes de son cercle familial qui lui apprennent, en premier, à se méfier de celle qui deviendra une menace et pas sa moitié.
Pour l’Algérien, la femme idéale, c’est sa mère-déesse qui a fait de lui un dieu vivant. C’est un éternel enfant-dieu assisté, sans direction, sans réelles prérogatives, avec l’autorité sporadique et bestiale faite de rugissements et de violences. Sa mère, sœur, épouse, puis sa fille ou sa belle-fille pérennisent le mythe tout le long de sa vie d’homme.
Avant de devenir une mère respectée, la femme n’est d’abord rien. Un néant qui attend son bigbang. La femme ne naît qu’en devenant épouse, sa première naissance étant une fausse-couche dans une morgue ou un monde parallèle invisible. On lui expliquera que pour être, il faudra devenir une mère qui est aussi, une sorte de vendeuse de tickets pour le paradis. Alors, la femme ruse pour naître enfin. Elle veut son visa pour la béatitude : elle fait un enfant !
Les luttes secrètes de libération commencent presque toujours au mois de novembre. C’est apparemment une obsession algérienne. Trois mois après le mariage. Tout dépend de la couleur du test de grossesse. Neuf fois sur dix, il est le détonateur d’une poudrière sur laquelle sont assis, non seulement le couple de mariés, mais l’ensemble des belles-familles. Le mariage en Algérie étant une alliance impossible de tribus qui se jaugent et dont l’une convoite les privilèges de l’autre. Un mixeur social qui tente désespérément de mélanger l’eau et l’huile.
Que le couple vive seul ou avec la belle-famille, cela importe peu. Si le test est positif, l’équilibre des forces penche du côté de la famille de la femme. S’il est négatif, le doute commencera à planer comme un moustique autour de pelures pourries d’une pastèque. Et parfois, un projet “Blair Wich” se déclenche : sorcellerie contre talismans, derviches contre marabouts, Djinns versus exorcisme, ignorance contre ignorance.
Parfois (rarement), les deux belles-familles n’usent pas d’outils x-files. Mais l’absence ou l’existence d’une grossesse change définitivement la donne. C’est évidemment la femme qui paie les pots cassés si l’enfant tarde à arriver. Le mariage est vite avorté. Cendrillon est renvoyée et l’homme cherchera chaussure à son pied.
Le trône est mis à l’enchère le jour où l’homme épouse cette inconnue qui veut, quant à elle, construire enfin son propre paradis. Et la guerre éclate, au grand jour, entre celui qui détient le titre et celle qui le convoite. Et ce sont les enfants qui vont aider cette femme, dont les larmes ne sèchent jamais, à déchoir un père qui ne sait asseoir sa volonté, que par les cris et la violence : ils lui prêteront ces bras forts qui lui manquaient. L’équilibre des forces s’inverse et les enfants deviennent, malgré eux, les complices d’un violent putsch familial. C’est game-over pour ce Game of trône. Le père, déchu, défait, banni, va alors s’exiler dans une chambre ou chez une autre servante pour qu’elle lui rende une gloire et une couronne, jusqu’à ce qu’elle fasse ses propres soldats !
Hebib Khalil est journaliste indépendant algérien et contributeur pour plusieurs journaux notamment le Quotidien d’Oran, Le Matin d’Algérie et le Huffington Post Maghreb.
« Stop ! Coupons un instant le son vrillant de la cacophonie ambiante. Mettons nos mains sur nos oreilles afin d’écouter le silence et réfléchissons loin du bruit. » L’éditorial de Philippe Lemoine, rédacteur en chef délégué à Ouest-France.
Albert Camus, écrivain français (1913-1960). | RENÉ SAINT-PAUL, RUE DES ARCHIVES
Stop ! Coupons un instant le son vrillant de la cacophonie ambiante. Mettons nos mains sur nos oreilles afin d’écouter le silence et réfléchissons loin du bruit. L’exercice apaise le cerveau, diminue le stress et ralentit les battements du cœur.
À titre collectif, il pourrait aussi réduire les nuisances de la pensée primaire qui semble prendre le pas dans bien des domaines. Dans la période agitée qui est la nôtre, où les guerres de tranchées sont devenues la norme du dialogue en société, la vocifération fait loi.
Les solistes de l’incantation à usage des foules ont pris le pas sur la réflexion commune. Ils ont en général une partition bien rodée au refrain entraînant : celui du bouc émissaire. On les trouve sans surprise aux deux extrémités de notre pyramide nationale.
Tout en bas : les immigrés. Victimes expiatoires de la crise, ils sont une fois de plus montrés du doigt. Les renvoyer chez eux redonnerait une richesse immédiate à notre pays.
Oui, les frontières doivent être mieux contrôlées, oui, ceux qui ne respectent pas les valeurs de la République doivent être sanctionnés. Mais n’oublions pas que notre société est aussi bien contente de trouver des travailleurs pour ces secteurs en tension que sont la restauration et le bâtiment. Que notre économie tourne aussi grâce à leur travail. Qu’il est bien souvent pénible. Il suffit de regarder dans nos rues qui sont les « pédaleurs » de la livraison à domicile…
« Chaque génération se croit vouée à refaire le monde »
Tout en haut : les milliardaires. Ceux dont le train de vie faisait rêver dans les magazines sont désormais qualifiés de « vampires ». Leur richesse n’est plus qu’un vol et leurs noms s’étalent sur des banderoles qui réclament le retour de la guillotine. Aux nouveaux Robespierre, ténors de la terreur sociale, rappelons que l’histoire s’est aussi mal terminée pour lui.
Oui, le capitalisme doit être encadré. Oui, les richesses doivent être mieux partagées. C’est une nécessité impérieuse. Une éthique morale. Mais n’oublions pas non plus que ceux qui ont créé des empires industriels, développé le luxe à la française, leader de nos exportations, sont parfois partis de rien et ont créé des milliers d’emplois. Vouloir créer une France sans milliardaires est une illusion égalitariste sans prise aucune avec l’économie mondiale.
Dans son dernier essai baptisé Blanc, l’écrivain Sylvain Tesson nous exhorte, une fois de plus, à prendre les chemins de traverse, à nous fondre dans une nature sauvage, loin des turpitudes du monde et de sa frénésie technologique. L’idée est bien sûr tentante. Elle est aussi pour lui une façon très personnelle d’exprimer son magnifique talent littéraire. Talent qui fait aussi l’objet d’une vaste promotion sur tous les écrans dont il fustige par ailleurs l’omniprésence…
La symphonie du bien commun est une œuvre rare qui réclame du génie au service de tous les instruments et des chefs d’orchestre habités par une vision d’ensemble. Il en est un dont la pensée souvent nous manque : Albert Camus. « Chaque génération se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est plus grande : elle consiste à empêcher qu’il ne se défasse. »
Hayat, une infirmière algérienne de 29 ans, a réussi à s’installer en Gaspésie au Canada grâce à son diplôme. Le Journal du Québec raconte son histoire.
Le Canada est une destination de plus en plus privilégiée par les Algériens désirant s’installer à l’étranger.
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Si une grande partie d’entre eux se retrouvent à Montréal et sa région, d’autres ont choisi des destinations moins connues, comme la Gaspésie.
Le système de sélection mis en place par les autorités de ce pays fait que les immigrants réussissent généralement leur intégration.
Le critère de l’employabilité est primordial dans le processus de sélection. Le pays cible les profils qui correspondent à la demande du marché local de l’emploi.
Hayat, une infirmière algérienne de 29 ans, est de ceux qui ont pu s’installer en Gaspésie grâce à son diplôme. Elle fait partie de 38 infirmières d’Algérie, de Tunisie, du Maroc et du Cameroun, recrutées par le gouvernement local pour combler le déficit en personnel soignant en Gaspésie, une région du Québec.
Elle a raconté son expérience au Journal du Québec qui lui a consacré un portrait.
Hayat Tazairt est bachelière en Algérie où elle a opté pour le métier d’infirmière. Elle a exercé pendant six ans dans son pays avant de songer à s’expatrier. C’est, dit-elle, la pandémie de Covid-19 qui l’a poussée à envisager de s’installer au Canada.
Son diplôme et la maîtrise du français ont fait qu’elle a été acceptée après une procédure qui aura duré neuf mois.
Selon elle, c’est la disponibilité de moyens et des équipements dans ce pays d’Amérique du Nord qui l’a encouragée à postuler.
Malgré un écueil qui peut en dissuader plus d’un : le fait de devoir refaire presque toutes ses études. Elle doit en effet effectuer une formation de 915 heures avant de pouvoir commencer à exercer comme infirmière au Canada.
Mais Hayat se montre compréhensive, évoquant les noms des médicaments, le code de déontologie et les valeurs de la pratique du métier qui diffèrent entre l’Algérie et le Canada. « C’est normal d’avoir cette formation dans un milieu qui est nouveau pour nous », admet-elle.
Le parcours de Hayet, d’Algérie jusqu’à la Gaspésie
Cela, même si elle trouve « bizarre » de se retrouver de nouveau étudiante.
Car ses études, cela fait six ans qu’elle les a terminées en Algérie où, pour joindre les deux bouts, elle a dû cumuler les postes, travaillant dans l’oncologie dans un hôpital public et dans la cardiologie dans une clinique privée.
En août 2021, en pleine vague meurtrière du variant Delta du Covid-19, elle a décidé de tenter sa chance ailleurs. « C’était blessant de voir un malade sans ressource », raconte-t-elle.
Célibataire et fille unique, elle confie qu’elle a entamé les démarches à l’insu de ses parents à qui elle n’a rien dit jusqu’au jour où elle a eu la confirmation définitive qu’elle est acceptée au Canada.
Tout s’est fait à distance et avec célérité. En novembre 2021, elle a introduit sa demande directement au CISSS de Gaspésie, « les réponses venaient rapidement » et au bout de neuf mois, la voilà dans cette péninsule du nord-est du Canada.
Pour elle, tout est nouveau et elle ne connaît rien de la région. Mais elle ne se plaint pas. Au contraire, elle assure que le calme de la Gaspésie est mieux pour elle que le vacarme de Montréal où elle a transité à son arrivée d’Algérie.
Malgré la neige et le manque de logements dans la région, elle compte s’y installer définitivement. « C’est comme si je me lançais un défi et que je voulais aller au bout », dit-elle.
En ces jours où les femmes iraniennes luttent pour faire valoir leur vertueuse détermination à s’émanciper du dictat répressif et immonde des mollahs, où les jeunes filles afghanes se voient opprimées et interdites de scolarité, je rends hommage à une jeune martyre de la dignité féminine, victime innocente de l’atroce cruauté inhumaine des terroristes islamistes, ces fervents démons d’un islam des ténèbres.
Nombreux sont ceux qui ne la connaissent pas, même si son portrait pourrait leur rappeller quelqu’un. Mais néanmoins…
Elle s’appelle Amel Zouani Zenoune, jeune algérienne de 22 ans, une étudiante en droit à l’université, qui se prédestinait à devenir magistrate ou avocate au barreau d’Alger.
Il y a tout juste 26 ans, en ce 26 janvier 1997, à l’heure de la rupture du jeûne au 17ème jour du Ramadan d’alors, de prétendus musulmans haineux et assoiffés de sang, des algériens tout comme elle, mais démoniaques et sanguinaires, l’ont froidement et cruellement égorgée devant les autres passagers du car qui la ramenait à Sidi-Moussa, son village au sud d’Alger, pour avoir seulement refusé de porter le voile et d’incarner la femme libre.
Les assassins ne lui ont accordé aucun répit ni le moindre instant pour qu’elle leur explique que Dieu l’avait comblée de beaux cheveux, qu’Il lui offrait la vie et la liberté, et que nulle part il était écrit qu’elle devait s’obliger à se couvrir la tête, à cacher par honte la parure de Dieu qu’elle personnifiait avec élégance.
Une semaine auparavant, elle rassurait avec insistance sa maman qui s’inquiétait, avec effroi, de la tournure prise par les événements horribles et tragiques de cette guerre civile que traversait l’Algérie dans les années 90.
“Ne t’inquiète pas maman, j’espère que rien ne nous atteindra, mes sœurs et moi. Mais s’il nous arrive quelque chose à l’une d’entre-nous, maman, et que nous mourrons, ce sera au nom de l’instruction, du savoir et de la science. Nous irons au Paradis et, toi et papa, vous garderez la tête haute !”
Quelques courtes années plus tard, son honorable Papa qu’elle chérissait tant, effondré par le chagrin, la rejoignit là où elle est à présent, dans la Paix et l’Amour de Dieu. Puis, ce fût le tour tragique de sa douce, de sa tendre Maman, torturée par le terrible destin de sa fille adorée.
En ce douloureux et triste anniversaire, je me permets, à la mémoire d’Amel, juste ces quelques mots que j’adresse à toutes les musulmanes :
“Ne renoncez jamais, plus jamais, à votre liberté, à votre dignité et à votre indépendance. Dieu est avec vous, non contre vous, Il vous aime et Il vous a créées à l’égales des hommes, non en leur inféodation ! N’oubliez jamais !”
Elle aurait pu être ma fille, la vôtre aussi… Et je la pleure encore.
Par devoir de mémoire, pour que justice soit faite un jour, pour que l’âme d’Amel repose enfin en paix, sa soeur cadette Anissa nous rappelle inlassablement à son souvenir, car il est vrai, nul ne peut oublier cette horrible tragédie.
Musulman rationaliste, engagé et laïc, nommé en 2016 Délégué régional à l’instance nationale de dialogue avec l’islam, Mohammed Guerroumi est très impliqué dans le dialogue interreligieux. Auteur à Causeur, il est un des Signataires du “Manifeste contre le nouvel antisémitisme
J’ai retrouvé ta lettre où tu disais peut-être Un jour on s’ra trop vieux Pour s’écrire des poèmes Pour se dire que l’on s’aime Se r’ garder dans les yeux
Tu parlais de naufrage, D’un corps qui n’a plus d’âge Et qui s’en va doucement De la peur de vieillir et d’avoir à subir L’impertinence du temps
De n’ plus pouvoir s’aimer si la mémoire s’en va Et qu’on n’ se reconnaît plus Et perdre me disais-tu le plaisir de me plaire
L’ envie de me séduire
Peur de la dépendance Et de finir sa vie dans une maison de retraite De la fin qui commence De l’esprit qui divague Peur de ne plus pouvoir un jour Rire à mes blagues
Mais tout ça c’est des bêtises est-ce que tu réalises On s’ ra jamais trop vieux Pour s’écrire des poèmes, pour se dire que I’on s’aime Se r’ garder dans les yeux
Et je veillerai sur toi et tu veilleras sur moi Ce s’ ra jamais fini
On s’ dira mon amour jusqu’à la fin des jours Et le jour et la nuit Et le jour et la nuit
Et leur maison de retraite ça j’ te jure sur ma tête Nous on ira jamais On dormira dehors, on r’ gardera les étoiles On vivra libres et dignes !
On s’ tiendra par la main comme à nos 18 ans Qu’on marchait tous les deux sur des sentiers perdus Au début du printemps
Et on pourra toujours raconter des bêtises Et dire n’importe quoi On vivra libres et dignes !
Et si l’on doit partir un jour après le dernier mot Du tout dernier poème On partira ensemble Tu comprends…
On s’ ra jamais trop vieux Pour se dire que l’on s’aime Se r’ garder dans les yeux
On s’ ra jamais trop vieux Pour se dire que l’on s’aime Se r’ garder dans les yeux
Les rues de nos villes sont peut-être des miroirs qui reflètent notre véritable identité, avant nos usines, nos écoles et nos palais. En dépit de l'autorité qui sanctionne nos écarts de conduite, et en dépit des petites graines de lumière que sèment toujours nos esprits et nos cœurs, nous offrons chaque jour, dans les rues de nos villes, une image peu reluisante de nous-mêmes : un mélange d'intolérance, de laideur et d'anarchie. Pourquoi, dans les rues de nos villes, nous nous détestons cordialement, sans chercher à nous connaître, et n'attendons de nos voisins que le pire, et presque plus rien de nous-mêmes ?
Pourquoi dans les rues de nos villes, nous narguons les humbles mais craignons les puissants, jalousons ceux qui réussissent mais vénérons notre paresse? Pourquoi, dans les rues de nos villes, nous opprimons nos filles et nos femmes, et pourquoi, dès la nuit tombée, leur présence loin de nos murs devient suspecte, même pour aller acheter nos médicaments ? Pourquoi nous n'appliquons pas, dans les rues de nos villes, la même vertu que nous observons dans nos mosquées ? Pourquoi les rues de nos villes sont devenues inhospitalières pour les étrangers et réfractaires à l'altérité ? Pourquoi, dans les rues de nos villes, nous insultons nos poètes et nos savants et vouons aux gémonies notre patrie et nos héros ? Pourquoi, dans les rues de nos villes, la banalité a chassé le bon goût et le laisser-aller a remplacé l'amour du travail accompli avec soin ? Pourquoi, dans les rues de nos villes, nous jetons nos rêves à la poubelle ? Et pourquoi nous détruisons, chaque jour, ce que nous avons construit la veille ? Pourquoi les rues de nos villes sont désertées par le sourire et la beauté au quotidien ? Pourquoi nous n'aimons pas les livres et les fleurs ? Pourquoi les rues de nos villes n'invitent plus à la promenade ?
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