Samah Hamdan et sa famille ont rejoint les dizaines de milliers de naufragés de Gaza qui tentent de trouver refuge à Rafah. « On a dû monter notre tente tout seuls », raconte cette professeure de français originaire de Gaza-ville, en accompagnant son message d’une photo : une yourte noire, pas grande, en tout cas pas assez pour les 25 personnes qui s’y abritent depuis le 4 janvier : « On passe nos journées à chercher de l’eau et de la nourriture. On ne vit pas, on survit. »
85 % des Gazaouis déplacés
Samah en est à sa troisième évacuation. Le 3 janvier, l’armée israélienne a dispersé des feuillets au-dessus du camp de réfugiés d’Al-Nousseïrat, où son oncle l’hébergeait, invitant ses habitants à le quitter en vue d’une opération militaire.
La partie centrale de Gaza est désormais dans le viseur de l’armée : « Nous avons achevé le démantèlement du Hamas dans le nord de la bande de Gaza. Nous nous concentrons désormais sur le centre et le sud », a annoncé le contre-amiral Daniel Hagari, le 6 janvier, en précisant : « Nous procédons différemment, de manière approfondie, sur la base des leçons que nous avons tirées des combats jusqu’à présent. » Le même jour, l’armée se faisait l’écho de la mort d’Ismaïl Siraj, le commandant du bataillon de Nousseïrat, lors de frappes aériennes.
Les infrastructures existantes n’arrivent plus à absorber les vagues continues de naufragés : près de 85 % de la population ont été déplacés depuis le 7 octobre. Des familles entières s’entassent dans des tentes, faute de place dans les centres de l’UNRWA, l’agence de l’ONU. À Rafah, une des écoles primaires des Nations unies abrite ainsi 2 000 personnes, dont Amal Abu Abuhajar, son mari et ses six enfants : « On est trop nombreux. Il y a des problèmes d’assainissement, des remontées d’eaux sales… C’est dégoûtant. Les écoles ne conviennent pas à la vie humaine », raconte pudiquement cette autre professeure de français.
« Tout le monde est pauvre »
Dans la soirée du 4 janvier, la France a largué 4 tonnes d’aide humanitaire par voie aérienne aux côtés de la Jordanie, une première dont s’est félicité Emmanuel Macron, mais dont les bénéfices peinent à être ressentis sur le terrain : les quelque 150 camions qui entrent quotidiennement dans l’enclave ne permettent pas d’assouvir les besoins d’une population qui manque de tout.
a bande de Gaza, certains prix ont quintuplé. Il faut compter 5 € pour un kg d’oranges apportées d’Égypte, alors que 3 kilos valaient 2 € avant la guerre. Le prix de la viande a doublé : 10 € le kg avant la guerre, 20 € aujourd’hui. « Plus personne n’a de salaire, tout le monde est pauvre. Tout est cher. Certains commerçants en profitent », soupire Samah Hamdan. Mère de deux garçons, elle s’inquiète : « Ils sont malades, tout le monde est malade. À cause du froid, du manque de nourriture et de l’eau salée. »
L’hiver, l’insalubrité, la proximité et l’effondrement du système de santé sont propices au développement de maladies : diarrhée, infections des voies respiratoires, hépatite… « Gaza est tout simplement devenue inhabitable, s’alarmait le chef des affaires humanitaires de l’ONU, Martin Griffiths, le 5 janvier. Sous le regard du monde entier, sa population est quotidiennement confrontée à des menaces qui pèsent sur son existence. »
À contre-pied du silence international, l’Afrique du Sud a engagé une procédure contre Israël devant la Cour internationale de justice. En accusant l’État hébreu de violer la Convention sur le génocide, l’Afrique du Sud espère que la Cour indiquera des mesures provisoires qui permettront d’orienter vers une fin des opérations. Les audiences auront lieu les 11 et 12 janvier à La Haye, mais leur verdict ne sera pas contraignant.
Trois mois de guerre ininterrompue
La guerre entre Israël et le Hamas palestinien est entrée, dimanche 7 janvier, dans son quatrième mois sans aucun signe de répit, l’armée de l’air israélienne menant de nouvelles frappes meurtrières à Gaza. Le ministère de la santé du Hamas a indiqué qu’une frappe aérienne avait tué deux journalistes palestiniens alors qu’ils circulaient en voiture : un vidéaste pigiste collaborant avec l’AFP et un journaliste de la chaîne Al-Jazira. En Cisjordanie, un raid des forces israéliennes a coûté la vie à six Palestiniens à Jénine, selon l’Autorité palestinienne. Un officier israélien a été tué dans l’explosion d’un engin.
Un conseiller du Guide suprême iranien s'est félicité samedi de "la panique totale" qui a saisi Israël dans l'attente de la riposte annoncée par Téhéran à la frappe ayant visé le consulat iranien à Damas.
"Cela fait une semaine que les sionistes sont dans une panique totale et en alerte. Ils ont arrêté l'attaque militaire sur Rafah", dans le sud de la bande de Gaza, et, "comme ils ne savent pas ce que l'Iran veut faire, eux et leurs partisans sont terrifiés", a déclaré Yahya Rahim Safavi, conseiller de l'ayatollah Ali Khamenei, cité par l'agence Isna.
"Cette guerre psychologique, médiatique et politique est pour eux plus terrifiante que la guerre elle-même, car ils attendent une attaque chaque nuit et beaucoup d'entre eux ont fui et se sont réfugiés dans des abris", a-t-il ajouté.
Téhéran a promis de "punir" Israël après la frappe attribuée à Israël contre le consulat iranien à Damas qui a fait, selon une ONG, 16 morts parmi lesquels deux généraux des Gardiens de la Révolution, l'armée idéologique d'Iran.
Israël est, depuis, en état d'alerte maximale et les Etats-Unis ont annoncé l'envoi de troupes supplémentaires vers le Moyen-Orient.
Le président américain Joe Biden a dit vendredi qu'il s'attendait à ce que l'Iran passe "bientôt" à l'action.
Le génocide du peuple palestinien qui se déroule sous les yeux du monde entier sur une superficie microscopique, outre le fait qu'il soit la scène où tout l'arsenal meurtrier possible est étalé, bombes de fort tonnage transperçantes, à fragmentation, phosphoriques, missiles air-sol, artillerie lourde, drones tueurs, n'est hélas qu'une des multiples facettes de l'agression perpétrée en Palestine, car derrière et en toile de fond, c'est un autre champ de bataille où se trame une autre guerre menée sans répit et à grande échelle, sournoise mais beaucoup plus destructrice car elle se poursuit depuis des décennies et prend pour cible l'humanité entière; une guerre non conventionnelle dont les effets dévastateurs persistent des années et parfois le temps de générations entières et dont les victimes ne sont pas que les Palestiniens mais aussi l'opinion mondiale, des politiciens, des journalistes ou de simples citoyens qui peuvent s'avérer être même des sympathisants de la cause palestinienne; il s'agit bien de la guerre des mots, des sens, des concepts et des expressions qui font malheureusement beaucoup plus de mal que les balles; elle fait le lit à l'acquiescement conscient ou inconscient à la version de l'agresseur et ses alliés et justifie de fait les atrocités et la sauvagerie commises.
Cette autre guerre, invisible pour beaucoup, n'a pourtant jamais été aussi évidente et aussi palpable que maintenant à Ghaza et pour illustrer cet état de fait, nous explorons ce lexique funeste et pernicieux qui est aujourd'hui la référence utilisée par les médias belliqueux, les politiciens véreux, les organismes régionaux acquis aux thèses sionistes et leurs complices, mais pas que, car aussi malheureusement ses termes sont d'usage par l'opinion arabe et musulmane formatée à son insu à coup d'insistance, de répétition et d'acharnement continu jusqu'à rendre ces vocables, routiniers, acceptables et admissibles sans se rendre compte, tel un poison distillé à petites doses jusqu'à atteindre son effet létal.
Et voici quelques exemples des termes les plus utilisés choisis délibérément afin de façonner des esprits à la rhétorique sioniste.
La guerre ou le conflit israélo-palestinien
Ce terme de «guerre ou conflit» impliquerait dans la normalité une confrontation entre deux belligérants, deux armées régulières, équipées sensiblement avec des armes équivalentes comme c'est le cas dans la guerre entre la Russie et l'Ukraine, la guerre entre les factions soudanaises, la guerre dans les années 80 entre l'Irak et l'Iran, la Deuxième Guerre mondiale où des armées de plusieurs pays se confrontèrent.
Mais dans le cas de la Palestine et plus précisément à Ghaza, le terme de «guerre ou conflit» est utilisé de façon sournoise et perfide; il s'agit ni plus ni moins que d'une manipulation manifeste de l'opinion internationale pour justifier la barbarie sioniste, car il n'y a aucune commune mesure de comparaison entre l'armée de l'entité israélienne et la résistance palestinienne pour qualifier ce qui se passe de «guerre ou conflit»; en effet, l'une comptabilise des centaines de milliers de soldats réguliers, réservistes et mercenaires surentraînés, suréquipés et parfaitement encadrés par les puissances mondiales, dotés d'un arsenal fait d'avions de chasse, de bombardiers, d'hélicoptères, de drones, de chars, de canons, de bombes intelligentes, de missiles et même de l'arme nucléaire et assistée par ses alliés occidentaux et arabes de porte-avions, de satellites de surveillance, de munitions qui coulent à flot, d'un pont de ravitaillement aérien, maritime et terrestre pour en assurer la disponibilité en carburant, en denrées alimentaires et même d'espions infiltrés sous couvert d'aide humanitaire profitant de la situation catastrophique que vivent les Ghazaouis tandis qu'en face, ce ne sont que quelques milliers de résistants volontaires sommairement équipés de fusils et de lances roquettes bricolées, encerclés de tout bord par les ennemis de toujours et les amis prétendus d'autrefois, manquant de nourriture, de soins, de munitions, ou d'armes pouvant rivaliser avec celles sophistiquées de l'ennemi dans un environnement hostile où ils ne peuvent compter sur personne comme soutien.
Le déséquilibre est tellement flagrant, criant, qu'il répond parfaitement à la définition du «massacre» et non d'une «guerre».
La guerre Israël-Hamas
Affirmer qu'il s'agit d'une guerre qui oppose Israël au Hamas est une autre tromperie pour justifier l'injustifiable et sonner ainsi dans l'inconscient du lecteur ou bien du téléspectateur ou le follower des réseaux sociaux qu'«Israël» mène une guerre qui vise les combattants du Hamas uniquement comme s'il s'agissait d'extraterrestres qui se sont trouvés là par hasard, sans attache avec leur terre et leur peuple ! Alors que les chiffres de Palestiniens assassinés, les images, les témoignages contredisent tous cette supercherie puisque c'est le peuple palestinien en entier qui est pris pour cible sans aucune distinction et lorsque l'énormité des faits dépasse l'entendement et ne peut être voilée ou contestée car bien documentée souvent par les soldats ou médias propres des sionistes; les dirigeants criminels se réfugient derrière des déclarations d'erreurs commises et de commissions d'enquête fictives sans lendemain.
Les terroristes du Hamas ou les islamistes du Hamas
Le terme miracle de «terroriste», une étiquette qu'on colle à tout bout de champ pour jeter le discrédit sur son adversaire et lui ôter tout droit de se défendre ou défendre sa cause aussi juste soit-elle exactement comme ce fut le cas pour les moudjahidine durant la guerre de libération, ne dit-on pas que «lorsque on veut tuer son chien on l'accuse de rage» ! «Le Hamas est l'émanation de la volonté populaire acquise d'abord par la légitimité des urnes et ensuite par le droit inaliénable et reconnu que leur confèrent toutes les législations universelles, celui de se défendre contre l'occupant, l'agresseur, le spoliateur; le Hamas qualifié injustement de terroriste ne s'est jamais attaqué à un pays, ou un soldat en dehors de ses frontières, il n'a commis aucun attentat depuis plus d'une décennie et ceux pour lesquels il a été tenu pour responsable étaient en réponse aux actes répondant à la définition de «terrorisme d'Etat», assassinats et exécutions sommaires, destruction de maisons, confiscation de terre et de biens commis dans l'impunité totale par l'occupant sioniste et sous la protection juridique des détenteurs du veto; l'histoire se répète ainsi à travers ce résistant qui, durant la guerre d'Algérie, répondait de manière cinglante à ses tortionnaires qui lui reprochaient le recours aux explosifs : «Donnez-nous vos avions, on vous donnera nos couffins» ! Une façon simple pour dire que l'opprimé qui n'a aucun choix se défend avec les moyens de bord; une équation pourtant simple à comprendre mais qu'on voudrait dénier aux Palestiniens.
Mais depuis la dernière décennie, c'est un autre terme fourre-tout qui a été introduit dans le lexique par des intellectuels racistes et xénophobes, c'est celui d'«islamiste», un vocable pour cacher une islamophobie rampante et qu'il suffit juste de le prononcer pour jeter l'opprobre sur l'opposant; nul ne conteste qu'il existe des extrémistes et fanatiques musulmans comme nul ne peut contester l'existence d'extrémistes dans les autres religions chrétienne, juive, bouddhiste, hindouiste, mais seuls les musulmans ont eu droit à un néologisme stigmatisant puisqu'il n'en existe pas pour désigner par exemple les extrémistes juifs. Cela fait aussi partie de la guerre menée contre les musulmans à tous les niveaux.
Le 07 octobre
Une date qu'on voudrait maintenant sacraliser au même titre que la Shoah et qu'on aimerait bien qu'elle puisse prendre le relais tellement les générations actuelles semblent de plus en plus hermétiques au matraquage sans répit et à une fixation maladive de son usage depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et qui, comble de l'ironie, les Palestiniens n'en sont aucunement responsables; cette date qu'on veut imposer faussement comme étant le début de la confrontation juste pour donner l'impression qu'avant c'était un havre de paix pour les Palestiniens ! faisant table rase sur leur malheur qui dure depuis plus de 70 ans, aggravé par un embargo inhumain infligé à la population ghazaouie entière depuis plus de quinze ans et rendu encore plus cruel depuis l'avènement du général putschiste égyptien Al Sissi.
Les victimes du 07 octobre
Ainsi sont désignés les Israéliens qui ont succombé à l'attaque du Hamas à l'aube du 07 octobre; le nombre annoncé sur le feu de l'action a été de 1.400, ensuite revu à la baisse à 1.200, ce qui permet le doute sur les chiffres déclarés; mais le plus important c'est que le chiffre est donné sciemment cru pour faire passer le message mensonger qu'il s'agissait que de civils inoffensifs ! Ils évitent à tout prix d'en préciser la composition de ces «victimes» dont le chiffre est invérifiable mais qui englobait des soldats, des réservistes, des colons armés; cibles légitimes mais aussi peut-être d'authentiques civils qui peuvent être considérés alors comme des victimes collatérales dont la responsabilité incombe sans aucun doute à l'Etat sioniste; sachant que ce terme de «victimes collatérales» est si cher aux puissances colonialistes qu'ils veulent en détenir l'exclusivité pour leur servir d'alibi chaque fois qu'elles commettent des massacres de civils innocents, que ce soit en Irak, en Afghanistan, en Syrie, au Yémen, en Somalie et maintenant en Palestine, sauf qu'à Ghaza, «les victimes collatérales» se comptent par dizaines de milliers sans que cela puisse irriter les tenants des droits humains et chantres de la démocratie aujourd'hui discrédités.
Les morts palestiniens
«Morts» est le terme presque exclusivement utilisé pour désigner les victimes de cette barbarie inégalée au 21e siècle afin d'éloigner de la pensée le fait qu'ils ont été froidement assassinés avec préméditation et de la façon la plus abjecte car ils ne sont pas morts tous seuls, sans cause apparente de «cause naturelle» comme nous avons l'habitude de lire sur les certificats de décès en temps de paix; à l'opposé, on ne qualifie par contre jamais ainsi les Israéliens de morts mais plutôt de «victimes du Hamas» alors que les chiffes des uns et des autres ne peuvent tenir la comparaison, un millier d'un côté versus trente mille de l'autre ! Le terme «morts» est une autre façon de rendre invisible le coupable et d'adoucir le meurtre.
Conclusion :
Ainsi sont sélectionnés perfidement les mots, les adjectifs, les attributs afin de modeler les esprits qui élaborent les actes et les politiques en faveur de l'idéologie sioniste et ses intérêts; d'ailleurs, une de leurs exigences primordiales avec les Etats normalisateurs, c'est la refonte totale des programmes scolaires afin d'expurger tout terme pouvant les démasquer et d'introduire tout ce qui peut leur conférer une respectabilité et une façade moderniste et civilisée une image aujourd'hui altérée au yeux de l'opinion internationale.
Il ne suffit donc pas de comprendre l'enjeu et la portée de ce lexique, mais il faudrait le contrecarrer en utilisant des termes propres à notre vision et qui décrivent fidèlement l'imposture, on aurait ainsi au moins contribué à dévoiler au monde et aux générations futures la réalité d'une entité cruelle qui ne se fixe aucune limite pour atteindre ses objectifs sinistres.
Rami Abou Jamous écrit son journal pour Orient XXI. Ce fondateur de GazaPress, un bureau qui fournissait aide et traduction aux journalistes occidentaux, a dû quitter son appartement de la ville de Gaza avec sa femme et son fils Walid, deux ans et demi. Il partage maintenant un appartement de deux chambres avec une autre famille. Il raconte son quotidien et celui des Gazaouis de Rafah, coincés dans cette enclave miséreuse et surpeuplée. Cet espace lui est dédié.
Jeudi 11 avril 2024.
Deir El-Balah, 10 avril 2024. Des enfants montent dans une grande roue à propulsion humaine lors du premier jour de la fête de l’Aïd al-Fitr, après la fin du mois de ramadan.
AFP
Aujourd’hui, c’est le premier jour de l’Aïd. C’est la fête qui marque la fin de la période de jeûne et du ramadan. D’habitude, cette fête est synonyme de joie, de bonheur, surtout pour les enfants. Ce jour-là normalement, on se rend visite, il y a du chocolat, des maamoul [pâtisserie traditionnelle], des gâteaux, surtout à Gaza, où les relations sociales sont très fortes.
Mais cette fois, l’Aïd vient après six mois de guerre, de massacres, de blessés et de morts, de destruction totale et de déplacement sous des tentes. On est allé chez ma belle-famille. Il n’y avait pas que la fête qui était absente, mais aussi Souleiman mon beau-père, qui était un peu le pilier de l’Aïd. C’était le noyau autour duquel tout le monde gravitait.
D’habitude, après la prière1, Souleiman louait un minibus avec ses neuf garçons et il commençait les visites très tôt, à partir de 7 heures et demie. Il commençait par ses filles, puis ses frères et sœurs et ensuite ses neveux.
Ce jour-là normalement, les enfants attendant ce qu’on appelle al-aidiyeh, une petite somme d’argent qu’on leur donne pour acheter ce qu’ils veulent. Dans le monde arabe et musulman, c’est un rituel que tout le monde observe. Souleimane avait 19 enfants, et je ne sais combien de petits-enfants. Ce jour-là, tous ses petits-enfants venaient le saluer et lui faire des bisous. C’était un moment de joie pour tout le monde. Mais aujourd’hui, ne régnait que de la tristesse. Je suis allé voir ma belle-mère Nabila. Elle n’arrêtait pas de pleurer. Elle disait :
Tu te rappelles Rami quand tous les enfants se réunissaient autour de lui ? Regarde comme ils sont tristes. C’est la première fois de ma vie qu’on passe l’Aïd de cette façon. Il réunissait tout le monde, il était le point de rencontre de tous. C’est lui qui faisait tout.
Je lui ai dit que ce n’était pas grave, qu’il était désormais au paradis, et que les enfants le savent. Elle m’a dit :
Oui, mais la joie n’est pas là. D’habitude, pour l’Aïd, on achète de nouveaux vêtements pour les enfants. Cette fois, je n’ai rien pu faire pour eux. J’ai perdu beaucoup de membres de ma famille depuis le début de cette guerre : mon frère, deux neveux, sans parler des membres de la famille élargie. À présent, je me sens seule bien que mes enfants soient autour de moi. Mon mari était le pilier de la famille, le pilier de cette tente.
Elle m’a dit qu’elle avait de la peine pour les enfants, qu’elle aurait voulu faire des maamoul mais qu’elle n’arrivait pas à faire quoi que ce soit, que ses mains étaient « menottées » comme on dit chez nous.
« J’AI SORTI QUELQUES BILLETS… »
Je ne savais pas quoi lui dire. J’essayais de la consoler en lui disant que la vie continuait, que ses petits-enfants se souviendraient toujours de leur grand- père. Et que tout cela ne sera bientôt plus que de mauvais souvenirs. Qu’un jour on se dira : « Tu te rappelles quand on était sous les tentes ? Tu te rappelles comment on vivait ? Comment on se débrouillait pour faire la cuisine ? » Je lui ai dit que moi aussi j’avais perdu des proches, notamment mon père et ma mère. J’étais très attachée à ma mère. Le jour où elle est partie, j’étais très triste. Encore aujourd’hui, je n’arrive pas à oublier. Mais il faut que la vie continue. Et j’ai continué. Je me suis marié, j’ai eu des enfants que ma mère n’a jamais vus. « Au moins Souleiman a vu ses enfants se marier, il a connu ses petits-enfants. Il a vécu beaucoup de moments joyeux, que tout parent souhaite vivre dans notre société. »
Mes mots ne l’ont pas vraiment convaincue. Elle me regardait toujours en pleurant. À un moment, j’ai pris sa main et je lui ai dit : « Viens, on va voir les enfants. »
J’ai appelé tous les petits-enfants : « Venez voir Grand-maman Nabila », et ils sont tous venus. J’ai sorti quelques billets et quelques pièces de monnaie, et j’ai laissé Nabila les distribuer à tous ses petits-enfants, jusqu’au petit bébé de six mois. Tout d’un coup, ces enfants qui étaient plein de tristesse souriaient grâce à ce petit geste de leur grand-mère. Je leur ai dit : « C’est votre grand-père qui a laissé un peu d’argent à Nabila pour vous donner la aidiyeh. » Ils ont sauté de joie, fait des prières pour leur grand-père décédé et pour Nabila. Elle en a eu les larmes aux yeux, mais cette fois, c’était des larmes de joie.
« FAIRE PLAISIR À NOS ENFANTS PENDANT CETTE GUERRE EST UN GRAND RÊVE »
On a joué ensemble. C’est vrai qu’il n’y avait ni le maamoul de Sabah qui le réussit très bien, ni celui de Nabila. Mais la tristesse a été recouverte par cette petite joie. Je pense que Souleiman aussi devait être content de voir tout ça. Mais notre famille est juste un exemple parmi d’autres. Trente-deux mille personnes sont mortes. Des milliers de familles n’ont pas vécu cette année la joie de l’Aïd.
J’espère que ça sera le dernier Aïd qu’on passe dans la tristesse. Le prochain Aïd, l’Aïd Al-kébir, est dans 70 jours. J’espère que la guerre sera alors terminée, et que tout ça sera derrière nous.
Nabila est venue me voir et elle m’a embrassée. J’adore ses baisers. Je suis le seul de ses gendres à qui elle en fait, ça rend tout le monde jaloux. J’avais les larmes aux yeux. J’étais content d’avoir au moins pu lui faire plaisir à elle, à ma femme et aux enfants. Faire plaisir à nos enfants pendant cette guerre, c’est vraiment un grand rêve. Je remercie Dieu d’avoir pu le réaliser.
J’espère que tous les enfants de Gaza ont pu avoir au moins une petite joie dans leur cœur pendant ce Aïd. La joie de l’Aïd et, surtout, la joie et l’espérance de vivre, de se dire que la vie continue malgré tout. Malgré ce tremblement de terre qui secoue Gaza, on va continuer à fêter l’Aïd et, surtout, on va rester sur notre terre.
Jeûner puis déjeuner : deux verbes spirituels pour celui qui s’y connaît. Celui qui jeûne se fait la guerre pour élever son niveau de conscience. Celui qui déjeune fait la paix pour exprimer toute sa reconnaissance. Et on ne sait toujours pas si c’est le commencement ou la fin de l’épreuve. Et à chaque nouvelle épreuve, je me dis que j’ai encore quelque chose à prouver, quelque chose à éprouver… un paradis à trouver ou à retrouver…C’est l’Aïd, souhaitons donc bonne fête à tous ceux qui ont toujours été là pour partager notre quête, notre conquête du pouvoir sur nous-mêmes. Amen !
Le 25 mars 2024, la rapporteuse spéciale de l’ONU présentait au Conseil des droits de l’homme un rapport mettant en évidence la dimension génocidaire de l’offensive israélienne sur Gaza. Dressant un tableau précis de la situation, elle appelle les États à mettre en œuvre un embargo sur les armes, à adopter des sanctions contre Israël afin d’imposer un cessez-le-feu et à déployer une présence internationale protectrice dans le territoire palestinien occupé.
Dans son rapport de mars 2024 présenté devant le Conseil des droits de l’homme de l’Organisation des Nations unies (ONU), Francesca Albanese présente les actes et les intentions pouvant caractériser un génocide en cours à Gaza. La question d’un génocide réalisé par des moyens militaires est encore une fois posée, ainsi que celle de l’assistance militaire à Israël. En droit international, cette question n’est pas nouvelle dès lors qu’au Rwanda, la contribution de l’armée au génocide des Tutsi a déjà été attestée. Dans l’ex Yougoslavie, le massacre de Srebrenica, considéré comme acte de génocide, s’inscrivait également dans un contexte de conflit armé. S’agissant d’Israël, le blocus de Gaza exigeant l’emploi de la force militaire de l’État avait été présenté dès 2009 comme participant potentiellement d’un crime contre l’humanité1. Et la Convention internationale sur la prévention et la répression du crime de génocide de 1948 énonce bien, dans son article I :
Les parties contractantes confirment que le génocide, qu’il soit commis en temps de paix ou en temps de guerre, est un crime du droit des gens, qu’elles s’engagent à prévenir et à punir.
UN CONTEXTE MENAÇANT
Suite à la publication de ce rapport, un certain nombre d’États occidentaux ont relayé les accusations portées par Israël contre la personne de la rapporteuse spéciale. Le ministre des affaires étrangères et le ministre de l’intérieur israéliens estimaient en février 2024 que l’ONU devrait désavouer publiquement ses « propos antisémites » et la renvoyer définitivement2. Et le Quai d’Orsay a cru bon d’affirmer pendant le point de presse du 26 mars 2024 que
Madame Albanese n’engage pas le système des Nations unies. Nous avons eu l’occasion par le passé de nous inquiéter de certaines de ses prises de positions publiques problématiques et de sa contestation du caractère antisémite des attaques terroristes du 7 octobre dernier.
Dans ce contexte menaçant, la rapporteuse spéciale n’est pourtant pas isolée parmi les experts indépendants du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, chargés de « mandats thématiques » ou de « mandats par pays ». Ils ont publié collectivement plusieurs déclarations relatives au risque de génocide depuis le début de l’offensive israélienne contemporaine. Très récemment, c’est le rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, Michael Fakhri, qui a alerté sur la volonté délibérée d’infliger une famine à Gaza3.
Créé en 1993 par la Commission des droits de l’homme (devenue Conseil des droits de l’homme), le mandat du rapporteur spécial sur les territoires palestiniens occupés (qui fait partie des « mandats par pays ») vise à y examiner la situation des droits humains et à formuler des recommandations à l’intention de l’ONU. Plusieurs intellectuels de grande envergure, tels les professeurs sud-africain John Dugard (2001-2008), américain Richard Falk (2008-2014) ou canadien Michael Lynk (2016-2022) se sont succédés dans ces fonctions. Ils ont progressivement avancé une réflexion sur l’apartheid et invité les États à saisir la Cour internationale de justice (CIJ) d’une demande d’avis sur la situation. Cette demande s’est concrétisée et a donné lieu aux audiences de la fin février 2024 devant la Cour. L’indépendance des experts du Conseil des droits de l’homme et la force de leurs rapports ont souvent suscité des oppositions. En décembre 2008, elles avaient culminé avec l’arrestation puis l’expulsion par Israël de Richard Falk4.
La mise en cause par Israël des rapporteurs spéciaux sur les territoires palestiniens occupés accompagne désormais un discours israélien visant à discréditer l’ensemble de l’ONU, son Secrétaire général, voire même ses juges. On sait que l’UNRWA, l’agence de l’ONU dédiée aux réfugiés palestiniens, a aussi été spécifiquement ciblée, ce qui a conduit à fragiliser son fonctionnement et affaiblir encore la population de Gaza. Dans son rapport, Francesca Albanese appelle d’ailleurs les États à continuer d’assurer le financement de l’agence (§ 97, g).
L’UNRWA est en outre implicitement confortée par la dernière ordonnance de la CIJ, largement centrée sur la question de la famine. Privilégiant la voie terrestre d’acheminement de l’aide humanitaire, la Cour ordonne à Israël de
prendre toutes les mesures nécessaires et effectives pour veiller sans délai, en étroite collaboration avec l’Organisation des Nations unies, à ce que soit assurée, sans restriction et à grande échelle, la fourniture par toutes les parties intéressées des services de base et de l’aide humanitaire requis de toute urgence […] en particulier en accroissant la capacité et le nombre des points de passage terrestres et en maintenant ceux-ci ouverts aussi longtemps que nécessaire5.
Dans la requête qu’il a récemment introduite devant la CIJ s’agissant de Gaza, le Nicaragua reproche à l’Allemagne, au titre de la complicité de génocide, la fourniture de matériels militaires à Israël, mais également la suspension de son financement de l’UNRWA. Les audiences se tiendront, dans cette autre affaire, en ce mois d’avril 2024.
« DES PREUVES EXCEPTIONNELLEMENT PRÉSENTES »
L’offensive actuelle sur Gaza est considérée par Francesca Albanese comme pouvant caractériser trois des actes de génocide listés par la Convention de 1948 (article II, a), b), et c)) : le meurtre de membres du groupe, l’atteinte grave à leur intégrité physique ou mentale et la soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle.
Les éléments de fait sont précisément et utilement rappelés, avec notamment les chiffres considérables de plus de 30 000 morts, 12 000 disparus (sous les décombres) et 71 000 blessés graves (§§ 21-45). L’offensive israélienne s’illustre aussi par la souffrance infligée aux enfants, qui peut être interprétée comme un moyen de détruire le groupe ciblé (§ 33). Quant à l’intention de détruire le groupe, propre au crime de génocide, elle peut être directement prouvée au regard des déclarations de hauts responsables israéliens, parfaitement comprises sur le terrain (§§ 50-53). Ainsi, « des preuves directes de l’intention génocidaire sont exceptionnellement présentes ». Ceci est un élément essentiel à la qualification de génocide, qui dispense de recourir à des preuves circonstancielles. En effet, en l’absence de preuves directes, la jurisprudence internationale refuse généralement de qualifier un génocide lorsque les faits de violence peuvent être « raisonnablement expliqués » autrement que par une intention de détruire le groupe.
C’est dans ce contexte que le rapport de Francesca Albanese examine le « jargon » humanitaire (§ 60) employé par Israël afin de justifier ses opérations. On se trouve en présence d’un discours israélien flou, où la justification des attaques par les catégories du droit des conflits armés est désormais susceptible de brouiller l’identification de l’« intention de détruire » qui a été officiellement énoncée dans les premiers mois de l’offensive. Se référant explicitement à l’instance introduite devant la CIJ par l’Afrique du Sud, Francesca Albanese note : « Pour sa défense, Israël a affirmé que sa conduite est conforme au droit international humanitaire ». Mais en réalité, « Israël a invoqué ce droit comme un "camouflage humanitaire" afin de légitimer la violence génocidaire qu’il déploie à Gaza » (§ 7). C’est l’intérêt du travail de Francesca Albanese que de l’exposer et d’œuvrer à la déconstruction des prétentions légales d’Israël au titre du droit de la guerre.
LE « CAMOUFLAGE HUMANITAIRE »
La dernière partie du rapport est donc intitulée de manière significative « Camouflage humanitaire : déformer le droit de la guerre pour masquer l’intention génocidaire ». La rapporteuse y estime que
sur le terrain, cette déformation du droit de la guerre […] a changé un groupe national entier et son espace habité en une cible militaire pouvant être détruite, révélant une conduite des hostilités « éliminationniste ». Ceci a eu des effets dévastateurs, coûtant la vie à des milliers de civils palestiniens, détruisant la vie à Gaza et causant des dommages irréparables. S’illustre une ligne de conduite claire dont on ne peut déduire qu’une intention génocidaire6.
Plusieurs notions du droit relatif à la conduite des hostilités tels qu’instrumentalisées par Israël sont précisément analysées : l’accusation d’utilisation de boucliers humains ou d’utilisation militaire d’installations médicales par l’adversaire (A et E), l’extension de la notion d’objectif militaire (B), l’exploitation de la notion de « dommages collatéraux » (C), les ordres d’évacuations et les désignations de zones sûres (D). L’exemple des évacuations paraît, avec le siège et le ciblage systématique des hôpitaux, assez spécifique de l’offensive en cours. S’agissant des ordres d’évacuation, on assiste à la transformation d’une exigence du droit de la guerre (les précautions avant l’attaque) en instrument de persécution et d’affaiblissement de la population. Ceci a d’ailleurs été rapidement compris par les organes de l’ONU, puisque la résolution de l’Assemblée générale du 26 octobre 2023 demandait l’annulation du premier ordre d’évacuation du nord de Gaza. Le thème de la perfidie (la conduite perfide étant une violation grave du droit de la guerre) apparaît ainsi dans les développements du rapport de Francesca Albanese, dès lors que les zones désignées comme sûres à l’intention des civils déplacés et les couloirs humanitaires permettant leurs déplacements ont fait l’objet de bombardement et d’attaques (§§ 79 et 81).
Le rapport vient donc utilement contrer une approche qui se manifeste déjà dans le travail du procureur de la Cour pénale internationale (CPI). Cette approche consiste à représenter l’offensive comme une opération militaire où l’armée israélienne s’efforcerait de respecter les exigences du droit de la guerre dans une situation complexe — mais finalement classique — de conflit urbain. Or, s’il était question de respecter ce droit relatif à la conduite des hostilités, la règle de précaution dans l’attaque devrait s’appliquer au regard de la configuration de l’espace dans lequel est conduite l’offensive, c’est-à-dire une zone restreinte, close, très densément peuplée, où les objectifs militaires sont essentiellement souterrains en raison même du blocus imposé depuis 2007. Selon cette règle :
ceux qui décident une attaque doivent […] s’abstenir de lancer une attaque dont on peut attendre qu’elle cause incidemment des pertes en vies humaines dans la population civile, des blessures aux personnes civiles, des dommages aux biens de caractère civil, ou une combinaison de ces pertes et dommages, qui seraient excessifs par rapport à l’avantage militaire concret et direct attendu7.
Ajoutons qu’au regard des objectifs énoncés par les dirigeants israéliens, il serait aussi possible de convoquer la règle qui criminalise le simple fait de déclarer un refus de quartier8.
Il convient en outre de ne pas oublier que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes dont relève le peuple palestinien impose à l’État colonial ou occupant de favoriser l’émancipation, ce qui questionne le principe même de l’offensive israélienne. À cet égard, le rapport de Francesca Albanese s’inspire de travaux historiques récents pour rapprocher la situation des territoires occupés d’un colonialisme de peuplement (§ 12). La qualification du génocide doit certainement être appréhendée dans ce contexte, souligne Francesca Albanese, c’est-à-dire en situant l’offensive contemporaine dans une histoire de
déplacement et d’effacement du peuple palestinien (rapport, §§ 10-14).
RAFAËLLE MAISON
Agrégée des facultés de droit ; professeur des universités.
Gaza, 20 mars 2024. Les équipes de l’ONG World Central Kitchen (WCK) faisant parvenir leur premier envoi d’aide humanitaire par voie maritime.
@WCKitchen/X.
Rami Abou Jamous écrit son journal pour Orient XXI. Ce fondateur de GazaPress, un bureau qui fournissait aide et traduction aux journalistes occidentaux, a dû quitter son appartement de la ville de Gaza avec sa femme et son fils Walid, deux ans et demi. Il partage maintenant un appartement de deux chambres avec une autre famille. Il raconte son quotidien et celui des Gazaouis de Rafah, coincés dans cette enclave miséreuse et surpeuplée. Cet espace lui est dédié.
Jeudi 5 avril 2024.
Mardi, j’ai passé toute la journée au terminal de Rafah qui relie la bande de Gaza avec l’Égypte. Il est divisé en deux, un côté palestinien et un côté égyptien. Du côté palestinien, il y a la police du Hamas qui fait le contrôle et qui fait régner un peu d’ordre pour faire passer les gens vers l’Égypte. J’étais là avec un ami qui voulait quitter Gaza parce qu’il n’en pouvait plus, parce qu’il avait peur de la machine de guerre israélienne. Il a tout à fait raison, vu ce qui se passe ici et surtout vu le risque d’incursion terrestre à Rafah. Tout le monde sait ce que ça veut dire, une incursion terrestre. Déjà qu’on est pilonné par les bombes ; là ce serait un tremblement de terre qui réduirait à néant toute la ville de Rafah, comme ils l’ont fait au nord avec Gaza ville, et avec les massacres et les boucheries qui ne s’arrêtent pas.
Je vais juste vous expliquer comment ça marche. Ce n’est pas comme en Europe où les frontières sont ouvertes vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept, où on peut passer facilement d’un pays à l’autre, où c’est un simple panneau qui vous indique que vous avez changé de pays.
« AVANT LA GUERRE, C’ÉTAIT 1 200 DOLLARS POUR L’ÉGYPTE »
Ici, c’est beaucoup plus compliqué parce qu’on est dans une prison à ciel ouvert qui a deux terminaux pour en sortir : un au nord qui s’appelle Erez, et relie Gaza à Israël ; et le terminal de Rafah au sud, qui donne accès à l’Égypte. Déjà, avant la guerre, c’était très difficile de quitter Gaza. Il fallait justifier d’un transfert médical, ou avoir un passeport étranger, auquel cas, on pouvait se rendre en Égypte. Si on avait un visa pour un pays européen par exemple, on allait directement à l’aéroport du Caire. Sinon on passait par la « coordination ». C’est un système inventé par les Égyptiens, une sorte d’agence de voyage qui s’appelle Ya Hala (« Bienvenue » en arabe).
Avant la guerre, on payait à peu près 1 200 dollars par personne pour ce qu’on appelait à l’époque un « VIP ». On s’inscrivait directement auprès des représentants à Gaza de cette agence, et deux jours après on montait dans un bus privé qui vous emmenait au terminal égyptien. Ensuite, une voiture vous emmenait directement au Caire.
Maintenant, cela a changé. Pour sortir, il y a plusieurs types de listes. D’abord, celle des détenteurs de passeports étrangers ou des amis de ces pays, ou des gens qui ont travaillé pour eux. Le ministère des affaires étrangères de chaque pays envoie les noms au Cogat (Coordination Of Government activities in the Territories) israélien, qui délivre ou non l’autorisation de sortie du territoire. Par exemple la France a pu faire sortir la majorité des Palestiniens qui avaient aussi la nationalité française, et ceux qui qui travaillaient pour l’Institut français de Gaza1.
Pour obtenir l’accord des autorités israéliennes, il faut des semaines, parfois des mois. Vous avez tous entendu parler d’Ahmed Abou Shamla, un responsable de l’Institut français qui devait partir avec sa famille. Mais les Israéliens n’ont donné l’autorisation que pour Ahmed, sa femme et les plus jeunes de ses quatre enfants, pas pour les deux aînés. Il est donc resté avec eux. Malheureusement, il est mort dans le bombardement de la maison où il s’était réfugié à Rafah. Comme par hasard, deux jours plus tard, les Israéliens ont donné leur accord…
« LES ISRAÉLIENS LAISSENT LES ÉGYPTIENS FAIRE LEUR PETIT BUSINESS »
La deuxième liste pour sortir, c’est celle des Palestiniens qui ont la nationalité égyptienne et qui est envoyé directement à l’Égypte sans passer par le Cogat et des noms sortent presque tous les jours.
La troisième liste, c’est celle des blessés. Il y en a dans les 70 000, et la majorité d’entre eux ont besoin d’un traitement à l’étranger parce qu’il n’y a plus de système de santé à Gaza à cause des bombardements des hôpitaux, surtout à Gaza ville où l’hôpital Al-Shifa n’est plus qu’une carcasse. Beaucoup de blessés qui auraient pu être sauvés meurent.
Le Croissant rouge envoie les noms, mais là aussi, ce sont les Israéliens qui décident, et au compte-goutte : ils ne donnent qu’une trentaine d’autorisations par jour.
La quatrième liste est la plus importante, c’est la liste payante. Là non plus, pas besoin de l’accord du Cogat : les Israéliens laissent les Égyptiens faire leur petit business, de même que le loisir de faire eux-mêmes le tri. Sauf que maintenant, ce n’est plus 1 200, mais 5 000 dollars par personne. Oui, 5 000 dollars pour sortir de l’enfer. Pour les moins de seize ans, on parle de 2 500 dollars. Donc une petite famille – qui se composerait selon les critères de Gaza de deux parents et de trois enfants -, doit payer au moins 20 000 dollars. Il y a beaucoup d’inscrits auprès de l’agence égyptienne. Entre 250 et 300 personnes sortent chaque jour par ce moyen. Autrement dit, il y a à peu près 1 million de dollars qui sort par jour de Gaza.
Comment les gens font-ils pour payer ? Certains ont dépensé toutes leurs économies, vendu leurs bijoux. On en a vu pas mal qui ont fait appel à la générosité publique en ouvrant des cagnottes en ligne sur des sites comme GoFundMe et autres. L’ami que j’ai accompagné a payé le double parce qu’il est « listé ». Il y en a beaucoup comme lui à Gaza ; ils sont théoriquement interdits d’entrer en Égypte… sauf s’ils payent plus. Mon ami en est arrivé à payer 10 000 dollars pour sortir.
« DES FAMILLES VIVENT AU TERMINAL DE RAFAH DEPUIS DES SEMAINES, VOIRE DES MOIS »
Malheureusement, on a passé toute la journée sur place et il n’a pas pu passer, bien qu’il ait déjà payé. Le type de l’agence lui a dit : « On essayera une autre fois, ça marchera peut-être la semaine prochaine ». Est-ce une arnaque ? C’est possible. Mais j’espère qu’il pourra récupérer son argent s’il ne peut pas passer.
Pendant toute la journée, j’ai regardé les gens qui sont venus tenter leur chance. C’était encore le règne des listes. Les employés du Hamas leur disaient :
Nous, on est juste là pour vérifier. On reçoit des listes. Si votre nom est sur la liste, on vous laisse passer. Si votre nom n’est pas sur la liste, on ne peut pas vous laisser passer.
Ceux qui ont le feu vert montent dans un bus. Ils font quelques centaines de mètres jusqu’au grand portail qui marque la sortie du territoire palestinien. Il y a ensuite une dizaine de mètres de no man’s land et un nouveau portail : l’entrée en Égypte. Des militaires égyptiens montent alors dans le bus pour vérifier la liste.
Ils commencent à appeler des noms. Si une personne n’est pas sur la liste, elle descend tout de suite. Il y avait des gens qui essayaient malgré tout de passer en disant « on peut se débrouiller avec les Égyptiens ». Malheureusement ils ne pouvaient pas entrer.
J’ai vu aussi une dizaine de familles avec enfants qui vivent au terminal de Rafah depuis des semaines, d’autres depuis des mois. Il y avait là un monsieur qui voulait partir en Australie. Il a vécu toute sa vie en Arabie Saoudite et il est revenu à Gaza il y a un an. Il m’a dit qu’il avait dépensé près de 200 000 dollars pour acheter des voitures, un appartement, et qu’il voulait finir sa vie à Gaza, parce que c’était le berceau de sa famille. Mardi, il espérait obtenir son visa pour partir. Il pensait que ce serait prêt « dans deux ou trois jours ». Lui et ses filles passent leurs nuits dans leur voiture. Il a acheté des draps et ils se nourrissent avec des boîtes de conserve et du pain. Il dit qu’ils vont partir bientôt.
« CELA FAIT DE LA PEINE DE VOIR QUE CERTAINS HUMAINS VALENT PLUS QUE D’AUTRES »
Je me suis avancé aussi vers le terminal des marchandises. Normalement c’est interdit, mais la surveillance n’est pas stricte. Je me suis trouvé dans la grande cour où les commerçants entreposent les marchandises. Elles viennent du terminal israélien de Kerem Shalom. Il y a là les commerçants et les transporteurs du secteur privé. Certains importateurs mettent ces marchandises dans des camions pour les transporter jusqu’à leurs entrepôts. Ils ont amené des membres de leur famille ou des types qu’ils ont engagés, tous armés de bâtons, parfois de kalachnikovs, pour protéger ces entrepôts. Et puis il y a ceux qui viennent acheter les cargaisons. La vente se fait sur place. Ces commerçants peuvent proposer un prix de 20 à 30 % supérieur pour emporter le marché.
C’est par là aussi que passe l’aide humanitaire, celle du Croissant rouge ou des ONG étrangères. C’est par là que passait l’aide du World Central Kitchen (WCK). Vous savez que six employés occidentaux de cette organisation et un Palestinien de Rafah ont été tués dans une frappe israélienne ciblée. Je suis vraiment triste de voir mourir ces personnes qui ont fait des milliers de kilomètres pour venir aider le peuple palestinien. Malheureusement, ils ont subi le même sort que la population de Gaza. Je connaissais bien cette ONG. Je ne connaissais pas ces six-là, mais j’en connaissais d’autres qui faisaient le même très bon travail. Je suis triste pour eux. Mais je suis aussi triste parce que le monde entier s’est mobilisé pour ces six personnes, mais je n’ai pas vu la même mobilisation pour les plus de 32 000 tués de Gaza.
La majorité de ces morts sont des civils, des enfants, des femmes. Ça fait vraiment de la peine de voir cette injustice, ça fait vraiment de la peine de voir ce double standard, ça fait vraiment de la peine de voir qu’on fait une distinction entre des êtres humains, que certains valent beaucoup plus que d’autres. Un être humain, c’est un être humain. On n’a pas les cheveux blonds ni les yeux bleus, mais on est en train de mourir sous les mêmes bombes qui ont tué ces humanitaires.
« IL N’Y A JAMAIS DE HASARD AVEC L’ARMÉE ISRAÉLIENNE »
Cela dit, peut être que cette mobilisation va changer les choses. Je le crois, je l’espère, je ne sais pas. En 2021, les Israéliens ont inauguré la mode de bombarder les tours d’habitation et de bureau, des immeubles de plus de neuf étages. Ils en ont bombardé cinq ou six. On parle là de 50 à 55 appartements, donc cinquante-cinq familles à qui les Israéliens ont donné cinq minutes pour évacuer. Ils n’ont eu que le temps de prendre de l’argent et des papiers.
La « communauté internationale » n’avait alors pas réagi pendant des semaines. Par contre, quand la tour où se trouvait le bureau de l’agence américaine Associated Press (AP) a été détruite, le monde s’est mobilisé. Biden a appelé lui-même les Israéliens pour leur dire que là, ils exagéraient parce que tout de même, c’était le bureau d’AP… Et les Israéliens ont arrêté de bombarder les tours.
Je crois - ou du moins j’espère - que la mort de ces occidentaux — que je considère comme des martyrs parce qu’ils sont morts pour une bonne cause — pourrait changer un peu la donne. Qu’au moins, il y aurait un peu plus d’aide humanitaire dans la ville de Gaza et la partie nord de la bande.
Peut-être que cela va améliorer un peu la vie des 2,3 millions de personnes qui vivent à Gaza. Les Israéliens prétendent que c’était une erreur, mais on sait qu’il n’y a jamais de hasard avec l’armée israélienne. Tout est intentionnel, tout est volontaire et tout le monde le sait.
J’en parlerai plus en détail un autre jour. Mais le résultat c’est que WCK a cessé de travailler à Gaza et que d’autres ONG ont peur maintenant. Elles ont tiré une conclusion évidente : si les humanitaires du WCK qui avaient de bonnes relations avec les Israéliens et les Américains, et qui avait de grandes facilités pour faire entrer la marchandise à Gaza ont subi ce sort-là, les autres, qui galèrent pour se coordonner avec les forces israéliennes, savent désormais que personne n’est à l’abri.
Rami Abou Jamous écrit son journal pour Orient XXI. Ce fondateur de GazaPress, un bureau qui fournissait aide et traduction aux journalistes occidentaux, a dû quitter son appartement de la ville de Gaza avec sa femme et son fils Walid, deux ans et demi. Il partage maintenant un appartement de deux chambres avec une autre famille. Il raconte son quotidien et celui des Gazaouis de Rafah, coincés dans cette enclave miséreuse et surpeuplée. Cet espace lui est dédié.
Dimanche 7 avril 2024.
Aujourd’hui, j’ai reçu un appel téléphonique de mon ami Chahine, le père de Doudou, la fillette dont je vous ai déjà parlé. Elle vit avec sa famille dans la ville de Gaza, où la famine s’est installée, comme dans toute la partie nord du territoire. Chahine était très content, il voulait m’annoncer une bonne nouvelle : pour la première fois, des camions sont entrés dans le nord de la bande, à partir du terminal israélien d’Erez. Un camion de fuel et deux camions de médicaments. Chahine m’a dit : « Tu m’avais dit dans une discussion que les choses allaient peut-être changer un peu, surtout au niveau humanitaire, après la mort des six martyrs », en référence aux six expatriés de l’ONG World Central Kitchen que les Israéliens ont tués.
Chahine pense que ce sont les premières « gouttes » d’aide humanitaire qui commencent à entrer au nord de la bande et dans la ville de Gaza. Il a ajouté :
Tu crois les déclarations du cabinet de guerre israélien, quand ils disent qu’ils vont augmenter le nombre de camions à 500 par jour ? Et que la Jordanie va aussi faire passer des camions, au lieu de nous envoyer ces aides parachutées qui nous humilient ?
Et j’étais très content de son appel parce qu’il me poussait un peu à l’optimisme. Ces premiers camions semblent en effet confirmer notre dernière conversation. En même temps, je ne voulais pas lui dire qu’avec les Israéliens, on a l’habitude que les choses prennent du temps entre les paroles et les actes, et que parfois il n’y a que des paroles, pas d’actes. Mais cette fois, je crois que ce ne sont pas juste des annonces. Peut-être que l’aide n’arrivera pas tout de suite, qu’elle ne passera pas immédiatement à 500 camions par jour, mais je crois qu’il va y avoir quelque chose. En tout cas, mon ami Chahine était content de notre conversation et je lui ai remonté le moral comme d’habitude.
« DES FRUITS, ÇA FAIT LONGTEMPS QUE JE N’AI PAS ENTENDU CE MOT »
Il m’a passé Doudou au téléphone. Elle était contente :
‘Ammo Rami, tu crois qu’on va manger des boîtes de conserves et de la viande à nouveau ? J’ai entendu dire qu’à Rafah, il y a du poulet qui est entré. Est ce que nous aussi on va pouvoir en manger ?
J’ai répondu que oui, bien sûr, elle allait avoir du poulet et aussi des fruits. « Des fruits, ça fait longtemps que je n’ai pas entendu ce mot, a-t-elle répondu. Ça n’existe plus chez nous. Les légumes aussi, ça fait longtemps qu’on n’en voit plus, depuis que tu m’avais envoyé quelques tomates et la boîte de conserves de viande ». Je l’ai rassurée :
Ne t’en fais pas, si la nourriture n’entre pas au nord, je t’enverrai, comme la dernière fois, du poulet, et des fruits aussi. À Rafah, on a eu des pommes, je suis sûr que vous allez en recevoir à Gaza-ville.
Elle a sauté de joie. J’ai entendu son rire : « Si c’est vrai, on va faire un fatteh1, tu seras invité. J’espère qu’on pourra le manger ensemble le dernier soir du ramadan, à la veille de l’Aïd ». J’ai dit à Doudou que j’espérais aussi déguster ce fatteh avec eux et que tout ça allait finir. Elle était très contente et moi aussi. J’adore entendre son rire. Cette joie dans le cœur de Doudou, c’est grâce à ces martyrs de l’ONG. Oui, je dis « grâce » car la vie des 2,3 millions d’habitants de Gaza va peut-être changer.
LES SNIPERS ET LA LIGNE INVISIBLE
J’ai suivi les révélations sur les logiciels de ciblage par intelligence artificielle que l’armée israélienne utilise pour nous tuer. Nous le savons ici à Rafah parce que, même dans cette situation atroce, nous pouvons régulièrement nous connecter à Internet et lire les révélations de sites israéliens opposés au massacre des Palestiniens. Je vous recommande de lire les déclarations de ces six officiers qui ont travaillé sur le logiciel, et qui ne le regrettent pas. Au contraire, ils disent que ça accélère la guerre, que ça accélère le rythme des bombes. L’intelligence artificielle leur fournit des listes de très nombreuses personnes à tuer, et il faut, disent-ils, réserver les bombes « intelligentes », précises, aux dirigeants importants du Hamas. Pour les cibles « de rang inférieur », on peut utiliser des bombes « stupides », qui tuent en même temps beaucoup de gens autour de la cible. Les militaires admettent un « dégât collatéral » de quinze à vingt civils tués pour un combattant.
Je ne comprends pas comment un être humain peut tuer des gens de cette façon, sans pitié, sans réfléchir. C’est peut-être à cause de l’aspect technologique. On est derrière un écran, donc il n’y a pas d’affrontement, on ne voit pas les gens, on voit juste des personnages de jeu vidéo. Et puis il y a l’aspect de la vengeance aveugle : ils veulent tuer tout le monde parce qu’ils considèrent que tous les habitants de la bande de Gaza sont responsables de ce qui s’est passé le 7 octobre.
Ainsi pour eux, nous ne sommes pas des personnes importantes, pas des êtres humains. D’autres militaires cités dans les articles disent qu’ils n’ont pas à se casser la tête, c’est la machine qui fait tout, « nous sommes juste des exécutants ». Je vous conseille de lire ces témoignages et je sais que vous allez être choqués. Mais nous, nous avons l’habitude avec cette armée, on sait très bien comment elle se comporte.
Il y a une autre technique, c’est de tracer dans un quartier une ligne invisible. Et si quelqu’un dépasse cette ligne, il est tout de suite visé par un sniper. Certaines de ces exécutions ont été filmées, comme cette femme abattue avec à ses côtés son fils de 12 ans. Il y a eu aussi l’homme qui allait chercher son frère encerclé et qui a été tué à son tour.
Imaginez que vous êtes dans une prison où les gardiens ont tracé des lignes invisibles. Si vous en dépassez une, vous êtes tout de suite puni… ou plutôt mort. Je ne sais pas si les Israéliens se sont inspirés de la série Squid Game, mais c’est presque la même chose. C’est vraiment inhumain.
« NOUS RECONSTRUIRONS TOUT »
Je suis sûr qu’un jour ou l’autre, certains vont se réveiller. Comme ces combattants des milices juives de 1948 qui disent aujourd’hui regretter d’avoir participé au nettoyage ethnique massif des Palestiniens. Je ne sais pas si les militaires israéliens d’aujourd’hui veulent éliminer les Palestiniens parce qu’ils nous considèrent comme des sauvages ou des animaux, ou bien parce qu’ils veulent « juste » se débarrasser nous. Mais je vois qu’il y a beaucoup de pression sur Nétanyahou, que ce soit de la part des Israéliens eux-mêmes ou bien de la communauté internationale, qui demande pour la première fois d’arrêter la guerre, à cause des morts du WCK. Des pays européens ont demandé un cessez-le feu, et de laisser entrer l’aide humanitaire. Certains qui avaient suspendu leur financement de l’Unrwa ont repris leurs versements. Le monde est en train de se réveiller petit à petit. Je ne sais pas si c’est par calcul ou si vraiment leur conscience s’est réveillée, mais ils ont cessé d’accepter seulement la vision israélienne des choses.
Libérer les prisonniers, c’est la dernière chose à laquelle pense Nétanyahou. Il veut poursuivre la guerre parce que la fin de cette guerre serait la fin de sa vie politique. Mais vu la situation actuelle, je crois qu’à la fin, il va céder et accepter bientôt un cessez- le- feu. Peut-être pas un arrêt total de la guerre, mais au moins une trêve. Si c’est le cas, il y en aura d’autres et on arrêtera cette guerre inhumaine, où il n’y a eu que des morts civils, et où 2,3 millions de personnes ont été plongées dans la misère et l’humiliation.
J’espère aussi que nous, les déplacés, allons tous rentrer chez nous. Il est vrai qu’il n’y a plus de vie à Gaza-ville, ni dans le nord du territoire ; que 70 % voire 75 % des habitations ont été bombardées et détruites. C’est vrai qu’il n’y a plus d’eau, plus d’électricité, plus de système de santé, et que l’hôpital Al-Shifa n’est plus qu’une carcasse. Mais malgré tout ça, nous avons envie de rentrer chez nous. Même si on n’a plus de maison, on plantera des tentes, mais on restera chez nous, on ne nous fera pas bouger comme ça. Nous avons déjà gagné contre le projet de « transfert » des Israéliens, leur ambition de nous expulser de la bande de Gaza. Nous reconstruirons tout. Ce ne sera pas la première fois. Nous sommes des Phénix, nous renaissons toujours de nos cendres.
La vie va continuer, et tout le monde vivra en paix.
« Netanyahou a un intérêt direct dans les conflits et l'instabilité sans fin. «Il veut que le monde accuse Israël de génocide et d'apartheid, d'occupation violente et de nettoyage ethnique» afin que les Israéliens croient que «le monde nous déteste, et il est le seul à pouvoir les sauver» (dans Bradley Burston: « La fin d'Israël : les dépêches d'un chemin vers la catastrophe », Freeman Press, New York Décembre 2023).
Le sentiment d'indignation révèle-t-il une âme noble, qui ne saurait s'empêcher d'exprimer son profond dégoût face à un fait, une scène, un acte particulièrement odieux et qui ne peut qu'être l'objet d'une condamnation sans appel ?
L'indignation : une arme de combat démontrant plutôt l'hostilité que la vertu blessée
Ou est-ce la manifestation d'une immoralité, d'un cynisme, d'une mauvaise foi, d'une fourberie, sans vergogne, et irrémédiables, tournant in ridicule et exploitant ce noble sentiment et son fondement profondément humaniste, le tout enveloppé dans une hostilité insatiable qui vise d'abord et avant tout le perpétrateur et non le crime objet de l'indignation.
On sait l'attachement que manifestent les « démocraties avancées » à l'égard de la liberté d'information et du libre exercice de la profession de journaliste, comme de la sécurité absolu dont doivent jouir ceux qui exerce cette profession. Et cet attachement s'exprime, dans les cas où ces principes sont violés, par une indignation qui prend tant la forme de représentations diplomatiques comme de mobilisation des médias, des réseaux sociaux et des milieux intellectuels dans ces «démocraties».
Tout juste si ce vaste tumulte ne saccompagne pas de menaces de rupture de relations diplomatiques et de menaces d'interventions militaires direct.
Mais apparemment, dans la réalité, ce qui importe c'est moins la violation de principes sacro-saints que l'occasion de s'en prendre à des états ou à des régimes qui, pour une raison ou une autre, sont l'objet d'une hostilité manifeste de la part des « donneurs autoproclamés » de leçons de vertu politique « désintéressée ! »
L'Etat a le droit, dans le cadre de ses lois, de défendre ses citoyens contre la propagande séditieuse étrangère
On se souvient, sans doute, de la vaste manifestation d'indignation internationale qu'ont soulevée, à travers les médias et les réseaux sociaux, les poursuites judiciaires et les condamnations à des peines de prison et à d'autres sanctions de journalistes stipendiés par l'étranger.
Leur jugement s'est fait en public et sur la base de chefs d'accusation et de preuves patentes, et leur condamnation a eu pour source des lois publiées. Ils n'ont subi ni sévices physiques, ni tortures, et le procureur a demandé, non leur exécution, mais leur condamnation sur la base de la loi. Rien qui pourrait susciter des soupçons d'arbitraire contraire aux droits de l'homme ou de rancune politicienne sans rapport avec les faits reprochés.
L'Algérie a aussi le droit de se défendre et de protéger son peuple contre les interventions étrangères qui, sous couvert de « défense des droits de l'homme, et de la démocratie, n'ont pour autre objectif que la mise de notre pays sous leur tutelle par la manipulation de l'opinion publique nationale.
On constate la même ligne d'attaque dans un cas similaire se passant sous d'autres cieux, toujours au nom de nobles principes et contre le « totalitarisme hostile aux valeurs démocratique ! »
Sous des cieux plus neigeux, ce journaliste jouit d'une procédure judiciaire transparente
Sous le slogan : « être journaliste n'est pas un crime », une vaste campagne internationale, médiatique et politique a été lancée récemment pour forcer un pays « hostile aux valeurs occidentales de liberté de la presse et du droit à l'information » à libérer un journaliste, accusé d'espionnage par ce pays, accusation qu'évidemment il nie.
Il faut souligner que la procédure judiciaire qui frappe ce journaliste est étalée au grand jour, que des images de cette procédure sont prises et diffusées dans les chaines de télévision du «monde libre» et que, donc, aucune censure ne frappe la couverture du procès. Les preuves contre ce journaliste, sur la base desquelles les autorités de sécurité et le système judiciaire le poursuivent, n'ont rien de secret et ont été présentées publiquement.
Ce journaliste bénéficie également de l'assistance et de la présence d'un conseil juridique chargé d'assurer sa défense. A souligner que, dans le même temps, les journalistes de ce même pays sont interdits d'exercer leur « métier » et qu'ils sont accusés d'être des « agents de propagande au profit du chef d'Etat de leur pays ».
On est tout à fait disposé à croire que les animateurs de cette campagne ne font que défendre un noble principe, qui est, faut-il le souligner, un élément important de la démocratie, et surtout dans les pays qui se targuent de la symboliser. Mais, on constate que ce principe sacro-saint de préservation de la sécurité et de la liberté du journaliste n'est soulevé que lorsqu'il entre dans une campagne de propagande hostile au pays « délinquant par définition » et qui, pour diverses raisons, est l'objet d'une hostilité sans réserve de la part de « la communauté internationale ».
Israël exécute sommairement, sans jugement ni condamnation judiciaire les journalistes et leurs familles
Cette « défense du droit du journaliste » est plus une manifestation de cynisme et d'effronterie que d'adhésion à un principe.
Comment peut-on prouver que cette campagne n'a rien de sincère et qu'elle s'inscrit dans une stratégie d'isolement internationale se couvrant de principes de « moralité médiatique » acceptés à l'échelle universelle?
Tout simplement en rappelant que dans la colonie de peuplement juive génocidaire d'Israël, l'exécution sommaire des journalistes, et parfois même le massacre de toutes leur familles, est une pratique courante, qui, pourtant, n'a attiré ni la condamnation, ni même la compassion pour les victimes et leurs épouses et leurs enfants, de la part de ces autorités et de ces médias « libres », si prompts à hurler de douleur et d'indignation lorsqu'un de leurs collègue est soumis à une procédure judiciaire claire et transparente.
Ces exécutions sommaires n'ont rien ni de secret, ni de méconnu. C'est l'organisation « Reporters Sans Frontières » qui les rapporte, sous la plume de leur secrétaire général Christophe Deloire, qui rend directement responsable de l'exécution sommaire de 103 journalistes palestiniens, par « l'armée la plus morale du monde», qui suscite une admiration béate de certains membres de l'élite cinématographique et intellectuelle de la « patrie des droits de l'homme ».
La citation tiré du site internet de cette organisation est longue, mais mérite d'être reproduite dans son intégralité :
« Ces 103 journalistes ne sont pas des chiffres, ce sont 103 voix qu'Israël a réduites au silence, 103 témoins de moins de la catastrophe qui s'est déroulée en Palestine, 103 vies éteintes. Si les chiffres montrent quoi que ce soit, c'est que depuis le 7 octobre, aucun endroit à Gaza n'est sûr, aucun journaliste à Gaza n'est épargné et le massacre ne s'est pas arrêté. Nous réitérons notre appel urgent à la protection des journalistes à Gaza.
Au moins 22 de ces journalistes ont été tués dans le cadre de leur travail ou à cause de leur travail, selon les informations recueillies jusqu'à présent par RSF. Beaucoup d'entre eux faisaient des reportages sur le terrain et étaient clairement identifiables comme des journalistes. D'autres ont été tués par des frappes qui ciblaient spécifiquement leurs maisons. RSF a soumis à la Cour pénale internationale et à deux reprises les crimes commis contre les journalistes par Israël.
Les « médias du monde libre », des tracts soutenant sans réserve le droit des sionistes au génocide du peuple palestinien
Les médias du « monde libre » se sont transformés, de puis le 7 octobre 2023, en tracts se contentant de reproduire, en les plagiant toute honte bue, la thématique de la propagande sioniste, justifiant l'extermination du peuple palestinien comme la simple application du « droit d'Israël de se défendre », synonyme en fait de « droit au génocide du peuple palestinien » et faisant croire que les tueurs en masse juifs ne feraient que répondre à une agression non provoquée, et qui n'aurait d'autres motifs qu'une haine irrationnelle contre « la seule démocratie du Moyen Orient » qui, de plus, partagerait les mêmes valeurs que les « démocraties avancées ».
Il est évident que le communiqué de « Reporters Sans Frontières », fondée sur des enquêtes faites sur le terrain même où ont eu lieu ces exécutions, a été mis sous quasi-embargo total. Quand les « médias du monde libre » y ont fait allusion, c'est en passant et sans commentaires.
Une recherche pourra, sans doute, prouver que l'omerta qui couvre tous les crimes sans nombre commis par l'entité sioniste juive n'a pas manqué de passer sous silence également le fait que ces exécutions de journalistes font suite à une décision hautement politique de supprimer, même par l'exécution des « coupables », toute autre source d'information que celle provenant des autorités sionistes.
Quant aux gouvernements du « monde libre », ils ont fait preuve d'un silence assourdissant valant approbation de ces exécutions, car elles vont dans le sens de ce qu'elles visent: l'élimination du peuple palestinien pour mettre fin à ce problème, et donc l'acceptation et l'appui à toute action des autorités juives d'Israël, qui cacherait les crimes commis par Israël contre ce peuple martyr, et donc limiter la mobilisation de leurs propres opinions publiques face au génocide en cours !
Une complicité évidente des gouvernements et médias du monde libre dans ces exécutions sommaires de journalistes
On ne peut tout de même pas accuser « Reporters Sans Frontières » de partialité, ou même « d'antisémitisme ». C'est une institution non gouvernementale qui est financée par les médias et les gouvernements du monde libre, et qui, de manière quasi-systématique, dirige ses critiques les plus virulentes contre les « gouvernements autoritaires », qui considèrent que la liberté d'expression, et la liberté de la presse constitueraient de menaces à leur pouvoir.
On ne se souvient pas que cette ONG ait jamais soulevé le problème de la main mise quasi-totale de l'ensemble des médias de ces pays avancés par quelques groupes financiers qui ont le quasi-monopole de la collecte et de la diffusion des informations au public, et qui censurent toute information ou toute opinion pouvant porter préjudice à leurs intérêts économiques et financiers.
Parce qu'elle est tenue par sa propre déclaration de mission, Reporters Sans Frontières ne pouvait que dénoncer un crime patent contre la liberté d'information, mettant devant leurs propres responsabilité tant les gouvernements que les médias.
La censure qui a frappé cette dénonciation révèle, sans le moindre doute, la complicité des gouvernements comme des médias des « démocraties avancées », dans l'embargo mis sur ces exécutions sommaires perpétrés par l'armée sioniste, est évidente.
En conclusion
En cinq mois d'opérations, entre octobre 2023 et ce jour, l'armée sioniste a exécuté sommairement 103 journalistes palestiniens, allant parfois et dans certains cas jusqu'à exterminer leurs familles, tuant femmes et enfants dont le seul crime est que le chef de famille était un journaliste!
Devant ces crimes patents contre l'exercice d'un droit considéré comme faisant partie des « valeurs occidentales », supposées être partagées par la colonie de peuplement juive d'Israël, pas une seule expression d'indignation, pas le moindre mot de condamnation à travers les « démocraties avancées », si promptes à agiter le noble slogan de la « liberté d'information » quand leurs propres intérêts sont en jeu.
Ces exécutions, accompagnées de la destruction par bombes des domiciles des victimes, n'ont rien d'accidentel, car leur nombre est trop important pour laisser croire à « des effets collatéraux ». Cette suppression criminelle par la colonie de peuple juive génocidaire d'Israël du droit à l'information est une violation flagrante de l'obligation à la fois morale et légale de la part des autorités sionistes de veiller à la sécurité physique des journalistes !
L'armée sioniste ne fait sans doute qu'obéir à des ordres stricts de la bande de criminels dirigée par Netanyahou qui est à la tête de la colonie de peuplement juive.
Ceux-ci ne menaient aucune activité jugée criminelle et ne faisaient que leur travail de recueil sur le terrain du conflit, des informations permettant au public du monde entier, d'être objectivement informé sur le déroulement des évènements et la réalité du terrain où ces évènements se déroulent.
Le droit d'exécuter les journalistes, sans jugement et sans condamnation, fait-il partie des privilèges accordés unilatéralement par les « démocraties avancées » à Israël, en application de « son droit de se défendre ? ». Ou est-ce un élément indispensable à la finalisation du projet sioniste de génocide du peuple palestinien ? Questions légitimes en direction des leaders et médias des ces « démocraties avancées » dont les valeurs-caméléons changent avec leurs intérêts stratégiques et leurs animosités du moment.
Finalement, l'indignation est-elle la marque d'une haute moralité et le respect quasi-religieux pour des principes fondateurs de la démocratie ou la manifestation d'un rejet de toutes les règles qui définissent la décence politique et les sentiments d'humanisme, et un cynisme qui se nourrit d'un sentiment de bonne conscience appuyée par une puissance militaire écrasante ?
Il paraît que le 7 octobre au matin en même temps que les satellites qui ont pris d’assaut le terrain de jeu d’Israël, l’Iran a introduit un chat bleu pour mettre le feu dans la tête des maîtres des lieux… Animal spécial qui inspire le mal… non qu’il vous fait mais qu’il vous fait faire. On dit qu’il irradie jusqu’à vous donner envie de vous autodétruire… Et c’est ce qu’a fait Israël qui s’est crevé les yeux en croyant servir son Dieu. C’est romancé. C’est dramatisé, c’est diabolisé peut-être ? Mais les faits semblent pourtant l’attester d’une manière incongrue. Premier mauvais calcul : les israéliens ont mis du temps à réagir, pour se donner toutes les raisons de bien sévir. Résultat : plus de 1000 morts et plus d’otages que d’avantages. Deuxième mauvais calcul : pour raser le Hamas, Israël a cru bon de faire table rase de tous les droits en faisant valoir la loi du plus fort sur les plus faibles : les enfants… génocide qui s’apparente à un véritable suicide. Troisième mauvais calcul : Israël vient d’exploser à tête reposée un consulat iranien en donnant la mort à quelques ténors qui ont toujours parié sur sa mort. Erreur… fatale. Calcul trivial parce que l’Iran prendra son temps pour multiplier par 100 l’horreur du 7 octobre. Ce n’est pas possible d’être aussi in-con-sé-quent…
Rami Abou Jamous écrit son journal pour Orient XXI. Ce fondateur de GazaPress, un bureau qui fournissait aide et traduction aux journalistes occidentaux, a dû quitter son appartement de la ville de Gaza avec sa femme et son fils Walid, deux ans et demi. Il partage maintenant un appartement de deux chambres avec une autre famille. Il raconte son quotidien et celui des Gazaouis de Rafah, coincés dans cette enclave miséreuse et surpeuplée. Cet espace lui est dédié.
Jeudi 5 avril 2024.
Gaza, 20 mars 2024. Les équipes de l’ONG World Central Kitchen (WCK) faisant parvenir leur premier envoi d’aide humanitaire par voie maritime.
@WCKitchen/X.
Mardi, j’ai passé toute la journée au terminal de Rafah qui relie la bande de Gaza avec l’Égypte. Il est divisé en deux, un côté palestinien et un côté égyptien. Du côté palestinien, il y a la police du Hamas qui fait le contrôle et qui fait régner un peu d’ordre pour faire passer les gens vers l’Égypte. J’étais là avec un ami qui voulait quitter Gaza parce qu’il n’en pouvait plus, parce qu’il avait peur de la machine de guerre israélienne. Il a tout à fait raison, vu ce qui se passe ici et surtout vu le risque d’incursion terrestre à Rafah. Tout le monde sait ce que ça veut dire, une incursion terrestre. Déjà qu’on est pilonné par les bombes ; là ce serait un tremblement de terre qui réduirait à néant toute la ville de Rafah, comme ils l’ont fait au nord avec Gaza ville, et avec les massacres et les boucheries qui ne s’arrêtent pas.
Je vais juste vous expliquer comment ça marche. Ce n’est pas comme en Europe où les frontières sont ouvertes vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept, où on peut passer facilement d’un pays à l’autre, où c’est un simple panneau qui vous indique que vous avez changé de pays.
« AVANT LA GUERRE, C’ÉTAIT 1 200 DOLLARS POUR L’ÉGYPTE »
Ici, c’est beaucoup plus compliqué parce qu’on est dans une prison à ciel ouvert qui a deux terminaux pour en sortir : un au nord qui s’appelle Erez, et relie Gaza à Israël ; et le terminal de Rafah au sud, qui donne accès à l’Égypte. Déjà, avant la guerre, c’était très difficile de quitter Gaza. Il fallait justifier d’un transfert médical, ou avoir un passeport étranger, auquel cas, on pouvait se rendre en Égypte. Si on avait un visa pour un pays européen par exemple, on allait directement à l’aéroport du Caire. Sinon on passait par la « coordination ». C’est un système inventé par les Égyptiens, une sorte d’agence de voyage qui s’appelle Ya Hala (« Bienvenue » en arabe).
Maintenant, cela a changé. Pour sortir, il y a plusieurs types de listes. D’abord, celle des détenteurs de passeports étrangers ou des amis de ces pays, ou des gens qui ont travaillé pour eux. Le ministère des affaires étrangères de chaque pays envoie les noms au Cogat (Coordination Of Government activities in the Territories) israélien, qui délivre ou non l’autorisation de sortie du territoire. Par exemple la France a pu faire sortir la majorité des Palestiniens qui avaient aussi la nationalité française, et ceux qui qui travaillaient pour l’Institut français de Gaza1.
Pour obtenir l’accord des autorités israéliennes, il faut des semaines, parfois des mois. Vous avez tous entendu parler d’Ahmed Abou Shamla, un responsable de l’Institut français qui devait partir avec sa famille. Mais les Israéliens n’ont donné l’autorisation que pour Ahmed, sa femme et les plus jeunes de ses quatre enfants, pas pour les deux aînés. Il est donc resté avec eux. Malheureusement, il est mort dans le bombardement de la maison où il s’était réfugié à Rafah. Comme par hasard, deux jours plus tard, les Israéliens ont donné leur accord…
« LES ISRAÉLIENS LAISSENT LES ÉGYPTIENS FAIRE LEUR PETIT BUSINESS »
La deuxième liste pour sortir, c’est celle des Palestiniens qui ont la nationalité égyptienne et qui est envoyé directement à l’Égypte sans passer par le Cogat et des noms sortent presque tous les jours.
La troisième liste, c’est celle des blessés. Il y en a dans les 70 000, et la majorité d’entre eux ont besoin d’un traitement à l’étranger parce qu’il n’y a plus de système de santé à Gaza à cause des bombardements des hôpitaux, surtout à Gaza ville où l’hôpital Al-Shifa n’est plus qu’une carcasse. Beaucoup de blessés qui auraient pu être sauvés meurent.
Le Croissant rouge envoie les noms, mais là aussi, ce sont les Israéliens qui décident, et au compte-goutte : ils ne donnent qu’une trentaine d’autorisations par jour.
La quatrième liste est la plus importante, c’est la liste payante. Là non plus, pas besoin de l’accord du Cogat : les Israéliens laissent les Égyptiens faire leur petit business, de même que le loisir de faire eux-mêmes le tri. Sauf que maintenant, ce n’est plus 1 200, mais 5 000 dollars par personne. Oui, 5 000 dollars pour sortir de l’enfer. Pour les moins de seize ans, on parle de 2 500 dollars. Donc une petite famille – qui se composerait selon les critères de Gaza de deux parents et de trois enfants -, doit payer au moins 20 000 dollars. Il y a beaucoup d’inscrits auprès de l’agence égyptienne. Entre 250 et 300 personnes sortent chaque jour par ce moyen. Autrement dit, il y a à peu près 1 million de dollars qui sort par jour de Gaza.
Comment les gens font-ils pour payer ? Certains ont dépensé toutes leurs économies, vendu leurs bijoux. On en a vu pas mal qui ont fait appel à la générosité publique en ouvrant des cagnottes en ligne sur des sites comme GoFundMe et autres. L’ami que j’ai accompagné a payé le double parce qu’il est « listé ». Il y en a beaucoup comme lui à Gaza ; ils sont théoriquement interdits d’entrer en Égypte… sauf s’ils payent plus. Mon ami en est arrivé à payer 10 000 dollars pour sortir.
« DES FAMILLES VIVENT AU TERMINAL DE RAFAH DEPUIS DES SEMAINES, VOIRE DES MOIS »
Malheureusement, on a passé toute la journée sur place et il n’a pas pu passer, bien qu’il ait déjà payé. Le type de l’agence lui a dit : « On essayera une autre fois, ça marchera peut-être la semaine prochaine ». Est-ce une arnaque ? C’est possible. Mais j’espère qu’il pourra récupérer son argent s’il ne peut pas passer.
Pendant toute la journée, j’ai regardé les gens qui sont venus tenter leur chance. C’était encore le règne des listes. Les employés du Hamas leur disaient :
Nous, on est juste là pour vérifier. On reçoit des listes. Si votre nom est sur la liste, on vous laisse passer. Si votre nom n’est pas sur la liste, on ne peut pas vous laisser passer.
Ceux qui ont le feu vert montent dans un bus. Ils font quelques centaines de mètres jusqu’au grand portail qui marque la sortie du territoire palestinien. Il y a ensuite une dizaine de mètres de no man’s land et un nouveau portail : l’entrée en Égypte. Des militaires égyptiens montent alors dans le bus pour vérifier la liste.
Ils commencent à appeler des noms. Si une personne n’est pas sur la liste, elle descend tout de suite. Il y avait des gens qui essayaient malgré tout de passer en disant « on peut se débrouiller avec les Égyptiens ». Malheureusement ils ne pouvaient pas entrer.
J’ai vu aussi une dizaine de familles avec enfants qui vivent au terminal de Rafah depuis des semaines, d’autres depuis des mois. Il y avait là un monsieur qui voulait partir en Australie. Il a vécu toute sa vie en Arabie Saoudite et il est revenu à Gaza il y a un an. Il m’a dit qu’il avait dépensé près de 200 000 dollars pour acheter des voitures, un appartement, et qu’il voulait finir sa vie à Gaza, parce que c’était le berceau de sa famille. Mardi, il espérait obtenir son visa pour partir. Il pensait que ce serait prêt « dans deux ou trois jours ». Lui et ses filles passent leurs nuits dans leur voiture. Il a acheté des draps et ils se nourrissent avec des boîtes de conserve et du pain. Il dit qu’ils vont partir bientôt.
« CELA FAIT DE LA PEINE DE VOIR QUE CERTAINS HUMAINS VALENT PLUS QUE D’AUTRES »
Je me suis avancé aussi vers le terminal des marchandises. Normalement c’est interdit, mais la surveillance n’est pas stricte. Je me suis trouvé dans la grande cour où les commerçants entreposent les marchandises. Elles viennent du terminal israélien de Kerem Shalom. Il y a là les commerçants et les transporteurs du secteur privé. Certains importateurs mettent ces marchandises dans des camions pour les transporter jusqu’à leurs entrepôts. Ils ont amené des membres de leur famille ou des types qu’ils ont engagés, tous armés de bâtons, parfois de kalachnikovs, pour protéger ces entrepôts. Et puis il y a ceux qui viennent acheter les cargaisons. La vente se fait sur place. Ces commerçants peuvent proposer un prix de 20 à 30 % supérieur pour emporter le marché.
C’est par là aussi que passe l’aide humanitaire, celle du Croissant rouge ou des ONG étrangères. C’est par là que passait l’aide du World Central Kitchen (WCK). Vous savez que six employés occidentaux de cette organisation et un Palestinien de Rafah ont été tués dans une frappe israélienne ciblée. Je suis vraiment triste de voir mourir ces personnes qui ont fait des milliers de kilomètres pour venir aider le peuple palestinien. Malheureusement, ils ont subi le même sort que la population de Gaza. Je connaissais bien cette ONG. Je ne connaissais pas ces six-là, mais j’en connaissais d’autres qui faisaient le même très bon travail. Je suis triste pour eux. Mais je suis aussi triste parce que le monde entier s’est mobilisé pour ces six personnes, mais je n’ai pas vu la même mobilisation pour les plus de 32 000 tués de Gaza.
La majorité de ces morts sont des civils, des enfants, des femmes. Ça fait vraiment de la peine de voir cette injustice, ça fait vraiment de la peine de voir ce double standard, ça fait vraiment de la peine de voir qu’on fait une distinction entre des êtres humains, que certains valent beaucoup plus que d’autres. Un être humain, c’est un être humain. On n’a pas les cheveux blonds ni les yeux bleus, mais on est en train de mourir sous les mêmes bombes qui ont tué ces humanitaires.
« IL N’Y A JAMAIS DE HASARD AVEC L’ARMÉE ISRAÉLIENNE »
Cela dit, peut être que cette mobilisation va changer les choses. Je le crois, je l’espère, je ne sais pas. En 2021, les Israéliens ont inauguré la mode de bombarder les tours d’habitation et de bureau, des immeubles de plus de neuf étages. Ils en ont bombardé cinq ou six. On parle là de 50 à 55 appartements, donc cinquante-cinq familles à qui les Israéliens ont donné cinq minutes pour évacuer. Ils n’ont eu que le temps de prendre de l’argent et des papiers.
La « communauté internationale » n’avait alors pas réagi pendant des semaines. Par contre, quand la tour où se trouvait le bureau de l’agence américaine Associated Press (AP) a été détruite, le monde s’est mobilisé. Biden a appelé lui-même les Israéliens pour leur dire que là, ils exagéraient parce que tout de même, c’était le bureau d’AP… Et les Israéliens ont arrêté de bombarder les tours.
Je crois - ou du moins j’espère - que la mort de ces occidentaux — que je considère comme des martyrs parce qu’ils sont morts pour une bonne cause — pourrait changer un peu la donne. Qu’au moins, il y aurait un peu plus d’aide humanitaire dans la ville de Gaza et la partie nord de la bande.
Peut-être que cela va améliorer un peu la vie des 2,3 millions de personnes qui vivent à Gaza. Les Israéliens prétendent que c’était une erreur, mais on sait qu’il n’y a jamais de hasard avec l’armée israélienne. Tout est intentionnel, tout est volontaire et tout le monde le sait.
J’en parlerai plus en détail un autre jour. Mais le résultat c’est que WCK a cessé de travailler à Gaza et que d’autres ONG ont peur maintenant. Elles ont tiré une conclusion évidente : si les humanitaires du WCK qui avaient de bonnes relations avec les Israéliens et les Américains, et qui avait de grandes facilités pour faire entrer la marchandise à Gaza ont subi ce sort-là, les autres, qui galèrent pour se coordonner avec les forces israéliennes, savent désormais que personne n’est à l’abri.
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